Que le sentiment de nos adversaires ôte à Jésus-Christ toute sa dignité, en lui faisant posséder par métaphore les titres que l’Écriture lui donne réellement.
Le titre de Fils de Dieu est le premier qui se présente à notre pensée. L’Écriture sainte le donne à trois sujets différents : les uns le possèdent par métaphore ; c’est ainsi que Job appelle Dieu le Père de la pluie. Les astres semblent aussi porter ce nom, comme lorsqu’il est dit que toutes les étoiles de la lumière le louaient, et que les enfants de Dieu menaient joie (Job 38.7) ; à moins qu’on n’aime mieux entendre par là les anges. Les autres possèdent la gloire de ce titre par adoption ; c’est ce que l’Écriture entend lorsqu’elle dit que Dieu nous a adoptés en son Fils ; qu’il nous adonné ce droit d’être appelés les enfants de Dieu ; que nous avons reçu l’adoption ; que nous sommes les enfants de Dieu, ses héritiers, et les cohéritiers de notre Seigneur Jésus-Christ. Enfin, ce titre de Fils de Dieu est donné à un sujet parfait et divin, qui le possède dans un sens très particulier et très éminent ; et ce sujet, c’est Jésus-Christ notre Sauveur lequel est appelé dans l’Écriture le Fils unique de Dieu, le propre Fils de Dieu, le Fils, ce Fils de Dieu avec l’article, le Fils de sa dilection, son Fils bien-aimé, en qui il prend son bon plaisir.
Il y a donc un propre Fils de Dieu, qui est plus véritablement le Fils de Dieu que ne le sont ceux qui le sont par adoption ; et il y a des enfants que Dieu adopte en son amour, qui portent la qualité d’enfants de Dieu à plus juste titre que ne sont ceux qui ne font ses enfants que simplement par figure et par métaphore.
Cependant le sentiment de nos adversaires renverse cet ordre, qui est celui de l’analogie de la foi. Jésus-Christ, dans leurs principes, ne peut être appelé le Fils de Dieu que par métaphore ; nous sommes, au contraire, les enfants de Dieu par adoption, et nous ne le sommes qu’en Jésus-Christ. Comment un fils métaphorique peut-il être plus véritablement fils que des enfants adoptés ? Comment des enfants adoptés doivent-ils leur adoption à un fils métaphorique ? Car, enfin, ou Jésus-Christ est lui-même adopté par le Père, ou il ne l’est pas. S’il est adopté par le Père, d’où vient que le Saint-Esprit ne nous a jamais parlé de son adoption, lorsqu’il nous parle si souvent de l’adoption des fidèles ? Pourquoi cette expression est-elle étrangère à l’Écriture : Dieu a adopté son Fils Jésus-Christ ? Et pourquoi est-elle tellement étrangère qu’elle passerait pour un blasphème ? Si Dieu n’a point adopté Jésus-Christ, il s’ensuit que Jésus-Christ est simplement un fils métaphorique : il ne l’est point par nature ; nos adversaires n’en peuvent souffrir l’expression : il ne l’est point par adoption ; le langage de l’Écriture ne souffre point cette expression : il l’est donc uniquement par métaphore ; et, si cela est, nous sommes plus que Jésus-Christ ; nous avons un avantage qu’il n’a pas.
Ce qui confirme notre pensée à cet égard, c’est que la qualité d’enfants de Dieu que nous portons est regardée comme un des plus grands témoignages que Dieu nous ait donnés de son amour ; c’est l’objet de la reconnaissance des fidèles, et ils doivent le remercier de ce qu’ils sont ses enfants par sa grâce : mais le titre de Fils que Jésus-Christ porte, n’a jamais été regardé comme une preuve de la charité de Dieu, mais plutôt comme l’objet de son amour. On ne peut point dire que Jésus-Christ soit le Fils de Dieu parce que Dieu l’aime, mais il faut dire que Dieu l’aime parce qu’il est son Fils. L’Écriture nous dira bien : Voyez quelle charité nous a donnée le Père, et que nous soyons nommés les enfants de Dieu ; mais elle ne dira point : Voyez quelle charité Dieu a montrée à Jésus-Christ qu’il l’ait nommé son Fils, parce que la qualité d’enfants que nous portons nous est étrangère et accidentelle ; mais la qualité de Fils que Jésus-Christ porte, lui est propre et essentielle.
