La théologie wesleyenne est essentiellement une théologie biblique. Wesley ne demande pas seulement à la Bible le texte de ses sermons ; il y puise toute la substance de son enseignement. Sa prédication est tout imprégnée du langage scripturaire. Les doctrines qu’il prêche, il les appuie sur l’Écriture, et il rejette tout enseignement qui lui paraît s’en écarter. Elle est aussi pour lui la règle du bien et du mal, du juste et de l’injuste. « Rien n’est bon, dit-il, que ce qu’elle commande, directement ou indirectement, et rien n’est mauvais que ce qu’elle défend, soit en propres termes, soit implicitement. Et quant à ce qu’elle ne défend ni ne commande, le chrétien le tient pour indifférent. Telle est la règle unique qui régit sa conscience en toutes chosese. »
e – Sermon sur le Témoignage de notre esprit.
La Bible est donc, pour Wesley, l’unique règle de la foi et de la conduite. « L’Écriture, dit-il ailleurs, est une règle pleinement suffisante qui a été transmise au monde par des hommes divinement inspirés. Elle ne réclame donc aucune addition postérieure. Comme toute foi est fondée sur l’autorité divine, et que cette autorité ne se manifeste pas pour nous en dehors des Écritures, nul n’a le droit d’attribuer une autorité divine à ce qui n’y est pas contenuf. »
f – Works, Vol. X, pp. 90,91. Roman Catechism, with a reply.
Dans son Adresse au Clergé, Wesley recommande aux pasteurs l’étude assidue de l’Écriture, qui « leur enseignera ce qu’ils doivent enseigner aux autres ». Il leur rappelle le mot de Luther : Bonus textuarius, bonus theologus. Il leur demande de l’étudier dans les langues originales, d’interpréter l’Écriture par l’Écriture, de chercher le sens exact de chaque terme, en un mot, de faire de l’exégèse.
La base doctrinale des sociétés méthodistes fut les trente-neuf articles de l’Église anglicane, que Wesley donna comme confession de foi à l’Église méthodiste d’Amérique, après leur avoir fait subir quelques retouchesg. C’est donc dans ce symbole qu’il faut chercher la formule de la doctrine wesleyenne sur l’inspiration des Écritures.
g – Voyez le volume Doctrines and Discipline of the Methodist Episcopal Church.
« L’Écriture Sainte, y est-il dit, contient toutes les choses nécessaires au salut, tellement que tout ce qu’on n’y lit point et qui ne peut point être prouvé par l’Écriture Sainte, ne doit être exigé de personne, ni imposé pour être cru comme un article de foi, et ne doit être estimé ni requis comme nécessaire au salut » (Art. VI).
La doctrine de l’inspiration de l’Écriture ne fut pas l’une de celles sur lesquelles la lutte s’engagea entre Wesley et les adversaires du Méthodisme. L’unité existait sur ce point entre les chrétiens anglais. Aussi ne possédons-nous aucun sermon de Wesley sur ce sujet, ni aucun essai de systématisation du dogme. Son silence prouve qu’il n’a pas cru nécessaire de rattacher la théologie du Méthodisme à un système spécial d’inspiration, mais simplement au fait lui-même, accepté dans sa réalité complète. Les Écritures sont pour lui la Parole de Dieu ; mais, comme Calvin, il ne se met pas en peine du comment ou du degré de leur inspiration. Les seules pages que Wesley ait, à notre connaissance, consacrées à ce sujet, forment deux articles publiés dans l’Arminian Magazine, en 1789.
Le premier est intitulé Claire et concise démonstration de l’inspiration divine des Saintes Écritures. C’est un court énoncé des preuves que l’ancienne apologétique donnait de l’inspiration de la Bibles.
