Ayant traité, dans les quatre livres qui précèdent, de l’origine des deux cités, saint Augustin en expose le progrès dans les quatre livres qui suivent, et, pour cela, il s’attache aux principaux passages de l’Histoire sainte où ce progrès est indiqué. Dans le présent livre, en particulier, il commente le récit de la Genèse depuis Caïn et Abel jusqu’au déluge.
On a beaucoup écrit sur le paradis terrestre, sur la félicité dont on y jouissait, sur la vie qu’y menaient les premiers hommes, sur leur crime et leur punition. Et nous aussi, nous en avons parlé dans les livres précédents, selon ce que nous en avons lu ou pu comprendre dans l’Ecriture ; mais un examen détaillé de tous ces points ferait naître une infinité de questions qui demanderaient à être traitées avec plus d’étendue, et qui passeraient de beaucoup les bornes de cet ouvrage et de notre loisir. Où en trouver assez, si nous prétendions répondre à toutes les difficultés que nous pourraient faire des esprits oisifs et pointilleux, toujours plus prêts à former des objections que capables d’en comprendre les solutions ? J’estime toutefois avoir déjà éclairci les grandes et difficiles questions du commencement et de la fin du monde, de la création de l’âme et de celle de tout le genre humain, qui a été distingué en deux ordres, l’un composé de ceux qui vivent selon l’homme, et l’autre de ceux qui vivent selon Dieu. Nous donnons encore à ces deux ordres le nom mystique de Cités, par où il faut entendre deux sociétés d’hommes, dont l’une est prédestinée à vivre éternellement avec Dieu, et l’autre à souffrir un supplice éternel avec le diable. Telle est leur fin, dont nous traiterons dans la suite. Maintenant, puisque nous avons assez parlé de leur naissance, soit dans les anges, soit dans les deux premiers hommes, il est bon, ce me semble, que nous en considérions le cours et le progrès, depuis le moment où les deux premiers hommes commencèrent à engendrer jusqu’à la fin des générations humaines. C’est de tout cet espace de temps, où il se fait une révolution continuelle de personnes qui meurent, et d’autres qui naissent et qui prennent leur place, que se compose la durée des deux cités.
Caïn, qui appartient à la cité des hommes, naquit le premier des deux auteurs du genre humain ; vint ensuite Abel, qui appartient à la cité de Dieu. De même que nous expérimentons dans chaque homme en particulier la vérité de cette parole de l’Apôtre, que ce n’est pas ce qui est spirituel qui est formé le premier, mais ce qui est animal[1], d’où vient que nous naissons d’abord méchants et charnels, comme sortant d’une racine corrompue, et ne devenons bons et spirituels qu’en renaissant de Jésus-Christ, ainsi en est-il de tout le genre humain. Lorsque les deux cités commencèrent à prendre leur cours dans l’étendue des siècles, l’homme de la cité de la terre fut celui qui naquit le premier, et, après lui, le membre de la cité de Dieu, prédestiné par la grâce, élu par la grâce, étranger ici-bas par la grâce, et par la grâce citoyen du ciel. Par lui-même, en effet, il sortit de la même masse qui avait été toute condamnée dans son origine ; mais Dieu, comme un potier de terre (car c’est la comparaison dont se sert saint Paul[2], à dessein, et non pas au hasard), fit d’une même masse un vase d’honneur et un vase d’ignominie[3]. Or, le vase d’ignominie a été fait le premier, puis le vase d’honneur, parce que dans chaque homme, comme je viens de le dire, précède ce qui est mauvais, ce par où il faut nécessairement commencer, mais où il n’est pas nécessaire de demeurer ; et après vient ce qui est bon, où nous parvenons par notre progrès dans la vertu, et où nous devons demeurer. Il est vrai dès lors que tous ceux qui sont méchants ne deviendront pas bons ; mais il l’est aussi qu’aucun ne sera bon qui n’ait été originairement méchant. L’Ecriture dit donc de Caïn qu’il bâtit une ville[4] ; mais Abel, qui était étranger ici-bas, n’en bâtit point. Car la cité des saints est là-haut, quoiqu’elle enfante ici-bas des citoyens en qui elle est étrangère à ce monde, jusqu’à ce que le temps de son règne arrive et qu’elle rassemble tous ses citoyens au jour de la résurrection des corps, quand ils obtiendront le royaume qui leur est promis et où ils régneront éternellement avec le Roi des siècles, leur souverain.
