Histoire de la Réformation du seizième siècle

10.2

Victoire du pape – Mort de Léon X – Oratoire du divin amour – Adrien VI – Plan de réforme – Opposition

Tandis que ces choses se passaient en Espagne, Rome elle-même semblait prendre un caractère plus sérieux. Le grand patron de la musique, de la chasse et des fêtes, disparaissait du trône pontifical, pour faire place à un moine pieux et grave.

Léon X avait ressenti une grande joie en apprenant l’édit de Worms et la captivité de Luther ; aussitôt, en signe de sa victoire, il avait fait livrer aux flammes l’image et les écrits du Réformateurb. C’était la seconde ou la troisième fois que la papauté se donnait cet innocent plaisir. En même temps, Léon X, voulant témoigner sa reconnaissance à Charles-Quint, réunit son armée à celle de l’Empereur. Les Français durent quitter Parme, Plaisance, Milan ; et le cousin du pape, le cardinal Jules de Médicis, entra dans cette dernière ville. Le pape allait ainsi se trouver au faîte de la puissance.

b – Comburi jussit alteram vultus in ejus statua, alteram animi ejus in libris. (Pallav. I. 128.)

C’était au commencement de l’hiver de l’an 1521 ; Léon X avait coutume de passer l’automne à la campagne. On le voyait alors quitter Rome sans surplis, et, ce qui est encore bien plus scandaleux, dit son maître des cérémonies, avec des bottes. Il chassait au vol à Viterbe, au cerf à Corneto ; le lac de Bolsena lui offrait les plaisirs de la pêche ; puis il allait passer quelque temps au milieu des fêtes à Malliana, son séjour favori. Des musiciens, des improvisateurs, tous les artistes dont les talents pouvaient égayer cette délicieuse villa, y entouraient le souverain pontife. C’était là qu’il se trouvait au moment où on lui apporta la nouvelle de la prise de Milan. Aussitôt grande agitation dans la villa. Les courtisans et les officiers ne se contiennent pas de joie ; les Suisses tirent des coups de carabine, et Léon, hors de lui, se promène toute la nuit dans sa chambre, regardant souvent de la fenêtre les réjouissances des Suisses et du peuple. Il revint à Rome, fatigué, mais dans l’ivresse. A peine était-il de retour au Vatican, qu’un mal soudain se déclare. « Priez pour moi, » dit-il à ses serviteurs. Il n’eut pas même le temps de recevoir le saint sacrement, et mourut à la force de l’âge (quarante-sept ans), à l’heure du triomphe et au bruit des fêtes.

Le peuple fit entendre des invectives en accompagnant le cercueil du souverain pontife. Il ne pouvait lui pardonner d’être mort sans sacrements et d’avoir laissé des dettes à la suite de ses grandes dépenses. « Tu es parvenu au pontificat comme un renard, disaient les Romains ; tu t’y es montré comme un lion, et tu l’as quitté comme un chien. »

Tel fut le deuil dont Rome honora le pape qui excommunia la Réformation et dont le nom sert à désigner l’une des grandes époques de l’histoire.

Cependant une faible réaction contre l’esprit de Léon et de Rome avait déjà commencé dans Rome même. Quelques hommes pieux y avaient fondé un oratoire, pour leur édification communec, près du lieu où la tradition assure que se réunirent les premières assemblées des chrétiens. Contarini, qui avait entendu Luther à Worms, était le principal de ces prêtres. Ainsi commençait à Rome, presque en même temps qu’à Wittemberg, une espèce de Réformation. On l’a dit avec vérité : partout où il y a des germes de piété, il y a aussi des germes de réforme. Mais ces bonnes intentions devaient se dissiper bientôt.

c – Si unirono in un oratorio, chiamato del divino amore, circa sessanta di loro. (Caracciolo, Vita da Paolo IV. MS. Ranke.)

En d’autres temps, pour succéder à Léon X, on eût choisi un Grégoire VII, un Innocent III, s’ils se fussent trouvés toutefois : mais l’intérêt de l’Empire allait maintenant avant celui de l’Église, et il fallait à Charles Quint un pape qui lui fût dévoué. Le cardinal de Médicis, plus tard pape sous le nom de Clément VII, voyant qu’il ne pouvait encore obtenir la tiare, s’écria : « Prenez le cardinal de Tortose, homme âgé, et que chacun regarde comme un saint. » Ce prélat, né à Utrecht, au sein d’une famille bourgeoise, fut en effet élu et régna sous le nom d’Adrien VI. Il avait autrefois été professeur à Louvain, puis il était devenu précepteur de Charles, et avait été revêtu, en 1517, par l’influence de l’Empereur, de la pourpre romaine. Le cardinal de Vio appuya la proposition. « Adrien a eu une grande part, dit-il, à la condamnation de Luther par les docteurs de Louvaind. » Les cardinaux, fatigués, surpris, nommèrent cet étranger ; mais bientôt, revenus à eux-mêmes, ils en furent, dit un chroniqueur, comme morts d’épouvante. La pensée que le rigide Néerlandais n’accepterait pas la tiare, leur donna d’abord quelque soulagement ; mais cet espoir dura peu. Pasquin représenta le pontife élu, sous la figure d’un maître d’école, et les cardinaux sous celle de jeunes garçons qu’il châtie. Le peuple fut dans une telle colère, que les membres du conclave durent se trouver heureux de n’être pas jetés à la rivièree. En Hollande, au contraire, on témoigna par de grandes démonstrations la joie qu’on ressentait de donner un pape à l’Eglise. « Utrecht a planté ; Louvain a arrosé ; l’Empereur a donné l’accroissement, » écrivait-on sur des tapisseries suspendues en dehors des maisons. Quelqu’un écrivit au-dessous ces mots : « Et Dieu n’y a été pour rien ! »

d – Doctores Lovanienses accepisse consilium a tam conspicuo alumno. (Pallav. p. 136.)

e – Sleidan, Hist. de la Ref. I. 124.