« Il y a, dit-il, quatre grands et puissants arguments qui nous poussent fortement à croire que la Bible doit être de Dieu : savoir les miracles, les prophéties, l’excellence de la doctrine et le caractère moral des écrivains. »
Dans un second article, Wesley étudie « la nature de l’inspiration, dans son application à l’Ancien et au Nouveau Testament ». Voici comment il la définit :
« Le Saint-Esprit de Dieu infusa les pensées et les paroles de l’Écriture dans l’intelligence des prophètes et des apôtres, pour nous enseigner ce que Dieu est, pour nous montrer ce que nous pouvons attendre de lui et quels actes d’amour et d’obéissance nous lui devons… L’inspiration est la communication d’une pensée de Dieu à l’esprit de l’homme. Cette pensée n’entre pas dans l’esprit par la voie du sens commun, de la raison ou de l’éducation, non plus que par voie d’information humaine ; mais par l’impression de l’Esprit de Dieu sur l’esprit de Moïse, Esaïe ou Paul. C’est une action de Dieu sur l’entendement de l’homme. Le Dieu Esprit touche l’âme et la guide par son influence ; il rafraîchit la mémoire, pour l’empêcher d’oublier ou d’omettre une pensée nécessaire ou un fait essentiel, connus de l’écrivain par les voies ordinaires de la connaissance, et il lui infuse de nouvelles pensées que l’âme n’eût pas pu connaître par les moyens ordinaires. L’Esprit de Dieu tient dans ses mains les âmes de ceux qu’il inspire, et il leur inculque la délicatesse, la probité, l’exactitude.
La Révélation, continue Wesley, est la communication (discovery) faite par le Saint-Esprit à l’intelligence de l’homme, des idées et des sentiments, des pensées et des affections de Dieu, qui dépassent ce qu’il pourrait atteindre par la voie du sens commun et de la raison. L’Esprit de Dieu a aisément accès à l’âme de tous les hommes, mais il s’est communiqué plus intimement à des hommes comme Moïse, David, Esaïe et Paul. Il a guidé leur entendement, leur mémoire, leur conscience et leur passions. Il les a gardés de tous préjugés provenant de leur éducation, du contact des autres hommes, de la faiblesse de leur propre esprit ou de l’influence de leurs passions mauvaises. Il a mis dans leurs âmes des idées et des sentiments nouveaux, et il les a rendus capables de les communiquer à des milliers et à des millions d’autres hommes, Juifs et Gentils. »
Dans ce morceau, on remarquera que Wesley ne différencie pas absolument l’inspiration spéciale des écrivains sacrés de celle des autres hommes pieux. Il semble n’y voir qu’une différence de degré ; l’une est plus intime et plus complète que l’autre. On l’accusa de ne pas distinguer l’inspiration proprement dite du témoignage du Saint-Esprit. Dans son Appel aux nommes religieux et raisonnables, publié en 1745, il avait en effet appliqué le mot inspiration aux opérations du Saint-Esprit dans l’âme du croyant. « Les raisons, disait-il, pour lesquelles j’emploie ce mot sont les suivantes : il se trouve dans l’Écriture, notre Église s’en sert, et je n’en connais pas de meilleur. Le mot : influence du Saint-Esprit, est à la fois plus fort et moins naturel que le mot inspiration ; il exprime, en effet, l’action de couler dans, tandis qu’inspiration a le sens de souffler sur. » Wesley ajoutait qu’il ne reculait pas même devant l’expression : inspiration immédiate, et il expliquait ainsi ce terme : « Je ne veux pas dire qu’une telle inspiration ait lieu sine mediis (sans moyens). Mais toute inspiration, quoique ayant lieu par des moyens, est immédiate. Supposez que, pendant que vous êtes en prière, Dieu répande son amour dans votre cœur : Dieu agit ainsi immédiatement sur votre âme, et son amour, que vous expérimentez, est aussi immédiatement insufflé en vous (breathed into you) par le Saint-Esprit que si vous aviez vécu au premier siècle de l’Église. »
Cette affirmation d’une inspiration immédiate, comme privilège des croyants, souleva de vives protestations : « Vous soutenez donc, lui dit-on, qu’ils ont une inspiration telle que celle des apôtres, et qu’ils reçoivent le Saint-Esprit, comme on le reçut le jour de la Pentecôte. — Je le soutiens, répondit Wesley, en une mesure. Je ne veux pas dire que les chrétiens reçoivent le Saint-Esprit au point de faire des miracles ; mais très certainement ils reçoivent le Saint-Esprit, et même en sont remplis, au point d’être pleins des fruits de l’Esprit. Il inspire (He inspires into) en tout vrai croyant un degré de la paix, de la joie, de l’amour que les apôtres éprouvaient dans ce jour où ils furent remplis du Saint-Esprit. »