[1] I Cor. XV, 46.
[2] Saint Paul emprunte cette comparaison à Isaïe (XLV, 9) et à Jérémie (XVIII, 3 et seq.)
[3] Rom. IX, 21.
[4] Gen. IV, 17.
Il a existé sur la terre, à la vérité, une ombre et une image prophétique de cette cité, pour en être le signe obscur plutôt que la représentation expresse, et cette image a été appelée elle-même la cité sainte, comme le symbole et non comme la réalité de ce qui doit s’accomplir un jour. C’est de cette image inférieure et subordonnée dans son contraste avec la cité libre qu’elle marquait, que l’Apôtre parle ainsi aux Galates : « Dites-moi, je vous prie, vous qui voulez être sous la loi, n’avez-vous point ouï ce que dit la loi ? Car il est écrit qu’Abraham a eu deux fils, l’un de la servante et l’autre de la femme libre. Mais celui qui naquit de la servante naquit selon la chair, et celui qui naquit de la femme libre naquit en vertu de la promesse de Dieu. Or, tout ceci est une allégorie. Ces deux femmes sont les deux alliances, dont la première, qui a été établie sur le mont Sina et qui n’engendre que des esclaves, est figurée par Agar. Agar est en figure la même chose que Sina, montagne d’Arabie, et Sina représente la Jérusalem terrestre qui est esclave avec ses enfants, au lieu que la Jérusalem d’en haut est vraiment libre, et c’est elle qui est notre mère ; car il est écrit : Réjouissez-vous, stériles qui n’enfantez point ; poussez des cris de joie, vous qui ne concevez point ; car celle qui était délaissée a plus d’enfants que celle qui a un mari. Nous sommes donc, mes frères, les enfants de la promesse, ainsi qu’Isaac. Et comme alors celui qui était né selon la chair persécutait celui qui était né selon l’esprit, il en est encore de même aujourd’hui. Mais que dit l’Ecriture ? Chassez la servante et son fils ; car le fils de la servante ne sera point héritier avec le fils de la femme libre. Or, mes frères, nous ne sommes point les enfants de la servante, mais de la femme libre ; et c’est Jésus-Christ qui nous a acquis cette liberté[1] ». Cette explication de l’Apôtre nous apprend comment nous devons entendre les deux Testaments. Une partie de la cité de la terre est devenue une image de la cité du ciel. Elle n’a pas été établie pour elle-même, mais pour être le symbole d’une autre ; et ainsi la cité de la terre, image de la cité du ciel, a en elle-même une image qui la représentait. En effet, Agar, servante de Sarra, et son fils étaient en quelque façon une image de cette image, une figure de cette figure ; et comme, à l’arrivée de la lumière, les ombres devaient s’évanouir, Sarra, qui était la femme libre et signifiait la cité libre, laquelle figurait elle-même la Jérusalem terrestre, dit : « Chassez la servante et son fils ; car le fils de la servante ne sera point héritier avec mon fils Isaac », ou, comme dit l’Apôtre : « Avec le fils de la femme libre ». Nous trouvons donc deux choses dans la cité de la terre, d’abord la figure d’elle-même, et puis celle de la cité du ciel qu’elle représentait. Or, la nature corrompue par le péché enfante les citoyens de la cité de la terre, et la grâce, qui délivre la nature du péché, enfante les citoyens de la cité du ciel ; d’où vient que ceux-là sont appelés des vases de colère, et ceux-ci des vases de miséricorde[2]. C’est encore ce qui a été figuré dans les deux fils d’Abraham, attendu que l’un d’eux, savoir Ismaël, est né selon la chair, de la servante Agar, et l’autre, Isaac, est né de la femme libre, en exécution de la promesse de Dieu. L’un et l’autre à la vérité sont enfants d’Abraham, mais l’un engendré selon le cours ordinaire des choses, qui marquait la nature, et l’autre donné en vertu de la promesse, qui signifiait la grâce. En l’un paraît l’ordre des choses humaines, et dans l’autre éclate un bienfait particulier de Dieu.
[1] Galat. IV, 21-31.
[2] Rom. IX, 21, 23.