De là il s’ensuit manifestement que les quatre fondements sur lesquels nos adversaires établissent la qualité de Fils de Dieu qui est donnée à Jésus-Christ, ne suffisent point pour fonder la gloire et la dignité de ce titre : le premier est sa conception et sa naissance miraculeuse ; le second, sa charge ; le troisième, sa résurrection ; et le dernier, son exaltation souveraine. Car si Jésus-Christ n’était le Fils de Dieu que parce qu’il a été formé immédiatement par la vertu de Dieu dans le sein de Marie, il ne le serait pas mieux qu’Adam, qui de même a été formé immédiatement par la puissance de Dieu ; la différente manière de leur production n’empêchant pas qu’ils ne partent des mains du Créateur l’un aussi immédiatement que l’autre. Si Jésus-Christ est appelé Fils de Dieu à cause de son ministère, il s’ensuit qu’avant son ministère il n’était pas Fils de Dieu dans un sens aussi éminent qu’il le fut après son ministère. Cependant, dans le moment de son installation, on entend une voix qui dit : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai pris mon bon plaisir ; ce qui fait voir qu’il l’était déjà. Et à l’égard de la résurrection et de l’exaltation de Jésus-Christ, j’avoue qu’elles ont servi à déclarer solennellement que Jésus-Christ était le Fils de Dieu, car, comme dit l’Apôtre, il a été déclaré Fils de Dieu en puissance par la résurrection d’entre les morts. Mais s’il a été déclaré Fils de Dieu, il était donc déjà le Fils de Dieu. Et en effet, l’Écriture nous marque cette qualité de Fils unique de Dieu par deux caractères ; le premier, c’est que Jésus-Christ est au sein du Père ; le second, c’est qu’il est à la droite de Dieu. Nul, dit saint Jean, ne vit jamais Dieu. Celui qui est au sein du père, lui-même l’a déclaré, ou l’a manifesté, l’a fait connaître. Lui donc, dit saint Pierre, s’étant assis à la droite de Dieu, a répandu ce que maintenant vous voyez et entendez. De ces deux caractères, celui qui est le plus propre au Fils de Dieu, c’est d’être au sein du Père. On fait asseoir à sa droite les personnes qu’on honore ; on fait reposer sur son sein les personnes qu’on aime ; et comme il est encore plus naturel d’aimer son fils que de l’honorer, il s’ensuit qu’être au sein du Père est un caractère plus propre au Fils de Dieu, que celui d’être assis à sa droite. Or, Jésus-Christ était au sein du Père dès sa conversation sur la terre, et avant son exaltation. Il s’ensuit donc qu’il était dès lors le Fils de Dieu dans un sens aussi éminent, ou du moins qu’il en avait le plus grand caractère.
L’Évangile rapporte que Jésus-Christ étant monté à Jérusalem à l’âge de douze ans, et ayant été trouvé assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant, et les surprenant par les choses admirables qu’il leur disait, il répondit à ceux qui lui témoignaient avoir été en peine de lui : Pourquoi me cherchez-vous ? Ne saviez-vous pas qu’il faut que je sois occupé aux affaires de mon Père ?
On demande si, lorsque Jésus-Christ tenait ce langage, il était le Fils unique de Dieu, son propre Fils, son Fils par excellence : s’il ne l’était pas, pourquoi parle-t-il comme s’il l’était effectivement ? Jamais aucun des prophètes, étant envoyé de la part de Dieu, avait-il dit : Je viens de la part de mon Père, ou, il faut que je sois occupé aux affaires de mon Père ? S’il l’était, il s’ensuit donc qu’avant son installation, sa résurrection et son exaltation, Jésus-Christ possède ce titre de Fils de Dieu dans cette éminence qui le fait être le propre Fils ou le Fils unique de Dieu.