Les explications dont Wesley entourait le mot inspiration, en l’appliquant aux chrétiens de son temps, n’empêchèrent pas ses adversaires de le représenter comme un illuminé, un quaker et un partisan de l’hérésie montaniste. En 1746, il fut vivement attaqué, quoique avec courtoisie, par le célèbre archevêque de Canterbury, Thomas Secker, qui, sous le pseudonyme de John Smith, échangea avec lui un certain nombre de lettres intéressantes, sur cette question de l’inspiration, et sur quelques autres. Wesley, tout en maintenant avec raison son point de vue relatif au témoignage de l’Esprit, fut amené à reconnaître que le terme d’inspiration prêtait à l’équivoque. « J’affirme, dit-il, que tout croyant chrétien possède un témoignage conscient de l’Esprit qu’il est enfant de Dieu. Je me sers de l’expression témoignage de l’Esprit, de préférence à inspiration, parce qu’elle a une signification plus précise. »
Wesley évita dès lors fort sagement d’appliquer aux chrétiens en général le terme d’inspiration, qui prêtait à de tels malentendus et eût risqué de pousser le Méthodisme dans les voies dangereuses de l’illuminisme. Les plus anciens biographes de Wesley, le docteur Whitehead et Henry Moore, reconnaissent que les objections de l’archevêque Secker ne furent pas sans influence sur l’esprit de Wesleyh.
h – Moore. Life of Wesley, vol. II, p. 98. Cet auteur donne en appendice la correspondance de Wesley avec l’évêque Secker.
Quarante ans plus tard toutefois, au terme de sa longue carrière, il écrivait, dans l’un de ses articles sur l’Inspiration, la phrase que nous avons citée plus haut : « L’Esprit de Dieu a accès à l’âme de tous les hommes, mais il s’est communiqué plus intimement à des hommes comme Moïse, David, Esaïe et Paul. » D’où il semble résulter que, pour lui, la différence entre l’inspiration des écrivains sacrés et celle des croyants ordinaires est dans la quantité plutôt que dans la qualité de l’inspiration.
Il convient de mentionner encore les déclarations suivantes de Wesley, dans sa préface aux Notes sur le Nouveau Testament :
« La Parole du Dieu vivant, qui déjà dirigeait les anciens patriarches, fut, au temps de Moïse, mise par écrit. A ce premier fond vinrent s’ajouter, pendant plusieurs générations, les écrits des autres prophètes. Plus tard, les apôtres et les évangélistes mirent par écrit ce que le Fils de Dieu avait prêché et ce que le Saint-Esprit révélait aux apôtres. C’est là ce que nous appelons maintenant la Sainte Écriture, cette Parole qui demeure éternellement, dont il est dit que les cieux et la terre passeront, mais qu’un iota ou un trait de lettre de cette parole ne passera point. L’Écriture de l’Ancien et du Nouveau Testament est donc un très solide et précieux système de vérité. Chacune de ses parties est digne de Dieu, et toutes réunies elles forment un ensemble où il n’y a ni défaut ni excès. C’est la source de la sagesse céleste, que ceux qui savent l’apprécier préfèrent à tous les écrits des hommes, si sages, si savants ou si saints qu’ils soient. Chez les auteurs inspirés, une connaissance exacte de la vérité était accompagnée d’arguments exactement appropriés, d’expressions pleines de précision et de sentiments d’une force et d’une sincérité incomparables… Nous trouvons unies, dans le langage des Ecrits sacrés, la plus grande profondeur et l’aisance la plus parfaite. Toutes les élégances de la composition humaine sont réduites à néant, comparées à ce Livre. Dieu y parle, non comme un homme, mais comme Dieu. Ses pensées sont incomparablement profondes, et ses paroles ont une vertu qui ne s’épuise pas. Le langage de ses envoyés est également exact au plus haut degré, car les paroles qui leur étaient données correspondaient parfaitement à l’impression produite sur leurs esprits. Aussi Luther a-t-il pu dire : la théologie n’est autre chose que la grammaire du langage du Saint-Esprit. »
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La question de l’inspiration des Saintes Écritures mérite que nous cherchions quel a été le point de vue des principaux théologiens wesleyens, Richard Watson, Adam Clarke, W. B. Pope, Banks, qui, par leurs leçons et leur manuels, ont formulé la dogmatique méthodistei.