Sarra était réellement stérile ; et, comme elle désespérait d’avoir des enfants, elle résolut d’en avoir au moins de sa servante qu’elle donna à son mari pour habiter avec elle. De cette sorte, elle exigea de lui le devoir conjugal, usant de son droit en la personne d’une autre. Ismaël naquit comme les autres hommes de l’union des deux sexes, suivant la loi ordinaire de la nature : c’est pour cela que l’Ecriture dit qu’il naquit selon la chair, non que les enfants nés de cette manière ne soient des dons et des ouvrages de Dieu, de ce Dieu dont la sagesse atteint sans aucun obstacle d’une extrémité à l’autre et qui dispose toutes choses avec douceur[1], mais parce que, pour marquer un don de la grâce de Dieu entièrement gratuit et nullement dû aux hommes, il fallait qu’un enfant naquît contre le cours ordinaire de la nature. En effet, la nature a coutume de refuser des enfants à des personnes aussi âgées que l’étaient Abraham et Sarra quand ils eurent Isaac, outre que Sarra était même naturellement stérile. Or, cette impuissance de la nature à produire des enfants dans cette disposition, est un symbole de la nature humaine, corrompue par le péché et justement condamnée, et désormais déchue de toute véritable félicité. Ainsi Isaac, né en vertu de la promesse de Dieu, figure très-bien les enfants de la grâce, les citoyens de la cité libre, les cohéritiers de l’éternelle paix, où ne règne pas l’amour de la volonté propre, mais une charité humble et soumise, unie dans la jouissance commune du bien immuable, et qui de plusieurs cœurs n’en fait qu’un.
[1] Sag. VIII, 1.
Mais la cité de la terre, qui ne sera pas éternelle (car elle ne sera plus cité, quand elle sera condamnée au dernier supplice), trouvera-ici-bas son bien, dont la possession lui procure toute la joie que peuvent donner de semblables choses. Comme ce bien n’est pas tel qu’il ne cause quelques traverses à ceux qui l’aiment, il en résulte que cette cité est souvent divisée contre elle-même, que ses citoyens se font la guerre, donnent des batailles et remportent des victoires sanglantes. Là chaque parti veut demeurer le maître, tandis qu’il est lui-même esclave de ses vices. Si, lorsqu’il est vainqueur, il s’enfle de ce succès, sa victoire lui devient mortelle ; si, au contraire, pensant à la condition et aux disgrâces communes, il se modère par la considération des accidents de la fortune, cette victoire lui est plus avantageuse ; mais la mort lui en ôte enfin le fruit ; car il ne peut pas toujours dominer sur ceux qu’il s’est assujettis. On ne peut pas nier toutefois que les choses dont cette cité fait l’objet de ses désirs ne soient des biens, puisque elle-même, en son genre, est aussi un bien, et de tous[1] biens de la terre le plus excellent. Or, pour jouir de ces biens terrestres, elle désire une certaine paix, et ce n’est que pour cela qu’elle fait la guerre. Lorsqu’elle demeure victorieuse et qu’il n’y a plus personne qui lui résiste, elle a la paix que n’avaient pas les partis contraires qui se battaient pour posséder des choses qu’ils ne pouvaient posséder ensemble. C’est cette paix qui est le but de toutes les guerres et qu’obtient celui qui remporte la victoire. Or, quand ceux qui combattaient pour la cause la plus juste demeurent vainqueurs, qui doute qu’on ne doive se réjouir de leur victoire et de la paix qui la suit ? Ces choses sont bonnes, et viennent sans doute de Dieu ; mais si l’on se passionne tellement pour ces moindres biens, qu’on les croie uniques ou qu’on les aime plus que ces autres biens beaucoup plus excellents qui appartiennent à la céleste cité, où il y aura une victoire suivie d’une paix éternelle et souveraine, la misère alors est inévitable et tout se corrompt de plus en plus.
[1] Lucain, dans la Pharsale, au livre I, V. 95.
C’est ainsi que le premier fondateur de la cité de la terre fut fratricide. Transporté de jalousie, il tua son frère, qui était citoyen de la cité éternelle et étranger ici-bas. Il n’y a donc rien d’étonnant que ce crime primordial et, comme diraient les Grecs, ce type du crime, ait été imité si longtemps après, lors de la fondation de cette ville qui devait être la maîtresse de tant de peuples et la capitale de la cité de la terre. Ainsi que l’a dit un de leurs poètes : « Les premiers murs de Rome furent teints du sang d’un frère tué par son frère ».
