Or il y avait à Antioche, dans l’Eglise qui s’y trouvait, des prophètes et des docteurs, Barnabas, et Siméon, appelé Niger, et Lucius le Cyrénéen, et Manahen, qui avait été élevé avec Hérode le tétrarque, et Saul.
S’ensuit une histoire non seulement digne de mémoire, mais aussi fort utile et grandement nécessaire d’être connue, comment saint Paul a été ordonné Docteur des Gentils. Car sa vocation a été comme une clef, par laquelle Dieu nous a ouvert le royaume des cieux. Nous savons que l’alliance de la vie éternelle avait été faite particulièrement avec les Juifs ; par ce moyen l’héritage de Dieu ne nous appartenait en rien, vu que nous étions étrangers, Ephésiens 2.12 ; et il y avait une paroi entre deux, qui faisait séparation entre les domestiques et les étrangers. Ainsi il ne nous eût de rien profité que Christ fut venu pour apporter salut au monde, sinon que la séparation étant ôtée, nous eussions eu entrée en l’Eglise de Dieu. Il est vrai que les Apôtres avaient déjà commandement de publier l’Evangile par tout le monde, Marc 16.15 ; nonobstant ils s’étaient contenus dedans les limites de Judée jusques à cette heure-là. Quand saint Pierre fut envoyé à Corneille, la chose était tant nouvelle et étrange, qu’il semblait avis que ce fut presque un monstre. D’avantage, on pouvait penser que ce fut un privilège octroyé par dispense et contre l’ordre accoutumé à ce petit nombre de gens. Mais maintenant quand Dieu destine ouvertement Paul et Barnabas pour apôtres des Gentils, il les fait par ce moyen égaux aux Juifs, afin que l’Evangile commence a être indifféremment commun aux Gentils aussi bien qu’aux Juifs. Maintenant donc la paroi est ôtée et rompue ; en sorte que ceux qui étaient près, et ceux qui étaient bien loin, soient également réconciliés à Dieu, et étant tous assemblés sous un même chef, soient ensemble unis en un même corps. Pour cette raison la vocation de saint Paul ne doit avoir moins de poids ou autorité envers nous, que si Dieu lui-même nous annonçait de sa propre bouche, que le salut qui a été anciennement promis a Abraham et à sa semence, (Genèse 22.17) ne nous appartient point moins aujourd’hui, que si nous étions nés d’Abraham. Pourtant saint Paul travaille grandement en plusieurs passages à affirmer et authentifier sa vocation (Gal.1.15 ; 2.8) afin que les Gentils s’assurent que la doctrine de l’Evangile ne leur a point été apportée ne par cas fortuit ne par la témérité des hommes, mais premièrement par un conseil admirable de Dieu ; qui plus est, par un commandement exprès et manifeste, quand il a révélé et donné à connaître aux hommes ce qu’il avait délibéré et ordonné en soi-même.
Certains Prophètes et Docteurs. j’ai exposé en Ephésiens 4.11 et 1 Corinthiens 12.28, quelle différence il y a, pour le moins selon mon avis, entre les Docteurs et les Prophètes. En ce passage ils peuvent être pris en même signification ; comme si saint Luc disait qu’il y avait plusieurs personnages en cette Eglise-là, doués de singulière grâce du Saint Esprit pour enseigner. Pour le moins je ne vois aucune raison pourquoi ce mot de Prophètes doive être ici pris pour ceux qui eussent le don de prédire les choses à venir ; mais plutôt sont dénotés ceux qui avaient une grande grâce d’interpréter l’Ecriture, ce me semble. Or l’office de tels était d’enseigner et exhorter ; comme S. Paul rend témoignage 1 Corinthiens 15.27. Il faut regarder l’intention de S. Luc. Paul et Barnabas étaient ministres de l’Eglise d’Antioche ; Dieu les retire maintenant de là pour les envoyer ailleurs. Afin que nul ne pensât que cette Eglise demeurât destituée de bons et suffisant ministres, en sorte que le Seigneur voulût garnir les autres en endommageant celle-ci ; S. Luc vient au-devant, et démontre qu’elle avait si grande abondance et multitude de gens de bien, qu’elle en fournissait les autres, lesquelles en avaient faute ; et cependant toutefois en avait assez de reste pour son usage. Dont il apparaît en quelle abondance Dieu avait répandu sa grâce sur cette Eglise-là, puis que tels ruisseaux en pouvaient découler çà et là. Ainsi aussi de notre temps ce bon Seigneur enrichit tellement aucunes Eglises, qu’elles sont comme pépinières pour peupler les autres, et répandre la doctrine de l’Evangile. Quant à Manahen ou Manaïm, qui avait été nourri avec Hérode, il faut bien qu’il fût de quelque noble maison et famille, vu qu’il avait été donné compagnon à Hérode. Or S. Luc explique ceci tout à propos pour nous louer sa piété et religion ; d’autant qu’ayant méprisé la gloire du monde, il s’était retiré vers le troupeau méprisé de Jésus-Christ. Il pouvait bien être l’un des principaux de la cour d’Hérode, si l’ambition eût régné en son cœur ; mais afin qu’il s’adonne du tout au Fils de Dieu, il ne fait difficulté de laisser ces honneurs caduques, et accepter ignominie et opprobre. Car si nous considérons bien quelle était lors la condition de l’Eglise, il ne pouvait faire profession de l’Evangile, qu’il ne s’exposât à être réputé infâme de tous. Notre Seigneur donc nous a voulu instruire par son exemple à mépriser le monde, afin que ceux qui ne peuvent être autrement vraiment Chrétiens, qu’en rejetant comme empêchements nuisibles les choses qui sont précieuses à la chair, apprennent à fouler tout le monde au pied d’un courage constant et magnanime.
Comme ils célébraient le culte du Seigneur, et qu’ils jeûnaient, l’Esprit saint dit : Mettez-moi à part Barnabas et Saul, pour l’œuvre à laquelle je les ai appelés.
Le mot duquel use saint Luc, ne signifie pas seulement vaquer au service Divin, mais aussi il signifie quelque fois exercer offices et charges publiques. Au surplus, pour ce que le service divin des Gentils consistait volontiers en sacrifices, ce mot est pris bien souvent pour offrir sacrifices. Laquelle signification a grandement plu aux Papistes, pour prouver que les apôtres usaient de quelque sacrifice. Mais encore qu’on leur accorde ce qu’ils demandent, toutefois ils se montrent bien ridicules, en ce que pour la défense de leur belle Messe, ils prétendent que les Pasteurs d’Antioche ont sacrifié. Premièrement, vu que le mot est du nombre pluriel, il s’ensuivra qu’un chacun d’eux ait célébré plusieurs Messes. Mais laissant là tels badinages, je dis qu’il faut considérer quelle sorte de sacrifie Jésus-Christ a recommandé à son Eglise. Les Papistes imaginent que l’office de sacrificature leur a été ordonné et enjoint pour immoler et sacrifier Jésus-Christ, et par ce sacrifice racheter la paix de Dieu. Tant s’en faut que la sainte Écriture fasse aucune mention de ceci, que plutôt le Fils de Dieu s’attribue cet honneur à soi tant seulement. Par quoi il y a bien une autre sacrificature en l’Eglise Chrétienne ; à savoir qu’un chacun offre à Dieu et soi-même et ce qu’il a ; et quant aux ministres publiques, qu’ils sacrifient les âmes par le glaive spirituel de la Parole ; comme S. Paul enseigne Romains 15.16. D’avantage, les prières et oraisons de tous les fidèles sont veaux spirituels des lèvres, (Osée 14.2) par lesquels Dieu est droitement apaisé, quand ils lui sont offerts de l’autel sacré ; c’est-à-dire, au nom de Jésus-Christ ; comme il est dit Hébreux 13.15. Quand donc maintenant Luc explique que les Prophètes et Docteurs ont servi en leur ministère au Seigneur, après que le Saint Esprit eût parlé à eux ; je n’entends autre chose sinon que lors ils exerçaient le ministère publique en l’assemblée. Il ajoute le jeûne, afin que nous sachions que leurs esprits étaient délivrés de tout empêchement, afin que rien ne les détournât de se rendre attentifs à l’oracle divin. Au demeurant, on est en doute s’ils entreprirent expressément de jeûner, ou si saint Luc signifie seulement qu’ils étaient à jeun jusqu’à cette heure-là. Toutefois ceci est hors de tout différent, que ces circonstances ont été exprimées, afin que la vocation de saint Paul ait plus de poids et plus grande autorité envers nous.
Séparez-moi Barnabas et Saul, etc. Dieu commande que par l’élection et les voix de l’Eglise Paul et Barnabas soient envoyés où il les avait destinés. Dont nous recueillons qu’il n’y a point élection légitime de Pasteurs ou ministres sinon là où Dieu préside. Car en ce que lui-même a ordonné et commandé que Pasteurs et Évêques fussent élus par l’Eglise, il n’a point permis ni octroyé une si grande licence aux hommes, que lui cependant ne préside comme le souverain gouverneur et modérateur. Il est bien vrai que l’élection ordinaire des Pasteurs est différente de cette élection de Paul et Barnabas ; d’autant qu’il fallait que ceux qui devaient être ordonnés pour l’avenir apôtres des Gentils, fussent établis par oracle céleste ; ce qui n’est point nécessaire tous les jours, toutes les fois qu’il faut ordonner des Pasteurs. Toutefois ils ont ceci de commun, que tout ainsi que Dieu a attesté que Paul et Barnabas étaient déjà lors par son décret destinés à prêcher l’Evangile ; aussi n’est-il point licite que d’autres soient appelés à la charge et office d’enseigner, sinon ceux que Dieu (par manière de dire) a déjà choisis pour soi. Au reste, il n’est point nécessaire que le Saint Esprit nous crie de là haut du ciel, que celui duquel il sera question, est appelé Divinement. Car nous recevons ceux lesquels il a garnis de dons nécessaires, ni plus ni moins que s’il nous les avait donnés de main en main ; vu que lui-même les a appropriés et formés de sa main propre. Mais il semble avis que ce que saint Luc dit ici, que S. Paul a été ordonné par les suffrages ou les voix de l’Eglise ne s’accorde nullement aux paroles de saint Paul, quand il dit qu’il n’a point été appelé ni des hommes ni par les hommes, Galates 1.1. Je réponds que longtemps auparavant qu’il eût été envoyé aux Gentils, il avait été créé apôtre même sans aucun moyen des hommes ; et déjà aussi il avait fait office d’apôtre par plusieurs années, lorsque nouvellement il a été appelé pour aller aux Gentils. Et pourtant afin qu’il ait Dieu pour auteur de son Apostolat, ce n’est point sans cause qu’il exclue les hommes. Et maintenant il ne commande point qu’il soit ordonné par les hommes ou de l’Eglise, pour dire que sa vocation dépende du jugement des hommes ; mais Dieu divulgue maintenant par édit public cette sienne ordonnance et décret, lequel n’était encore connu que de bien peu de gens ; et veut que ce décret soit scellé par subscription solennelle de l’Eglise. Le sens de ces paroles est, que le temps est déjà venu que saint Paul sème l’Evangile entre les Gentils, et qu’après avoir rompu la paroi, il recueille une Eglise des Gentils qui avaient été auparavant étrangers au Royaume de Dieu. Car combien que jusques alors Dieu se fut servi de lui en Antioche et ailleurs, toutefois ceci est maintenant survenu de particulier, qu’il a voulu associer les Gentils en un même héritage de vie avec les Juifs. Que si même dès le commencement il eût été ainsi créé Docteur de l’Eglise, encore n’eût-ce été par les hommes qu’il eût été appelé. Car puisque le Seigneur prononce que c’est par lui qu’il a été appelé, que laisse-il de reste à l’Eglise, sinon qu’elle s’y accorde en toute obéissance ? Car le jugement des hommes n’intervient pas ici comme en une chose douteuse, et le cas n’est point mis à la liberté des voix. Mais il nous faut retenir ce que j’ai dit, à savoir que maintenant Paul et Barnabas ne sont point constitués en l’ordre des Docteurs, mais qu’un office et charge extraordinaire leur est enjointe, à ce qu’ils commencent à publier la grâce de Dieu entre les Gentils. Et c’est ce que signifient ces paroles, quand il est dit, Séparés pour l’œuvre. Car il ne faut point douter qu’il ne dénote une œuvre nouvelle et non usitée.
Mais comment se fait cela, que saint Paul a ici pour son adjoint Barnabas, vu que nous ne lisons nulle part que Barnabas ait fait office d’enseigner ? et qui plus est, vu que lui-même a toujours laissé à saint Paul la charge de parler ? Je réponds qu’assez d’occasions de parler lui ont été par plusieurs fois offertes en l’absence de saint Paul ; en sorte que tous deux avaient assez à faire. Car un seul ne pouvait pas toujours être présent en tous lieux. Il est certain qu’il n’a pas été un spectateur muet, mais qu’il s’est acquitté fidèlement de la charge que Dieu lui avait commise. Or d’être en émoi pourquoi saint Luc n’a couché expressément par écrit les sermons qu’il a faits, il n’est pas besoin, vu que de tous ceux de saint Paul à grand peine en a-t-il enregistré le millième.
Le Saint Esprit, etc. Quelque tergiversation que Macédonius mette en avant avec toute sa secte, toutefois nous avons ici un témoignage de la Divine essence du Saint Esprit si clair et évident, qu’il n’est possible de le faire évanouir. Il n’y a rien qui soit plus propre à Dieu, que de gouverner seul l’Eglise par sa puissance et autorité. Or est-il ainsi que le saint Esprit s’attribue ce droit et autorité, quand il commande que Paul et Barnabas lui soient séparés, attestant qu’il les a appelés de sa propre volonté. Et à la vérité il faut bien que nous confessions ceci, que le corps de l’Eglise est imparfait et sans tête, si nous ne reconnaissons pour Dieu celui qui la constitue et ordonne selon bon plaisir, qui lui donne des Docteurs pour la gouverner, et qui conduit ses avancements, et l’entretient en ordre. C’est ce que nous verrons aussi ci-après en la prédication de saint Paul, au chapitre 20 ; à savoir que tous les Évêques ont été ordonnés par le Saint Esprit pour gouverner l’Eglise de Dieu. Or est-il ainsi que même selon le témoignage de saint Paul, nul ne doit être réputé légitime Pasteur de l’Eglise, sinon qu’il soit appelé de Dieu ; et Dieu ne montre par autre marque qui sont les faux prophètes, sinon que ce n’est point lui qui les a envoyés. Nous recueillons donc que le Saint Esprit est vraiment Dieu, vu que son autorité est suffisante pour élire des Pasteurs, et qu’il lia puissance souveraine de les créer. Ce qui est aussi confirmé par Esaïe 48.6 voici, maintenant (dit-il) l’Eternel et son Esprit m’a envoyé. D’avantage, il nous faut observer par ces paroles, que le Saint Esprit est une personne vraiment subsistante en Dieu. Car si nous recevons la fausse opinion de Sabellius, que le nom d’Esprit ne dénote point une substance ou personne, mais que c’est une simple épithète, cette façon de parler sera fort impropre, que l’Esprit a dit ; et Esaïe aussi lui attribuerait mal à propos l’office d’envoyer les Prophètes.
Alors, ayant jeûné et prié, et leur ayant imposé les mains, ils les laissèrent partir.
Pour obéir à l’oracle du Saint Esprit, ils ne laissent pas seulement aller Paul et Barnabas, mais aussi ils les instituent solennellement apôtres des Gentils. Il est bien certain qu’ils ont entrepris ce jeûne expressément pour cet affaire. Or il a dit auparavant qu’ils étaient à jeun, quand ils étaient attentifs à leur ministère ; cela se pouvait faire par coutume. Mais maintenant il y a une autre raison. Car en commandant publiquement de jeûner (ce qu’on avait accoutumé de taire pour des choses difficiles et de grande importance) ils s’incitent et eux et les autres à prier de zèle ardent. Car l’Ecriture ajoute cette aide avec l’oraison bien souvent. Or comme ainsi soit que ce fut une chose difficile et de haute entreprise, de dresser le Royaume de notre Seigneur Jésus entre les Gentils, ce n’est point sans cause que les Docteurs d’Antioche prient le Seigneur soigneusement de donner forces suffisantes à ses serviteurs. Or la fin de leur prière n’était point que Dieu voulut dresser et gouverner leurs jugements par l’Esprit de prudence et discrétion à bien élire ; car toute dispute était ôtée touchant cela. Mais leur but était, que le Seigneur garnît d’Esprit de prudence et de force ceux qu’il avait déjà choisis pour soi, afin que par sa grande vertu il les rendît invincibles contre tous les assauts furieux de Satan et du monde, et que leurs labeurs fussent bénits par lui, en sorte qu’ils ne fussent infructueux, et aussi qu’il donnât ouverture à la publication nouvelle, de son Evangile. Quant à l’imposition des mains, laquelle saint Luc met au tiers lieu, c’était une espèce de consécration, comme il a été dit au chap. 6. Car les apôtres ont retenu la cérémonie qui était reçue entre les Juifs, selon la coutume ancienne de la Loi, comme aussi de se mettre à genoux, et autres telles façons de faire utiles à l’exercice de piété. En somme, l’imposition des mains faite sur Paul et Barnabas ne tendait à autre but, sinon que l’Eglise les offrît à Dieu, et qu’elle témoignât publiquement par son consentement, que cette charge et office leur était enjoint de Dieu. Car à parler proprement, leur vocation était de Dieu seul ; mais leur ordination extérieure était de l’Eglise, ainsi même qu’il leur avait été commandé du ciel.
Eux donc, envoyés par l’Esprit saint, descendirent à Séleucie, et de là ils firent voile pour Chypre.
Il n’est ici fait aucune mention d’élection faite par l’Eglise ; d’autant que leur vocation était du tout Divine. Seulement l’Eglise les avait reçus comme lui étant offerts de la main de Dieu. Il dit en premier lieu, qu’ils descendirent en Séleucie, qui était une ville de Syrie. Il est bien vrai qu’il y avait une région aussi nommée Séleucie ; mais il est plus probable que saint Luc parle de la ville de laquelle on passait pour aller en Chypre.
Et lorsqu’ils furent arrivés à Salamine, ils annonçaient la parole de Dieu dans les synagogues des Juifs. Or ils avaient aussi Jean pour aide.
