L’ère des difficultés. — Ministres anglicans favorables : Bateman, Thompson, Perronet, Grimshaw, Manning, Milner. — Attitude de l’épiscopat. — L’évêque Lavington et son pamphlet. — Réponse de Wesley. — Progrès du méthodisme dans les Cornouailles. — Wesley en Écosse. — Progrès en Angleterre. — Victoire sur l’émeute. — Excitations aux mauvaises passions de la populace. — Wesley assiégé à Shepton. — Il est maltraité par la populace à Roughlee. — Traités adressés aux Irlandais. — Wesley à Rochdale et à Bolton. — Visite à Canterbury. — Incident à Shaftesbury. — Désordre à Tiverton. — Le méthodisme à Hull, Chester, Charlton. — Le tremblement de terre de 1750. — Wesley au milieu des prisonniers et des pauvres. — Maintien de la discipline. — Luttes contre les antinomiens. — Les deux Wesley et Whitefield. — Les prédicateurs laïques. — Ecole de Kingswood. — Publications de Wesley. — Agence de publications. — Grace Murray. — Wesley se marie. — Ses infortunes domestiques. — Il tombe gravement malade. — Une lettre de Whitefield. — Convalescence.
Dans la période qu’embrasse ce chapitre, le méthodisme et son chef trouvèrent devant eux des difficultés de toute nature. C’est la condition commune des œuvres durables de ne grandir qu’au prix de luttes incessantes, et c’est le lot des grands caractères de se fortifier dans l’adversité. Toutefois, si ce fut là le trait dominant de la période où nous entrons, elle vit aussi s’étendre et s’affermir le Réveil.
Autour de Wesley commençaient à se grouper un certain nombre de pasteurs anglicans, qui lui ouvraient leurs chaires et s’associaient plus ou moins complètement à son œuvre. Nous en avons déjà mentionné quelques-uns qui avaient pris part à la première conférence. D’autres encore adhérèrent au Réveil. Richard Bateman, recteur de Saint-Barthélemy-le-Grand, amené lui-même à une foi vivante, invita Wesley à prêcher pour lui. C’était la première fois, depuis huit ans, qu’il reparaissait dans les chaires officielles de la capitale, et il y eut une immense foule à l’entendre. L’évêque Gibson, à qui quelques personnes allèrent se plaindre de ce qu’elles appelaient un scandale, leur répondit : « Que voulez-vous que j’y fasse ? Je n’y puis rien. M. Wesley est un ministre régulièrement ordonné et qui n’est sous le coup d’aucune censure ecclésiastique. »
Thompson, le zélé recteur de Saint-Gennis, en Cornouailles, était aussi l’un des amis les plus fidèles des prédicateurs méthodistes. Il avait été, pendant bien des années, l’un de ces ministres, comme il y en avait tant alors dans les campagnes, qui partageaient les plaisirs des gentilshommes de leur voisinage et ne s’inquiétaient guère de leur troupeau. Converti à la suite d’un songe qui avait troublé sa conscience, il fit cause commune avec les méthodistes et leur ouvrit sa maison et son église. Tous ses collègues se tournèrent contre lui, et son évêque, le fougueux Lavington, osa même le menacer un jour de le dépouiller de sa robe de pasteur, s’il continuait à s’associer à Wesley. Thompson l’ôta aussitôt et, la jetant aux pieds du prélat, lui dit : « Je puis prêcher l’Évangile sans robe. »
Wesley eut un collaborateur plus utile encore dans le vicaire de Shoreham (Kent), Vincent Perroneta, qui fut son ami et son conseiller. Tout en restant à la tête de sa paroisse, il était méthodiste de cœur et de convictions, et publia plusieurs écrits pour la défense de l’œuvre du Réveil. Dans les moments difficiles, les deux frères Wesley venaient chercher auprès de lui des encouragements et des conseils, et ils se rangeaient d’ordinaire à ses avis. Charles l’appelait même son archevêque. Ses deux fils, Edward et Charles, héritèrent de son affection pour le méthodisme et préférèrent les fatigues et les périls de l’itinérance méthodiste aux honneurs des bénéfices ecclésiastiques.
a – La famille Perronet était originaire de Château-d’Œx, dans le pays de Vaud.
Edward Perronet fut même l’un des meneurs de l’agitation anti-anglicane qui, quelques années plus tard, faillit diviser les frères Wesley et briser le faisceau des sociétés. Il publia en 1756 une satire en vers intitulée la Mitre, où il attaquait avec beaucoup d’esprit l’Église établie. Ce poème de 279 pages est devenu très rare, l’édition ayant été détruite, à l’exception de quelques exemplaires, sur la demande de Wesley.
William Grimshaw, ministre de Haworth, dans le Yorkshire, s’associa plus intimement encore à l’œuvre de Wesley. Sans renoncer à sa paroisse, il devint prédicateur itinérant et eut sous ses soins deux circuits. Il affrontait les fatigues avec autant d’ardeur et de courage que le plus vaillant des auxiliaires laïques, prêchant jusqu’à trente fois par semaine, couchant dans une grange ou un grenier quand il le fallait, se nourrissant souvent de pain bis et portant toujours des vêtements grossiers afin de pouvoir donner davantage aux pauvres. Doué d’une forte intelligence, gradué de l’université de Cambridge, il eût pu briller comme prédicateur ; mais, afin de se mettre à la portée de ses auditeurs ruraux, il s’appliquait à être simple et familier, et il faisait de ses prédications des causeries où l’on pouvait reprendre parfois quelque excentricité, mais d’où la recherche était absente. Les deux Wesley et Whitefield prêchaient dans son église et les prédicateurs laïques dans sa cuisine ; il accompagnait les uns et les autres dans leurs courses missionnaires, prenant sa part des persécutions auxquelles ils étaient exposés.
[Il mourut le 7 avril 1763, en laissant le souvenir d’un ministère béni. L’une de ses dernières paroles fut : « Je suis aussi heureux que je puis l’être sur la terre, et aussi assuré du ciel que si j’y étais. » Le souvenir de William Grimshaw est toujours vivant, après plus d’un siècle, dans la partie du Yorkshire qu’il habita.]