i – Nous avons dû, faute de temps, nous borner aux thélogiens anglais et laisser de côte l’abondante littérature religieuse des Méthodistes américains.
Richard Watson, quoique un peu négligé de nos jours, fait encore autorité. Voici ce qu’il dit dans son Dictionnaire théologique :
« Par inspiration, nous entendons que les écrivains sacrés ont écrit sous une influence si plénière et si immédiate du Saint-Esprit qu’on peut dire que Dieu parle aux hommes par eux, et non pas seulement qu’ils parlent de la part de Dieu et par son autorité. »
Watson admet toutefois que l’inspiration n’agissait pas avec la même force sur tous les auteurs sacrés, ni sur le même, quel que fût le sujet de ses écrits. Il ajoute :
« Il n’y a pas, dans les miracles, de déploiement inutile de la puissance divine. L’histoire traditionnelle et les chroniques écrites, des faits de notoriété publique et des opinions reçues par tous, sont souvent insérés ou sont l’objet d’allusions de la part des écrivains sacrés. Il n’était pas besoin d’une opération miraculeuse sur la mémoire pour rappeler ce que la mémoire savait ou pour révéler à l’écrivain ce qu’il connaissait parfaitement d’avance lui-même ; mais l’inspiration plénière consistait en ceci, que les auteurs sacrés étaient préservés de toute erreur de mémoire et de toute inexactitude en ces matières. »
Le docteur Adam Clarke, dans son Commentaire sur la Bible, aborde aussi la question de l’inspiration. Il se borne à faire remarquer que, d’après une déclaration scripturaire, Dieu, qui a parlé en divers temps, l’a aussi fait en diverses manières, en adaptant la manière au temps, aux lieux, aux circonstances. Puis il s’en réfère, quant au fond du sujet, au docteur Whitby, dont il cite longuement les vues. Nous y relevons deux ou trois points :
Pour ce qui est des choses que les écrivains connaissaient déjà, soit par la raison naturelle, soit par l’éducation, soit par les révélations antérieures, ils n’avaient besoin que d’une assistance ou d’une direction, qui les préservât d’erreur dans leurs raisonnements ou dans la confirmation des doctrines qu’ils tiraient de l’Ancien Testament. Une suggestion continuelle n’était donc pas nécessaire dans ces circonstances… Dans les discours contenus dans les livres historiques du Nouveau Testament, il n’était pas nécessaire qu’ils nous fussent conservés dans les mots mêmes qui avaient été employés, pourvu que, dans la diversité des mots, le sens et l’intention du discours fussent respectés… En résumé, l’inspiration ou l’assistance divine que je constate dans les écrivains du Nouveau Testament, m’assure de la vérité de ce qu’ils ont écrit, soit par une inspiration de suggestion, soit seulement par une inspiration de direction, mais sans qu’une telle inspiration implique que leurs paroles leur aient été dictées, ou leurs phrases suggérées par le Saint-Esprit. Cela a pu avoir lieu sans doute pour certaines matières d’importance majeure ; mais il est évident que tel n’a pas été le cas, comme le prouvent la variété du style des auteurs et parfois les solécismes qu’on y rencontre, et surtout leurs déclarations positives sur ce point. »
Ces vues larges sur l’inspiration, que le docteur Clarke adoptait, montrent que le Méthodisme de la génération qui suivit celle de Wesley, tout en étant très ferme sur le fait même de l’inspiration, reconnaissait à chacun une certaine liberté dans la théorie de ce fait. Cette liberté a continué à exister de nos jours, une nuance très sensible existe entre les points de vue soutenus par le docteur Pope et le Rév. Banks, dans leurs Dogmatiques, professées l’une et l’autre dans les écoles de théologie méthodiste d’Angleterre.