Il explique qu’ils commencèrent à faire office d’enseigner en Salamis, qui est une ville de Chypre assez renommée et connue. Toutefois il semble qu’ils commencent mal à faire leur office. Car comme ainsi soit qu’ils étaient spécialement envoyés aux Gentils, ils annoncent toutefois la Parole aux Juifs. A cela je réponds qu’ils n’étaient point tellement assujettis ni adonnés aux Gentils, qu’il leur fut nécessaire de laisser là les Juifs pour se retirer tout incontinent vers les Gentils. Car quand Dieu les a ordonnés Docteurs des Gentils, il ne leur a point ôté la charge et office qu’ils avaient exercé jusques alors. Ainsi il n’y avait aucune raison qui les empêchât de s’employer tant pour les Juifs que pour les Gentils ; et qui plus est, ils devaient commencer par les Juifs ; comme on verra ci-après en la fin de ce chapitre. Saint Luc aussi ajoute en passant, qu’ils ont été aidés par Jean. Car il ne signifie pas qu’il leur ait été adjoint ministre pour leurs commodités particulières ou corporelles, mais plutôt en disant qu’il les a aidés à prêcher l’Evangile, il loue son labeur et son industrie ; non pas que ce fut un degré égal d’honneur, mais c’était une œuvre commune à tous ; dont il a été ci-après tant moins excusable, quand il laissa sa sainte vocation.
Ayant ensuite traversé toute l’île jusqu’à Paphos, ils trouvèrent un certain magicien, faux prophète juif, nommé Barjésus,
Il est facile de croire qu’ils n’ont point traversé cette île sans y faire fruit. Car saint Luc n’eut pas passé qu’il n’eut touché en général s’ils eussent été refusés. Mais ce lui a été assez de dire qu’ils ne se sont pas reposés de leur office d’enseigner, pour ce qu’il se hâtait de venir à une histoire mémorable, laquelle il expliquera sitôt après. Au surplus, vu que Salamis est située au rivage oriental au regard de Syrie, il a fallu que Paul et Barnabas pour venir à Paphos, aient passé par le milieu de l’île du côté opposé. Car la ville de Paphos était située sur la mer tirant vers le Midi. Or combien que toute l’île fut consacrée à Vénus, nonobstant la ville de Paphos était le principal siège de cette idole. Et en cela tant plus devons-nous avoir en admiration la bonté de Dieu, qui a voulu que la lumière de son Evangile soit entrée en un bourbier si puant, et en une caverne si vilaine et obscure. Car on peut bien recueillir quelle intégrité, quelle honnêteté et pudicité, et quelle modération on pouvait rencontrer en toute cette ville-là, vu que la religion donnait aux habitant une licence complètement exorbitante à toutes vilenies et horribles méchancetés.
Ils rencontrèrent un enchanteur faux-prophète. vu que la religion était du tout corrompue entre les Juifs, il ne se faut point étonner s’ils sont tombés en plusieurs superstitions horribles et détestables. Or comme ainsi soit que jusques alors ils eussent fait profession d’adorer un certain Dieu particulier, cela était une belle couleur pour décevoir, qu’ils se couvraient sans honte du nom d’un dieu inconnu. Mais il y a bien à s’ébahir, à savoir comme Elymas a pu décevoir et enchanter un homme grave et prudent. Car nous savons que les Juifs étaient lors haïs de tout le monde, et principalement les Romains les haïssaient, et les avaient en extrême mépris. Or ce n’est point sans cause que saint Luc loue expressément la prudence du Proconsul Serge, afin qu’on ne pense point que par sottise et légèreté il se soit laissé tromper à cet enchanteur. Il a voulu (dis-je) montrer comme en un clair miroir, combien on doit faire peu de cas de la prudence charnelle, laquelle ne se peut donner garde des tromperies si lourdes et grossières de Satan. Et de fait, là où la vérité de Dieu ne reluit point, tant plus que les hommes pensent être sages, tant plus grande est leur folie, et tant plus se manifeste. Nous voyons quelles horribles et monstrueuses superstitions ont eu lieu entre les Gentils, voire entre ceux qui étaient les plus aigus et exercés en toutes sciences. Et pourtant il n’y a jugement ni prudence, sinon celle qui est de l’Esprit de Dieu. Et c’est une juste vengeance de Dieu sur tous idolâtres, qu’étant mis et livrés en sens réprouvé, ils ne puissent rien discerner, comme il est dit Romains 1.28.
Toutefois il se peut bien faire que le Proconsul se fâchant des superstitions anciennes, ait dès lors aspiré au pur service de Dieu, quand il tomba entre les mains de cet enchanteur et faux-prophète. Que si nous recevons cette conjecture, ç’a été certes un merveilleux jugement de Dieu, de dire qu’il ait souffert qu’un homme qui était mené d’une bonne affection, et ému d’un saint zèle, se soit jeté dedans les filets mortels de Satan. Mais quelques fois il advient que Dieu exerce tellement ses élus et fidèles, qu’il les fait tournoyer par divers égarements avant qu’ils puissent être adressés au droit chemin. Or qui me fait dire que Serge Paul désirant quelque chose de mieux que ce qu’il avait appris dès sa jeunesse, a cependant été misérablement traîné à diverses superstitions, je prends ma conjecture sur ce qu’il fait appeler Paul et Barnabas de son propre mouvement pour être enseigné par eux. Il avait donc conçu quelque révérence du vrai Dieu, encore qu’il lui fut inconnu ; et étant persuadé que le Dieu qui était adoré en Judée, était le vrai Dieu, il désirait de connaître par la parole de celui-ci la pure et certaine règle de vraie religion ; et après avoir goûté les rêveries de ce faux-prophète, il demeure là en suspens. Et il ne faut douter que Dieu ne sollicite son cœur, afin qu’il n’acquiesce du tout en la vanité, combien qu’il se laissât abuser pour quelque temps à ce méchant homme.
qui était avec le proconsul Serge Paul, homme intelligent. Celui-ci ayant fait appeler Barnabas et Saul, demanda à entendre la parole de Dieu.
Mais Elymas, le magicien (car c’est ainsi que son nom se traduit), leur résistait, cherchant à détourner le proconsul de la foi.
On ne se doit étonner si cet affronteur et trompeur tâche de repousser la lumière, par laquelle il voyait ses ténèbres être chassées. Nous avons aujourd’hui un même combat dressé entre un tas de cafards, qui ayant accoutumé de faire valoir leur marchandise, bouchent les yeux des simples par telles ruses et faussetés qu’ils peuvent ; afin qu’ils ne puissent voir la clarté du Soleil de justice qui est levé. Or il nous faut combattre contre tels empêchements. Car combien qu’il n’y ait pas toujours des enchanteurs prêts à nous faire fâcherie, si est-ce toutefois que Satan nous met devant les yeux assez d’obstacles qui occupent nos entendements pour repousser Jésus-Christ, et lesquels notre chair est trop prompte à recevoir. Bref, les alléchements du monde, et les affections perverses de notre chair sont autant d’enchantements, par lesquels Satan ne cesse de renverser notre foi.
Mais Saul, appelé aussi Paul, rempli d’Esprit saint, ayant les yeux arrêtés sur lui, dit :
Saint Luc raconte maintenant comment Dieu a rompu le nœud, duquel le Proconsul était lié. Car comme ainsi soit qu’il fut trop adonné à cet enchanteur, il ne pouvait, comme s’il avait été délivré et délié, recevoir la bonne et pure doctrine. Car les esprits que Satan a enchantés, il les tient attachés d’une façon incroyable, tellement qu’ils ne peuvent voir la vérité toute patente ; mais après que cet abuseur a été abattu, il fut facile à saint Paul d’avoir accès pour gagner le Proconsul. Or il faut noter ce que dit saint Luc, que la foi est fondée en la Parole, en telle sorte que sans cet appui elle sera ébranlée au premier effort ; et qui plus est, que ce n’est sinon un bâtiment spirituel de la parole de Dieu.
O homme rempli de toute ruse et de toute fraude, fils du diable, ennemi de toute justice, ne cesseras-tu point de pervertir les voies du Seigneur, qui sont droites ?
Saint Paul n’est point entré en une telle ardeur de courroux sans cause. Car il n’espérait faire aucun profit s’il eût usé de quelque moyen tempéré. Il est bien vrai qu’il faut toujours commencer par la doctrine, et exhorter, exhorter et aiguillonner ceux qu’on voit bien n’être point du tout obstinés. Aussi saint Paul ne foudroie pas d’entrée d’une telle véhémence contre cet enchanteur ; mais quand il voit que malicieusement et de propos délibéré il fait la guerre contre la pure doctrine de vraie religion, il le traite ni plus ni moins qu’un esclave de Satan. C’est ainsi aussi que nous devons traiter les ennemis désespérés de l’Evangile, lesquels se montre manifestement une fermeture obstinée, et un dédain profane de Dieu ; et principalement quand ils ferment le passage aux autres. Et afin qu’on ne pense que saint Paul ait excédé mesure en son courroux, saint Luc déclare expressément qu’il a eu l’instinct du Saint Esprit pour conducteur et guide. Et pourtant non seulement cette véhémence et ardeur de zèle est irrépréhensible, mais elle doit apporter une frayeur horrible à tous profanes contempteurs de Dieu, qui ne font difficulté de s’élever contre la parole de celui-ci ; vu que cette sentence est prononcée, contre eux tous non point par un homme mortel, mais elle est proférée du Saint Esprit par la bouche de saint Paul. Quant aux mots, ce présent passage réfute l’erreur de ceux qui pensent que Saul ait pris son nom de Paul, du Proconsul Serge Paul, comme s’il eût dressé une enseigne de victoire. Il y a plusieurs raisons qu’on pourrait alléguer au contraire, et assez pertinentes ; mais ce seul passage suffit assez, où saint Luc montre que saint Paul avait déjà deux noms avant que le Proconsul fut attiré à la foi. Et ne faut point douter qu’il n’ait retenu entre les Juifs le nom qui était en usage à sa nation, à savoir Saul. Cependant nous savons que c’était une chose usitée, à savoir que ceux qui étaient citoyens Romains empruntaient quelque nom Italien. Au reste, saint Luc avec le mot de Fraude, conjoint aussi Cautelle, qui est contraire à sincérité et rondeur, à savoir quand les hommes cauteleux et fins transforment d’un côté et’d’autre leur Esprit nuisible et inconstant, tellement qu’ils n’ont rien qui soit un et simple. Le mot Grec toutefois duquel use saint Luc signifie une audace prompte à nuire ; mais la première signification convient mieux.
Par ce mot fils du diable, est entendu un homme désespéré et perdu. Tels sont tous ceux qui de malice obstinée et de propos délibéré combattent contre ce qui est juste et droit. Pour cette cause S. Paul ajoute puis après, que cet enchanteur et faux prophète Elymas est ennemi de toute Justice.
Ne cesseras-tu point de renverser, etc. Il appelle les voies du Seigneur, tout le moyen par lequel il nous attire à soi. Il dit que ces voies sont aplanies et droites, et accuse cet enchanteur, qu’il rend la voie du Seigneur tortue et entortillée par ses ruses et finesses, et par ses propos ambigus. Dont nous pouvons recueillir une doctrine fort utile ; à savoir qu’il advient par la finesse du diable, que nous trouvons le chemin difficile par lequel il nous faut aller à Dieu. Car il nous montre une voie en sa parole, qui est simple et aplanie, et où il n’y a ni ronces ni épines. Pour cette cause il nous faut garder diligemment des affronteurs, qui par leurs propos inconstants et pleins d’épines nous empêchent le chemin, ou le rendent rude et fâcheux. Au demeurant, il est encore besoin de répéter ce que j’ai dit ci-dessus ; à savoir qu’il ne faut pas toujours imputer à vice aux serviteurs de Jésus-Christ, s’ils sont portés d’une impétuosité violente contre ceux qui sont ouvertement ennemis de la pure et vraie doctrine, sinon qu’on veuille rédarguer d’excès le Saint Esprit. Toutefois je sais bien combien il est facile de trébucher en cet endroit ; et tant plus faut-il que les Docteurs fidèles soient attentifs à s’en donner garde. Premièrement, que sous couleur de zèle ils ne lâchent la bride à leurs affections charnelles. En après, qu’ils ne soient bouillants d’une véhémence trop hâtive, et ardeur subite, quand encore on peut user de modération. Pour le troisième, qu’ils ne se donnent licence à dire injures futiles et malséantes ; mais seulement qu’ils expriment l’indignité du fait par paroles signifiantes et ayant poids. Tel a été le saint zèle et véhémence de l’Esprit aux Prophètes, laquelle si certains personnages délicats et efféminés jugent être, plutôt une fureur et tempête, ils ne considèrent pas combien Dieu a sa vérité chère et précieuse. Maintenant nous voyons qu’il y a plusieurs Elymas qui se lèvent pour renverser et abattre la foi, voire pires et plus méchants sans comparaison que celui-ci duquel il est ici parlé. Car nous voyons comme d’une audace effrontée et pleine de sacrilège, ils dépouillent Dieu de tout honneur ; de quelles vilaines corruptions ils profanent toute la religion ; comment ils précipitent cruellement les pauvres âmes en ruine éternelle ; comment ils se moquent vilainement de Christ ; de quelles ordures ils souillent tout le service de Dieu ; de quels opprobres énormes ils déchirent la vérité sacrée de Dieu ; de quelle tyrannie barbare ils ravagent l’Eglise de Dieu, en sorte qu’on dirait qu’ils foulent Dieu aux pieds. Toutefois il y a plusieurs de ces philosophes chagrins, qui voudraient bien qu’on usât de flatteries envers ces géants furieux. Mais puisqu’il est notoire que tels n’ont jamais goûté que veut dire cette sentence du Psalmiste, à savoir : Le zèle de ta maison m’a rongé, Psaumes 69.10, laissons-les là avec leur froidure, ou plutôt stupidité, et nous nous efforcerons jusques à une grande ardeur à maintenir la gloire et honneur de Dieu.
Et maintenant, voici, la main du Seigneur est sur toi, et tu seras aveugle, ne voyant point le soleil, jusqu’à un certain temps. Et à l’instant l’obscurité et les ténèbres tombèrent sur lui ; et allant ça et là, il cherchait des gens qui le conduisissent par la main.
Il parle ainsi pour montrer que Dieu est auteur de cette punition, et que lui en est seulement ministre. Au surplus, il me semble que cette puissance est celle que saint Paul appelle vertu, en 1 Corinthiens 12.28. Car tout ainsi qu’ils étaient garnis de la vertu du Saint Esprit pour guérir et aider aux fidèles par miracles ; aussi avaient-ils le fouet en la main pour dompter les rebelles et obstinés. S. Pierre a déployé une telle vengeance de Dieu en Ananias et Sapphira sa femme, Actes 5.5. Mais pour ce que les miracles devaient tenir le plus communément de la nature du Fils de Dieu, qui est tout débonnaire, plein de douceur, plein de charité et de miséricorde ; à cette raison il n’a point voulu que ses apôtres fissent beaucoup de miracles, par lesquels fut démontrée la rigueur de la vengeance de Dieu. Et ne faut pas penser qu’ils fussent garnis de cette faculté ou puissance, toutes les fois qu’ils eussent voulu se venger de quelqu’un ; mais l’Esprit de Dieu qui les armait de cette vertu, lui-même les conduisait et guidait à en user droitement et légitimement. Par quoi il nous faut rappeler ce que nous avons vu ci-dessus, que saint Paul a parlé étant poussé par le Saint Esprit. Or cette sorte de vengeance a été fort propre. Car comme cet enchanteur tâchait d’obscurcir le soleil, et ravir aux autres le bénéfice de la lumière, c’est à bon droit qu’il a été plongé en obscurité et ténèbres. Mais puis qu’ainsi est qu’aujourd’hui il y en a plusieurs entre les Papistes, qui surmontent cet abuseur et faux-prophète en impiété, on se pourrait étonner pourquoi il ne se fait point de telle punition sur leur audace, en laquelle ils se vantent si fièrement. Est-ce que la main de Dieu soit devenue plus faible ? A-t-il moins de soin de sa gloire qu’il n’avait ? A-t-il laissé son zèle et affection de maintenir son Evangile ? A cela je réponds que cette punition visible qui a été envoyée une fois à ce faux-prophète, et autres peines semblables, sont exemples de l’ire perpétuelle de Dieu contre tous ceux qui ne craignent point de falsifier, ou corrompre, ou même combattre ouvertement par leurs calomnies et fausses accusations la pure doctrine de l’Evangile. Car nous savons bien que les miracles ont été faits pour un temps, à cette fin qu’ils soient en vigueur perpétuelle, et demeurent devant nos yeux à tout jamais, et qu’ils nous éclairent pour contempler les jugements de Dieu, qui autrement ne nous sont pas toujours visibles. Cependant ce n’est point à nous de limiter à Dieu ce moyen ci ou celui-là, par lequel il punisse et fasse vengeance de ses ennemis.
Serge Paul qui lui n’avait eu goût de la vraie religion avant que venir en âge d’homme ; qui dès son enfance avait été abreuvé de diverses superstitions, et avait des empêchements bien grands qui le pouvaient détourner de la foi ; et finalement lui qui étant ensorcelé des rêveries de cet enchanteur, à grand peine pouvait approcher de la foi, avait grand besoin de bonnes aides. Voilà pourquoi Dieu, par manière de dire, lui a tendu la main du ciel. Combien qu’il nous a aidés tous en la personne de celui-ci. Car le même Evangile, l’autorité duquel fut lors confirmée, nous est aujourd’hui prêché. Et ce nonobstant Dieu ne se déporte point tellement de travailler, qu’il ne montre ouvertement en façons diverses sa puissance redoutable contre les ennemis de l’Evangile ; ce que nous verrions clairement, si nous n’avions la vue si débile à contempler ses jugements.
Alors le proconsul, voyant ce qui était arrivé, crut, étant frappé de la doctrine du Seigneur.
C’est ce que j’ai dit, que les filets desquels cet affronteur Elymas tenait le Proconsul empêtré, ont été rompus. Car il a été miraculeusement amené à la foi. Car la révérence de la doctrine est un commencement et une préparation à la foi. Ayant donc une épreuve évidente de la vertu Divine devant ses yeux, il a connu que saint Paul était envoyé de Dieu ; et en cette façon commença à avoir en révérence la doctrine de celui-ci, de laquelle la certitude et vérité lui était douteuse auparavant. Maintenant si le Seigneur fait par une façon admirable que la foi de l’Evangile, laquelle est de tous côtés ébranlée et assaillie si rudement et de tant de coups furieux et impétueux, demeure toutefois ferme dans les cœurs de beaucoup de gens ; si par une manière incroyable il fait que la foi passe au travers de mille empêchements, que cette grâce nous contente, et ne murmurons point contre Dieu, ou ne nous lamentons de lui, comme si notre condition était pire en ce qu’il ne fait tous les jours des miracles nouveaux selon notre appétit.