Les pasteurs de l’Église anglicane qui faisaient cause commune avec le méthodisme devaient s’attendre en effet à être en butte aux mêmes haines et aux mêmes mépris que lui. Charles Manning, vicaire de Hayes, en Middlesex, pour avoir témoigné de l’amitié et ouvert sa chaire à Wesley, fut mis à l’index par ses collègues, qui ne le saluaient plus et lui tournaient le dos. Ses paroissiens suivaient cet exemple et se conduisaient avec la plus grande inconvenance pendant ses sermons. Un jour même, quelques-uns montèrent au clocher et sonnèrent les cloches à toute volée, pour l’empêcher de se faire entendre.
Milner, vicaire de Chipping, village du Lancashire, s’exposa à de semblables avanies pour avoir embrassé les doctrines du Réveil et fait prêcher Wesley dans son église. Une bande de tapageurs y pénétra un jour pour empêcher le grand missionnaire de parler ; un individu l’arrêta au pied de la chaire en lui criant : « Vous n’y monterez pas, » et, assisté de quelques autres, le poussa violemment dehors. L’évêque manda Milner devant lui et l’accusa d’avoir mis le désordre dans sa paroisse. Le courageux ministre lui répondit que, si le désordre existait quelque part, c’était bien plutôt dans la conduite des pasteurs du Lancashire, dont pas un, à sa connaissance, ne prêchait la doctrine de la Réformation sur le salut par la foi.
L’épiscopat anglican était alors, à peu près tout entier, hostile au méthodisme. L’évêque d’Exeter, Lavington, sut gagner une peu enviable prééminence sur ses collègues par la virulence de ses attaques calomnieuses. En 1748 avait paru, sous son nom, un faux mandement qui exprimait, avec exagération sans doute, l’hostilité notoire du prélat contre le méthodisme. L’évêque accusa, avec la plus grande violence et sans aucune preuve, Whitefield et Wesley d’avoir composé ce pamphlet. Ceux-ci protestèrent en vain de leur innocence ; le prélat maintint son accusation, et il fallut que lady Huntingdon intervînt et ouvrît une enquête pour l’obliger à rétracter son accusation. Il dut publier une déclaration dans laquelle il les priait « d’accepter ses sincères regrets de ce qu’il avait injustement blessé leurs sentiments et de ce qu’il les avait exposés à l’animadversion du mondeb. »
b – Life and Times of Lady Huntingdon, t. I, p. 96.
Cette affaire fit d’un adversaire acrimonieux un ennemi implacable. Deux ans après, il commença la publication de son fameux livre : le Fanatisme des méthodistes et des papistes comparéc. Comme le titre l’indique, l’évêque d’Exeter reprenait à son compte l’accusation populaire de tendances papistes qui avait accueilli le méthodisme à sa naissance. Il essayait de prouver que « les méthodistes font l’œuvre des papistes et qu’ils la font pour eux, qu’ils sont d’accord avec eux sur quelques-uns de leurs principes, qu’ils ont la tête pleine des mêmes grands projets et en poursuivent la réalisation avec les mêmes moyens répréhensibles. » Cette thèse, Lavington la défendait, non par des arguments sérieux, mais en ayant recours aux personnalités les plus offensantes et aux calomnies les plus absurdes.
c – Cet ouvrage, dont le titre anglais est : Enthusiasm of the Methodists and Papists compared, parut en trois parties, les deux premières en 1749 et la troisième en 1751.
Wesley, Whitefield et Perronet, lui répondirent. « L’évêque d’Exeter, écrivait Whitefield, traite les méthodistes comme l’évêque de Constance traita Jean Huss, lorsqu’il lui fit peindre des diables tout autour de la tête, avant de le faire brûler. » La réponse de Wesleyd fait justice des accusations de ce pamphlet, sans jamais se laisser déconcerter par les invectives de l’adversaire. Avec le plus grand calme, Wesley rétablit les faits et les textes défigurés par l’évêque ; il lui donne en passant une leçon de courtoisie et même de grammaire, et oppose à la colère la raison aiguisée par l’ironie.
d – A Letter to the author of the Enthusiasm, etc. 1730. En 1752 parut A second Letter, etc.
« Vous en venez, lui dit-il, à prouver mon fanatisme par les idées que je me fais de la conversion. Mais ici il convient de vous tenir grand compte du fait que vous abordez une matière qui est tout à fait en dehors de votre sphère et que vous mettez le pied dans un monde inconnu. Savez-vous ce que c’est que la conversion ? Oui, dites-vous, c’est rendre les gens parfaits d’un seul coup. Non, monsieur, ce n’est pas cela. Un homme est d’ordinaire converti longtemps avant d’être un homme parfait. Il est probable que la plupart des Ephésiens, à qui saint Paul écrivait son épître, étaient convertis. Toutefois ils n’étaient pas parvenus à l’état d’homme parfait, à la parfaite stature de Christ. Mais je ne puis pas, monsieur, essayer de vous faire comprendre ces choses. Tout ce que je puis espérer, c’est de vous convaincre que vous n’y comprenez rien. »
L’évêque avait publié ses invectives sous le voile de l’anonyme ; Wesley, en terminant sa réponse, l’invite à combattre à visage découvert :
« Tout écrivailleur, avec une dose moyenne de cet esprit qui court les rues, et sans être embarrassé d’un excès de bon sens ou de modestie, peut faire rire aux dépens de ceux qu’il ne peut réfuter et pourfendre ceux qu’il n’oserait regarder en face. De la sorte, un homme peut comparer les méthodistes aux papistes et blasphémer contre une grande œuvre de Dieu, non seulement sans être blâmé, mais en se faisant applaudir, tout au moins de la part des lecteurs de son espèce. Mais il est grand temps, monsieur, que vous leviez le masque. Allons, et que nous nous voyions un peu face à face ! J’ai peu de temps, et encore moins d’inclination pour la controverse. Je vous promets cependant, si vous voulez bien mettre votre nom à votre troisième partie, d’y répondre comme je l’ai fait à l’autre. »
[J’ai commencé aujourd’hui ma réponse à l’écrit qui compare les papistes et les méthodistes. Travail pénible et que je n’aurais jamais choisi, mais qu’il faut bien faire quelquefois. Un ancien disait avec raison : « C’est Dieu qui a rendu nécessaire la théologie pratique, et le diable la théologie polémique. » Cela n’empêche pas qu’elle est nécessaire : il faut résister au diable, ou bien il ne s’enfuira pas loin de nous. » (Journal du 19 novembre 1751.)]