Voici comment le docteur W. B. Pope classait les divers degrés de l’inspiration :
« 1° Il y a des portions de l’Écriture dans lesquelles la révélation et l’inspiration coïncident, où l’Esprit inspirateur a dû suggérer et la vérité et les termes qui lui servent de vêtement.
2° De nombreuses parties de l’Écriture, spécialement dans le Nouveau Testament, sont le développement logique de la doctrine. Saint Paul défend la vérité évangélique en appelant à l’Ancien Testament, et son argumentation se ressent naturellement de la discipline rabbinique sous laquelle son intelligence s’était développée, mais, de lui comme des autres apôtres, on doit reconnaître que leur esprit fut ouvert pour comprendre les Écritures (Luc.24.45).
3° Une grande portion de l’Écriture est un témoignage rendu à des faits, et aucune théorie de l’inspiration des auteurs sacrés ne doit détruire leur qualité de témoins. Ils furent inspirés ou poussés à émettre leur témoignage d’une manière indépendante et fidèle : tantôt à des faits qu’ils empruntaient à des documents publics ; en ce cas, ils étaient seulement les témoins de ce qu’ils y trouvaient. Tantôt ils rendaient témoignage à des événements auxquels ils avaient pris une part plus ou moins grande ; dans ce cas, ils étaient conduits à narrer le résultat de leurs propres investigations. Parfois, ils furent les témoins simultanés de faits qu’ils observèrent à des points de vue divers, et, dans ce cas, il n’y a pas trace d’essai préalable en vue d’harmoniser leurs témoignages, mais chacun d’eux donne le sien fidèlement, conformément à ses souvenirs aidés d’en haut.
4° Enfin, une partie notable de l’Écriture est le résultat de ce que nous appellerions aujourd’hui un travail d’éditeur. Cela est vrai d’une portion considérable de l’Ancien Testament, et c’est ce rôle que, dans le Nouveau, saint Luc s’assigne à lui-même. L’Esprit dirigeant était aussi nécessaire pour cette tâche que pour toute autre partie de la révélation, mais son inspiration était d’un caractère différent. Il enseignait, par exemple, aux évangélistes à choisir parmi les matériaux fournis par la tradition orale. »
En résumé, la théorie de l’inspiration à laquelle nous nous rattachons est celle que l’on a appelée dynamique, d’après laquelle l’Esprit-Saint a agi sur l’esprit des hommes qui ont été les organes de la révélation comme une force vivifiante et illuminatrice, toujours proportionnée aux nécessités de la tâche qu’ils avaient à accomplir et agissant sur eux par voie de pénétration intime, et en respectant leur individualité.
La Bible est donc pour nous plus que l’histoire de la révélation ; elle en est aussi le produit. On a voulu, de nos jours, la réduire à ce rôle. Mais, on oublie qu’une révélation, dont les historiens ne participeraient pas eux-mêmes à la révélation, risquerait d’être incomprise, dénaturée et mal interprétée, en passant par leurs lèvres ou par leurs plumes. Un savant peut seul bien rédiger le compte rendu d’un phénomène ou d’une expérience scientifique ; un militaire peut seul bien raconter une bataille ou des opérations stratégiques. A plus forte raison, pour raconter dignement la révélation accordée par Dieu à l’humanité, il faut des hommes qui eux-mêmes aient eu le cœur et les lèvres purifiés par l’attouchement du charbon ardent pris sur l’autel, comme ce fut le cas pour Esaïe.
Ajoutons, en terminant ce chapitre, que le même Esprit qui a inspiré les auteurs de la Bible, est Celui dont le témoignage nous en garantit le mieux l’inspiration ; car, comme le dit Calvin, « il nous faut prendre l’autorité de l’Écriture de plus haut que des raisons ou indices ou conjectures humaines. C’est assavoir que nous la fondions sur le témoignage intérieur du Saint-Esprit. Car quoique en sa propre majesté, elle ait assez de quoi être révérée, néanmoins elle ne commence à nous vraiment toucher que quand elle est scellée en nos cœurs par le Saint-Esprit ».