Or Paul et ceux qui étaient avec lui ayant fait voile de Paphos, vinrent à Perge en Pamphylie. Mais Jean, s’étant séparé d’eux, s’en retourna à Jérusalem.
S. Luc raconte ici un autre séjour de saint Paul. Car étant sorti hors de Paphos, il vint en Antioche qui est en la Pisidie, et là il fit un sermon digne de mémoire ; lequel S. Luc expliquera, avec le fruit qui s’en est suivi. Toutefois, avant que d’avancer dans la narration, il fait mention en passant du départ de Jean, pour ce qu’il fut puis après cause d’une triste dissension qui fut entre Paul et Barnabas. Quand il dit que ceux qui étaient avec Paul partirent de Paphos, il entend en premier lieu Paul même ; et puis après, les autres, excepté un. Ainsi il reproche la tendreté et délicatesse de celui-ci, en louant les autres qui ont suivi Paul constamment et sans se lasser.
Pour eux, traversant le pays depuis Perge, ils vinrent à Antioche de Pisidie ; et étant entrés dans la synagogue, le jour du sabbat, ils s’assirent.
Il a mis le nombre pluriel pour le singulier, comme on le trouve bien souvent en d’autres passages de l’Écriture. Car ils avaient de coutume de s’assembler les jours de Sabat, afin que ce temps de repos du travail ordinaire, ne fut inutile ni sans fruit. Il est vrai que l’institution du Sabat regardait encore à une autre fin ; à savoir que ce jour-là fut une figure du repos spirituel, quand les fidèles étant morts au monde et à la chair, renoncent à leur propre volonté, et cessent de leurs œuvres. Or pour ce que nous avons la vérité de ce repos en Jésus-christ, quand étant ensevelis avec lui nous dépouillons le vieil homme, à cette cause la vieille figure est passée. Mais Dieu a regardé aussi à l’usage politique, à ce que les Juifs étant délivrés de toutes autres sollicitudes et affaires, s’assemblassent pour traiter des choses de Dieu. Ainsi le repos des choses terrestres donnait lieu à leurs exercices célestes. C’est ainsi que nous devons aujourd’hui faire les fêtes. Car pour cette cause il faut laisser là toutes autres choses, afin que nous puissions plus librement servir à Dieu.
Et après la lecture de la loi et des prophètes, les chefs de la synagogue leur envoyèrent dire : Hommes frères, si vous avez quelque parole d’exhortation à adresser au peuple, parlez.
Il ne parle nullement des prières ; et toutefois il est bien certain qu’ils ne les ont point omises, ni été nonchalant à les faire. Mais pour ce que l’intention de S. Luc était de résumer le sermon que S. Paul fit là, il ne se faut étonner s’il raconte seulement les choses qui appartenaient à l’ordre d’enseigner. Or cependant voici un fort beau passage, par lequel nous apprenons quelle façon les Juifs gardaient en ce temps-là de traiter la doctrine. Le premier lieu était donné à la Loi et aux Prophètes ; d’autant qu’il n’est licite de rien proposer à l’Eglise, qui ne soit tiré de cette fontaine. On peut aussi recueillir de ceci, que l’Écriture n’était point cachée ou supprimée entre peu de gens ; mais tous étaient indifféremment invités à sa lecture. Puis après ceux qui avaient grâce d’enseigner et exhorter, venaient en second lieu comme expositeurs de l’Écriture qui avait été lue. Nonobstant saint Luc montre à la fin, qu’il n’était pas permis à tous de parler, afin que la licence n’engendrât confusion ; mais qu’il y avait certains personnages députés à cet office, lesquels il appelle principaux ou maîtres de la Synagogue. Ainsi Paul et Barnabas ne s’ingèrent pas du premier coup à parler, afin qu’ils ne troublent l’ordre accoutumé par trop grande hâte ; mais ils attendent modestement jusqu’à ce qu’il leur soit permis de parler, et ce par le congé de ceux qui avaient le gouvernement, et étaient en autorité du consentement public.
Or nous savons combien l’état de ce peuple était corrompu pour lors ; et saint Luc montrera en la fin de ce chapitre, que les habitants de cette Antioche étaient merveilleusement arrogants et obstinés à rejeter la grâce du Seigneur Jésus ; et toutefois ils avaient ce bien de reste entre eux, que leurs assemblées étaient réglées d’un bon ordre et honnête. Tant plus grande honte devraient avoir ceux qui veulent être aujourd’hui réputés Chrétiens, de ce qu’entre eux il y a une confusion si difforme. Les Papistes prononceront bien à haute voix, et feront retentir quelques mots de l’Écriture en leurs temples ; mais ce sera en langage inconnu, en sorte que le peuple n’en rapportera fruit quelconque. Ils y mêlent bien peu souvent quelque chose de la doctrine ; et lors même il vaudrait beaucoup mieux que ces méchants cafards eussent la bouche close, puis qu’ils ne proposent autre cas que leurs vilains songes, et que par leurs ordres et puantes impiétés ils souillent tout ce qui est sacré.
S’il y a en vous quelque parole, etc. Cette façon de parler démontre que toutes les grâces que les hommes ont pour bâtir l’Eglise, leur sont comme données en dépôt. Combien que ce mot En, selon la manière de parler des Hébreux, peut être superabondant. Et pourtant je ne m’arrête pas trop sur ce point, d’autant que ceci peut avoir un autre sens, et plus simple, en cette sorte, Si vous avez quelque exhortation qui soit propre et utile pour le peuple, etc. Au reste, l’exhortation n’exclut point la doctrine. Mais il semble que ce nom a été reçu entre eux par usage commun ; pour ce que c’est proprement l’office d’un Docteur, de ne proposer rien de nouveau selon sa fantaisie, mais d’appliquer au profit et usage du peuple l’Écriture, en laquelle est enclose toute la sagesse des fidèles. En cette sorte le Docteur n’enseigne point tant, que plutôt il approprie à l’édification de l’Eglise la doctrine qu’il a prise d’ailleurs. Ce qui est signifié, comme il me semble, sous ce mot d’exhortation.
Et Paul, s’étant levé et ayant fait signe de la main, dit : Hommes Israélites et vous qui craignez Dieu, écoutez.
Du commencement il faut noter où réside le point de cette prédication, afin que nous ne pensions que ce soient ici paroles jetées follement en l’air. Il semble bien que saint Paul aille chercher le commencement de trop loin ; et nonobstant il ne dit rien qui ne convienne très bien au présent propos. Car son intention est d’amener les Juifs à la foi de Jésus-Christ ; et pour ce faire, il faut nécessairement que ceci leur soit démontré, qu’il n’y a rien qui les fasse excellents par-dessus toutes autres gens et nations, sinon que le Seigneur leur a été promis ; le Royaume duquel est la souveraine et unique félicité. Voici donc le bout par lequel saint Paul commence, que ce qu’ils ont été jadis élus afin qu’ils fussent le peuple spécial de Dieu ; qu’ils ont reçu tant de bénéfices par successions continuelles de temps, maintenant soit qu’ils s’en rendissent indignes, tout cela dépend de la promesse faite du Messie, et tend à ce but, que Dieu les conduise et gouverne par la main du Messie ; et que pourtant ils n’ont rien en quoi ils se glorifient, sinon qu’ils soient unis et recueillis sous leur chef. Et qui plus est, que s’ils ne le reçoivent leur étant offert, l’alliance de vie que Dieu avait faite avec leurs pères, sera rompue et anéantie, et n’y aura plus d’adoption. La première partie de cette prédication tend a ce but, à savoir que le principal article de la Loi, et le fondement de l’alliance de Dieu, est qu’ils aient Jésus-Christ pour conducteur, pour chef et gouverneur, qui remette toutes choses en bon état entre eux, que la religion ne peut consister sans lui, et que sans lui aussi ils sont complètement misérables. Après cela saint Paul descend l’autre membre que ce Jésus qu’il annonce, est vraiment le Christ, par lequel le salut a été apporté et manifesté au peuple. De plus, il déclare par quel moyen cette rédemption a été faite par lui. D’avantage, il traite de la vertu et office de celui-ci, afin qu’ils sachent quels sont les biens qu’ils doivent attendre de lui. La conclusion contient une répréhension. Car il les menace d’un jugement épouvantable et horrible, s’ils rejettent l’auteur du salut se présentant le premier à eux, vu que la Loi et les Prophètes les sollicitent à le désirer ardemment. Voilà presque toute la somme de cette prédication. Il faut maintenant éplucher chacun point l’un après l’autre.
Hommes frères, etc. pour ce que S. Paul entendait bien qu’il y avait plusieurs enfants d’Abraham qui étaient bâtards, il appelle de deux noms les Juifs auxquels il parle. Premièrement, il les appelle frères, regardant à la génération commune ; cependant toutefois il remontre qu’ils seront vraiment Israélites, s’ils craignent Dieu ; et qu’aussi ils seront donc bons auditeurs, pour ce que la crainte du Seigneur est le commencement de sagesse. Par ce même moyen il rend les fidèles attentifs, et les attire à lui donner audience ; comme s’il disait : Combien qu’il y en ait plusieurs qui se vantent d’être enfants d’Abraham, qui ne sont nullement dignes d’un tel honneur, montrez que vous n’êtes point une semence bâtarde. Apprenons de ceci que ce n’a point été seulement pour un temps que ce vice a régné, que les bons et vrais serviteurs de Dieu ont été mêlés parmi les hypocrites, et que les uns et les autres ensemble ont eu le nom d’Eglise. Mais il nous faut diligemment étudier, que nous soyons au fait de ce que nous sommes appelés. Ce que nous ferons, quand nous ne ferons point seulement profession extérieure, mais aussi aurons vraiment la crainte de Dieu.
Le Dieu de ce peuple d’Israël choisit nos pères, et il éleva bien haut ce peuple pendant son séjour dans le pays d’Egypte, et il les en fit sortir à bras élevé.
Cette préface rendait témoignage que saint Paul ne tâchait point à amener quelque nouveauté, par laquelle le peuple fut détourné de la Loi de Moïse. Il est vrai que Dieu est le Dieu de toutes nations ; mais il l’appelle Dieu de ce peuple auquel il s’était allié, et d’autant qu’il était servi et honoré entre les successeurs d’Abraham, lesquels seuls avaient la vraie et pure religion. A cela même appartient ce qu’il ajoute incontinent après, quand il dit, Il a élu vos pères. Car il proteste par ces paroles, qu’il ne prétend rien moins que de faire que les Juifs se révoltent du vrai Dieu et vivant, lequel les a séparés de tout le reste du monde. Et de ma part je ne doute point qu’il ne leur ait plus ouvertement déclaré, qu’il ne leur annonçait point un Dieu qui leur fut inconnu ou nouvellement forgé, mais le même Dieu qui s’était jadis manifesté à leurs pères. En cette sorte il comprend en bref la vraie et sûre connaissance de Dieu, laquelle était fondée en la Loi, afin que la foi qu’ils avaient conçue de la Loi et des Prophètes, demeure ferme et stable. Cependant toutefois il magnifie l’amour gratuit de Dieu envers ce peuple. Car d’où est venu cela, qu’il n’y eut que les enfants d’Abraham, qui fussent l’Eglise et l’héritage de Dieu, sinon qu’il a semblé bon à Dieu de les discerner des autres nations ? Et de fait, il n’y avait aucune dignité en eux qui les discernât ; mais la différence est venue de l’amour de Dieu, de laquelle il aima Abraham gratuitement. Moïse rappelle aux Juifs cette bonté gratuite de Dieu ; comme aux chapitres 4, 7, 10, 14, 23 du Deutéronome et beaucoup d’autres passages. En quoi Dieu nous a mis devant les yeux un clair miroir de son conseil admirable, que ne trouvant rien d’excellent en Abraham qui était comme un homme inconnu et pauvre idolâtre, il l’a toutefois préféré à tout le reste du monde. Or cette élection a été commune à tout le peuple (comme aussi la Circoncision) par laquelle Dieu a choisi pour soi la génération et semence d’Abraham. Mais avec cela aussi il y avait une autre élection plus cachée, par laquelle Dieu, d’entre plusieurs enfants d’Abraham en mettant un petit nombre à part, a donné à connaître que tous ceux qui étaient engendrés d’Abraham selon la chair, n’étaient pas pourtant de sa génération spirituelle.
Et a haussé ce peuple, etc. Saint Paul montre que tous les bénéfices que Dieu conféra depuis aux Juifs, sont procédés de cet amour gratuit, duquel il avait aimé leurs pères. Car c’est la raison pourquoi ils ont été rachetés par une vertu admirable, et amenés par la main de celui-ci en la possession de la terre de Chanaan, après que Dieu en faveur d’eux en eût chassé tant de peuples Et de fait, ce n’était pas peu de chose de dépouiller le pays de ses habitants naturels, pour y loger des étrangers : c’est la source, l’origine et la racine de toutes sortes de biens, à laquelle S. Paul nous appelle, à savoir que Dieu a élu les pères. Ceci même a été la cause pourquoi Dieu a usé d’une si merveilleuse patience, afin de ne rejeter point du tout ce peuple rebelle, lequel autrement se fût détruit et ruiné mille fois par sa perversité. Pourtant aussi quand l’Ecriture fait mention que Dieu leur a pardonné leurs forfaits, elle dit que Dieu a eu mémoire de son alliance. Or il dit que les Israélites ont été haussés, quand ils habitaient en une terre étrangère, afin qu’ils se souviennent combien leur rédemption a été magnifique et excellente.
Et pendant environ quarante ans, il les supporta dans le désert.
Il y a ici au Grec un mot composé qui signifie Souffrir les mœurs, qui est de grande signification et de bonne grâce pour exprimer la patience et débonnaireté de Dieu à supporter ce peuple, lequel il connaissait bien être pervers et revêche. Or S. Paul signifie ici derechef, que l’élection de Dieu a été cause que sa douceur et bonté a combattu contre la malice du peuple. Toutefois il nous faut noter que Dieu voulant demeurer ferme en son propos, a tellement eu pitié de son peuple élu, que cependant il a fait une vengeance horrible des rebelles et méchant. Il est vrai qu’il a épargné le peuple, en sorte qu’il ne l’a point totalement détruit, comme il le pouvait faire à bon droit ; mais en même temps il a trouvé le moyen, par lequel les méchancetés ne demeurassent impunies. Et ainsi a été accompli ce que dit Esaïe 10.22 : Quand le peuple serait comme le sablon de la mer, le reste sera sauvé.
Et ayant détruit sept nations au pays de Canaan, il leur en donna le pays comme propriété.
Et après cela, pendant quatre cent cinquante ans environ, il leur donna des juges, jusqu’au prophète Samuel.
Par ce mot de Juges, l’Écriture entend ceux qui ont la superintendance et le souverain gouvernement. Or c’est un autre témoignage de la clémence et bonté infinie de Dieu envers les Juifs, qu’il leur a pardonné tant de révoltements. Car il est bien vraisemblable que S. Paul a exposé plus clairement et amplement ce que S. Luc a recueilli en bref. Or nous savons quel a été l’état de ce peuple en tout ce temps-là, quand à chaque coup se montrant farouche et indomptable, il venait à jeter bas le joug de Dieu, et ne voulait s’y assujettir. Il a été châtié souvent par grandes déconfitures ; et toutefois quand Dieu l’avait humilié, il le délivrait un peu après de la tyrannie de ses ennemis. Ainsi par le milieu de tant de morts, il a préservé le corps du peuple par l’espace de quatre cents et cinquante ans. Et par ceci il apparaît combien de fois ils se sont rendus indignes de l’amour de Dieu, lequel ils ont méprisé et rejeté, si la fermeté de l’élection n’eût été la plus forte. Car comme s’est-il pu faire que Dieu ne se soit jamais lassé de garder la foi à ceux qui lui avaient rompu la foi cent fois, sinon que jetant les yeux sur son Christ, il n’a pu souffrir que l’alliance fondée en celui-ci fut anéantie ?
Et ensuite, ils demandèrent un roi, et Dieu leur donna Saül, fils de Kis, de la tribu de Benjamin, durant quarante ans.
Certes ce changement a été tout autant que s’ils eussent manifestement renversé le gouvernement que Dieu avait institué entre eux ; de quoi aussi Dieu lui-même se plaint en 1 Samuel 8.5, 7. Mais la stable fermeté de l’élection a empêché que Dieu ne leur ait envoyé des punitions telles que leur obstination méritait bien. Et qui plus est, la cupidité perverse et illicite du peuple a servi à Dieu d’une nouvelle et incroyable occasion de dresser un royaume, duquel le Messie se serve pour être manifesté. Car comment s’est fait cela, que le sceptre royal échut à la maison de Juda, sinon que le peuple fut chatouillé de ce désir, qu’il y eut un roi créé sur lui ? Et c’est une chose toute certaine que le peuple faisait mal ; mais le Seigneur qui sait convertir le mal en bien, tourna cette lourde faute en salut. Quant à ce que Saul a été dégradé de la dignité royale, cela tendait à rédarguer la faute du peuple(1 Samuel 15.27). Mais quand le royaume fut tantôt après établi en la maison et famille de David, alors a été montré que la prophétie de Jacob était véritable, Genèse 49.10.
Et Dieu, l’ayant déposé, leur suscita David pour roi, à qui aussi il rendit témoignage en disant : J’ai trouvé David, fils de Jessé, un homme selon mon cœur, qui fera toutes mes volontés.