La discussion continua, calme, serrée, parfois éloquente du côté de Wesley, injurieuse, grossière et souvent de mauvaise foi du côté de Lavington. Celui-ci finit par déserter piteusement le champ clos où il avait appelé si bruyamment le fondateur du Méthodismee. Pour tout homme sérieux, le résultat de la lutte n’était pas douteux. Toutefois la calomnie laisse toujours des traces après elle, et cette perfide accusation de papisme tombée des lèvres d’un évêque devait faire son chemin.
e – L’inscription gravée sur le marbre dans la cathédrale d’Exeter en l’honneur du belliqueux Lavington déclare « qu’il ne cessa de consacrer ses talents aux plus nobles desseins » et le gratifie, entre autres vertus, d’une « indulgente candeur ! »
[« Un digne juge de paix (sans doute afin d’apaiser la populace) a fait crier par les rues d’York, afficher sur les murs et même distribuer dans beaucoup de maisons, la Comparaison entre les méthodistes et les papistes. C’est à cela que nous sommes sans doute redevables de quelques malédictions qui nous accueillirent à notre entrée dans la ville. » (Journal, 25 avril 1752.)]
Wesley se consolait des dédains et des calomnies en continuant, malgré de grandes difficultés, l’œuvre d’évangélisation commencée. Son journal nous le montre, pendant la période qu’embrasse ce chapitre, parcourant le Royaume-Uni, dans toutes les directions. Il ne nous est plus possible de raconter chacune de ces tournées missionnaires ; il nous suffira de recueillir quelques faits en passant et de jeter un coup d’œil rapide sur l’ensemble de ces travaux.
Les Cornouailles continuaient à être l’une des sections les plus intéressantes de ce vaste diocèse de Wesley, et l’une de celles qu’il visitait le plus souvent. A Saint-Just se trouvait la plus forte société de l’Ouest, et « la plus vivante de l’Angleterre ». A Falmouth, à Camelford et ailleurs, les anciens persécuteurs étaient devenus presque tous des auditeurs attentifs, et plusieurs s’étaient même convertis ; de ce nombre était l’homme qui avait emprisonné le prédicateur Maxfield. A Breage, le ministre qui avait fait circuler des bruits calomnieux sur le compte de Wesley et de ses adhérents avait fini par se suicider, et la population, y voyant une sorte de jugement de Dieu, s’était rapprochée des méthodistes. Ceux-ci avaient d’ailleurs dans tout le comté des prédicateurs itinérants et locaux, zélés et bien doués. L’un de ces derniers, ancien chaudronnier, émerveilla Wesley par ses talents oratoires ; il dit de lui « qu’il improvisait des sermons qui valaient autant que beaucoup de discours écrits par des savants. »
L’Écosse, que Wesley visita pour la première fois en 1751, ne lui donna que peu d’encouragement. Whitefield l’avait averti que ses principes arminiens ne seraient pas du goût des Écossais, et Wesley s’était borné à répondre qu’il comptait prêcher le christianisme et non l’arminianisme. Il eut de nombreuses assemblées très attentives, mais très froides. A une deuxième visite, il prêcha dans les chaires de l’Église presbytérienne, à des foules considérables ; il rencontrait partout une sympathie respectueuse, mais un peu réservée, qui lui faisait presque regretter les insultes et les coups de pierres de l’Angleterre et de l’Irlande. Le résultat de ces visites fut la fondation de quelques petites sociétés, mais non l’un de ces mouvements étendus qui marquèrent ailleurs son passage. Ce qui explique cet insuccès, c’est peut-être, outre le caractère écossais, l’état religieux du pays, notablement supérieur à celui de l’Angleterre, et où par conséquent le besoin d’une grande commotion religieuse se faisait moins sentir.
Dans l’Angleterre proprement dite, l’état des choses contrastait vivement avec ce qu’il était aux débuts du Réveil, et Wesley pouvait dire, en 1750, que de Londres à Newcastle l’œuvre était en pleine prospérité.
A Birmingham, où il n’avait eu précédemment que des sujets de tristesse, il trouva d’immenses assemblées que la chapelle était insuffisante à contenir et qui étaient affamées de la Parole de vie. « Comme la scène a changé, écrit-il. La dernière fois que je prêchai ici, les pierres pleuvaient autour de moi, et aujourd’hui, si quelqu’un s’avisait de faire du bruit, le danger serait pour lui beaucoup plus que pour le prédicateurf. »
f – Journal, 31 mars 1751.
A Wednesbury et Darlaston, ces places fortes de la résistance à l’Évangile dans le Staffordshire, il remarqua que « la plupart des anciens persécuteurs avaient été les objets de jugements surprenants de la part de Dieu, et que ceux qui survivaient étaient des agneaux. » Dans la première de ces villes, il prêcha sous une pluie battante à une foule attentive, sans que personne songeât à se retirer avant la fin. Une nouvelle et vaste chapelle ne tarda pas à s’élever, et Wednesbury devint l’un des centres méthodistes les plus considérables.
Il prêcha en 1752 dans l’église de Wakefield, devant une assemblée attentive et émue, et ne put s’empêcher d’établir un contraste entre sa position actuelle et celle qu’il occupait dans la même ville, quatre ans auparavant, alors que le plus pieux des habitants n’osait pas lui permettre de prêcher sur ses propriétés, de peur que la populace ne démolît sa maison.
Dans sa ville natale, à Epworth, il eut aussi la joie de voir progresser l’œuvre de Dieu. Lui qui, quelques années auparavant, avait été repoussé de la table sainte, put s’en approcher dans l’église paroissiale, et, lorsqu’il prêcha en plein air, il eut à peu près toute la population. « Dieu a fait son œuvre dans toute cette localité, écrit-il. L’ivrognerie et la profanation du dimanche ont disparu des rues ; on n’entend plus que rarement des jurements et des blasphèmes. Le mal ne marche plus la tête haute. »
Il ne faudrait pas croire cependant que l’opposition eût partout cessé. Non seulement elle se montrait là où les prédicateurs paraissaient pour la première fois, mais elle se réveillait souvent dans les localités d’où elle semblait avoir disparu. Wesley réussit souvent à la dominer en lui opposant la partie la plus saine du peuple. Dans ces foules qui l’entouraient, il ne manquait pas de gens qui faisaient du bruit par entraînement et qui, ramenés dans le bon chemin, pouvaient servir de point d’appui au missionnaire. Les perturbateurs trouvèrent plus d’une fois des adversaires dans ceux sur le concours desquels ils avaient compté pour le succès de leur expédition. Le moment approchait où les adversaires de la veille, fatigués, sinon encore convaincus, se rangeraient paisiblement parmi les auditeurs de la prédication. En attendant, l’irrésolution des émeutiers se trahissait fréquemment d’une manière assez maladroite. Ils arrivaient, tambour battant et le front haut, après avoir fait une station prolongée au cabaret voisin, se promettant bien de faire enfin un exemple du prédicant et de lui ôter à jamais l’envie de remettre les pieds dans la contrée. Wesley allait à leur rencontre, prenait la main des meneurs, leur adressait quelques bonnes paroles et finalement les priait de prendre place dans l’assemblée, ce qu’ils faisaient d’ordinaire, tout satisfaits d’être si bien accueillis.