Jésus-Christ dès lors étant le Fils de Dieu par excellence, ou il l’était à cause de quelque excellence qu’il possédait déjà, ou à cause de la gloire qu’il devait posséder. S’il l’était seulement à cause de la gloire qu’il devait posséder, il s’ensuit qu’il n’était en ce temps-là le Fils unique de Dieu que de la même manière qu’il l’était avant sa naissance ; car avant sa naissance il était aussi destiné à cette gloire. Il s’ensuit encore que Jésus-Christ disputant avec les docteurs Juifs, n’était le Fils unique de Dieu que dans le même sens que l’homme est fidèle ou enfant de Dieu avant sa vocation, lorsqu’il est simplement élu ; car, comme Jésus-Christ était Fils unique de Dieu parce qu’il était destiné à une gloire souveraine, il s’ensuivra que de même nous sommes des enfants de Dieu adoptés, même avant notre vocation, parce que nous sommes destinés de toute éternité à cette bienheureuse adoption.
Il reste donc que Jésus-Christ, lorsqu’il disputait avec les docteurs juifs, portait le titre de Fils unique de Dieu par les qualités qu’il possédait actuellement par son état présent. Or, si cela est, Jésus-Christ n’étant qu’un simple homme, comme nos adversaires le prétendent ne pouvait être Fils de Dieu que parce qu’il avait été conçu du Saint-Esprit.
Cependant il ne nous paraît point que la conception miraculeuse de Jésus-Christ pût fonder un titre si glorieux. Car qu’est-ce qu’être conçu du Saint-Esprit ? C’est être formé d’une matière épurée et sanctifiée immédiatement par la vertu de Dieu : cela ne donne aucun avantage à Jésus-Christ par-dessus Adam, qui a été créé immédiatement par les mains de Dieu ; ni même par-dessus les saints glorifiés, qui doivent être reproduits en quelque sens par la vertu de leur Créateur.
Cette réflexion paraîtra considérable si l’on y en ajoute une autre qui est beaucoup plus importante encore ; c’est que le nom de Fils unique de Dieu, de propre Fils de Dieu, est un nom qui non seulement distingue Jésus-Christ des autres hommes, mais qui l’élève au-dessus des anges glorieux. Car il a été fait d’autant plus excellent que les anges, qu’il a hérité un plus excellent nom qu’eux. Que si le titre de Fils unique de Dieu signifie principalement qu’il a été formé immédiatement par la vertu de Dieu dans le sein de Marie, on ne saurait comprendre que ce titre l’élève au-dessus des Anges, qui ont conservé la pureté de leur origine : car ces esprits ne sont-ils pas de même ce qu’ils sont par la vertu du Tout-Puissant, qui non seulement les a formés, mais qui les a remplis de sainteté et de gloire en les tirant du sein du néant ? Où est donc cette éminence de perfection qui fait que ce titre convient à Jésus-Christ, et ne convient qu’à Jésus-Christ ?
Le titre de Sauveur, qui convient si proprement et si véritablement à Jésus-Christ, est encore un titre qui devient incompréhensible, si Jésus-Christ n’est qu’un simple homme, qui n’a fait qu’évangéliser aux hommes, et souffrir la mort pour leur donner un exemple de patience, et pour confirmer l’alliance ; en ce cas-là il n’a fait pour nous que ce que les martyrs et les confesseurs ont fait, qui est de nous instruire et par leur parole et par leur exemple, et de confirmer la vérité par leur mort.
Je dirai bien davantage, et je ne craindrai point de soutenir que Moïse, si cela est, est plus véritablement le rédempteur et le sauveur des Israélites, que Jésus-Christ n’est le Rédempteur et le Sauveur du genre humain ; car Moïse fait par lui-même ce que Jésus-Christ ne semble faire que par le ministère de ses disciples. Moïse fait voir aux Israélites la délivrance, et Jésus-Christ nous la fait seulement espérer. Il est vrai que Moïse ne souffre point la mort comme Jésus-Christ ; mais prenez garde que la mort de Jésus-Christ est aussi inutile pour nous que la mort de Moïse l’aurait été pour les Israélites. Mais comme cette dernière vérité est du nombre de ces vérités capitales qui sont le fondement des autres, il faut l’établir dans un chapitre séparé.