En effet, l’histoire-rapporte que Romulus tua son frère Rémus, et il n’y a l’autre différence entre ce crime et celui de Caïn, sinon qu’ici les frères étaient tous deux citoyens de la cité de la terre, et que tous deux prétendaient être les fondateurs de la république romaine. Or, tous deux ne pouvaient avoir autant de gloire qu’un seul ; car une puissance partagée est toujours moindre. Afin donc qu’un seul la possédât tout entière, il se défit de son compétiteur et accrut par son crime un empire qui autrement aurait été moins grand, mais plus juste. Caïn et Abel n’étaient pas touchés d’une pareille ambition, et ce n’était pas pour régner seul que l’un des deux tua l’autre. Abel ne se souciait pas, en effet, de dominer sur la ville que son frère bâtissait ; en sorte qu’il ne fut tué que par cette malignité diabolique qui fait que les méchants portent envie aux gens de bien, sans autre raison sinon que les uns sont bons et les autres méchants. La bonté ne se diminue pas pour être possédée par plusieurs ; au contraire, elle devient d’autant plus grande, que ceux qui la possèdent sont plus unis ; pour tout dire en un mot, le moyen de la perdre est de la posséder tout seul, et l’on ne la possède jamais plus entière que quand on est bien aise de la posséder avec plusieurs. Or, ce qui arriva entre Rémus et Romulus montre comment la cité de la terre se divise contre elle-même ; et ce qui survint entre Caïn et Abel fait voir la division qui existe entre les deux cités, celle de Dieu et celle des hommes. Les méchants combattent donc les uns contre les autres, et les méchants combattent aussi contre les bons ; mais les bons, s’ils sont parfaits, ne peuvent avoir aucun différend entre eux. Ils en peuvent avoir, quand ils n’ont pas encore atteint cette perfection ; comme un homme peut n’être pas d’accord avec soi-même, puisque dans le même homme la chair convoite souvent contre l’esprit et l’esprit contre la chair[1]. Les inclinations spirituelles de l’un peuvent dès lors combattre les inclinations charnelles de l’autre, et réciproquement, de même que les bons et les méchants se font la guerre les uns aux autres ; ou encore, les inclinations charnelles de deux hommes de bien, mais qui ne sont pas encore parfaits, peuvent se combattre l’une l’autre, comme font entre eux les méchants, jusqu’à ce que la grâce victorieuse de Jésus-Christ les ait entièrement guéris de ces faiblesses.
[1] Galat. V, 12.
Cette langueur, c’est-à-dire cette désobéissance dont nous avons parlé au quatorzième livre[1], est la peine de la désobéissance du premier homme, et ainsi elle ne vient pas de la nature, mais du vice de la volonté ; c’est pourquoi il est dit aux bons, qui s’avancent dans la vertu et qui vivent de la foi dans ce pèlerinage : « Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez la loi de Jésus-Christ[2] » ; et dans un autre endroit : « Reprenez ceux qui sont turbulents, consolez les affligés, supportez les faibles, et soyez débonnaires à tout le monde. Prenez garde de ne point rendre le mal pour le mal[3] » ; et encore : « Si quelqu’un est tombé par surprise en quelque péché, vous qui êtes spirituels, reprenez-le avec douceur, songeant que vous pouvez être tentés de même[4] » et ailleurs : « Que le soleil ne se couche point sur votre colère[5] » ; et dans l’Evangile : « Lorsque votre frère vous a offensé, reprenez-le en particulier entre vous et lui[6] ». L’Apôtre dit aussi, à l’occasion des péchés où l’on craint le scandale : « Reprenez devant tout le monde ceux qui ont commis quelque crime, afin de donner de la crainte aux autres[7] ». L’Ecriture recommande vivement pour cette raison le pardon des injures, afin d’entretenir la paix, sans laquelle personne ne pourra voir Dieu[8]« . De là ce terrible jugement contre ce serviteur que l’on condamne à payer les dix mille talents qui lui avaient été remis, parce qu’il n’en avait pas voulu remettre cent à un autre serviteur comme lui. Après cette parabole, Notre Seigneur Jésus-Christ ajouta : « Ainsi vous traitera votre Père qui est dans les cieux, si chacun de vous ne pardonne à son frère du fond du cœur[9] ». Voilà comme sont guéris les citoyens de la cité de Dieu, qui sont voyageurs ici-bas et qui soupirent après le repos de la céleste patrie. Mais c’est le Saint-Esprit qui opère au dedans et qui donne la vertu aux remèdes qu’on emploie au dehors. Quand Dieu lui-même se servirait des créatures qui lui sont soumises, pour nous parler en songes ou de toute autre manière, cela serait inutile, si en même temps il ne nous touchait l’âme d’une grâce intérieure. Or, il en use de la sorte lorsque, par un jugement très-secret, mais très-juste, il sépare des vases de colère les vases de miséricorde. Si, en effet, à l’aide du secours qu’il nous prête par des voies cachées et admirables, le péché qui habite dans nos membres, ou plutôt la peine du péché, ne règne point dans notre corps mortel, si, domptant ses désirs déréglés, nous ne lui abandonnons point nos membres pour accomplir l’iniquité[10], notre esprit acquiert dès ce moment un empire sur nos passions qui les rend plus modérées, jusqu’à ce que, parfaitement guéri et revêtu d’immortalité, il jouisse dans le ciel d’une paix souveraine.