Parfois, il se contentait de leur envoyer l’un de ses amis, sans leur faire l’honneur de s’interrompre pour eux. C’est ce qu’il fit un jour à Reading, et la chose lui réussit parfaitement. Un grand nombre de bateliers s’étaient attroupés pour interrompre sa prédication. L’un de ses amis, M. Richards, vint les accoster et leur dit : « Mes amis, venez avec moi, et vous allez entendre un bon sermon ; je vous ferai faire place. » Ils répondirent qu’ils y iraient de grand cœur. « Mais, voisins, continua M. Richards, je vous conseille de laisser derrière vous ces gros bâtons. Cela pourrait effrayer les femmes. » Ils les jetèrent et vinrent écouter la prédication. Quand elle fut finie, le chef de la bande se leva et dit d’une voix rude : « Ce monsieur dit de bonnes choses ; c’est là mon avis ; et, ajouta-t-il d’un air décidé, je ne pense pas qu’il y ait ici un homme qui osât prétendre le contraire. » L’homme qui parlait ainsi était un colosse, qu’il eût été dangereux de contredire ; aussi bien nul n’en avait l’idéeg.
g – Journal, 2 novembre 1747.
La populace n’était pas toujours aussi facile à ramener. Dans plusieurs localités, elle persévérait dans ses mauvaises dispositions, surtout lorsqu’elle se sentait appuyée par les autorités civiles ou religieuses, qui continuaient à faire preuve de mauvais vouloir envers les évangélistes du Réveil. Plus d’une fois, même à cette époque, les juges de paix, oubliant leurs devoirs, encouragèrent publiquement l’émeute, et Wesley, un jour, en vit venir un à sa rencontre, à la tête de la populace, précédée d’un tambour. Ailleurs, c’était le ministre qui soudoyait les fauteurs du désordre et les enivrait pour qu’ils fussent mieux en état de faire leur œuvre. Un autre avait pris la peine d’organiser un charivari, en fournissant à la canaille de sa paroisse des trompes et autres instruments bruyants, destinés à interrompre la prédication. Ces excitations portaient leurs fruits et les projectiles de toute nature venaient souvent encore inquiéter le prédicateur ; il lui arrivait aussi d’être poursuivi et assiégé dans les maisons où il recevait l’hospitalité. Il avait alors besoin de tout son sang-froid et de tout son courage pour tenir tête à l’émeute.
En février 1748, il était à Shepton, au sud de l’Angleterre. La populace, convoquée au son du tambour, entoura la maison où il se trouvait et se mit à en briser les fenêtres, à coups de pierres. L’un des meneurs réussit même à pénétrer dans l’intérieur ; mais là son embarras fut grand, et, séparé de ses amis, il perdit tout courage. Une pierre lancée du dehors l’ayant atteint et blessé au front, sa terreur ne connut plus de bornes, et il se réfugia auprès de Wesley, en lui criant : « Oh ! monsieur, allons-nous mourir ce soir ? Que dois-je faire ? — Priez Dieu, lui répondit le missionnaire ; il est seul capable de vous délivrer. » Le pauvre homme tomba à genoux et se mit à prier avec une ferveur qu’il n’avait jamais eue jusqu’alors, bien certainement. Quant à Wesley, il réussit à échapper, par une porte de derrière, à ses persécuteurs, qui voulaient mettre le feu à la maison.
Mais, cette année-là, ce fut surtout dans le Yorkshire que Wesley eut à souffrir des fureurs de la populace. A Halifax, il essaya de prêcher sur la place publique « à une multitude immense qui mugissait comme les flots de l’Océan ». Il vit un individu qui jetait de l’argent au peuple pour enflammer son zèle. Les projectiles de toutes sortes commencèrent à pleuvoir sur lui, et il eut la joue entamée par une pierre. Il dut quitter la place, et un certain nombre de personnes le suivirent hors de la ville, où il passa avec elles une heure « à se réjouir et à louer Dieu 2 ».
Après avoir visité Grimshaw et prêché à cinq heures du matin dans son église de Haworth, Wesley alla avec lui dans un village du nom de Roughlee. Pendant qu’il prêchait en plein air, une bande d’hommes, armés de bâtons et dirigés par un constable, dispersa l’assemblée et se saisit du prédicateur pour le conduire devant le juge de paix. Chemin faisant, les coups pleuvaient sur lui. Le magistrat devant qui il comparut voulait lui faire promettre qu’il ne reparaîtrait plus dans la localité. Le missionnaire répondit qu’il préférerait qu’on lui coupât la main plutôt que de prendre un tel engagement. Après l’avoir gardé deux heures, le juge de paix le relâcha. La populace, sous les yeux du magistrat, reprit possession de sa victime et lui fit subir toutes sortes de mauvais traitements ; il fut chargé de coups et jeté dans la boue. Ses compagnons ne furent pas mieux traités ; l’un d’eux fut traîné par les cheveux sur le sol, un autre précipité dans la rivière ; plusieurs furent blessés par les pierres qu’on leur jetait. L’organisateur de cette persécution était un ancien prêtre catholique, nommé White, devenu ministre anglican, qui avait, quelques jours auparavant, publié une proclamation, dans le but d’enrôler des volontaires « pour la défense de l’Église », promettant à chacun « une pinte de bière et d’autres encouragements convenablesh ». Il avait de plus prêché un sermon calomnieux contre les méthodistes, et il eut le courage de le publier et de le dédier à l’archevêque de Canterbury. Grimshaw fit justice de ce triste collègue dans un éloquent pamphlet, où il prit la défense de ses amis persécutés. White, après s’être ruiné par ses excès de toutes sortes, s’en alla finir ses jours au château de Chester, où il fut emprisonné pour dettes.
h – Myles, Life of Grimshaw, p. 114.