Malgré le mécontentement exprimé d’abord par le peuple de Rome, Adrien VI se rendit dans cette ville au mois d’août 1522, et il y fut bien reçu. On se disait qu’il avait plus de cinq mille bénéfices à donner, et chacun comptait en avoir sa part. Depuis longtemps le trône papal n’avait été occupé par un tel pontife. Juste, actif, savant, pieux, simple, de mœurs irréprochables, il ne se laissait aveugler ni par la faveur, ni par la colère. Il était dans la voie moyenne d’Érasme. Celui-ci lui écrivant un jour l’assurait qu’on trouverait facilement dans les épîtres de saint Paul cent passages en tout semblables à ceux que l’on condamnait dans les écrits de Luther. Adrien, tout pape qu’il était, n’était peut-être pas fort éloigné d’une pensée si hardie. Dans un livre réimprimé à Rome, sous son pontificat, il dit : « Il est certain que le pape peut se tromper dans les choses qui touchent la foi, et soutenir l’hérésie par ses conclusions ou ses décrétalesf. » Voilà, certes, pour un pape, une assertion remarquable ; et si les docteurs ultramontains répondent qu’Adrien s’est trompé sur ce point, ils affirment par cela même ce qu’ils nient, savoir : la faillibilité des pontifes romains.

f – Certum est quod (Pontifex) potuit errare in iis quæ tangunt fidem, hæresim per suam determinationem aut decretalem asserendo. (Comm. in lib. 4. Sententiarum Quest. de Sacr. Confirm. Romæ, 1522 folio.)

Adrien arriva au Vatican avec son ancienne gouvernante, qu’il chargea de continuer à pourvoir humblement à ses modiques besoins, dans le palais magnifique que Léon avait rempli de son luxe et de ses dissipations. Il n’avait aucun des goûts de son prédécesseur. Comme on lui montrait le magnifique groupe de Laocoon, retrouvé depuis quelques années, et acquis à grand prix par Jules II, il s’en détourna froidement en disant : « Ce sont les idoles des païens ! J’aimerais bien mieux, écrivait-il, servir Dieu dans ma prévôté de Louvain, qu’être pape à Rome. »

Adrien, frappé des dangers dont la Réformation menaçait la religion du moyen âge, et non, comme les Italiens, de ceux auxquels elle exposait Rome et sa hiérarchie, désirait sérieusement la combattre et l’arrêter, et le meilleur moyen pour y réussir lui paraissait une réforme de l’Église, opérée par l’Église elle-même. « L’Église a besoin d’une réforme, disait-il, mais il faut y aller pas à pas. » — « L’opinion du pape, dit Luther, est qu’entre deux pas il faut mettre quelques siècles. » En effet. il y avait des siècles que l’Église marchait vers une réformation. Il n’y avait plus lieu de temporiser ; il fallait agir.



Adrien VI

Fidèle à son plan, Adrien entreprit d’éloigner de la ville les impies, les prévaricateurs, les usuriers ; ce qui n’était pas chose facile : car ils formaient une partie considérable de la population.

D’abord les Romains se moquèrent de lui ; bientôt ils le haïrent. La domination sacerdotale, les profits immenses qu’elle rapportait, la puissance de Rome, les jeux, les fêtes, le luxe qui la remplissaient, tout était perdu sans retour, si l’on retournait aux mœurs apostoliques.

Le rétablissement de la discipline rencontra surtout une énergique opposition, Pour y parvenir, dit le cardinal grand pénitencier, il faudrait d’abord rétablir la ferveur des chrétiens. Le remède passe les forces du malade et lui donnera la mort. Tremblez que pour vouloir conserver l’Allemagne, vous ne perdiez l’Italieg. » En effet, Adrien eut bientôt plus à redouter le romanisme que le luthéranisme lui-même.

g – Sarpi, Hist. Concile de Trente, p. 20.

On s’efforça de le faire rentrer dans la voie qu’il voulait quitter. Le vieux et rusé cardinal Soderin de Volterre, familier d’Alexandre VI, de Jules II et de Léon Xh, faisait souvent entendre à l’honnête Adrien des mots propres à le mettre au fait du rôle, si nouveau pour lui, qu’il était appelé à remplir. Les hérétiques, lui dit-il un jour, ont de tout temps parlé des mœurs corrompues de la cour de Rome, et néanmoins jamais les papes ne les ont changées. » — Ce n’est jamais par des réformes, dit-il en une autre occasion, que les hérésies ont jusqu’ici été éteintes ; c’est par des croisades. » — Ah ! répondait le pontife en poussant un profond soupir, que la condition des papes est malheureuse, puisqu’ils n’ont pas même la liberté de faire le bieni ! »

h – Per longa esperienza delle cose del mundo, molto prudente e accorto. (Nardi. Hist. Fior. lib. 7.)

i – Sarpi, Hist. Concile de Trente, p. 21.

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