Paul a allégué ce témoignage, non point tant pour louer la personne de David, que pour rendre les Juifs plus attentifs à recevoir Christ. Car ce que Dieu assure qu’il a du tout adonné son cœur à David, il ne le dit point sans cause, ou pour quelque raison légère ; mais il montre qu’il y a quelque chose singulière en lui, et le louant si hautement, il veut en la personne de celui-ci élever les esprits des fidèles à Christ. Or ce passage est pris de Psaumes 89.21. Saint Paul a seulement entremêlé ce mot Fils de Jessé, qui n’est point au Psaume ; pour tant plus amplifier la grâce de Dieu. Car comme ainsi soit que Isaï fut un homme rustique, s’adonnant à la nourriture des bêtes, ç’a bien été une œuvre admirable de Dieu, de tirer le plus petit de tous ses enfant hors des bergeries, pour le placer sur le trône royal. Par ce mot de Trouver, Dieu signifie qu’il a rencontré un homme tel qu’il le voulait. Non pas que David se soit mis en si bonne disposition de soi-même et par son industrie, pour se présenter au-devant de Dieu ; mais c’est une manière de parler empruntée de la manière commune qui est en usage entre les hommes. Mais on fait ici une question : Vu que David a trébuché si lourdement, comment est-ce que Dieu lui rend témoignage d’une obéissance continuelle ? On peut répondre en deux sortes ; c’est à savoir que Dieu a regardé plutôt à une suite continuelle de la vie de David, qu’à chacune de ses œuvres. D’avantage, quand il l’a orné de ce titre, ce n’a point été tant pour son mérite, que pour l’amour de son Christ. Il est bien certain que par un seul forfait il avait bien mérité que lui et les siens fussent perpétuellement ruinés ; et pour sa part le chemin était fermé à la bénédiction de Dieu, à ce qu’il ne put avoir autre lignée de Bethsabée, qu’une lignée serpentine. Mais au contraire, son vilain forfait qu’il avait commis en la mort d’Urie (2 Samuel 11.2), tourna à une fin toute contraire par un conseil admirable de Dieu. Car Salomon naquit de ce mariage malheureux, plein de déloyauté, bref, souillé de plusieurs ordures. Or combien que David ait gravement péché, toutefois pour ce qu’il a suivi Dieu tout le cours de sa vie, il est loué sans exception, qu’il s’est rendu obéissant à Dieu en toutes choses. Combien que le Saint Esprit nous mène plus haut, comme il a été dit ; et même la vocation commune de tous les fidèles nous est ici dépeinte en leur chef qui est Jésus-Christ.
C’est de sa postérité que Dieu, selon sa promesse, a fait sortir un Sauveur pour Israël, Jésus,
Ce mot aussi confirme ce qui a été déjà dit quelque fois ; à savoir que quand Dieu a envoyé le Messie, il a eu égard à sa seule bonté et fidélité. Car il l’a envoyé pour ce qu’il l’avait promis. Or tout ainsi que la promesse rend témoignage que le salut a été gratuit, aussi donne-elle grande autorité à l’Evangile, d’autant qu’il apparaît par ceci, que Christ n’est point venu soudain, comme si jamais on n’eut entendu parler de lui ; mais que celui qui avait été jadis promis dès le commencement, maintenant est manifesté en son temps. Au reste, les promesses que saint Luc touche ici en passant, sont assez notoires. Or elles étaient si communes entre les Juifs en leur langage ordinaire, que coutumièrement ils n’appelaient le Messie que Fils de David, Mathieu 15.22 ; 22.42. Il dit que Jésus a été suscité à Israël, d’autant que combien qu’il est le salut de tout le monde, toutefois il a été principalement ministre de la Circoncision pour accomplir les promesses qui avaient été faites aux Pères, Romains 15.8. Il a exprimé le mot hébreu Jésus, par un mot Grec qui signifie Sauveur. Ainsi il a dit deux fois une même chose. Tant y a toutefois que cette répétition n’est point superflue. Car il a voulu montrer ce que Christ est, et a montré de fait ce que signifie le nom qui lui a été imposé par l’Ange, Dieu le commandant ainsi.
Jean ayant prêché d’avance, avant sa venue, un baptême de repentance à tout le peuple d’Israël.
Nous savons quel a été l’office de Jean Baptiste, à savoir de préparer la voie au Seigneur. La raison pourquoi saint Paul amène le témoignage de celui-ci, c’est pour montrer aux Juifs qu’il n’annonce point un Christ fait à plaisir, mais le vrai Christ de Dieu, qui auparavant avait été publié par ce grand et renommé Héraut. Non pas que le témoignage d’un homme soit assez suffisant pour prouver une chose de telle et si grande importance ; mais il y avait une autre raison en Jean Baptiste, d’autant que presque tous étaient communément persuadés de lui, qu’il avait été Prophète de Dieu. L’autorité donc de son témoignage vient de là, qu’il parle étant envoyé du ciel pour être le héraut du Messie, et non point comme un homme privé. Or saint Paul explique deux choses de Jean en brèves paroles ; premièrement, qu’il a enseigné le baptême de repentance avant l’avènement du Seigneur Jésus ; et après, que refusant volontairement le titre et honneur du Messie, il l’a laissé à Jésus-Christ.
Le baptême de repentance à tout le peuple, etc. Le baptême introduit outre la façon et cérémonie de la Loi, était un signe de grande mutation. Car il n’était point licite à homme quelconque de rien innover avant la venue du Messie. Les Juifs avaient bien des baptêmes, c’est-à-dire purifications en leur Loi, lesquels aussi étaient exercices de repentance ; mais Jean a été auteur, ou plutôt ministre d’un baptême nouveau et non accoutumé, à ce qu’il donnât espoir de la restauration dès longtemps attendue et espérée. Quand il l’appelle Baptême de repentance, il n’exclut point la rémission des péchés ; mais il parle selon la circonstance de ce présent passage, d’autant que ce baptême a été une préparation à la foi de Christ. Et faut noter cette façon de parler, qu’il a prêché le baptême ; par laquelle nous sommes exhortés que les Sacrements sont lors dûment administrés, quand avec la figure visible la doctrine est aussi conjointe. Car il ne faut pas que la bouche de celui qui baptise soit muette, d’autant que le signe sans la doctrine est inutile.
Et lorsque Jean accomplissait sa course, il disait : Qui pensez-vous que je sois ? Je ne le suis pas, moi ; mais voici, il vient après moi, celui dont je ne suis pas digne de délier les souliers des pieds.
C’est le second membre du témoignage de Jean, qu’étant proche de la fin de sa course, il a renvoyé ses disciples à Jésus-Christ. Car auparavant il avait commencé à les former par le baptême, comme leur donnant les rudiments ; mais lors il les a donnés comme de main en main à Jésus-Christ. Or cette interrogation, Qui pensez-vous que je suis ? n’est pas comme d’un homme qui est en doute. Car Jean reprend et taxe les Juifs, de ce qu’ils s’abusaient en l’honorant comme le Messie. Combien qu’on peut lire ceci tout d’un trait : Je ne suis point celui que vous pensez. Mais la première leçon est plus reçue, comme aussi elle a plus de véhémence pour repousser l’erreur qui était survenu à cause de lui. Au reste, son témoignage mérite qu’on lui ajoute beaucoup plus de foi, de ce qu’il rejette volontairement l’honneur qu’on lui offrait, et le quitte à un autre, combien qu’il l’eût pu recevoir avec applaudissement. Pour le moins on ne peut soupçonner qu’il y ait ici quelque ambition, ni aucune recherche d’acquérir quelque grâce, qui déroge à la vérité de ses paroles, et empêche d’y ajouter foi.
Il en vient un après moi, etc. C’est-à-dire, viendra. C’est une manière de parler des Hébreux assez commune au Nouveau Testament même. Or quand il confesse qu’il n’est pas digne de délier les courroies des souliers de Jésus-Christ, c’est une manière de parler prise d’un proverbe, par laquelle il s’amoindrit autant qu’il peut ; et ce afin que sa grandeur n’obscurcisse la gloire de Jésus-Christ. Car en toute la charge qui lui était commise il a voulu fidèlement assurer que Jésus-Christ fut seul éminent. Ainsi donc, quelque grand qu’il soit, il dit qu’il n’est rien au prix du Seigneur Jésus. Car combien que les serviteurs de Dieu aient leur dignité, nonobstant quand il faut venir jusques-là, que comparaison soit faite d’eux avec Christ, il faut nécessairement que tous soient réduits à néant, afin que lui seul soit éminent ; comme nous voyons que toutes les étoiles évanouissent devant la clarté du soleil, montrant que la leur n’est rien en comparaison.
Hommes frères, fils de la race d’Abraham, et vous qui craignez Dieu, c’est à nous que la parole de ce salut est envoyée.
Saint Paul incite derechef les Juifs à recevoir Christ. Car ceci leur devait engendrer un grand désir en leurs cœurs, et les rendre merveilleusement attentifs, quand ils entendaient qu’il était question de leur salut, et que le message de salut leur était particulièrement destiné. Il les appelle enfants d’Abraham, non seulement par honneur, mais afin qu’ils se reconnaissent héritiers de la vie éternelle. Au surplus, il nous faut rappeler ce que j’ai montré ci-dessus ; à savoir que combien que la porte du Royaume des cieux fut ouverte aux Gentils, cependant toutefois les Juifs n’ont point été destitués hors de leur degré, en sorte qu’ils ne fussent encore réputés les aînés en la famille de Dieu. Il dit donc que le salut leur a été envoyé, pour ce qu’ils étaient les premiers en ordre. Toutefois pour ce que la génération charnelle n’était pas de soi de grande importance, et qu’il y en avait plusieurs qui montraient ouvertement leur impiété, S. Paul adresse son propos spécialement à ceux qui servaient et honoraient vraiment Dieu ; signifiant que toutes les paroles qui leur seront adressées, seront inutiles, si la crainte de Dieu ne règne en leurs cœurs, laquelle reçoive ces paroles, et les ayant reçues, les garde soigneusement. Il nous faut noter ce titre qui est ici donné à l’Evangile, quand il est appelé Parole de salut. par quoi il faut bien dire que ceux qui ne peuvent être attirés par la douceur de celui-ci, sont plus durs que fer. Au reste, combien qu’il soit tel de nature, néanmoins il est fait par accident odeur de mort à mort aux réprouvés, 2 Corinthiens 3.16.
Car les habitants de Jérusalem et leurs magistrats, ayant méconnu ce Jésus, ont aussi, en le jugeant, accompli les paroles des prophètes, qui se lisent chaque jour de sabbat.
Saint Paul prévient bien à propos et prudemment le scandale, par lequel leur foi pouvait être retardée. Car Jérusalem était le sanctuaire de Dieu, le siège royal, la fontaine de vérité, et la lumière de tout le monde ; et toutefois Jésus-Christ le Fils de Dieu y avait été occis. Rien ne pouvait être trouvé plus absurde de prime face que de recevoir celui qui avait été chassé hors du temple, et d’attendre la doctrine de salut d’autre lieu, que de là d’où Dieu avait témoigné qu’elle procéderait. Joint qu’en croyant à Christ, il semblait bien qu’on se retirait de l’Eglise. Et pourtant cette seule objection était assez suffisante pour repousser la prédication de S. Paul ; A quel propos sous ombre de l’alliance de Dieu nous proposes-tu ici un homme, lequel a été condamné par la plus grande partie du peuple saint ? S. Paul détourne ce scandale, afin qu’il ne retarde le cours de l’Evangile, et non seulement cela, mais il le fait retourner tout au rebours. Car d’autant que l’auteur de vie avait été méprisé et rejeté en Jérusalem, S. Paul exhorte les habitants d’Antioche, pour le moins ceux qui d’entre eux craignaient et honoraient Dieu, de le recevoir d’autant plus joyeusement. Comme s’il eût dit, vu que Jérusalem n’a point connu son bien, tant plus est-il convenable que vous vous réveilliez et soyez incités, de peur qu’une semblable ingratitude et perversité ne soit trouvée en vous.
Mais il use d’une autre raison pour ôter le scandale, à savoir que tant s’en faut que l’impiété de ceux de Jérusalem ait rien diminué de l’autorité de Christ, que plutôt elle doit servir pour la mieux approuver et établir. Car d’où peut-on mieux et plus ouvertement connaître Christ, que d’autant que tout ce qui avait été prédit en la Loi et aux Prophètes, a été accompli en lui (Luc 24.25-26). Au demeurant, qu’ont gagné les ennemis de Christ, sinon que la vérité de l’Ecriture a resplendi visiblement en lui ? Il a fallu que Christ ait été réprouvé des principaux gouverneurs ; car ainsi il avait été prédit de lui Psaumes 118.23, Dieu a mis au principal lieu du coin la pierre que les maîtres bâtisseurs ont réprouvée. Il a fallu que Christ ait été condamné, et mis au rang des malfaiteurs, afin que, nous fussions absous par lui devant Dieu. Il a fallu que nos iniquités fussent mises sur lui, afin qu’il nous en purgeât. Il a fallu qu’il ait été immolé en la croix, afin que les sacrifices de la Loi qui se faisaient en figure cessassent. Car ceci aussi était contenu en l’Écriture, comme en Esaïe 53.4-5 et Daniel 9.26. Ainsi donc tant plus que les gouverneurs du peuple se sont efforcés de grande impétuosité d’anéantir Jésus-Christ, tant plus ont-ils montré par effet qu’il était le Christ ; et Dieu les a frustrés de leur attente par une façon merveilleuse, en sorte que leur impiété obstinée édifie plus la foi des fidèles qu’elle ne la détruit. De telle sorte sont presque tous les scandales qui détournent de Christ les âmes infirmes et légères. Car si telles gens considéraient de plus près toute la suite de l’œuvre de Dieu, ce qui les ébranle et met en incertitude leur serait matière de confirmation. Il advient donc le plus souvent par notre nonchalance, que nous sommes troublés par les scandales, d’autant que regardant de travers, ou bien d’un œil chassieux les choses qui concernent Christ, nous imaginons être blanc ce qui est noir. Or nous voyons comme S. Paul ne dissimule rien, mais confesse franchement ce qui est véritable ; à savoir que Christ n’a point été seulement haï du commun populaire, mais aussi des grands et principaux gouverneurs, et qu’il n’a point été rejeté seulement de peu de gens, mais que tout le peuple a méchamment conspiré de l’accabler du tout. Ceci était de première entrée dur et odieux ; mais S. Paul oppose un rempart plus fort, que contre leur volonté Dieu s’est servi d’eux, comme d’une pierre de touche, par laquelle son Fils fut éprouvé. Vu que la condition de l’Evangile est encore aujourd’hui semblable, n’ayons point de honte de confesser avec S. Paul, que les grands princes du monde, et ceux qui tiennent et occupent la primauté en l’Eglise, sont ennemis mortels du Fils de Dieu ; puisque cela tourne plutôt en gloire qu’en opprobre à Christ. Car par ce moyen l’Écriture est accomplie.
Ne l’ayant point connu, etc. Combien que les gouverneurs aient été poussés d’une malice délibérée à opprimer Christ, toutefois. S. Paul parle à la vérité, imputant cela à ignorance ; comme il fait ailleurs, quand il dit que la sagesse de l’Evangile est cachée aux princes de ce monde, d’autant qu’ils n’eussent jamais autrement crucifié le Seigneur de gloire, 1 Corinthiens 2.8. Car la malice des méchants est semblable à une frénésie tempêtueuse ; et en voyant elle ne voit point. Tant y a qu’il ne faut point douter que ceux-ci ne fussent dépourvus de tout bon sens, et de la lumière du Saint Esprit, vu qu’ils n’ont fait difficulté de faire la guerre à Dieu à leur ruine et confusion. Il leur reproche aussi qu’ils ont ignoré l’Écriture. Et afin que nul ne répliquât qu’il parlait d’une chose inconnue ou obscure, il ajoute en même temps qu’il ne met point en avant autres Prophéties, que celles qu’on lit tous les Sabats ; comme s’il disait que les oracles de l’Écriture qu’ils ont ignorés sont clairs et évidents, et connus même des moins instruits. En cette sorte S. Paul montre combien horrible a été leur incrédulité, afin qu’il la rende détestable aux auditeurs. Or nous sommes enseignés par cet exemple, que combien que Dieu nous éclaire par l’Ecriture, toutefois tous n’ont pas des yeux. Depuis aussi la stupidité de cette nation a été plus lourde et grossière ; comme S. Paul dit qu’ils ont un voile devant les yeux (2 Corinthiens 3.15), en sorte que combien que Moïse soit présent devant eux, nonobstant ils ne le voient point. Cependant il nous faut noter que nous sommes renvoyés à l’Écriture, afin que l’autorité des grands personnages ne nous déçoive. Et ne faut point qu’aucun pense être absous, se faisant un préjudice du jugement pervers des autres. Car S. Paul exhorte ceux d’Antioche de juger selon l’Écriture contre les prélats masqués de l’Eglise. Car l’Écriture est donnée afin qu’on la lise ; et Dieu n’a point institué en vain la lecture de celle-ci, mais afin que tous les fidèles en tirent profit, et par là jugent et discernent ce qui est droit.
Ont même en le condamnant, etc. Ainsi nous voyons que non seulement les créatures dépourvues de sens sont assujetties à la providence de Dieu, mais aussi le diable même et tous les méchants, en sorte qu’il exécute par eux ce qu’il a délibéré en soi-même. Nous avons vu le semblable ci-dessus Actes 3.23 ; 4.28, que bien que les ennemis du Seigneur Jésus fussent embrasés de rage pour le ruiner, néanmoins ils n’ont pu venir à bout de ce qu’ils prétendaient faire ; mais plutôt ont accompli de leurs mains ce que Dieu avait ordonné par son conseil. Et ceci sert grandement à autoriser la vérité de Dieu, que non seulement il est assez puissant de soi à accomplir les choses qu’il a promises, mais aussi que ceux qui s’efforcent de réduire à néant ses conseils, s’emploient malgré eux à les confirmer. Car comment ne demeurerait ferme la vérité de Dieu, vu que ses plus grands ennemis sont contraints de l’accomplir ? Toutefois il est ici besoin de prudence, à ce que nous ne mêlions Satan avec Dieu. Car les Juifs ne sont point excusables malgré qu’ils ont accompli l’Ecriture, d’autant qu’il nous faut considérer leur volonté perverse, et non point l’événement, lequel est advenu contre toute leur espérance ; et qui plus est, lequel on doit estimer comme un miracle. Si leur œuvre est considérée en soi, elle est du tout contraire à Dieu. Mais tout ainsi que Dieu modère par un artifice admirable des mouvements opposites et bataillant l’un contre l’autre au soleil et autres planètes ; aussi par une vertu secrète il adresse les efforts et entreprises des méchants à une fin toute diverse à celle qu’ils pensaient ou désiraient, en sorte qu’ils ne font sinon ce qu’il a voulu. Il est vrai que quant à eux ils font contre la volonté de Dieu ; cependant toutefois par un moyen incompréhensible, l’issue vient selon la volonté de Dieu. Or comme ainsi soit que ce cours se fait outre l’ordre de nature, il ne se faut étonner s’il n’est point visible à la prudence charnelle. Par quoi il le faut regarder de l’œil de la foi, ou plutôt l’adorer d’une révérence procédante de la foi, et mépriser avec toute leur insolence les chiens qui aboient à l’encontre.