L’année suivante eurent lieu les désordres de Cork en Irlande, que nous avons racontés dans le chapitre précédent. Ils donnèrent naissance à plusieurs traités que Wesley publia, tels que sa Courte Adresse aux habitants de l’Irlande, sa Lettre à un catholique romain son Catéchisme romain, etc. Il retrouva, dans le Lancashire, les mêmes passions hostiles que précédemment. Il ne put pas prêcher en plein air à Rochdale, dont les rues étaient remplies de gens excités qui menaçaient de lui faire un mauvais parti.
De là, il se rendit à Bolton. « Nous n’étions pas plus tôt entrés dans la rue principale, dit-il, que nous nous aperçûmes que les lions de Rochdale étaient des agneaux comparés à ceux de Bolton. Je n’ai jamais vu peut-être une telle rage et une telle animosité chez des êtres à figure humaine. » On les suivit en vociférant jusqu’à la maison où ils devaient loger, et la populace en occupa toutes les avenues. L’un des amis de Wesley, ayant essayé de sortir, fut roulé dans la fange et revint dans le plus piteux état. La porte céda bientôt sous la pression de la foule. Wesley s’élança au milieu d’elle avec ce courage qui impose aux mauvaises passions, et monta sur une chaise pour parler au peuple. Cette attitude changea en un moment les dispositions. « Les vents étaient apaisés, dit le prédicateur, et le plus grand calme régnait au milieu de ces gens, tout à l’heure si turbulents. Je me sentais le cœur plein d’amour, les yeux pleins de larmes et la bouche pleine d’arguments. Mes auditeurs furent d’abord étonnés, puis confus, puis enfin attendris ; ils dévoraient chacune de mes paroles. Quel changement que celui-là ! Et comme Dieu a rendu inutiles les conseils du vieil Ahithophel ! Il a su amener à écouter la bonne nouvelle de la rédemption par Christ, tous les ivrognes, tous les blasphémateurs, tous les profanateurs du jour du repos, tous les grands pécheurs de cette localité. »
En 1750, Wesley visita pour la première fois la cité archiépiscopale de Canterbury, où existait déjà une société, et, pendant trois jours, il prêcha dans le marché au beurre et en d’autres lieux. L’un des ministres publia contre lui un virulent pamphlet intitulé : l’Imposteur démasqué, ou le prétendu saint dévoilé ; contenant la mise en lumière des horribles blasphèmes et impiétés enseignés par ces séducteurs diaboliques nommés méthodiste, sous couleur de vrai christianisme ; particulièrement destiné à l’usage de la cité de Canterbury, où ce mystère d’iniquité a dernièrement commencé à agir. Ce titre nous dispense de dire comment les méthodistes étaient traités dans cet écrit. La populace, là aussi excitée par ceux qui auraient dû la contenir, se porta à de grands excès, mais l’intervention de la justice y mit promptement un terme.
Sauf en Irlande, il n’y eut guère, cette année, de persécution. Nous n’appellerons pas de ce nom quelques tentatives de tapage ou d’intimidation, qui ne troublaient pas Wesley. Comme il allait prêcher à Shaftesbury, un agent de police vint lui dire : « Le maire vous fait défense, monsieur, de prêcher dans ce bourg. — Tant que le roi George me permettra de prêcher, répondit le prédicateur, je me passerai de la permission du maire de Shaftesbury. »
L’année suivante, Wesley, nouvellement marié, fit une tournée en Cornouailles, où il reçut le meilleur accueil, sauf à Tiverton, où les méthodistes, cruellement persécutés, avaient reçu le surnom de Maccabées, « et non sans raison, si l’on considère leurs souffrances et leur valeuri. » Pendant que Wesley prêchait, une bande vint, avec des fifres et des tambours, disperser l’assemblée ; un pauvre ramoneur, emmené comme otage par ces forcenés, reçut tant de mauvais traitements qu’il faillit en mourir. Le maire refusait de s’interposer en faveur des méthodistes et se servait d’un singulier raisonnement pour justifier sa conduite. « Nous avons à Tiverton, disait-il, quatre églises, quatre manières d’aller au ciel. C’est assez en conscience, et si les gens ne veulent pas aller au ciel par l’une ou l’autre de ces voies, ils n’iront pas du tout, aussi longtemps du moins que je serai maire de Tivertonj. »
i – Punshon, Wesley et son temps ; Conférence, trad. par M. Lelièvre, p. 33.
j – Meth. Mag., 1819, p. 544.
L’introduction du méthodisme en 1752 dans la ville de Hull, qui devait devenir l’un de ses centres les plus importants dans le Yorkshire, ne se fit pas sans luttes. Wesley y fut accueilli par un soulèvement général des passions mauvaises. Pendant qu’il prêchait en plein air, les mottes de terre et les pierres pleuvaient autour de lui. Lorsqu’il eut fini, la populace l’accompagna de ses huées et de ses projectiles jusqu’à son logement ; puis elle en fit le siège jusqu’à minuit et en brisa les vitres. Quelques années après, les dispositions avaient complètement changé, et Wesley reçut le meilleur accueil de la population.
A Chester, il sut maîtriser la foule ; mais, quatre jours après son départ, elle se ruait sur la chapelle et la démolissait sous les yeux et avec l’assentiment du maire. L’année suivante, lorsqu’il y revint, l’état des esprits avait changé ; le nouveau maire était aussi ferme que l’ancien était lâche, et il avait su rétablir l’ordre. La prédication de l’Évangile fit le reste, et, lorsqu’en 1759 Wesley y reparut, il réussit à faire une concurrence efficace à une course de chevaux qui avait lieu dans les environs, et il eut un auditoire nombreux et recueilli.
A Charlton, l’opposition avait été d’une nature différente, mais elle fut également vaincue. Tous les fermiers des environs, inquiets des progrès du Méthodisme, s’étaient liés entre eux par un engagement, aux termes duquel ils devaient n’employer à leur service aucune personne rattachée à cette secte. Ce complot fut déjoué de la meilleure manière. L’un des promoteurs de cette combinaison, convaincu par la puissance de la vérité, ouvrit sa maison aux prédicateurs ; il invita ses amis, qui y vinrent accompagnés de leurs serviteurs. « Ainsi tomba à terre, dit Wesley, tout ce complot de Satan, et ainsi l’œuvre de Dieu grandit et prévalutk. »
k – Journal, 9 septembre 1754.