[1] Aux chap. I et II.
[2] Galat. VI, 2.
[3] I Thess. V, 14, 15.
[4] Galat. VI, 11.
[5] Ephés. IV, 26.
[6] Matt. XVIII, 15.
[7] I Tim. V, 20.
[8] Hébr. XII, 14.
[9] Matt. XVIII, 35.
[10] Rom. VI, 12, 13.
Mais de quoi servit à Caïn d’être averti de tout cela par Dieu même, quand Dieu s’adressa à lui en lui parlant sous la forme dont il avait coutume de se servir pour parler aux premiers hommes[1] ? En accomplit-il moins le fratricide qu’il méditait ? Comme Dieu avait discerné les sacrifices des deux frères, agréant ceux de l’un parce qu’il était homme de bien, et rejetant ceux de l’autre à cause de sa méchanceté, Caïn, qui s’en aperçut sans doute par quelque signe visible, en ressentit un vif déplaisir et en fut tout abattu. Voici comment l’Ecriture s’exprime à ce sujet : « Dieu dit à Caïn : Pourquoi êtes-vous triste et abattu ? Quand vous faites une offrande qui est bonne, mais dont le partage n’est pas bon, ne péchez-vous pas ? Tenez-vous en repos. Car il se tournera vers vous, et vous lui commanderez[2] ». Dans cet avertissement que Dieu donne à Caïn, il n’est pas aisé de bien entendre ces mots : « Quand vous faites une offrande qui est bonne, mais dont le partage n’est pas bon, ne péchez-vous pas ? ». C’est ce qui a donné lieu aux commentateurs d’en tirer divers sens. La vérité est que l’on offre bien le sacrifice, lorsqu’on l’offre au Dieu véritable à qui seul il est dû, mais on ne partage pas bien, lorsqu’on ne discerne pas comme il faut ou les lieux, ou les temps, ou les choses offertes, ou celui qui les offre, ou ceux à qui l’on fait part de l’offrande pour en manger. Ainsi, partage serait synonyme de discernement, soit quand on n’offre pas où il faut, ou ce qu’il y faut offrir, soit lorsqu’on offre dans un temps ce qu’il faudrait offrir dans un autre, ou qu’on offre ce qui ne doit être offert en aucun lieu ni en aucun temps, soit qu’on retienne pour soi le meilleur du sacrifice au lieu de l’offrir à Dieu, soit enfin qu’on en fasse part à un profane ou à quelque autre qu’il n’est pas permis d’y associer. Il est difficile de décider en laquelle de ces choses Caïn déplut à Dieu ; toutefois, comme l’Apôtre saint Jean dit, à propos de ces deux frères : « N’imitez pas Caïn qui était possédé du malin esprit, et qui tua son frère. Et pourquoi le tua-t-il ? parce que ses propres œuvres ne valaient rien, et que celles de son frère étaient bonnes[3] » ; nous en pouvons conclure que les offrandes de Caïn n’attirèrent point les regards de Dieu, parce qu’il ne partageait pas bien et se réservait pour lui-même une partie de ce qu’il offrait à Dieu. C’est ce que font tous ceux qui n’accomplissent pas la volonté de Dieu, mais la leur, c’est-à-dire qui, n’ayant pas le cœur pur, offrent des présents à Dieu pour le corrompre, afin qu’il ne les aide pas à guérir leurs passions, mais à les satisfaire. Tel est proprement le caractère de la cité du monde, de servir Dieu ou les dieux pour remporter par leur secours des victoires sur ses ennemis et jouir d’une paix humaine, dans le désir non de faire du bien, mais de s’agrandir. Les bons se servent du monde pour jouir de Dieu, et les méchants au contraire veulent se servir de Dieu pour jouir du monde ; encore, je parle de ceux qui croient qu’il y a un Dieu et qu’il prend soin des choses d’ici-bas, car il en est même qui ne le croient pas. Lors donc que Caïn connut que Dieu n’avait point regardé son sacrifice et qu’il avait regardé celui de son frère, il devait imiter Abel et non pas lui porter envie ; mais la tristesse et l’abattement qu’il en ressentit constituent principalement le péché que Dieu reprit en lui, savoir de s’attrister de la bonté d’autrui, et surtout de celle de son frère. Ce fut le sujet de la réprimande qu’il lui adressa, quand il lui dit : « Pourquoi « êtes-vous triste et abattu ? » Dieu voyait bien au fond qu’il portait envie à son frère, et c’est de quoi il le reprenait. En effet, comme les hommes ne voient pas le cœur, ils pourraient se demander si cette tristesse ne venait pas de ce qu’il était fâché d’avoir déplu à Dieu par sa mauvaise conduite, plutôt que du déplaisir de ce que Dieu avait regardé favorablement le sacrifice de son frère. Mais du moment que Dieu lui déclare pour quelle raison il n’avait pas voulu recevoir son offrande, et qu’il devait moins imputer ce refus à son frère qu’à lui-même, il fait voir que Caïn était rongé d’une secrète jalousie.