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Note complémentaire
L’examen historique auquel nous venons de nous livrer montre assez qu’il n’y a pas eu de théorie uniforme de l’inspiration des Écritures universellement admise dans l’Église chrétienne. C’est un sujet sur lequel a régné un accord tacite, pendant de longs siècles, entre les docteurs chrétiens. Et c’est ce qui explique qu’aucun concile n’ait cru devoir donner une définition du dogme et que les théologiens eux-mêmes, si disposés qu’ils soient à tout réduire en systèmes, se soient généralement renfermés dans des généralités sur ce sujet. Mais si l’Église s’est abstenue de donner une formule à sa foi en l’inspiration de l’Écriture, elle l’a suffisamment affirmée en faisant constamment appel à son autorité souveraine dans toutes les question de foi.
Une autre raison explique cette absence d’une définition de l’inspiration : c’est qu’elle appartient à ce domaine transcendant et métaphysique, dont l’existence s’impose à nous, mais qui échappe, par sa nature même, à tous nos essais de définition. Il en est d’ailleurs ainsi de bien d’autres doctrines du christianisme, telles que l’union du divin et de l’humain dans la personne de Christ, la collaboration de la grâce et de la liberté humaine, etc. Cette même difficulté d’arriver à une définition satisfaisante se retrouve même dans le fait admis par la philosophie, de l’existence du monde à côté de Dieu, de l’existence du fini à côté de l’Infini. Dès que nous touchons à ces grandes questions, nous entrons dans la région du mystère, et nous devons nous borner à constater des faits sans entreprendre de les expliquer.
Gardons-nous donc, en pareille matière, des solutions dictées d’avance, des a priori. Nous n’avons pas le droit de spécifier ce que Dieu aurait dû faire, pour chercher ensuite à faire entrer les faits, tant bien que mal, dans notre théorie. Bien des gens pensent qu’une Bible dictée par l’Esprit de Dieu, mot après mot, de sa première page à sa dernière, serait pour leur foi un appui plus ferme qu’aucun autre, et ils en concluent que Dieu a dû leur fournir un tel appui. La question n’est pas de savoir ce qu’ils préfèrent, mais ce que Dieu a fait.
Or, le fait que nous trouvons partout attesté, c’est que Dieu a parlé, par le moyen de ce phénomène mystérieux et surnaturel que nous nommons inspiration, à des hommes qu’il a choisis pour transmettre aux autres hommes sa parole. L’examen attentif des documents bibliques nous permet, sinon de préciser avec une entière certitude, au moins de concevoir avec quelque probabilité, ce que Dieu n’a pas voulu faire et ce qu’il a fait.
Nous pouvons affirmer que Dieu n’a pas voulu nous donner un livre qui fût le produit d’une dictée verbale et littérale, un livre où tout fût divin sans mélange d’humain. Une lecture, même superficielle, de la Bible nous atteste qu’elle n’est pas ce livre-là. La théorie d’une inspiration verbale est contredite par les divergences qui s’y rencontrent entre deux récits du même fait, ou deux comptes rendus d’un même discours. Elle l’est encore par le fait de l’idiosyncrasie si marquée des divers auteurs : Jean ou Paul, Pierre ou Jacques, etc. Chacun d’eux a son style, sa méthode d’argumentation, sa façon de raconter ; tel d’entre eux, Paul, par exemple, mêle à son exposé doctrinal, des allusions à son histoire, à ses circonstances particulières, à ses amis, etc. La langue qu’il parle, n’étant pas sa langue maternelle, est pour cet apôtre un instrument qu’il manie parfois avec une gaucherie, qui n’ôte rien à la hauteur de ses pensées, mais qui nuit à la correction et parfois à la limpidité de sa phrase. Ces indices, auxquels on pourrait en ajouter d’autres, écartent l’idée d’une dictée verbale, comme mode habituel de l’inspiration.