Au commencement de 1750, le sud de l’Angleterre ressentit coup sur coup plusieurs secousses de tremblement de terre qui jetèrent la terreur dans les âmes. Les habitants de Londres désertaient leurs maisons pour se porter en foule sur les places publiques et dans les parcs. Whitefield et les deux Wesley profitèrent de cette panique pour prêcher à ces multitudes et pour les exhorter à la repentance.
[Sherlock, évêque de Londres, publia une Lettre au clergé et au peuple de Londres et de Westminster à l’occasion des récents tremblements de terre. Cet écrit, dont 60 000 exemplaires furent enlevés, avait pour but de rendre le peuple anglais attentif à ses péchés et fait une description lamentable de l’état moral de la nation. (Voy. Tyerman, t. II, p. 72.)]
Charles, dont le talent poétique se réveillait au contact des grands événements extérieurs, publia à cette occasion dix-neuf hymnes où respirent la confiance et la sérénité d’une âme que n’effrayent pas les cataclysmes de la nature. Il n’est pas douteux que l’ébranlement produit dans beaucoup d’âmes par le tremblement de terre de 1750 n’ait facilité l’œuvre d’évangélisation.
En 1753, Wesley prêcha, dans la prison de Bristol, à des mineurs qui avaient été pris à la suite d’une émeute, et il les trouva bien disposés à recevoir les consolations de la religion. Quelques mois auparavant, il avait visité la prison de Marshalsea, à Londres, qu’il appelle « une pépinière de tous les vices ».
La misère de Londres, qu’il voyait de près dans ses visites, excitait en lui une profonde compassion. « Qui pourrait voir de telles scènes sans être ému ? écrivait-il. On n’en trouverait pas de pareilles en pays païen. Si quelque Indien en Géorgie est malade, ceux qui l’entourent lui donnent le nécessaire. Oh ! qui convertira l’Anglais en un honnête païen ? J’ai trouvé des malheureux dans des caves humides, d’autres dans des galetas, à moitié morts de faim et de froid, mais je n’en ai pas trouvé un seul en état de se traîner qui ne fût occupé. L’objection commune : Ils sont misérables parce qu’ils sont paresseux, est méchamment et diaboliquement fausse. Si vous voyiez de vos yeux de tels spectacles, pourriez-vous encore dépenser votre argent en ornements et en superfluités ? »
Si, dans son ensemble, le méthodisme était en voie de progrès, il y avait quelques ombres au tableau. Il fallait exercer une discipline vigilante, sous peine d’être débordé par les mauvaises doctrines et par une morale relâchée. Wesley aimait à répéter cette parole d’un ancien : « L’âme et le corps font un homme ; l’esprit et la discipline font un chrétien. » Le long des côtes, surtout en Cornouailles, la contrebande était considérée comme de droit commun, et Wesley découvrit un jour, à sa grande douleur, que la plupart des membres à Saint-Ives et dans toute la contrée environnante, vendaient et achetaient des marchandises de contrebande. « Je leur déclarai, dit-il, qu’ils devaient renoncer à cette abomination ou qu’ils ne reverraient plus mon visage. » En combattant ces habitudes coupables et en excluant de ses sociétés ceux qui s’y adonnaient, il fit plus pour la réforme de ces abus que ne faisaient la police et la douane, généralement impuissantes.
Les docteurs antinomiens, du type morave ou du type calviniste, continuaient à jeter le trouble dans plusieurs sociétés. Celles du Staffordshire eurent surtout à souffrir de ces tendances :
« Quelle œuvre n’aurions-nous pas faite dans toutes ces contrées, s’écrie Wesley, si ce n’étaient ces misérables disputes, attisées par les partisans de la prédestination, qui ont réussi à jeter hors de la bonne voie tant d’âmes qui marchaient bien. Aux jours de la persécution, quand nous portions notre vie dans nos mains, aucun d’eux n’approchait ; les vagues étaient trop hautes pour eux ; mais, dès que le calme a reparu, ils sont accourus sur nous de tous les points de l’horizon et nous ont enlevé nos enfants. »
Ces calvinistes exaltés se réclamaient pour la plupart de Whitefield, mais en exagérant la doctrine de leur maître et en la poussant à des conséquences pratiques qu’il répudiait de toutes ses forces. Les deux Wesley, tout en repoussant le point de vue ultra-calviniste de leur ami, lui étaient tendrement attachés. Ils faisaient échange de chaires et se visitaient souvent.
« Le Seigneur fait revivre son œuvre comme aux premiers jours, écrit Charles en 1749. Des multitudes sont tous les jours ajoutées à son Église. George Whitefield, mon frère et moi, nous sommes un, une corde à trois cordons qui ne sera plus rompue. L’avant-dernière semaine, je l’ai reçu à notre maison de Newcastle et je lui ai donné pleine possession de notre chaire et du cœur de notre peuple, autant qu’il était en mon pouvoir d’en disposer. Le Seigneur a uni nos cœurs. J’ai pu, pendant quelques jours, profiter de son excellent ministère. Il n’a jamais été plus béni ni plus heureux. Sa parole terrassait des troupes entières de dissidents. Eux aussi sont maintenant réconciliés avec nous, à un point que vous ne sauriez imaginer. Le monde est confondu. Les cœurs de ceux qui cherchent le Seigneur se réjouissent. A Leeds, nous avons trouvé mon frère, qui a donné à l’honnête George la main d’association et l’a présenté partout à nos sociétés. Quelques-uns à Londres seront alarmés en apprenant ces nouvelles ; mais c’est l’œuvre du Seigneur, et ils le reconnaîtront peu à peul. »
l – Meth. Mag., 1848, p. 639.
Si les prédicateurs de Wesley étaient pour lui des auxiliaires précieux, ils ne laissaient pas de lui donner parfois bien des soucis. Leur piété et leur zèle étaient généralement admirables ; mais, faute d’une culture suffisante, ils se laissaient facilement entraîner par les nouveautés religieuses. L’un d’eux, nommé James Wheatley, embrassa les principes antinomiens et, grâce à une grande facilité de parole, devint très populaire et fit école parmi ses collègues. Expulsé pour cause d’immoralité en 1751, il réussit à se créer à Norwich une nombreuse église, qui résista noblement à une terrible persécution, mais qui s’écroula à la suite d’un nouveau scandale dont Wheatley se rendit coupable. Ces faits décidèrent les deux Wesley à soumettre leurs prédicateurs à une enquête attentive ; il en résulta une épuration de ce petit corps d’armée, qui comptait alors soixante-huit hommes et qui eût été impuissant s’il n’eût été fortement discipliné.