Et, bien qu’ils ne trouvassent aucun motif de mort, ils demandèrent à Pilate de le faire mourir.
Il était grandement nécessaire qu’ils sachent que Jésus-Christ avait été occis a tort et sans cause. Car il ne nous eût point acquis justice par sa mort, s’il eût enduré la mort pour ses maléfices. Il faut donc que celui ait été innocent, la mort duquel est la rançon des péchés du monde. Et ne faut point douter que S. Paul n’ait démontré clairement, que Pilate n’a pas condamné Christ suivant l’office de juge, mais qu’étant gagné par l’importunité et le cri du peuple, il a consenti qu’il fut mis à mort, et en même temps que les Juifs ont été poussés d’un appétit désordonné, et non point de raison, à requérir que Christ mourut. Car il fallait donner crainte aux auditeurs, afin qu’ils ne suivissent l’impiété des autres, et participassent avec eux en un forfait si énorme. Mais maintenant S. Luc selon sa coutume touche en peu de paroles ce que S. Paul a déduit amplement en faisant un long récit.
Et après qu’ils eurent accompli tout ce qui avait été écrit de lui, après l’avoir descendu du bois, ils le mirent dans un sépulcre.
A savoir les choses que Dieu avait voulu être faites par eux. Car ils ont tellement traité Christ, qu’il ne s’en est pas fallu une seule Prophétie de l’Écriture qui n’ait été accomplie. Ainsi est ôté le scandale que la chair conçoit de l’ignominie de la croix, quand on vient à considérer que le Fils de Dieu n’a pas été en la puissance de ses ennemis, pour dire qu’ils pussent faire de lui tout ce qu’ils voudraient selon leur rage forcenée ; mais qu’il a obéi à ce que le Père avait déterminé de lui. Or il apparaît par les Écritures quelle condition le Père lui avait destinée de tout temps. Quant à ce qu’il dit, que Christ a été enseveli par ceux mêmes qui l’avaient mis à mort, il semble que cela est répugnant à l’histoire de l’Evangile, Matthieu 27.57. Mais il se peut bien faire que S. Luc ait pris ce mot d’Ensevelir généralement, et sans le rapporter aux personnes. Que si on le veut rapporter à ceux-là mêmes qui l’ont mis à mort, ce sera une figure, prenant le tout pour une partie. Car il a été enseveli par la permission de Pilate, et à l’appétit des Sacrificateurs il y eut des gens commis pour garder le sépulcre. Combien donc que Joseph et Nicodème ont enseveli Christ, toutefois cela n’est point sans quelque raison attribué aux Juifs (combien que ce soit improprement) d’autant que ce n’est point ici l’intention de saint Paul, de louer le devoir d’humanité qui fut fait en cela au Seigneur Jésus ; mais de prouver la résurrection de celui-ci ; pour ce que Dieu ôta du sépulcre son Christ, lequel ses ennemis tenaient enclos au sépulcre. Il signifie donc que le corps de Christ n’a point été emporté secrètement ou en cachette, mais qu’il a été mis en un lieu renommé et connu de ses ennemis ; et qui plus est, qu’eux-mêmes avaient commission de le garder, et toutefois il n’a point été trouvé. Dont on recueille une résurrection bien certaine.
Mais Dieu l’a ressuscité d’entre les morts ;
Il est bien vrai que la mort du Seigneur Jésus a été le salut des fidèles ; mais c’est d’autant qu’elle est conjointe avec la résurrection. Et pourtant S. Paul s’arrête plus longuement en cette seconde partie. Car il n’eût jamais persuadé à ses auditeurs, qu’il eût fallu chercher salut en la mort, sinon que la vertu de Dieu se fût manifestement montrée en la résurrection de Jésus-Christ. Or après qu’il a dit que Christ est sorti hors du sépulcre, auquel ses ennemis avaient mis des gardes pour le garder, il ajoute maintenant que Jésus a été vu depuis de beaucoup de ses disciples, lesquels en ont rendu témoignage fidèle au peuple. Il les appelle témoins, ou au regard de leur office, pour ce qu’ils étaient élus à ce faire, comme il a été dit Actes 1.8 ; ou bien il démontre simplement qu’ils ont témoigné publiquement et franchement de Christ ce qu’ils en savaient. Dont il s’ensuit que la chose avait été divulguée et bien connue en la ville de Jérusalem. Et ce n’était pas une preuve de petit poids, qu’au milieu de la puissance épouvantable des ennemis, lesquels étant prompts et ardents à résister ne laissaient rien derrière, il s’était trouvé toutefois des gens qui avaient affirmé hardiment et publiquement, que Christ était ressuscité, voire qui avaient vu la chose de leurs propres yeux. Car si les adversaires eussent eu quelque réfutation ou réplique en main, il est bien certain qu’ils ne l’eussent point laissée derrière.
et il est apparu, pendant plusieurs jours, à ceux qui étaient montés avec lui de la Galilée à Jérusalem, lesquels sont maintenant ses témoins auprès du peuple.
Et nous aussi, nous vous annonçons la bonne nouvelle, quant à la promesse faite aux pères,
Maintenant il s’attribue l’office et honneur d’apôtre, afin qu’il soit entendu comme ministre légitime de Dieu. Or il dit que la somme de la commission et ambassade qui lui a été enjointe, est, que ce que Dieu avait anciennement promis, a été manifesté en son temps. Or il comprend beaucoup de choses et fort grandes en peu de paroles. En premier lieu, il signifie qu’il ne propose chose qui soit nouvelle, ou discordante de la Loi et des Prophètes ; mais qu’il annonce l’accomplissement de cette doctrine, laquelle eux-mêmes confessaient être procédée de Dieu, voire en étaient certainement persuadés. Dont il s’ensuit qu’ils ne peuvent rejeter ce qu’il leur propose, qu’ils n’anéantissent entant qu’en eux est l’alliance que Dieu avait faite avec leurs Pères. Puis après il magnifie la fidélité de Dieu, en ce que maintenant II apparaît par effet qu’il n’avait rien anciennement promis il la volée ni en vain. Mais sur tout il exalte l’excellence de la grâce qui a été finalement manifestée en Christ. Car il faut noter la comparaison qui est entre eux et leurs Pères, quand il dit qu’ils ont obtenu ce qui avait été promis aux Pères. Car de tant plus grande libéralité que la bonté de Dieu a été répandue sur eux, tant plus leur ingratitude sera vilaine, s’ils viennent à mépriser ce bien inestimable, ou en être dégoûtés. Car que serait-ce, sinon jeter aux pieds un trésor qui leur aurait été donné entre les mains, voire qui leur aurait été mis au sein ? l’espérance duquel les Pères ont embrassée, combien qu’elle leur fut montrée de loin, et se sont patiemment entretenus en cette tout le temps de leur vie. Mais on fait ici une question touchant ceux qui ont vécu sous la Loi ; à savoir si eux aussi n’ont point été participant des promesses. Je réponds qu’ils ont une telle société d’une même grâce avec nous, que cependant il y a une longue distance. Mais S. Paul entend seulement que, par manière de dire, leur foi a été en suspens, jusqu’à ce que Christ ait été manifesté ; auquel toutes les promesses de Dieu sont entendu et Amen ; comme S. Paul même enseigne à 2 Corinthiens 1.19-20. Nous sommes donc héritiers d’un même Royaume céleste, et participant de mêmes biens spirituels, desquels Dieu orne ses enfants ; Dieu aussi leur a donné à goûter son amour en la vie présente, comme aussi nous la goûtons maintenant. Mais Christ qui est la substance de la vie éternelle, et de tous biens, leur était seulement promis. Mais quant à nous, il nous est donné ; eux le désiraient et attendaient comme étant encore bien loin d’eux ; mais nous le possédons comme présent.
que cette promesse Dieu l’a accomplie pour nous, leurs enfants, ayant ressuscité Jésus, comme aussi il est écrit dans le Psaume second : Tu es mon fils, je t’ai engendré aujourd’hui.
C’est une chose bien certaine que S. Paul parle des enfants naturels qui étaient descendus des saints Pères. Ce qu’il faut noter, pour ce qu’aucuns fantastiques tirant toutes choses à allégories, songent qu’il ne faut point ici regarder à la génération, mais à la foi seulement. Or par une telle rêverie ils anéantissent l’alliance sacrée de Dieu, quand il est dit, Je serai ton Dieu, et de ta semence, Genèse 17.7. Il n’y a, disent-ils, que la foi qui nous fasse enfants d’Abraham. Mais je réplique au contraire, que ceux qui naissent enfants d’Abraham selon la chair, sont aussi réputés enfants spirituels de Dieu, s’ils ne se rendent bâtards par leur infidélité. Car les branches sont saintes de nature, pour ce qu’elles sont d’une racine sainte, jusqu’à ce qu’elles deviennent profane par leur vice et faute, Romains 11.16. Et de fait, l’intention de S. Paul est, d’attirer les Juifs au Fils de Dieu. Et pour ce faire, il faut que par privilège certain ils soient discernés des autres, et exemptés de l’ordre commun. Et il ne s’ensuit pas de cela, qu’on puisse dire que la grâce de Dieu soit attachée à une semence charnelle, ce que ces garnements objectent pour décrier cette doctrine, et la rendre odieuse. Car combien que la promesse de vie ait été héréditaire aux successeurs d’Abraham, toutefois plusieurs s’en sont privés par leur incrédulité. C’est donc la foi qui fait que d’une grande multitude il y en ait un petit nombre qui soient réputés vrais enfant. Or par la foi Dieu sépare les siens. Et c’est la double élection, de laquelle j’ai fait mention ci-dessus. La première, qui est indifféremment commune à toute la nation ; d’autant que la première adoption de Dieu comprend généralement toute la famille d’Abraham. La seconde, qui est restreinte au conseil secret de Dieu, et est finalement établie par foi, afin d’être ratifiée envers les hommes. Par quoi c’est à bon droit que saint Paul insiste là-dessus, que ce qui avait été promis aux Pères, a été accompli aux Juifs. Car il leur avait été aussi bien promis ; comme Zacharie le dit notamment en son Cantique. Le jurement qu’il a juré à Abraham notre père, à savoir qu’il nous donnerait, etc. Et toutefois la dignité de cette nation n’empêche point que en même temps la grâce de Christ ne s’épande par tout le monde, d’autant qu’Israël étant l’aîné entre tous, occupe tellement le premier degré d’honneur, que cependant il laisse le second lieu à ses frères. Car ce que le peuple ancien a été chassé, et que l’Eglise comme une possession vide a été laissée aux étrangers, cela a été une occasion nouvelle de recueillir des Gentils une Eglise. Que si ce peuple eût persisté en la foi, les Gentils lui eussent été adjoints, à participer ensemble à ce même honneur.
Ayant suscité Jésus, etc Le mot de Susciter, selon mon jugement, s’étend plus loin en ce passage que quand il est répété un peu après. Car il ne dit pas seulement que Christ est ressuscité des morts ; mais qu’il a été divinement ordonné, et comme mis en avant par la main de Dieu pour accomplir l’office du Messie ; comme l’Écriture enseigne par tout, que Dieu suscite les Rois et les Prophètes. Car quelque fois le mot Grec est pris en ce sens. Or la raison qui me meut à dire ceci, c’est que Dieu en envoyant son Fils au monde, a manifesté par effet la promesse anciennement donnée à ses serviteurs.
Comme aussi il est écrit, etc. Les livres Grecs s’accordent quant au nombre ; toutefois on ne doit point laisser passer ce dont Erasme avertit ; c’est qu’il y en a plusieurs des anciens qui ont nommé ce Psaume-là le premier. Et il se peut bien faire que saint Luc aussi l’ait allégué pour le premier. Car celui qui est aujourd’hui mis pour le second, peut à bon droit être appelé le premier ; comme ainsi soit qu’il est vraisemblable que les Scribes et les Sacrificateurs, par lesquels tous les Psaumes ont été recueillis en un volume, ont ajouté le premier par manière de préface. Car aussi nul n’en est nommé auteur ; et il ne contient autre chose qu’une exhortation à méditer la Loi de Dieu. Mais cela n’est pas de grande importance. Car le principal est que nous sachions combien proprement et comment saint Paul accommode au propos le témoignage pris du Psaume. Nous ne nions point qu’en ce lieu-là David se voyant assailli furieusement de tous côtés, et que ses ennemis étaient si puissants et forts qu’il ne leur pouvait pas résister, n’oppose au contraire l’aide de Dieu, lequel il savait bien être celui qui l’avait appelé à régner. Mais d’autant qu’il était la figure du vrai Messie, nous savons que les choses qui ne conviennent parfaitement qu’au Messie et Sauveur, ont été figurées en sa personne. Et la déduction du texte montre assez ouvertement, que là n’est point seulement contenue une simple action de grâces, laquelle convienne au règne de David, mais qu’avec ce il y a une prophétie, regardant plus haut. Car il est assez notoire qu’à grand peine David a eu en toute sa vie la centième partie de la gloire, de laquelle il est là parlé. Et de ceci nous en avons traité plus amplement ci-dessus au chap. 4. Maintenant regardons de plus près les mots. Il est vrai que les rois et grands seigneurs sont appelés en commun enfants de Dieu Psaumes 82.6. Mais comme ainsi soit que l’intention de Dieu est de préférer David aux autres rois, et l’exempter de leur rang, il est certain que ce titre d’honneur lui est attribué par-dessus les autres par excellence ; non pas qu’un si grand honneur réside proprement en sa personne, d’autant que par ce moyen il serait plus excellent que les Anges mêmes, comme il est dit Hébreux 1.4. Et pourtant il est orné de ce titre tant honorable et magnifique au regard de Jésus-Christ, duquel il était figure et image ; en sorte que Dieu le reconnaît non point comme un homme vulgaire et quelqu’un d’entre la multitude, mais comme son Fils unique. S’ensuit la probation, D’autant que Dieu l’a engendré quand il a établi le royaume en la main de celui-ci. Car cela n’a point été fait par l’industrie des hommes, mais Dieu a déployé du ciel la force invincible de sa main ; dont on connut manifestement qu’il régnait par un conseil de Dieu. Ainsi donc cette génération, de laquelle il fait mention, se doit rapporter au sens ou à la connaissance des hommes ; à savoir qu’on a lors connu ouvertement qu’il a été engendré de Dieu, quand il est monté au trône royal par une façon admirable, et contre l’espérance de tous, et a brisé des conspirations innombrables par la vertu de l’Esprit céleste ; d’autant qu’il ne pouvait régner qu’il n’eût assujetti tous les peuples circonvoisins, et comme subjugué un monde. Venons maintenant à Jésus-Christ. Certes il n’est point entré au monde sans bon témoignage, pour montrer qu’il était Fils de Dieu. Car sa gloire a été vue manifestement telle qu’il convenait à celui qui est seul engendré de Dieu ; comme il est dit Jean 1.14 ; et il se vante par tout d’avoir Dieu pour témoin et garant de cet honneur. Dieu donc a engendré Jésus-Christ, quand il lui a engravé certaines marques par lesquelles il fut reconnu Fils et la vraie et vive image de Dieu. Et toutefois ceci n’empêche point que Jésus-Christ ne soit la Sapience de Dieu engendrée du Père de toute éternité ; mais cette génération-là nous est cachée. Mais maintenant David dit qu’il a été manifesté aux hommes. En cette sorte (comme j’ai déjà dit) ceci se rapporte aux hommes, et non point à Dieu, d’autant que ce qui était caché au cœur de Dieu, a été ouvertement manifesté aux hommes. Et c’est une belle manière de parler, que la Divinité du Seigneur Jésus n’a point été moins ouvertement testifiée et confirmée, que si Dieu l’eut engendré devant les yeux des hommes. Je sais bien que plusieurs recevront plutôt la subtilité de S. Augustin, qu’ici est dénoté un Aujourd’hui éternel. Mais puisque l’Esprit de Dieu est expositeur de soi-même, et que ce qu’il avait dit par David, il l’interprète par la bouche de S. Paul, il ne nous est licite de bâtir un autre sens. Au surplus, vu que Christ a été déclaré être Fils de Dieu en puissance, selon le témoignage même de S. Paul (Romains 1.4) quand il est ressuscité des morts, nous recueillons que cela a été la principale marque de l’excellence céleste ; et lors le Père l’a vraiment mis en lumière ; à ce que le monde connût qu’il était engendré de lui. Combien donc que le Seigneur Jésus ait commencé à être suscité de Dieu quand il est entré au monde, nonobstant la résurrection a été comme entière et parfaite suscitation ; d’autant que comme ainsi soit qu’il eût été auparavant anéanti, ayant pris forme de serviteur (Philippiens 2.7) lors il a montré ouvertement qu’il avait obtenu victoire sur la mort, et domination sur la vie ; en sorte que rien ne lui manquait qui fut séant à la majesté du Fils de Dieu, voire seul engendré de lui.
Or, qu’il l’ait ressuscité d’entre les morts, de telle sorte qu’il ne retournera plus à la corruption, il l’a dit ainsi : Je vous donnerai les choses saintes de David, qui sont certaines.
Il ajoute maintenant l’autre membre ; à savoir que le Seigneur Jésus est ressuscité une fois des morts afin qu’il vive éternellement, comme S. Paul enseigne, disant, Il ne meurt plus, et la mort ne dominera plus sur lui ; d’autant qu’il vit à Dieu, Romains 6.10. Car la confiance qu’on aurait conçue de la résurrection de Jésus-Christ, serait bien petite et froide, s’il était encore sujet à la mort, ou à quelque changement. Et pourtant il est dit qu’il est entré au royaume de Dieu, afin que vivant perpétuellement, il donne aussi une béatitude éternelle aux siens. Car d’autant que le Seigneur Jésus est ressuscité plutôt pour nous que pour soi, la perpétuité de vie qui lui a été donnée de son Père, s’étend à nous tous, et est notre. Il semble bien recevable toutefois que le passage d’Esaïe qui est ici allégué, ne sert de rien pour prouver l’immortalité de Jésus-Christ, à savoir, Je vous donnerai les saintetés de David assurées, Esaïe 55.3. Mais il n’est pas ainsi. Car comme ainsi soit que le Prophète Esaïe parle de la rédemption promise à David, et qu’il affirme qu’elle sera stable et ferme ; nous pouvons bien recueillir de cela l’immortalité du royaume de Jésus-Christ, auquel l’éternité du salut est fondée. Or S. Paul a suivi la traduction Grecque, quand il a mis les saintetés, pour les Miséricordes. Le mot hébreu Chessed, signifie doux, clément et bénin ; et les Grecs ont accoutumé de le traduire saint. Et pourtant en ce passage où il y avait Chessed de David ils ont traduit, Les saintetés de David, en lieu que le Prophète entend plutôt la grâce promise à David. Mais S. Paul s’est en ceci accommodé aux rudes et infirmes, qui étaient plus accoutumés à la lecture Grecque ; et principalement vu que la force du témoignage gisait ailleurs qu’en ce mot. Car S. Paul veut dire en somme, que si la grâce que Dieu prononce qu’il donnera en son Fils est éternelle, semblablement la vie du Fils est éternelle, et nullement sujette à mutation. Car il nous faut retenir cette règle, que toutes les promesses de Dieu sont entendu et amen en son Fils, Jésus-Christ (2 Corinthiens 1.20) ; et pour cette cause ne peuvent avoir aucune force ne vigueur, s’il ne les vivifie.