Comme Dieu ne voulait pas, après tout, l’abandonner sans lui donner quelque avis salutaire : « Tenez-vous en repos, lui dit-il ; car il se tournera vers vous, et vous lui commanderez ». Est-ce de son frère qu’il parle ? Non vraiment, mais bien de son péché, car il avait dit auparavant : « Ne péchez-vous pas ? » puis il ajoute : « Tenez-vous en repos ; car il se tournera vers vous, et vous lui commanderez ». On peut entendre par là que l’homme ne doit s’en prendre qu’à lui-même de ce qu’il pèche, et que le véritable moyen d’obtenir le pardon de son péché et l’empire sur ses passions, c’est de se reconnaître coupable ; autrement, celui qui prétend excuser le péché ne fera que le renforcer et lui donner plus de pouvoir sur lui. Le péché peut se prendre aussi en cet endroit pour la concupiscence de la chair, dont l’Apôtre dit : « La chair convoite contre l’esprit[4] » car il met aussi l’envie au nombre de ses convoitises, et c’est elle qui anima Caïn contre son frère. D’après cela, ces paroles : « Il se tournera vers vous, et vous lui commanderez », signifieraient que la concupiscence nous sera soumise et que nous en deviendrons les maîtres. Lorsque, en effet, cette partie charnelle de l’âme que l’Apôtre appelle péché dans ce passage où il dit : « Ce n’est pas moi qui fais le mal, mais c’est le péché qui habite en moi[5] », cette partie dont les philosophes avouent qu’elle est vicieuse et ne doit pas commander, mais obéir à l’esprit ; lors, dis-je, que cette partie charnelle est émue, si l’on pratique ce que prescrit l’Apôtre : « N’abandonnez point vos membres au péché pour lui servir d’instruments à mal faire[6] », elle se tourne vers l’esprit et se soumet à l’empire de la raison. C’est l’avertissement que Dieu donne à celui qui était transporté d’envie contre son frère, et qui voulait ôter du monde celui qu’il devait plutôt imiter « Tenez-vous en repos », lui dit-il, c’est-à-dire : Ne commettez pas le crime que vous méditez ; que le péché ne règne point en votre corps mortel, et n’accomplissez point ses désirs déréglés ; n’abandonnez point vos membres au péché pour lui servir d’instruments à mal faire ; car il se tournera vers vous, pourvu que, au lieu de le seconder, vous tâchiez de le réprimer, et vous aurez empire sur lui, parce que, lorsqu’on ne lui permet pas d’agir au dehors, il s’accoutume à ne se plus soulever au dedans contre la raison. On voit au même livre de la Genèse qu’il en est à peu près de même pour la femme, quand, après le péché, le diable reçut l’arrêt de sa condamnation dans le serpent, et Adam et Eve dans leur propre personne. Après que Dieu eut dit à Eve : « Je multiplierai les sujets de vos peines et de vos gémissements, et vous enfanterez avec douleur », il ajoute : « Et vous vous tournerez vers votre mari, et il aura empire sur vous[7] ». Ce qui est dit ensuite à Caïn du péché ou de la concupiscence de la chair, est dit ici de la femme pécheresse, pour montrer que le mari doit gouverner sa femme comme l’esprit gouverne la chair. C’est ce qui fait dire à l’Apôtre : « Celui qui aime sa femme s’aime soi-même ; car jamais personne ne hait sa propre chair[8] ». Il faut donc guérir ces maux comme étant véritablement en nous, au lieu de les condamner comme s’ils ne nous appartenaient pas. Mais Caïn, qui était déjà corrompu, ne tint aucun compte de l’avertissement de Dieu, et, l’envie se rendant maîtresse de son cœur, il égorgea perfidement son frère. Voilà ce qu’était le fondateur de la cité de la terre. Quant à considérer Caïn comme figurant aussi les Juifs qui ont fait mourir Jésus-Christ, ce grand Pasteur des âmes, représenté par Abel, pasteur de brebis, je n’en veux rien faire ici, et je me souviens d’en avoir touché quelque chose contre Fauste le Manichéen[9].