Wesley fonda, en 1748, sa fameuse école de Kingswood, sorte de collège d’internes, où étaient reçus à l’origine, moyennant une rétribution modeste, tous les enfants qu’on y envoyait, mais qui plus tard fut réservé aux fils des prédicateurs. Le programme embrassait les diverses matières qui composent une instruction libérale. Wesley le rédigea avec le plus grand soin et en surveilla l’application dans ses moindres détails. Mécontent des livres en usage dans les écoles de son temps, il prépara lui-même des grammaires, des manuels et de nouvelles éditions soigneusement expurgées des auteurs classiques. Malheureusement il voulut appliquer au régime intérieur du collège de Kingswood une discipline militaire, ou plutôt monastique, qui ne tenait pas compte de l’âge et des différences d’aptitudes des élèves. Fort compétent en matière d’instruction, il se montra mauvais éducateur. Son école, dotée d’un régime digne de Sparte, végéta longtemps et fut pour lui une source de déboires et d’ennuis. Elle n’échappa à la ruine qu’en brisant les mailles du corset de fer dans lequel l’esprit logicien à outrance de son fondateur avait voulu l’enfermer.
Pendant la période de sept ans qu’embrasse ce chapitre, Wesley continua à faire un grand usage de la presse. Sa publication la plus considérable fut la Bibliothèque chrétienne, collection d’ouvrages de théologie pratique abrégés par lui, et qui, commencée en 1749, fut achevée en 1755, et dut lui demander d’immenses lectures et un travail considérable. Son but était de mettre un choix bien fait de livres d’édification à la portée des membres de ses sociétés. Ce but fut pleinement atteint.
Ces nombreuses publications, que la plume féconde de Wesley produisait d’année en année, nécessitèrent, pour leur écoulement, une administration spéciale, et, en 1753, les stewards ou économes de la société de Londres acceptèrent de correspondre avec les sociétés pour les envois de livres et de fonds. C’était la première idée de l’agence de publications (Book-Room), qui devait plus tard prendre une si grande importance.
Le moment est venu de parler du mariage de Wesley, qui eut lieu en 1751. Son frère Charles s’était marié deux ans auparavant, et la femme qu’il avait choisie allait lui assurer l’intérieur paisible et heureux dont il était digne. Quant à John, il avait longtemps pensé que sa vie itinérante ne se concilierait pas facilement avec les devoirs de la famille. Le célibat avait pour lui des charmes, et, dans un écrit intitulé : Pensées sur la vie du célibatm, il l’avait recommandé, à l’exemple de Jésus-Christ et de saint Paul, à tous ceux qui s’y adonnent « en vue du royaume des cieux ». Ses idées sur ce sujet subirent néanmoins quelques modifications, et il en vint à désirer d’associer à sa vie une compagne qui lui créât un intérieur où il pût se reposer au retour de ses perpétuels voyages. Ses pensées se fixèrent d’abord sur une jeune veuve de Newcastle, Grâce Murray, qui occupait la place de matrone dans la Maison des orphelins et qui, à la fois très intelligente et très pieuse, prenait une part active aux, œuvres chrétiennes. Wesley éprouvait pour elle un vif attachement, qui était payé de retour. Ce projet paraissait devoir se réaliser, et, confiant dans la promesse de la jeune femme, il avait repris le cours de ses voyages, lorsque lui parvint la nouvelle que Grace Murray renonçait à lui et que, pour rendre irréparable cette rupture, elle venait d’accepter la main de l’un des prédicateurs, John Bennett, qui avait précédemment aspiré à elle. Ce fut un coup douloureux pour Wesley, surtout quand il apprit que c’était son frère Charles et quelques autres amis qui avaient précipité ce dénouement. Leur raison pour en agir ainsi, c’est que cette union leur paraissait une mésalliance, qui eût pu affaiblir la grande autorité dont Wesley jouissait au milieu des sociétés. Ils écartèrent donc, par un procédé peu délicat, ce qu’ils considéraient comme une union mal assortie.
m – En 1743, Wesley publia un traité sous ce titre : Thoughts on Marriage and a Single Life. Il le remplaça plus tard par un autre, intitulé : Thoughts on a Single Life, qui figure dans le t. XI de ses Œuvres, p. 456-463.
L’imagination complaisante des biographes de Wesley a prêté à celle qui faillit être sa femme toutes les vertus et toutes les qualités que n’eut pas sa femme véritable. Nous ne les suivrons pas dans leurs conjectures, et, sans adopter non plus le jugement sévère de M. Tyerman, qui voit en Grace Murray une coquette sans cœur qui joua avec les sentiments d’un honnête homme, nous constaterons que les amis de Wesley, pour lui éviter une mésalliance, contribuèrent à lui faire contracter l’une des unions les plus malheureuses dont l’histoire ait gardé le souvenir.