C’est pourquoi aussi il dit dans un autre endroit : Tu ne permettras point que ton Saint voie la corruption.
S. Pierre a aussi amené ce passage en son premier sermon ci-dessus expliqué par S. Luc dans Luc 2.27 où je l’ai exposé. Je renvoie donc là les lecteurs. Je toucherai ceci seulement en bref, que pour dire sépulcre, David en sa langue Hébraïque a mis deux divers mots ; (comme c’est son ordinaire d’user de redites) desquels le premier vient de Convoiter, pour ce que le sépulcre est comme un gouffre insatiable qui dévore tout ; et l’autre vient de Corruption. Selon cette étymologie et dérivation le sens de David a été fidèlement exprimé en Grec. Car là est dénotée la qualité du sépulcre, quand il reçoit un corps mort, et par manière de dire l’engloutit, afin qu’il pourrisse là et qu’il périsse, étant consumé finalement. Or S. Paul affirme que cela ne convient qu’au Seigneur Jésus, qu’il a été exempt de toute corruption. Car quant à ce que son corps a été mis au sépulcre, la corruption n’a point eu de puissance sur lui pour cela, vu qu’il est la demeuré entier jusques au jour de la résurrection, ni plus ni moins que s’il eût été couché en un lit.
Car David, après avoir en son temps servi au dessein de Dieu, s’est endormi et a été réuni à ses pères, et il a vu la corruption.
Afin qu’on ne répliquât qu’il est là parlé de David, S. Paul prévient de bonne heure, disant que ce qui est là dit, ne convient point eu tout et partout à David ; vu que son corps a été pourri et consumé au sépulcre. Il reste donc, d’autant que c’a été un privilège singulier au Seigneur Jésus, qu’il faut nécessairement dire que David a prophétisé de lui par l’Esprit. Cependant il nous faut noter la proportion qui est entre les membres et le chef. Car tout ainsi que la pleine et parfaite vérité de cette prophétie a été accomplie au seul Seigneur Jésus, comme au chef ; aussi a-t-elle lieu en chacun membre selon la mesure et l’ordre d’un chacun. Et puis qu’ainsi est que le Fils de Dieu est ressuscité à cette fin qu’il rende notre corps (qui est maintenant vil) conforme à son corps glorieux, Philippiens 3.21, les fidèles descendent en la fosse sous cette condition, que la pourriture ne consumera point leurs corps. Et pourtant selon l’espérance de la délivrance avenir, David dit à bon droit qu’il ne verra point la corruption. Car ce à quoi une beaucoup meilleure restauration est préparée, ne doit pas être entièrement réputé corruption. Car pour cette cause les corps des fidèles pourrissent, afin qu’ils soient revêtus de l’incorruption bien heureuse quand il en sera temps. Mais ceci n’empêche point qu’il n’y ait grande différence entre la condition du chef, et celle des fidèles, et que nous ne suivions le Fils de Dieu de loin et bien lentement. Nous voyons maintenant que l’un et l’autre est vrai et convenablement dit ; à savoir que David et les autres fidèles ne verront point la corruption, en tant qu’ils doivent être faits conformes à leur chef ; et que toutefois il n’y a que le seul Fils de Dieu qui ait été entièrement exempt de corruption. Il nous faut noter cette façon de parler, quand il dit que David a servi à son temps, ou aux hommes de son temps. Le traducteur Latin ancien distingue ceci autrement, et il y a, aucuns livres Grecs qui accordent a cette lecture-là, à savoir que David en son temps a servi à la volonté de Dieu. Laquelle lecture, combien qu’elle soit recevable, ne me peut toutefois faire laisser l’autre. Car à vrai dire, ce n’est pas une chose superflue ni sans grande signifiance, quand il est dit que David s’est endormi par la volonté ou le conseil de Dieu. Car cela signifie que Dieu en la mort de David n’avait point oublié cette prophétie ; comme s’il disait que cela ne s’est pas fait sans le conseil de Dieu, que le corps de David demeure au sépulcre jusqu’au jour de la résurrection, afin que l’effet de la prophétie fut toujours en suspens, jusqu’à ce qu’on vînt à la personne de Christ. Si la lecture que j’en fais, et le sens qui en est tiré semble bon, nous sommes par cela exhortés à quelle fin les hommes vivent en ce monde, à savoir afin que les uns aident aux autres par communication mutuelle. Car nous ne sommes point nés pour nous, mais le genre humain est conjoint ensemble comme d’un lien sacré. Si donc nous ne voulons renverser les lois de nature, souvenons-nous que nous ne devons vivre pour notre profit particulier, mais pour le profit de nos prochains.
Mais on fait ici une question, à savoir si nous ne devons pas aussi avoir soin de ceux qui viendront après nous. Je réponds que le ministère des fidèles est utile aussi à ceux qui viendront après eux, comme nous expérimentons aujourd’hui que David nous profite plus après sa mort, que la plus grande partie de ceux qui sont aujourd’hui vivant avec nous. Mais S. Paul entend simplement que les fidèles s’emploient et leur labeur pour leurs prochains tout le temps de leur vie, mais que la mort leur est comme un but, d’autant qu’ils ont fait ce qui était en eux, quand Dieu les retire hors de ce monde. La somme de ce point est, qu’il nous faut premièrement avoir égard à notre temps pour servir à nos frères, avec lesquels nous avons communication en cette vie ; et que puis après il nous faut tâcher que le fruit de notre ministère parvienne aussi jusques à ceux qui viendront après nous. Or puis que Dieu donne cette règle à ses serviteurs, comment pourra-t-on excuser la témérité de ceux qui imaginent que les sains et fidèles trépassés prient Dieu pour nous, et qu’ils ne servent point moins à l’Eglise, que quand ils vivaient ?
S’est endormi par le conseil de Dieu. S. Paul pouvait bien dire simplement que David était mort ; mais il ajoute, Par le conseil de Dieu : afin que nous sachions que ce qui est dit au Psaume, n’a pas été accompli en la personne du Prophète ; toutefois nous sommes en même temps exhortés que Dieu nous a préparé le but de la vie et de la mort ; comme il est dit Psaumes 90.3, Tu envoies les hommes, et les fais passer ; puis après tu dis, Retournez, ô fils des hommes. Et même, Platon dit très bien, que c’est une chose bien raisonnable, que les hommes ne partent point de ce monde, sinon selon le bon plaisir de Dieu, par la main duquel ils ont été constitués au monde comme en une garnison pour quelque temps. Or la raison pourquoi parlant de la mort de David, il fait expresse mention du conseil de Dieu, c’est afin que nous sachions que la corruption ne lui est point advenue par cas fortuit, comme si Dieu eût mis sa promesse en oubli ; mais que cela a été fait par la providence de Dieu, afin que les fidèles entendissent que la prophétie devait être transférée ailleurs. Ces façons de parler, S’endormir, et être mis auprès de ses pères, sont si vulgaires et notoires qu’elles n’ont nul besoin d’exposition.
Mais Celui que Dieu a ressuscité n’a point vu la corruption.
Sachez donc, hommes frères, que c’est par lui que la rémission des péchés vous est annoncée ;
Après avoir déclaré le moyen par lequel le salut a été acquis par Jésus-Christ, maintenant il traite de l’office et vertu de celui-ci. Et aussi c’est le principal point d’entendre quels biens l’avènement du Seigneur Jésus nous a apportés, et ce qu’il nous faut espérer de lui. Or combien que S. Luc touche en une parole que S. Paul a prêché des bénéfices de Jésus-Christ, nonobstant il ne faut point qu’aucun doute qu’il n’ait traité en telle gravité et ornement de paroles les choses comme elles le méritaient. Or par ce mot : Il vous soit notoire, S. Paul signifie qu’il n’y aura rien qui les empêche, lors que leur paresse et lâcheté, qu’ils ne connaissent et soient certains d’un cas tant clair et évident ; et pourtant que ce serait chose fort honteuse, que les fidèles fussent ignorants quels trésors et richesses de Dieu ont été apportées par Jésus-Christ. Car il a été envoyé avec la trompette résonnante de l’Evangile, laquelle notre foi doit entendre pleinement, afin qu’elle entre en certaine possession des biens de celui-ci. Car il nous faut entendre quel il est, afin que vraiment nous jouissions de lui. En premier lieu, il met la rémission des péchés, par laquelle Dieu nous réconcilie à soi, et reçoit en grâce. Puis que Dieu veut qu’elle soit annoncée en général à tout son peuple, il démontre qu’elle est nécessaire à tous. Car S. Paul ne parle point seulement à un ou à deux, mais à tous les Juifs qui étaient en Antioche. Il nous faut donc premièrement entendre que nous sommes tous ennemis de Dieu par nos péchés, Colossiens 2.13. Dont il s’ensuit que tous généralement sont exclus du royaume de Dieu, et destinés à la mort éternelle, jusques à ce que Dieu nous reçoive en grâce par la rémission gratuite des péchés. Il faut aussi noter que Dieu nous pardonne nos péchés, et nous est rendu propice par le Médiateur ; d’autant que tout ainsi qu’il n’y a nulle satisfaction hors celui-ci, aussi il n’y a point de pardon ni rémission de la condamnation. Ce sont-ci les premiers rudiments de notre foi, lesquels on n’apprend point dans les écoles des Philosophes ; à savoir que tout le genre humain est condamné et accablé de péchés ; qu’il n’y a nulle justice ou innocence en nous qui nous puisse réconcilier et faire trouver grâce envers Dieu ; que la seule espérance de salut nous est réservée en sa miséricorde, quand il nous absout par sa pure grâce ; et que les hommes demeurent sous la condamnation, sinon ceux qui ont leur recours au Seigneur Jésus, et qui cherchent la satisfaction de leurs péchés en la mort de celui-ci.
et que de toutes les choses dont vous n’avez pu être justifiés par la loi de Moïse, c’est en lui que tout croyant est justifié.
Il prévient tacitement ce qui pouvait sembler être contraire à la doctrine précédente. Car autant qu’il y avait de cérémonies en la Loi, c’étaient autant d’exercices pour obtenir la rémission des péchés. Les Juifs donc pouvaient incontinent répliquer : Si celui-ci nous peut seul rendre le Père propice, abolissant les péchés, à quels propos nous ont été donnés tant de purifications ? de quoi servent tant de purgations desquelles nous avons usé jusques à présent par le commandement et ordonnance de la loi afin donc que les cérémonies de la Loi ne retardassent les Juifs, saint Paul enseigne que Jésus-Christ donne ce qu’elles ne pouvaient donner. Non pas que saint Paul ait parlé si brièvement et sommairement (car il n’y avait point d’espérance que les Juifs quittassent tout soudain la confiance de la justice de la Loi pour venir à Jésus-Christ) mais saint Luc s’est contenté de toucher en peu de paroles les choses que S. Paul enseigna lors par bon ordre. Or le sens est tel, que le Médiateur a ôté cet empêchement qui tenait les Juifs attachés. Il est vrai que la Loi cérémoniale leur devait être comme une pédagogie qui les menât à Christ comme par la main ; et toutes les cérémonies, commandées de Dieu leur étaient données comme aides pour soutenir et accroître leur foi ; mais comme les hommes ont accoutumé de corrompre les ordonnances de Dieu tout au rebours, ils se bouchaient le chemin par les cérémonies, et se fermaient la porte de la foi, afin qu’ils ne vinssent à Jésus-Christ. Ils pensaient bien obtenir justice par les sacrifices, et acquérir la vraie netteté par leurs baptêmes et purifications ; que Dieu leur était apaisé quand ils s’étaient acquittés de ces pompes et cérémonies externes ; bref, laissant le corps ils appréhendaient les ombres vaines. Il est vrai que Dieu n’avait rien institué en la Loi en vain, ou qui fut inutile ou frustratoire. Et pourtant les cérémonies étaient témoignages certains et indubitables de la rémission des péchés ; car Dieu n’avait point menti en prononçant ces paroles : Que le pécheur sacrifie, et son iniquité sera effacée. Mais tout ainsi que Jésus-Christ était la fin de la Loi, et l’exemplaire ou patron céleste du tabernacle (Romains 10.4 ; Hébreux 8.5) ; aussi la vertu et efficace de toutes les cérémonies dépendait de lui. Dont il s’ensuit que lui étant ôté, ce n’étaient qu’ombres vaines et inutiles. C’est donc à bon droit que saint Paul ôte la cause de justice à la Loi pour l’attribuer au Seigneur Jésus. Or nous entendons maintenant quelle est l’intention de S. Paul ; à savoir qu’il a voulu détourner les Juifs de la perverse et fausse confiance de la Loi ; de peur qu’étant enflés de vent, ils pensassent n’avoir besoin de l’aide de Christ, ou qu’ils cherchassent autre cas en lui qu’une félicité externe.
Être justifiés en la Loi de Moïse. On peut bien facilement connaître par ce passage, que signifie ce mot Justifier, en tant d’autres lieux ; à savoir, être délivré et absous. S. Paul avait fait mention de la rémission des péchés ; il a dit qu’on ne la pouvait autrement obtenir que par la seule grâce de Christ. Afin qu’on ne répliquât qu’il y avait assez de remèdes en la Loi, il répond qu’en tous ces remèdes il n’y a nulle efficace. Le sens donc est clair, qu’ils ne peuvent être justifiés de leurs péchés en la Loi, d’autant que les cérémonies de la Loi n’étaient point rançons suffisantes pour se racheter ou acquitter de condamnation ; elles ne pouvaient d’elles-mêmes obtenir justice, et n’étaient récompenses légitimes pour apaiser Dieu. Certainement on ne peut sans grande impudence nier que cette justification ne soit annexée avec la rémission des péchés, comme le moyen pour obtenir la rémission. Car à quel but tend S. Paul sinon qu’il confirme cette sentence, que par le bénéfice du Seigneur Jésus nos péchés nous sont pardonnés, donnant résolution aux objections contraires ? Or voici comment il le prouve, pour ce que les purgations ni toutes les cérémonies de la Loi, autant qu’il y en a, ne nous justifient point de nos péchés. Celui donc est justifié par Christ, qui est gratuitement absous du jugement et condamnation de mort éternelle, à laquelle il était sujet. C’est-ci la justice de la foi, quand Dieu nous répute justes, ne nous imputant point nos offenses. La seule propriété de ce mot est assez suffisante pour repousser les chicanes des Papistes, lesquels débattent que nous sommes justes, non point par pardon ni par imputation gratuite, mais par habitude et justice infuse. Par quoi ne souffrons point que cette suite que met ici S. Paul, soit vilainement et méchamment déchirée par eux, quand il dit que nous sommes justifiés de toutes choses, afin que nous soyons certains de la rémission de nos péchés.
Or maintenant il nous faut entendre qu’il oppose la Loi de Moïse à Jésus-Christ, considérée comme le principal moyen pour obtenir justice, s’il y en eût eu quelque autre que Jésus-Christ. Bien est vrai que S. Paul dispute des cérémonies mais il faut noter que rien n’a été omis en celles-ci, qui peut servir à ôter et effacer les péchés, et à apaiser l’ire de Dieu. Au reste, il n’y a point eu une seule de toutes les cérémonies de la Loi, qui ne tint l’homme astreint à la condamnation du péché, comme une obligation nouvelle ; comme S. Paul enseigne, Colossiens 2.14 : Quoi donc ? Certes Dieu a voulu assurer que les hommes étaient justifiés par la seule mort de son Fils ; d’autant qu’il a fait péché pour nous celui qui n’avait point connu péché, afin que nous fussions justice en lui, 2 Corinthiens 5.21. Dont s’ensuit qu’autant de satisfactions que les hommes ont controuvées, tendent à dépouiller Jésus-Christ de son honneur. Etre justifié en la Loi et en Christ, selon la phrase Hébraïque, vaut autant comme, être justifié par la Loi et par Christ.
De tout ce… Par ce mot est repoussée la méchante opinion des Papistes, par laquelle ils enseignent que le péché originel seulement, et les péchés actuels qui ont été commis devant le baptême, sont purement et gratuitement pardonnés par Jésus-Christ ; et quant aux autres, il les faut racheter par satisfactions. Mais au contraire saint Paul prononce ouvertement, que nous sommes justifiés de nos péchés par Jésus-Christ tout le cours de notre vie. Car il faut se rappeler que les cérémonies de la Loi ont été ordonnées aux Juifs, afin que tant l’utilité que l’usage d’celles-ci eût perpétuelle vigueur en l’Eglise, c’est-à-dire, que les Juifs sentissent par effet que ce n’était pas en vain que les purgations et purifications étaient journellement réitérées. Si la vérité et substance de toutes celles-ci est trouvée en Jésus-Christ, il s’ensuit qu’il n’y a point d’autre purgation pour effacer les péchés que la mort de celui-ci. Autrement il n’y aurait point de convenance entre cette mort et les figures anciennes. Les Papistes nous renvoient aux clefs et à la pénitence. Voire, comme si les cérémonies de la Loi n’avaient point été exercices pour méditer la pénitence ; et comme si la puissance des clefs ne leur avait point été annexée. Mais la foi des fidèles a été soutenue par telles aides, afin qu’ils eussent leur recours à la seule grâce du Médiateur. Ayons donc ceci pour tout résolu, que la justice qui nous est donnée en Jésus-christ, n’est point d’un jour ou d’une heure, mais perpétuelle ; en sorte que le sacrifice de sa mort nous réconcilie tous les jours à Dieu.
