La demi-incrédulité des vieux sociniens et des unitaires modernes est étrangement inconséquente. Accordant, d’un côté, la perfection sans tache du caractère du Christ et la crédibilité de l’histoire évangélique, y compris les miracles, et, de l’autre, niant cependant sa divinité, ils sont obligés de mettre sur le compte de Jésus des illusions et des exagérations si énormes, qu’elles renversent tous les aveux qu’ils font de sa perfection morale ; ou bien ils sont contraints d’affaiblir et de tordre de telle sorte le témoignage qu’il se rend sur ses rapports avec Dieu, que leur interprétation en devient absolument inconciliable avec les règles de la grammaire et d’une saine exégèse.
Le DrW. E. Channing le mieux doué et le plus noble représentant de l’unitarisme moderne, préfère éluder cette difficulté qu’il ne se sent pas on état du résoudre. Dans son excellent Discours sur le caractère du Christ, il va presque aussi loin qu’aucun théologien orthodoxe, par sa manière de le justifier et de le défendre comme l’homme le plus pur et le plus éminent qu’on puisse se figurer ; mais il s’arrête à mi-chemin, et garde le silence sur toutes ces prétentions extraordinaires de Jésus, que les principes purement humanitaires et sociniens ne peuvent expliquer. Il arrive pourtant jusqu’au seuil de la véritable foi, dans le remarquable passage suivant, que nous avons le droit de citer contre son propre système : « Quand je suis en état de me soustraire à la puissance mortelle de l’habitude, et de laisser agir sur mon âme le plein sens de passages tels que ceux-ci : Venez à moi, vous tous qui êtes travaillés et chargés, et je vous soulagerai. — Je suis venu chercher et sauver ce qui était perdu. — Celui qui me confesse devant les hommes, je le confesserai aussi devant mon Père céleste. — Celui qui renie le Fils de l’homme, le Fils de l’homme le reniera aussi quand il viendra dans la gloire du Père et des saints anges. — il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père : je vais vous y préparer une place. — Quand je réussis, dis-je, à me représenter vivement le puissant contenu de ces déclarations, je sens, pourquoi ne l’avouerai-je pas, que je suis aux écoutes d’un être qui a parlé comme jamais aucun mortel ne l’a fait ni avant ni après lui. Un saint frisson me saisit au sentiment de la grandeur qu’expriment ces simples paroles ; et lorsque je rapproche de cette grandeur les preuves des miracles du Christ, telles que je les ai exposées dans un précédent discours, je suis forcé de m’écrier avec le centurion : « Vraiment cet homme était le Fils de Dieu19 ! »
19 – Discours sur le caractère du Christ. Œuvres de Channing. Boston, vol IVe, p. 20.
Mais ce n’est pas tout. Nous avons vu que le Christ va beaucoup plus loin encore que ne l’indiquent les passages cités ici ; qu’il pardonne les péchés en son nom ; qu’il affirme sa préexistence avant Abraham et avant le monde ; et cela, non pas seulement au sens idéal d’une préexistence dans l’Esprit de Dieu, car alors il ne serait distinct ni d’Abraham ni d’aucune autre créature, mais au sens réel d’une existence consciente et personnelle ; nous avons vu qu’il prétend expressément à des attributs et à des honneurs divins ; qu’il reçoit ces derniers, et qu’il se fait lui-même l’égal de Jéhovah. Eh bien ! comment donc un Etre si pur et si saint, si complètement humble et modeste, si parfaitement affranchi de toute trace d’imagination et d’enthousiasme, tel que le Dr Channing avoue lui-même ouvertement et solennellement qu’il a été, peut-il prétendre être ce qu’il n’était pas réellement ? Pourquoi donc ne pas aller au delà de l’exclamation du centurion païen, et, s’unissant à la confession de saint Pierre et à l’adoration du sceptique Thomas, ne pas dire : « Mon Seigneur et mon Dieu20 ? »
20 – Le sens que quelques théologiens unitaires donnent à ces paroles de Thomas, en n’y voyant que la simple expression de son étonnement au sujet de la résurrection, est tout bonnement absurde, et ne mérite d’être remarqué que parce qu’il montre quelle insoluble difficulté ce passage oppose à la christologie unitaire.
L’unitarisme fait des concessions qui dépassent ou qui renversent ses propres conclusions ; et la logique le, pousse, sous le coup de cette alternative, ou de retomber dans une christologie plus incrédule, ou de tendre la main à celle de l’orthodoxie. C’est ce que Parker avait fort bien senti ; aussi prit-il le premier parti. Mais un homme comme Channing, placé à coup sûr sous l’influence du saint exemple du Christ, ne pouvait qu’incliner vers le second, comme nous sommes autorisés à le conclure de tout son esprit, et du dernier discours qu’il prononça, peu avant sa mort, à Lenox, dans le Massachusetts, en. 1842, où il dit : « La doctrine du Verbe fait chair nous montre Dieu s’unissant intimement à notre nature, et se révélant sous la forme humaine pour nous faire participer à sa propre perfection. »
Channing inclinait donc vers un certain arianisme supérieur, et il était sur le point de reconnaître à Jésus une espèce de demi-divinité, aussi bien que sa préexistence antérieure au monde. Mais cette conception implique l’absurdité d’une créature avant la création, ou d’un être temporel avant le temps, car le temps n’a pas existé antérieurement au monde, puisqu’il est né avec lui, étant la forme même de son existence.