[1] Voyez le De Gen. ad litt., lib. VIII, n. 37 ; IX, n. 3 et 4.
[2] Gen. IV, 6, 7, sec. LXX.
[3] I Jean, III, 12.
[4] Galat. V, 17.
[5] Rom. VII, 17.
[6] Rom. VI, 13.
[7] Gen. III, 16.
[8] Ephés. V, 28, 29.
[9] Voyez le Contra Faust., lib. XII, cap. 9 et seq.
J’aime mieux maintenant défendre la vérité de l’Ecriture contre ceux qui prétendent qu’il n’est pas croyable qu’un seul homme ait bâti une ville, parce qu’il semble qu’il n’y avait encore alors que quatre hommes sur la terre, ou même trois depuis le meurtre d’Abel, savoir : Adam, Caïn et son fils Enoch, qui donna son nom à cette ville. Ceux qui raisonnent de la sorte ne considèrent pas que l’auteur de l’Histoire sainte n’était pas obligé de mentionner tous les hommes qui pouvaient exister alors, mais seulement ceux qui servaient à son sujet. Le dessein de l’écrivain, qui servait en cela d’organe au Saint-Esprit, était de descendre jusqu’à Abraham par la suite de certaines générations, et de venir des enfants d’Abraham au peuple de Dieu, qui, séparé de tous les autres peuples de la terre, devait annoncer en figure tout ce qui regardait la cité dont le règne sera éternel, et Jésus-Christ son roi et son fondateur, sans néanmoins oublier l’autre société d’hommes que nous appelons la cité de la terre, et d’en dire autant qu’il fallait pour rehausser par cette opposition l’éclat de la cité de Dieu. En effet, lorsque l’Ecriture sainte rapporte le nombre des années de la vie de ces premiers hommes, et conclut toujours ainsi de chacun d’eux : « Et il engendra des fils et des filles, et un tel vécut tant de temps, et puis il mourut[1] » ; dira-t-on, sous prétexte qu’elle ne nomine pas ces fils et ces filles, que, pendant un si grand nombre d’années qu’on vivait alors, il n’ait pu naître assez d’hommes pour bâtir même plusieurs villes ? Mais il était de l’ordre de la providence de Dieu, par l’inspiration duquel ces choses ont été écrites, de distinguer d’abord ces deux sociétés : d’une part les générations des hommes, c’est-à-dire de ceux qui vivaient selon l’homme, et de l’autre, les générations des enfants de Dieu, en allant jusqu’au déluge où tous les hommes furent noyés, excepté Noé et-sa femme, avec leurs trois fils et leurs trois brus, huit personnes qui méritèrent seules d’échapper dans l’arche à cette ruine universelle.