Quiconque croit. Saint Paul déclare comment les hommes jouissent de la justice du Seigneur Jésus ; à savoir quand ils la reçoivent par foi. Or nous n’obtenons point par aucuns mérites des œuvres ce que la foi obtient. Par quoi il n’y a point d’ambiguïté ou difficulté en la sentence de saint Paul, à savoir que la seule foi nous justifie ; laquelle sentence toutefois les Papistes combattent de tout leur pouvoir et opiniâtrement. Cependant il nous faut noter quelle est l’importance de ce mot Croire, lequel les Papistes trouvent maigre et de petite valeur ; mais c’est leur ignorance qui en est la cause. Il est vrai qu’il y a bien d’autres bénéfices de Jésus-Christ que nous recevons par foi. Car nous régénérant par son Saint Esprit, il répare l’image de Dieu en nous, et ayant crucifié notre vieil homme, il nous fait nouvelles créatures. Mais saint Luc s’est contenté d’exprimer seulement ce point, comment les hommes retournent en grâce avec Dieu, duquel ils sont aliénés par le péché ; d’autant que de là on peut facilement venir au reste.
Prenez donc garde qu’il ne vous arrive ce qui a été dit dans les prophètes :
Pour ce qu’il avait affaire avec gens endurcis et totalement obstinés, ou pour le moins il y en avait beaucoup en la compagnie gens revêches, comme s’il voulait rompre leur obstination à grands coups de marteau, il ajoute une répréhension avec la doctrine. Car si les Juifs eussent été dociles et faciles à rendre obéissance, il ne faut point douter qu’il se fût efforcé par douces paroles et gracieuses de les attirer à Christ. Mais ou leur nonchalance, ou leur obstination l’a contraint à se courroucer aigrement ; comme de fait, on doit ajourner au siège judicial de Dieu tous ceux qui ont la grâce du Seigneur Jésus en mépris ; et leur faut dénoncer le jugement horrible de la mort éternelle. Il est vrai qu’il signifie qu’il y a encore lieu de repentance, quand il les exhorte à se donner garde ; cependant toutefois il exhorte que s’ils n’avisent à eux de bonne heure, la vengeance horrible de Dieu n’est pas loin.
Ce qui est dit dans les Prophètes. Le passage qui est ici allégué, est pris du premier chapitre d’Habacuc ; mais pour ce que toutes les prophéties étaient recueillies en un corps ou volume, saint Paul dit que cela est écrit dans les Prophètes. Et il ne rapporte point les Paroles d’Habacuc de mot à mot, lesquelles il y a ainsi : Regardez entre les peuples, et voyez, soyez émerveillez et étonnés ; car il se fera une œuvre de votre temps que vous ne croirez point quand on vous la racontera. Saint Paul dit : Voyez, mépriseurs ; afin que les Juifs sachent que la vengeance faite une fois sur leurs Pères, est commune à tous contempteurs de la Parole. Comme s’il disait, Dieu n’estime pas moins aujourd’hui sa Parole, le mépris de laquelle il a puni si rigoureusement autre fois. Ainsi donc ce que dénonce le Prophète appartient à tous âges, afin que les contempteurs n’espèrent point maintenant éviter la vengeance horrible, que les autres ont autre fois expérimentée. Les Juifs se glorifiaient du Temple, ils se vantaient être le peuple de Dieu, étant enflés d’une méchante arrogance ils méprisaient toutes menaces. Saint Paul donc leur rappelle en mémoire les menaces que Dieu fait par ses Prophètes aux contempteurs.
Voyez, contempteurs, et soyez étonnés et disparaissez ; car je vais faire une œuvre en vos jours, une œuvre que vous ne croirez point, si quelqu’un vous la raconte.
Le sens est, que ceux qui refusent d’ajouter foi à la parole de Dieu, sentiront la main de celui-ci ; en sorte qu’étant convaincus finalement par peines et tourments, ils connaîtront qu’il a parlé à bon escient. On dit en commun proverbe : L’expérience est la maîtresse des fous. Ainsi le Seigneur rédargue les méchants par effet, et non seulement par paroles, afin qu’étant domptés par les maux, ils commencent à confesser sa grande vertu. Or quelle sorte de peine dénonce-t-il ? Pour ce (dit-il) que vous ne croyez point à ma Parole, je montrerai en vous une œuvre ou exemple qui sera incroyable à tous. Par lesquels mots il entend qu’il les punira d’une telle façon, que tout le monde en aura horreur. Car comme la rébellion contre Dieu est une attitude horrible et détestable ; aussi il ne se faut étonner si elle produit de soi des punitions monstrueuses. Gardons-nous donc qu’en ajoutant foi à la parole de Dieu, nous ne sentions sa main plus puissante que tous nos sens ne peuvent comprendre ; voire si puissante et pesante que tout le monde en soit émerveillé, et que nous aussi en soyons étonnés par la grande frayeur. Habacuc prophétise de la déconfiture faite par les Chaldéens ; mais la punition que Dieu a envoyée à cause du mépris de son Evangile, a été beaucoup plus énorme et grave. Et pourtant accoutumons-nous à craindre Dieu, et recevoir en humilité et révérence sa Parole, afin que rien de semblable ne nous advienne.
Et comme ils sortaient, ils les priaient de leur annoncer les mêmes choses le sabbat suivant.
On peut bien aussi lire en cette sorte : Et quittant la synagogue des Juifs ; et par aventure mieux à propos. Car il est vraisemblable qu’ils sont sortis hors, avant que la compagnie se sépare. Ce que même on peut bien recueillir de la déduction du texte ; car S. Luc ajoute bientôt après, que quand la compagnie fut partie de la synagogue, aucuns des Juifs suivirent Paul et Barnabas. Le sens donc est, que Paul et Barnabas sortirent hors ainsi que les Juifs étaient encore assemblés ; et alors les Gentils les prièrent qu’ils s’employassent pour eux cependant, et qu’il y eut depuis certains Juifs et quelques prosélytes qui vinrent à Paul, tant pour le désir qu’ils avaient d’apprendre, que pour rendre confession de leur foi. L’ancien traducteur Latin et Erasme ont tourné : Le Sabbat suivant ; en quoi ils me semblent n’avoir point entendu quelle était l’intention de saint Luc. Car vu qu’il est ici parlé des Gentils, je ne trouve point vraisemblable qu’ils choisissent un jour de Sabbat pour ouïr saint Paul et Barnabas. Car ce jour-là était assigné aux Juifs ; mais quant aux Gentils, ils avaient aussi bonne opportunité les autres jours. A quel propos donc différeraient-ils leur requête jusques au huitième jour ? Mais plutôt ils désirent d’ouïr Paul et Barnabas quand ils auront le loisir, et n’auront rien à faire avec les Juifs. Ainsi le Seigneur ne permet point qu’ils demeurent oisifs jusques à ce que le Sabat vienne, mais leur offre chez les Gentils de la besogne prête, en laquelle ils se puissent exercer.
Ils leur annonçassent les paroles. J’ai traduit selon le Grec, combien qu’aussi on le pourrait exposer, Ces paroles. Et selon ceci le sens serait tel, que Paul et Barnabas furent priés de traiter de ces choses mêmes entre les Gentils cette semaine-là. Au surplus, cependant que les Gentils cherchent de grand désir la première opportunité et occasion, les Juifs tout dégoûtés méprisent ce qui leur était proposé, sinon qu’aucuns d’entre eux se joignent à Paul et Barnabas. Or saint Paul exprime nommément les prosélytes ; lesquels ayant reçu la doctrine de la Loi, et adorant le Dieu d’Israël, n’étaient point enflés de cet orgueil qui empêchait les Juifs, à savoir quand ils présumaient d’eux-mêmes à cause de l’ancienneté de leur race.
Et quand l’assemblée fut dissoute, beaucoup de Juifs et de prosélytes pieux suivirent Paul et Barnabas, qui, s’entretenant avec eux, les persuadaient de rester attachés à la grâce de Dieu.
Le sens est douteux. Car on peut rapporter ceci aux Juifs et prosélytes ; à savoir qu’ils ont exhorté et averti Paul et Barnabas de ne perdre point courage, mais de persévérer hardiment en la grâce de Dieu. Et de fait, ils avaient bonne occasion de leur tenir ce propos ; car ils voyaient les combats qui leur étaient préparés ; et que pour cette cause ils avaient besoin de magnanimité et constance pour soutenir les assauts des adversaires. Par quoi ceci conviendra très bien, qu’étant embrasés de désir et de zèle de grandir, ils se sont efforcés de donner courage à Paul et Barnabas de persévérer. Que si nous rapportons ceci à Paul et Barnabas, le sens sera tel, que ceux qui étaient venus, n’ont été repoussés par eux, mais ont été bénignement recueillis et confirmés par sainte exhortation, à persister en la grâce qu’ils avaient reçue. Au demeurant, quant à ce mot de Grâce, il comprend en premier lieu la foi de l’Evangile ; puis après, les biens qui nous en viennent ; ou pour dire plus brièvement, la vocation à l’espérance du salut éternel.
Le sabbat suivant, presque toute la ville s’assembla pour entendre la parole de Dieu.
Le contact avec le peuple rend témoignage que Paul et Barnabas ne demeurèrent point oisifs entre les deux Sabats, et que leur labeur employé envers les Gentils n’a point été inutile. Car les affections du peuple étaient tellement préparées, que tous désiraient d’avoir plus ample connaissance du total ; ce qu’ils espéraient bien, si la chose était débattue entre les Juifs. Car on peut bien penser qu’ils n’étaient encore persuadés de recevoir la doctrine de l’Evangile sans contredit, mais qu’ils étaient venus en l’assemblée, d’un côté espérant, d’autre côté désirant.
Mais les Juifs, voyant ces foules, furent remplis de jalousie, et ils s’opposaient à ce que disait Paul, contredisant et blasphémant.
Ce n’est rien de nouveau que la rage des méchants s’embrase quand la clarté de l’Evangile luit de près ; et principalement quand ils voient que la vraie et bonne doctrine prend accroissement, ils se jettent en avant de plus grande impétuosité pour résister. Là où j’ai traduit Envie, il y a en Grec le mot de Zèle. Or on peut douter si par ce mot de Zèle, saint Luc entend qu’ils aient été émus d’une émulation perverse ou envie pour s’opposer à Paul et Barnabas (comme l’ambition est mère tant d’envie que de toutes contentions) ou bien s’il prend ce mot de Zèle, pour l’indignation conçue de là, qu’ils étaient marris que les Gentils fussent faits égaux au peuple de Dieu. Car ils tenaient pour une grande indignité, que le trésor sacré de la doctrine, qui était le propre héritage des enfants, fut proposé familièrement à toutes gens.
Contrariants et blasphémant. Etant échauffés d’un fort désir de résister, ils en viennent finalement à débiter des blasphèmes. C’est ainsi que Satan pousse les méchants jusques à cette fureur, qu’étant convaincus par raisons, ils dégorgent finalement des blasphèmes contre Dieu et sa vérité. D’autant plus nous faut-il garder soigneusement, que si un fol et exorbitante désir de contrarier nous transporte, quand la vérité de Dieu nous est simplement proposée, soudainement nous ne tombions en tel esclandre et forfait horrible.
Et Paul et Barnabas s’enhardissant, dirent : C’était à vous premièrement qu’il fallait annoncer la parole de Dieu ; mais puisque vous la rejetez, et que vous ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle, voici, nous nous tournons vers les païens ;
Saint Luc montre que tant s’en fallut que les serviteurs de Jésus-Christ Paul et Barnabas perdissent courage pour toute la rébellion et furieuse obstination de leurs ennemis, que pour cela même ils ont pris plus grande hardiesse de les tancer âprement. Car combien qu’ils les eussent déjà piqués d’un âpre aiguillon, toutefois encore les épargnaient-ils aucunement. Mais maintenant quand ils voient qu’ils rejettent Jésus-Christ avec obstination, aussi de leur côté ils les excommunient et bannissent du Royaume de Dieu. Or nous sommes enseignés par cet exemple, qu’il ne faut user de sévérité extrême, sinon contre ceux qui sont complètement désespérés. Au reste, tant plus que les réprouvés s’égaient audacieusement pour opprimer la vérité, tant plus devons-nous prendre de liberté et hardiesse. Car il faut que les serviteurs de Dieu soient munis de hardiesse et constance du Saint Esprit, à ce qu’ils ne quittent jamais la place au diable ni à ses suppôts ; comme aussi le Seigneur commande à Jérémie d’avoir un front de fer pour combattre les méchants.
Il vous fallait premièrement annoncer, etc. Il les blâme d’ingratitude ; que combien que Dieu les eût élus d’entre tous les peuples auxquels Christ se présentât, toutefois ils rejettent malicieusement un bénéfice tant excellent. Or il explique au premier membre le degré d’excellence et d’honneur auquel Dieu les avait élevés ; puis après s’ensuit la reproche, que de leur propre gré ils déboutent une grâce si singulière. Dont il conclut que le temps est venu, auquel il faut que l’Evangile soit transporté aux Gentils. Quant à ce qu’il dit qu’il fallait que premièrement il leur fut annoncé, cela appartient proprement au temps du règne de Christ. Car sous la Loi avant la manifestation du Seigneur Jésus, les Juifs non seulement étaient premiers, mais seuls. Et pourtant Moïse les appelait royaume sacerdotal, et héritage de Dieu, Exode 19.5-6. Mais l’adoption de Dieu résidait tellement entre eux seuls sans que mention fut faite des Gentils, qu’à l’avènement de Jésus-Christ il a fallu encore qu’ils aient été préférés aux Gentils. Car combien que Jésus-Christ ait réconcilié le monde à son Père, toutefois les Juifs qui étaient déjà prochains de Dieu et de sa famille, ont été les premiers en ordre. C’était donc l’ordre légitime, que les apôtres assemblassent l’Eglise, premièrement des Juifs, puis après des Gentils ; comme il a été vu ci-dessus au chap. 1 et autres passages. Ainsi la société des Gentils n’ôtait point le droit de primogéniture aux Juifs, tellement qu’ils ne fussent les premiers en l’Eglise. Selon cette raison saint Paul dit que la justice de Dieu est manifestée en l’Evangile, premièrement aux Juifs, puis après aux Grecs, Romains 1.16. Une si grande excellence de grâce que Dieu leur avait faite, aggrave l’énormité de leur péché, quand ils rejettent ce qui leur est offert tant bénignement. Pour cette cause il ajoute, qu’ils se jugent eux-mêmes être indignes de la vie éternelle. Car comme ainsi soit que la réjection de l’Evangile est le renoncement de la justice de Dieu, il n’est besoin d’aller chercher un autre juge pour condamner les incrédules.
Mais puis que vous la déboutez. Il semble que S. Paul ne déduit pas bien son argument. Car premièrement, pour faire que les Gentils fussent admis à l’espérance de salut, il n’était point nécessaire que les Juifs en fussent exclus. D’avantage, il était plutôt convenable que les Juifs ayant les premiers reçu l’Evangile, donnassent le second lieu aux Gentils. Mais S. Paul parle comme s’ils n’eussent pu être unis en un même corps ; et comme si l’Evangile n’eût pu parvenir aux Gentils, qu’il n’eût été rejeté des Juifs. Aussi avant qu’il eût expérimenté une telle rébellion et opiniâtreté, n’était-il point ordonné apôtre des Gentils ? Pourquoi donc attend-il jusques à maintenant de se retirer aux Gentils, comme si leur vocation dépendait de l’infidélité du peuple élu ? Je réponds que ce mot de Se tourner, a quelque véhémence. Car il signifie qu’il est maintenant du tout détourné des Juifs pour s’adonner entièrement aux Gentils. Si les Juifs fussent demeurés fermes en leur degré, il n’eût point été besoin à S. Paul de se tourner ainsi ; mais ayant reçu les Juifs en son giron, il eût en même temps tiré les Gentils d’une suite et ordre continuel, et les eût embrassés tous ensemble. Maintenant quand les Juifs tournent le dos et se retirent de son ministère, il ne les peut regarder d’une même vue avec les Gentils. Ainsi les laissant là, il est contraint de prendre soin des Gentils, et s’y employer du tout. Si donc les Juifs ne se fussent aliénés de l’Eglise, la vocation des Gentils eût été telle que les Prophètes la décrivent : En ce jour-là sept étrangers empoigneront un homme Juif par le manteau, et diront, Nous cheminerons avec vous ; car Dieu est entre vous. Mais maintenant les Gentils ont été appelés par accident et d’une nouvelle façon ; d’autant que les Juifs étant rejetés, les Gentils ont trouvé la possession vide, en laquelle ils sont entrés. Ils devaient être associés avec les Juifs ; mais depuis que les Juifs ont été retranchés et exterminés, ils ont été substitués en leur place. Par ce moyen la mort des Juifs a été la vie des Gentils, comme dits. Paul, (Romains 11.12, 15, 24) et les branches naturelles étant coupées, les sauvageons ont été entés sur la racine sainte, jusques à ce que Dieu finalement les ente sur leur première racine, et les remette en vie, afin que l’Israël de Dieu étant recueilli de toutes parts, soit sauvé.
car le Seigneur nous l’a ainsi commandé : Je t’ai établi pour être la lumière des nations, afin que tu sois en salut jusqu’aux extrémités de la terre.
Ce passage est pris de Esaïe 49.6 ; où toutefois Dieu adresse sa parole à son Fils plutôt qu’aux apôtres. Mais il nous faut observer que l’Ecriture attribue plusieurs choses à Jésus-Christ, lesquelles appartiennent aux ministres de celui-ci ; je dis expressément beaucoup de choses, et non pas toutes. Car il y a des titres propres à la personne de Jésus-Christ, desquels si on voulait orner les ministres, ce serait une impiété et sacrilège. Jésus-Christ est appelé notre justice ; d’autant que lui seul a été sacrifice et hostie de purgation, et lui seul nous a apaisé le Père par sa mort ; et puis après est ressuscité, afin qu’ayant victoire sur la mort il nous acquît la vie éternelle. Ainsi donc toute la substance de notre salut réside en la personne de Jésus-Christ. Mais en tant qu’il travaille par ses ministres, les faisant comme ses lieutenants, il leur communique aussi ses titres. En ce rang est comprise la prédication de l’Evangile. Il est bien vrai que le Père céleste nous l’a ordonné pour notre seul Docteur ; mais lui aussi a commis et substitué des Pasteurs et Ministres, afin qu’ils parlent comme par sa bouche. Et ainsi l’autorité lui demeure entière, et néanmoins il est entendu en ses Ministres. Saint Paul donc accommode bien à propos à soi le témoignage d’Esaïe, quand il est question de publier l’Evangile.