Ce fut Vincent Perronet, son ami, qui, en 1751, le mit en rapport avec une Mme Vazeille ou Vizelle, veuve riche ayant quatre enfants et qui paraissait posséder les qualités nécessaires à une femme de pasteur. Ce fut le tort de Wesley de s’en rapporter aveuglément à son ami et de ne pas prendre le temps d’examiner la chose par lui-même. Comme s’il craignait que quelque incident ne vînt cette fois encore nuire à son dessein, il mena très rapidement cette affaire, et son mariage fut consommé quinze jours après avoir été résolu. En changeant de position, il entendait n’aliéner en rien sa liberté de ministre de Jésus-Christ. Aussi, dans les accords qui intervinrent avant la célébration du mariage, il demanda lui-même de n’avoir rien à démêler avec la fortune de sa femme, mais il déclara aussi qu’il entendait bien que son mariage ne l’obligerait ni à prêcher un sermon de moins qu’auparavant, ni à voyager un mille de moins. « Si je pensais qu’il dût en être autrement, dit-il à celle qui allait être sa femme, aussi vrai que je vous aime, je ne verrais plus votre visage de ma vie. »
Malheureusement, en donnant son adhésion à ces arrangements, Mme Wesley promettait ce qu’elle ne devait pas tenir, et l’expérience allait apprendre à son mari qu’il avait commis une erreur irréparable en l’épousant. Toutes ses qualités, en effet, étaient effacées par un grand défaut : elle était jalouse. Incapable de comprendre la nature si élevée et le caractère si pur de son mari, elle se laissa entraîner par sa folle imagination aux soupçons les plus outrageants. Voyant qu’elle ne pouvait l’amener à adopter une vie sédentaire qu’il eût considérée comme une infidélité à sa mission spéciale, elle donna libre carrière à sa mauvaise humeur et à ses mauvaises pensées. Dominée par son idée fixe, il lui arriva de parcourir une distance de cent milles pour l’épier de quelque fenêtre, afin de voir qui était en voiture avec lui lorsqu’il entrait dans une ville. Elle ouvrait ses lettres, fouillait ses papiers, et même les livra à ses ennemis, dans l’espoir qu’ils en feraient usage pour ternir son caractère. La passion véritablement maniaque qui aveuglait cette malheureuse femme la porta plus d’une fois à quitter le domicile conjugal, où elle revenait ensuite sur les instances de son mari. A la fin cependant, elle le quitta, emportant avec elle une partie de ses papiers et déclarant qu’elle ne reviendrait plus. Cette fois-ci, la mesure était comble. Wesley, qui, pendant vingt ans, avait souffert un martyre quotidien, écrivit dans son journal la note suivante : « 23 février 1771. Elle est partie pour Newcastle, je ne sais pour quelle cause, en me disant qu’elle ne reviendra jamais. Non eam reliqui ; non dimisi ; non revocabo : Je ne l’ai pas délaissée ; je ne l’ai pas renvoyée ; je ne la rappellerai pas. »
« Ainsi fut dissous sommairement, dit Southey, ce malheureux mariage. Mme Wesley vécut dix ans après cette séparation, et son épitaphe la décrit comme une femme d’une piété exemplaire, une tendre mère et une amie dévouée ; mais elle se tait prudemment sur ses vertus conjugalesn. »
n – Life of Wesley, chap. XXIV.
« Pendant vingt ans, dit Stevens, elle persécuta son mari par des soupçons sans fondement et par d’intolérables vexations, et si quelque chose peut donner une preuve admirable de la vraie grandeur du caractère de Wesley, c’est bien le fait que sa carrière publique n’en ressentit pas le contre-coup, et ne perdit rien de son énergie et de ses succès, pendant tout le cours de cette infortune domestique si prolongéeo. »
o – History of Methodism, t. I. p. 370.
Dans l’automne de 1753, Wesley fut gravement malade, par suite des grandes fatigues qu’il avait endurées ; les médecins redoutaient une consomption et lui ordonnèrent un repos complet à la campagne. Les sociétés de Londres et de la province, fort alarmées par ces nouvelles, firent monter vers le ciel d’ardentes supplications en sa faveur. Tout semblait annoncer une mort prochaine, et Wesley lui-même s’y préparait, comme le prouve l’épitaphe qu’il composa « pour prévenir, dit-il, tout vil panégyrique ». Elle était ainsi conçue : Ici repose le corps de John Wesley, tison arraché du feu, qui mourut d’une consomption dans la cinquante-septième année de son âge, ne laissant, ses dettes payées, que dix livres après lui. Sa prière fut : dieu, aie pitié de moi, qui suis un serviteur inutile !
Cette maladie valut à Wesley des témoignages de sympathie qui lui vinrent de tous les côtés et qui lui montrèrent les vrais sentiments de personnes dont il avait pu être séparé par des dissentiments passagers. Aucune de ces sympathies ne lui fut plus précieuse que celle de Whitefield. La lettre que lui écrivit cet ancien compagnon d’armes leur fait trop d’honneur à tous les deux pour que nous ne la reproduisions pas. Elle prouve, comme nous l’avons dit plus haut, que toute aigreur avait disparu entre ces serviteurs de Dieu, et qu’ils vivaient l’un et l’autre sur ces hauteurs où s’oublient les misères d’ici-bas.
« Si, en voyant combien vous étiez faible au moment de votre départ de Londres, je m’attristais, la nouvelle et la perspective de votre fin prochaine m’ont tout à fait consterné. Je me plains moi-même et je plains l’Église ; mais je ne vous plains pas. Un trône glorieux vous attend, et avant peu vous entrerez dans la joie de votre Maître. Il se tient là, une couronne éclatante dans les mains ; il va la poser sur votre tête, au milieu de l’assemblée émue des saints et des anges. Mais moi, pauvre créature, qui attends depuis dix-neuf ans ma dissolution terrestre, je dois donc demeurer ici-bas après vous pour y gémir encore. Eh bien, ce qui me console, c’est la pensée que les chariots de Dieu ne peuvent plus guère tarder à venir me chercher moi-même, tout indigne que je suis. Oh ! si les prières pouvaient les retenir, vous ne nous quitteriez pas encore, Révérend et très cher Monsieur ; mais si l’arrêt est déjà prononcé, si vous devez maintenant vous endormir en Jésus, puisse-t-il embrasser votre âme et vous donner de mourir dans les étreintes de l’amour divin !
La semaine prochaine, j’espère vous faire mes derniers adieux, si vous êtes encore sur la terre des mourants. Sinon, Révérend et très cher Monsieur, Adieu. Ego sequar, etsi non passibus æquisp. Mon cœur est trop gros ; mes larmes coulent trop abondamment, et je crains que vous ne soyez vous-même trop faible pour que j’en dise davantage. Puissent les bras éternels de Christ vous envelopper ! Je vous recommande à sa miséricorde, qui ne nous fait jamais défaut, et je suis, Révérend et bien cher Monsieur,
Votre très affectionné, sympathique et affligé jeune frère en l’Évangile de notre commun Seigneur,
G. Whitefield. »
p – Je vous suivrai, quoique à pas plus lents.
Les craintes de Whitefield ne se réalisèrent pas, et Wesley revint à la santé. Pendant plus de trente ans encore, il devait se dépenser au service de Dieu et de son Église. Sa convalescence fut longue. Il utilisa les loisirs qu’elle lui fit à préparer plusieurs livres pour la presse. Il acheva la révision des divers ouvrages qu’il destinait à faire partie de sa Bibliothèque chrétienne. Retiré aux eaux de Hot-Wells, près de Bristol, il y commença aussi ses Notes sur le Nouveau Testament, ouvrage qui, bien que d’une grande concision, est riche d’idées.
Le printemps venu, Wesley put reprendre ses fonctions ordinaires avec des forces renouvelées.