Qu’il y ait toutefois dans les Écritures des oracles et des prophéties, où l’auteur sacré n’est plus qu’un scribe écrivant, sous la dictée de l’Esprit-Saint, des paroles dont il n’a pas toujours lui-même la pleine intelligence, c’est ce qui est évident. Mais de telles paroles sont en général désignées à notre attention par quelque formule qui les met hors de pair. Et si nous ne sommes pas toujours en état de les distinguer, cela ne tire pas à conséquence, comme le fait remarquer M. Banks, et il ajoute : « Les portions qui ne peuvent pas être considérées comme le produit d’une inspiration verbale rigide, sont aussi réellement inspirées que le reste, quoique non au même degréj. »
j – Banks, A Manual of Christian Doctrine, page 52.
Cette idée de degrés dans l’inspiration, ainsi affirmée par un éminent théologien méthodiste contemporain, nous paraît résulter de l’étude des documents bibliques, quelque combattue qu’elle ait été de certains côtés. Pour ne citer qu’un exemple, les parties historiques de l’Écriture, qui portent si visiblement le cachet du labeur du chroniqueur et de l’historien (documents compulsés, récits fragmentaires, incomplets ou même divergents), n’ont visiblement pas nécessité une inspiration de même ordre que les parties prophétiques ou dogmatiques des livres saints. En laissant ainsi à l’action de ses collaborateurs humains une plus large place dans les matières qui n’intéressent pas directement la foi, Dieu a suivi la méthode qu’il suit dans l’œuvre ordinaire de sa grâce, qui agit sur l’homme en mettant en exercice toutes ses forces et toutes ses facultés. Dieu, qui ne fait pas de miracles inutiles, a laissé ses agents se servir de leurs souvenirs, de leurs informations, des sources manuscrites ou orales qui étaient à leur disposition, toutes les fois que cela était possible.
L’inspiration des écrivains sacrés n’est pas une simple exaltation de leurs facultés naturelles et ne saurait être confondue avec l’enthousiasme qui inspire de grandes pensées. Ces hommes ne sont pas seulement des génies religieux de premier ordre ; de tels génies ont existé dans l’Église chrétienne et ailleurs, mais leurs écrits ne sauraient être mis sur le même pied que ceux qui composent la Bible. L’inspiration est autre chose que l’enthousiasme, même religieux.
Elle est autre chose aussi que la sainteté. Sans doute un chrétien a généralement une intelligence des vérités religieuses proportionnée à l’intensité de sa piété, et on peut entendre dans ce sens la parole de Jésus, que « les cœurs purs verront Dieu ». Mais l’expérience nous apprend que la piété la plus vive ne préserve pas un homme d’erreurs parfois très graves, et qu’un saint peut être un assez mauvais théologien. Cette théorie, en faisant de tous les chrétiens des inspirés à des degrés divers, refuse à l’enseignement apostolique un caractère normatif et définitif, et ouvre la porte à un complément de révélation que la conscience chrétienne aurait à formuler de siècle en siècle. C’est là méconnaître l’ensemble des faits et des déclarations bibliques. C’est oublier que les dons théopneustiques ont été accompagnés et légitimés par des dons miraculeux, dont la cessation a marqué aussi la fin de la Révélation.
« Il y a un livre, dit M. Babut, infiniment plus répandu que tous les autres ; un livre tel que les hommes les meilleurs des peuples civilisés le propagent avec ardeur, avec enthousiasme, au prix des plus grands sacrifices, et que les peuples sauvages le reçoivent avec des larmes de joie ; un livre qui se fait accepter, comprendre, aimer et bénir sous tous les degrés de latitude, à tous les degrés de civilisation, par les Esquimaux comme par les Bagandas, par les paysans de la France comme par ceux de la Corée ; un livre qui produit aujourd’hui les mêmes transformations morales qu’au premier siècle, qui sauve les peuples comme les individus, qui, plus d’une fois, sans autre intermédiaire ni commentaire humain, a converti des âmes et fondé des Églises. Il est visible que ce livre est, comme aucun autre, le livre de l’humanité ; comment le serait-il, s’il n’était pas, en un sens réel, le Livre de Dieu ? »