Je t’ai ordonné pour être la lumière, etc Il semble qu’il soit là parlé d’un telle vocation des Gentils, qu’elle n’attire point avec soi la réjection du peuple ancien. Car plutôt Dieu fait une société entre les Gentils étrangers et les Juifs qui avaient été auparavant de sa famille. Ce m’est peu de chose (dit-il) que tu me sois ministre pour enseigner Israël ; d’autant que je t’ai constitué et ordonné pour être lumière des Gentils. Il semble bien certes que Dieu commence son Eglise par les enfants d’Abraham, et que puis après il tende la main aux Gentils afin qu’ensemble ils fassent une Eglise par un même consentement de foi. Or toutefois saint Paul allègue cette prophétie, comme si elle n’eût pu être accomplie que les Juifs ne fussent rejetés. Car il signifie que la lumière de Jésus-Christ a été allumée aux Gentils, après que les Juifs ont été jetés en ténèbres de mort. A cela je réponds qu’on ne peut pas conclure de la déduction du texte, que saint Paul affirme que les Gentils ne dussent être illuminés, que premièrement la lumière n’eut été éteinte aux Juifs. Car le sens peut être tel, vu que vous vous êtes privés vous-mêmes de la vie éternelle, il ne faut pas que vous pensiez que la grâce de Dieu soit profanée, si en vous laissant derrière nous prenons la charge des Gentils. Car le Messie n’a point été donné à vous seuls, mais a été ordonné en salut à tout le monde, comme il est écrit : Je t’ai ordonné pour être la lumière des Gentils, etc. néanmoins si nous regardons de plus près le passage du Prophète Esaïe, il est certain qu’on y trouvera la réjection du peuple ancien enclose. Car Dieu prononce ouvertement qu’il se montrera glorieux et magnifique au ministère de son Fils, quand encore Israël ne sera point recueilli. Puis après il ajoute comme par forme d’explication, que la vertu de Jésus-Christ ne sera restreinte à un peuple ; pour ce que sa lumière répandra ses rayons en salut jusques aux derniers bouts du monde. Il semble que S. Paul dénote cette occasion de la vocation des Gentils ; à savoir d’autant que ne trouvant point de matière entre les Juifs pour s’exercer, il a entièrement destiné son labeur aux Gentils. Dans les paroles du Prophète il nous faut noter ceci en passant, que le salut est mis après la lumière, selon ce que dit notre Seigneur Jésus, C’est-ci la vie éternelle, de te connaître seul vrai Dieu, etc. Jean 18.3. Car si par la seule connaissance de Dieu on obtient salut, voici aussi la seule résurrection de la damnation de la mort éternelle, qu’étant délivrés des ténèbres d’ignorance, nous soyons illuminés en la foi du Seigneur Jésus.
Les païens, entendant cela, étaient dans la joie et glorifiaient la parole du Seigneur ; et tous ceux qui étaient destinés à la vie éternelle crurent.
L’occasion et matière de joie qu’ont eu les Gentils, a été qu’ils ont entendu que ce n’a point été soudainement qu’ils ont été appelés à l’espérance de salut, comme si cela n’eût point été auparavant décrété de Dieu ; mais que maintenant est finalement accompli ce qui avait été prédit longtemps auparavant. Car ce n’était point une petite confirmation de foi, que le salut leur avait été promis à la venue de Jésus-Christ. Et par cela aussi est advenu qu’ils ont reçu l’Evangile plus ardemment, et en plus grande révérence. Ce mot glorifier la parole de Dieu, peut être exposé en deux sortes ; ou qu’ils ont connu que la prophétie d’Esaïe était véritable, ou qu’ils ont reçu par foi la doctrine qui leur était proposée. quoi qu’il en soit, ici est dénoté un plein consentement ; car ils ne marchandent plus, et ne sont plus en doute voyant la victoire de saint Paul. Et de fait, lorsque nous rendons à la parole de Dieu tel honneur qui lui appartient, quand nous-nous soumettons à celle-ci en toute obéissance par foi ; comme on ne lui pourrait faire plus grand outrage, que quand on ne lui ajoute point de foi. Au reste, nous voyons que la dureté et obstination laquelle les Gentils voient dans les Juifs, ne les a point empêchés de se rendre disciples de Jésus-Christ. Nous aussi quand nous voyons que l’obstination des méchants nous pourrait tellement scandaliser que ce serait pour nous fermer la porte, apprenons à avoir une semblable magnanimité que nous voyons en ceux-ci, pour mépriser et fouler aux pieds l’orgueil des méchants.
Et tous ceux qui étaient ordonnés, etc. C’est l’exposition du membre précédent, pour le moins selon mon jugement. Car saint Luc montre quelle gloire ils ont donnée à la parole de Dieu. Au demeurant, il nous faut noter la restriction qu’il met, qu’ils ont cru, non pas tous sans exception, mais ceux qui étaient ordonnés à vie. Or il ne faut point douter que saint Luc n’appelle Ordonnés, ceux qui étaient élus par l’adoption gratuite de Dieu. Car c’est une chicane ridicule de rapporter ceci à l’affection des croyants ; comme s’ils avaient reçu l’Evangile, pour ce qu’ils avaient les cœurs bien disposés. Car cette ordination ne peut être entendue sinon du conseil éternel de Dieu. Et saint Luc ne dit point qu’ils fussent ordonnés à la foi ; mais à la vie, d’autant que Dieu prédestine ses fidèles à l’héritage de la vie éternelle. Or ce passage nous remontre que la foi dépend de l’élection de Dieu. Et certes vu que tout le genre humain est aveugle et obstiné, ces maladies sont enracinées et résident en notre nature, jusques à ce qu’elles soient corrigées par la grâce du Saint Esprit. Or cette correction ne découle que de la fontaine de l’élection. Car quand de deux hommes il y en aura un qui se rendra docile, et l’autre persévérera en sa malice et obstination, qui toutefois aura entendu la même doctrine que le premier, ce n’est pas qu’ils soient différents de nature, mais pour ce que le premier est illuminé de Dieu, et que Dieu ne fait point cette grâce au second. Bien est vrai que par la foi nous sommes faits enfants de Dieu ; et la foi est la porte et le commencement de salut quant au regard de nous. Mais si nous venons au regard de Dieu, il est plus haut. Car il ne commence point à nous élire dès lors que nous croyons ; mais il scelle en nos cœurs par le don de la foi son adoption qui est secrète et cachée, à ce qu’elle soit manifeste et certaine. Car si c’est un bien spécial et propre aux enfants de Dieu d’être ses disciples, il s’ensuit qu’il n’appartient pas également à tous les enfants d’Adam. Par quoi il ne se faut pas étonner si tous ne reçoivent indifféremment l’Evangile. Car combien que Dieu invite tous à la foi par la voix extérieure d’un homme, toutefois il n’appelle point avec efficace par son Esprit et sa grâce, sinon ceux qu’il a délibéré de sauver. Or maintenant si l’élection de Dieu par laquelle il nous ordonne à vie, est la cause de foi et de salut, que restera-il à attribuer à notre dignité ou à nos mérites ? Retenons donc ce que dit saint Luc, que ceux qui par foi étant entés au corps de Jésus-Christ, reçoivent les arrhes et le gage de leur adoption en Jésus-Christ, étaient auparavant ordonnés à vie. Et de ceci aussi nous pouvons bien recueillir quel fruit peut apporter de soi la prédication de l’Evangile. Car elle ne rencontre point la foi es hommes, sinon d’autant que Dieu appelle au dedans ceux qu’il a élus, et tire à Jésus-Christ ceux qui étaient siens auparavant.
Par ces mêmes paroles saint Luc aussi enseigne qu’il ne se peut faire qu’aucuns des élus périssent. Car il dit, qu’autant qu’il y en avait d’élus, ils crurent, et non point un seulement, ou quelque petit nombre. Car combien que l’adoption de Dieu nous soit inconnue, jusques à ce que nous la sentions par foi, néanmoins elle n’est point douteuse en son conseil particulier ; d’autant que tous ceux qu’il tient pour siens, il les met en la protection et sauvegarde de son Fils, lequel en sera fidèle gardien jusques à la fin. Or il est bien nécessaire que nous entendions ces deux membres. Quand l’élection est mise pardessus la foi, il n’y a rien entièrement que les hommes se doivent attribuer en quelque partie de leur salut tant petite soit-elle. Car si la foi en laquelle consiste le salut, laquelle nous rend témoignage de l’adoption gratuite de Dieu, laquelle nous conjoint au Fils de Dieu, et fait que sa vie soit notre, par laquelle nous possédons Dieu avec sa justice, et finalement par laquelle nous recevons la grâce de sanctification, est fondée hors de nous au conseil éternel de Dieu, il faut nécessairement que tout ce que nous avons de biens et dons soit attribué à la grâce de Dieu, par laquelle il nous prévient le premier. D’autre part, pour autant qu’il y en a plusieurs qui s’entortillent d’imaginations perplexes et scabreuses, en allant chercher curieusement leur salut au conseil secret de Dieu, apprenons que la cause pourquoi l’élection de Dieu est approuvée par la foi, c’est afin que nos entendements se dressent au Seigneur Jésus, comme au gage et arrhe de notre élection ; et qu’ils ne cherchent autre certitude que celle qui nous est manifestée en l’Evangile. Contentons-nous (dis-je) de ce sceau, que quiconque croit au Fils unique de Dieu, a la vie éternelle, Jean 3.36.
Or la parole du Seigneur se répandait par toute la contrée.
Saint Luc explique ici l’avancement de l’Evangile. En quoi il apparaît combien est véritable la parabole de notre Seigneur Jésus, quand il dit que l’Evangile est semblable au levain, Luc 13.21. Nous avons vu ci-dessus qu’il y eut grande assemblée de peuple, en sorte que la semence de la vraie doctrine fut répandue par toute la ville ; maintenant saint Luc dit qu’elle a été répandue plus loin, à savoir par toute la contrée. Cependant il raconte que cela n’a point été fait sans grand travail et fâcherie. Les commencements donc de la vocation des Gentils ont été joyeux et heureux ; et Satan n’a pu empêcher le cours de la grâce de Dieu ; mais cependant il a fallu que Paul et Barnabas, lesquels Dieu avait mis en avant comme ses bons champions, aient combattu. Or il nous faut noter ce que saint Luc explique, que quelques femmes dévotes et honnêtes ont été poussées avec les principaux de la ville à persécuter les fidèles serviteurs de Jésus-Christ. Car ce n’était point un petit scandale pour les rudes, et qui a grand peine étaient engendrés en Jésus-Christ, quand ils voient que tous tant hommes que femmes qui étaient prisés et honorés, et qui étaient dignes de louange selon les hommes, s’opposaient à Jésus-Christ. Une grande troupe du peuple avait reçu le Seigneur Jésus ; mais c’était le commun populaire seulement, et les moindres des hommes, par manière de dire. Voyez au contraire, il y avait les principaux de la ville, qui pouvaient facilement effacer par leur splendeur les petits, et tout le commun populaire. D’avantage, ceci pouvait rendre la doctrine suspecte, voire odieuse, que quelques femmes honnêtes et dévotes en apparence l’avaient en haine. Si quelques garnements de méchante vie sortaient de quelque creux ou cabaret, si des troupeaux de putains et paillardes sortaient du bordel pour s’élever contre l’Evangile, cela n’apporterait aucun discrédit sur l’Evangile, mais plutôt la dignité de celui-ci reluirait plus clairement pour cela. Mais maintenant que peuvent penser les infirmes et les rustres, sinon que la doctrine qui a de tels ennemis, n’est point de Dieu ? Il fallait donc nécessairement, que non seulement les fidèles qui étaient bien tendres encore et apprentis, fussent confirmés par le Seigneur, afin que leur foi ne fut renversée, mais aussi qu’il tendît la main à Paul et Barnabas, afin qu’ils ne perdissent courage, et ne quittassent là tout.
Au reste, Dieu a voulu que nous fussions enseignés par cet exemple, que nous devons constamment résister contre tels scandales, et nous garder soigneusement que quelques vaines masques de vertus ne nous éblouissent les yeux, en sorte que ne puissions voir la gloire du Seigneur Jésus reluisante en l’Evangile. Car il est bien certain que tout ce qu’on pourra forger de vertus et honnêteté dans les hommes, n’est qu’une pure hypocrisie quand ils s’opposent à Jésus-Christ. Combien qu’il se peut bien faire qu’aucuns pour quelque temps seront animés d’un zèle inconsidéré contre le Seigneur Jésus, qui puis après viendront à se repentir. Néanmoins il nous faut avoir ceci pour résolu, que quelque belle apparence de sainteté et honnêteté que puissent avoir ceux qui résistent à l’Evangile, ils n’ont point toutefois une vraie et ferme crainte de Dieu ; et toutes les vertus desquelles ils font ostentation, ne sont qu’ombres décevantes. Et de fait, cette louange n’est point en vain attribuée à notre Seigneur Jésus, qu’il révèle les pensées des cœurs de plusieurs, Luc 2.35.
Dévotes ou religieuses. Mais quelle pouvait être la religion, où il n’y avait aucune révérence à la parole de Dieu ? Il nous faut noter qu’il y a quatre sortes de gens. Premièrement, tout ainsi qu’il y en a bien peu qui servent et honorent Dieu purement et en vraie rondeur de cœur ; aussi y en a-t-il bien peu qui fassent profession ouverte d’être contempteurs de celui-ci. Voilà déjà deux ordres. Mais la plus grande part n’est point du tout sans religion, et a quelque appréhension du commun service de Dieu ; cependant toutefois s’acquittant bien froidement envers Dieu, et comme se jouant avec lui, ne laissent point d’être du tout profanes quand on les examinera bien au vif. Comme aujourd’hui l’impiété de beaucoup de gens est complètement cachée sous des cérémonies et une profession fardée du service de Dieu. Ainsi en tous âges il y a eu des gens montrant en apparence externe quelque affection à servir Dieu, desquels toute la sainteté consistait en mines et vaines paroles. Du temps de saint Paul tout ainsi qu’aujourd’hui il y en avait aucuns en petit nombre, dans lesquels quelque zèle particulier de piété se montrait ; desquels combien que la religion fut impure, et le cœur feint, décevant et double, nonobstant ils étaient réputés certainement dévots sous couleur de leur zèle, combien qu’il soit inconsidéré. Mais il apparaît par ceci de quoi sert la religion nue, qu’on appelle dévotion, laquelle pousse d’une ardeur déréglée ceux qui la suivent, à batailler contre le Royaume de Dieu, et opprimer la gloire de celui-ci. Au reste, il est vraisemblable que ces femmes, combien qu’elles ne se fussent pas du tout rangées à la religion des Juifs, et ne fussent instruites en la doctrine de la Loi, étaient toutefois à demi Juives, et que cela fit qu’elles prirent tant volontiers la cause de la nation. Car voilà, témoin saint Paul, comment les femmes chargées de péchés sont menées ça et là captives, 2 Timothée 3.6.
Mais les Juifs excitèrent les femmes dévotes de distinction et les principaux de la ville, et ils provoquèrent une persécution contre Paul et Barnabas, et les chassèrent de leur territoire.
Mais ceux-ci, ayant secoué la poussière de leurs pieds contre eux, allèrent à Iconium.
On peut bien recueillir même par le commandement du Seigneur Jésus, que ceci était un signe d’exécration entre les Juifs, Mathieu 10.14 ; Luc 9.5 ; 10.11. Car il n’est pas vraisemblable que Jésus-Christ ait voulu qu’ils usassent d’un signe inconnu ; vu que son intention était d’étonner et effrayer les contempteurs manifestes de sa doctrine. Au reste, il voulait par ce moyen donner à connaître que les méchants qui résistent à la vraie piété sont si abominables à Dieu, que nous nous devons garder soigneusement que nous n’ayons rien de commun avec eux afin que nous ne tirions à nous quelque contagion de leurs vilaines ordures. Cela est bien dit de tous les méchants, qu’ils polluent la terre sur laquelle ils marchent ; mais le Seigneur n’a point ordonné ni commandé en lieu que ce soit qu’on ait en exécration si grande autres que les contempteurs de sa parole. Or si on eût du excommunier quelque adultère ou fornicateur, ou ivrogne, ou quelque parjure ou meurtrier, ou quelque séditieux, on n’eut point usé de ce signe. Il apparaît donc combien est intolérable à Dieu le mépris de sa parole. Car quand il commande qu’on secoue la poudre des pieds, c’est autant comme s’il prononçait qu’ils sont esclaves de Satan, et hommes perdus et désespérés, et dignes d’être raclés de dessus la terre. Et pourtant, qu’une si grande sévérité nous apprenne à porter révérence à l’Evangile. D’avantage, les ministres de l’Evangile sont enseignés de quelle affection ardente, et de quel zèle ils doivent maintenir la majesté de la parole, afin qu’ils ne dissimulent pas froidement le mépris de celle-ci.
Et les disciples étaient remplis de joie et d’Esprit saint.
On peut exposer ceci en deux sortes, qu’ils ont été remplis de joie et de l’Esprit, c’est à savoir en cette sorte : De joie de l’Esprit, c’est-à-dire de joie spirituelle ; d’autant que la conscience ne peut recouvrer repos, ni joie, ni liesse que par l’Esprit de Dieu. Pour laquelle raison saint Paul dit que le Royaume de Dieu est justice, paix et joie au Saint Esprit, Romains 14.17. Ou bien en cette sorte, que ce mot d’Esprit contienne en soi les autres vertus et dons. Toutefois ce sens me plaît plus, qu’ils ont été remplis de joie, pour ce que la grâce du Saint Esprit régnait en eux, laquelle seule nous réjouit vraiment et entièrement, voire en sorte qu’elle nous élève haut par-dessus tout le monde. Car il faut regarder ce que saint Luc a voulu dire ; à savoir que tant s’en faut que les fidèles aient été troublés ni étonnés de ces scandales si énormes, de la honte qu’on faisait à leurs docteurs, de l’émotion de la ville, des effrois et menaces, de la crainte aussi, des dangers éminents, qu’ils méprisaient hardiment par la hautesse et magnanimité de leur foi, la splendeur tant de cette fausse sainteté, que de la puissance des grands. Et de fait, si notre foi est fondée en Dieu comme il appartient, si elle a pris vives et profondes racines en sa parole, finalement si elle est munie de l’aide du Saint Esprit comme il faut, elle entretiendra en nos cœurs paix et une joie spirituelle, voire quand tout le monde serait plein de troubles et orages.