Il nous reste à examiner une question très importante, savoir : la place que l’on doit donner aux miracles dans l’ensemble des preuves de la révélation ? et le service qu’ils peuvent rendre ici ? Ils ne pouvaient occuper le premier rang dans les apologies des premiers temps de l’Église. Justin martyr n’en parle presque pas ; les miracles chrétiens ne s’étaient pas encore suffisamment distingués de la multitude des faux prodiges ; mais, plus tard, un rang plus important leur fut assigné, surtout dans les deux derniers siècles.
La littérature apologétique de ce temps-là participait, c’était inévitable à la décadence générale de toute la théologie ; personne, aujourd’hui, ne serait satisfait du ton général et de l’esprit des apologies des deux derniers siècles ; ces apologètes semblent avoir été persuadés que le meilleur moyen de réfuter le déisme était de réduire le christianisme à une sorte de déisme révélé. Renonçant à défendre le christianisme dans son entier, ils s’efforcent d’en sauver au moins une partie, sacrifiant tel ou tel point pour satisfaire les adversaires ; ils sont semblables à des hommes qui crieraient : Au voleur ! et qui, en même temps, jetteraient par la fenêtre les objets les plus précieux. Aussi est-il arrivé quelquefois que la bonne cause a souffert autant de la part de ses défenseurs que de ses adversaires. On accorda trop d’importance aux miracles ; ils furent séparés des vérités auxquelles ils rendaient témoignage, comme on arracherait un sceau du document qu’il rend important. Ainsi, séparés de la personne de Christ et de sa doctrine, ils devaient servir de preuves en faveur du christianisme.
Il n’est pas difficile de découvrir les motifs d’une telle manière de procéder ; on voulait obtenir une démonstration absolue de la foi chrétienne qui pût servir objectivement à chacun ; on voulait procéder comme dans les mathématiques ou la logique, où tout le raisonnement se formule en axiomes et en propositions. La foi de ces apologètes était purement extérieure, historique puisqu’ils se contentaient d’une évidence externe, au lieu de regarder en eux-mêmes et de dire : « Nous connaissons les choses que nous croyons ; elles nous sont plus chères que tout le reste, car nous avons le témoignage de l’Esprit ; nous avons reconnu ces choses comme vraies, car elles nous ont été révélées par une démonstration d’Esprit et de puissance. » Au lieu de faire appel à ces puissantes influences que les paroles et la doctrine de Christ exercent sur tout cœur qui les reçoit, à leur pouvoir de transformation, aux miracles de la grâce qui sont le partage de quiconque a cru pour le salut, on rejetait tout cela comme étant d’un domaine mystique et incertain. On avait peur de semblables évidences ; on se bornait à dire : Le christianisme est une révélation divine ; ce qui le prouve, ce sont les miracles qui ont accompagné sa promulgation ; ici, le grand tort de l’apologiste chrétien, c’est de négliger le domaine de la vie spirituelle, de ne pas faire appel à la puissance régénératrice inséparable de la foi au Sauveur ; il aurai dû, tout au moins, se servir de cette preuve interne en s’adressant au croyant, pour l’affermir dans sa foi, ou pour
l’éclairer sur les bases de cette même foi. Il aurait fallu lui parler des puissances du siècle à venir, dont il avait déjà fait l’expérience en quelque mesure.
Coleridge dit : « La conviction d’une vérité morale, la création d’un nouveau cœur n’est-elle pas le miracle par excellence, possédant la même force d’évidence pour l’ignorant et le savant ; n’est-ce pas l’attrait du Père, sans lequel personne ne peut venir à Christ ? » Et même s’il s’agit d’argumenter avec quelqu’un qui n’a jamais connu cette puissance intérieure, ne faut-il pas parler de cette même puissance se manifestant au dehors sous la forme de la chrétienté, des changements considérables que la religion chrétienne a produits sur la terre, des fruits divins qu’elle a portés en tous lieuxb ? Pour expliquer de tels faits, il faut admettre la puissance de Christ. Il est vrai qu’ici il faut renoncer à formuler la preuve du christianisme, comme on formule un axiome dans les sciences exactes ; la raison pour laquelle nous, chrétiens, nous croyons est d’ordre moral plutôt que logique ; notre âme demande une preuve morale, et non pas une formule tout extérieure ; il est bien peu de personnes qui aient pu construire leur édifice religieux sur le témoignage de l’évidence externe. Heureux l’homme qui, lorsqu’on attaque les remparts extérieurs de sa foi, peut se réfugier derrière le témoignage de l’Esprit, comme dans une citadelle intérieure inexpugnable, et de là faire des sorties victorieuses ! S’il en est ainsi pour celui qui, désirant de croire, est involontairement troublé par certains doutes, dont il souhaite d’être délivré pour toujours, il est absurde de penser qu’on puisse par de simples formules de logique, amener à la foi celui qui ne veut pas croire. Plutôt que d’accepter la réalité d’un miracle, il se réfugiera dans l’accusation de fraude, d’ignorance, de folie : il emploiera tous les moyens. Nous savons que les miracles de Christ produisirent des effets bien divers sur ceux qui en furent les témoins ; lorsqu’il ressuscita un mort, les uns crurent, d’autres allèrent le dire aux pharisiens (Jean 11.45-46) ; lorsqu’on entendit des voix du ciel, les uns dirent que c’était un tonnerre, d’autres comprirent que Dieu rendait ainsi témoignage à son Fils (Jean 12.28-30).
b – C’était là ce qui avait frappé Darwin, dans son voyage autour du monde. (Note du trad.)
Les miracles ne doivent-ils donc occuper aucune place dans l’ensemble des preuves de la révélation ? Au contraire, ils ont une grande valeur ; nous avons besoin d’en constater l’existence dans l’histoire sacrée ; ils font partie de l’idée d’un Rédempteur, qui serait incomplète sans eux. Nous ne pouvons nous représenter un Rédempteur qui ne ferait pas de miracles ; le Sauveur doit s’être manifesté non seulement par des paroles, mais aussi par des actes. Trop souvent, ces œuvres de Christ ont été séparées de sa vie et de sa doctrine on a parlé des miracles comme s’ils n’empruntaient rien aux vérités qu’ils attestaient, et comme si ces vérités ne dépendaient que des miracles, tandis qu’il y a entre eux une relation de mutuelle dépendance, les miracles prouvant les doctrines, et les doctrines confirmant les miracles. Les uns et les autres forment une sainte unité dans la personne de Celui qui prononça les paroles et fit les œuvres ; nous croyons aux miracles à cause de Christ, plutôt que nous n’acceptons Christ à cause de ses miracles.