Lors donc qu’il est écrit : « Caïn connut sa femme, et elle enfanta Enoch, et il bâtit une ville du nom de son fils Enoch[2] », il ne s’ensuit pas qu’Enoch ait été son premier fils. L’Ecriture dit la même chose d’Adam, lorsqu’il engendra Seth : « Adam, dit-elle, connut Eve sa femme, et elle conçut et enfanta un fils qu’elle nomma Seth » ; et cependant, Adam avait déjà engendré Caïn et Abel. Il ne s’ensuit pas non plus, de ce qu’Enoch donne son nom à la ville bâtie par Caïn, qu’il ait été son premier-né. Il se pouvait qu’il l’aimât plus que ses autres enfants. En effet, Juda, qui donna son nom à la Judée et aux Juifs, n’était pas l’aîné des enfants de Jacob. Mais quand Enoch serait le fils aîné de Caïn, il n’en faudrait pas conclure qu’il ait donné son nom à cette ville dès qu’il fut né ; car un seul homme ne pouvait pas faire une ville, qui n’est autre chose qu’une multitude d’hommes unis ensemble par quelque lien de société. Il faut croire plutôt que, la famille de Caïn s’étant si fort accrue qu’elle formait un peuple, il bâtit une ville et l’appela du nom de son aîné. Dans le fait, la vie de ces premiers hommes était si longue, que celui qui a le moins vécu avant le déluge, selon le témoignage de l’Ecriture, a vécu sept cent cinquante-trois ans[3]. Plusieurs même ont passé neuf cents ans, quoique aucun n’ait été jusqu’à mille. Qui peut donc douter que, pendant la vie d’un seul homme, le genre humain n’ait pu tellement se multiplier qu’il ait été suffisant pour peupler plusieurs villes ? Cela se peut facilement conjecturer, puisque le peuple hébreu, sorti du seul Abraham, s’accrut de telle façon, en l’espace d’un peu plus de quatre cents ans, qu’à la sortie d’Egypte l’Ecriture compte jusqu’à six cent mille hommes capables de porter les armes[5], pour ne rien dire des Iduméens qui sortirent d’Esaü, petit-fils d’Abraham, ni de plusieurs autres nations issues du même Abraham, mais non pas par sa femme Sarra[5].
[2] Gen. IV, 17, 25.
[3] Ce personnage est Lamech, du moins selon la version des Septante ; car la Vulgate porte sept cent soixante-dix-sept ans.
[4] Exod. XII, 37.
[5] Saint Augustin veut parler des Ismaélites, issue d’Ismaël, fils d’Abraham et d’Agar.
Il n’est donc point d’esprit judicieux qui doute que Caïn n’ait pu bâtir une ville, même fort grande, dans un temps où la vie des hommes était si longue[1], à moins qu’on ne veuille encore discuter là-dessus et prétendre qu’il n’est pas vrai qu’ils aient vécu aussi longtemps que l’Ecriture le rapporte. Une chose encore que les incrédules se refusent à croire, c’est que les hommes fussent alors beaucoup plus grands qu’ils ne sont aujourd’hui. Cependant le plus célèbre de leurs poètes, Virgile, à propos d’une grosse pierre qui servait de borne à un champ et qu’un homme très-robuste des temps anciens leva dans le combat et lança en courant contre son ennemi, s’exprime ainsi : « A peine douze hommes de nos jours, choisis parmi les plus forts, l’auraient-ils pu porter[2] »
Par où il veut montrer que la terre produisait alors des hommes bien plus grands qu’à présent. Combien donc l’étaient-ils encore davantage dans les premiers âges du monde avant le déluge ? Mais les sépulcres, découverts par la suite des années ou par des débordements de fleuves et autres accidents, où l’on a trouvé des ossements d’une grandeur incroyable, doivent convaincre les plus opiniâtres. J’ai vu moi-même, sur le rivage d’Utique, et plusieurs l’ont vue avec moi, une dent mâchelière d’homme, si grosse qu’on en eût pu faire cent des nôtres[3] : elle avait appartenu, je crois, à quelque géant ; car si les hommes d’alors étaient généralement plus grands que nous, ils l’étaient moins que les géants. Aussi bien, dans tous les temps et même au nôtre, des phénomènes de ce genre n’ont pas cessé de se produire. Pline, ce savant homme, assure[4] que plus le temps avance dans sa marche, plus les corps diminuent ; et il ajoute que c’est une chose dont Homère se plaint souvent. Mais, comme j’ai déjà dit, les os que l’on découvre quelquefois dans de vieux monuments peuvent justifier la grandeur des corps des premiers hommes, tandis que l’on ne saurait prouver de même la durée de leur vie, parce que personne ne vit plus aussi longtemps. Cependant cela ne doit pas empêcher d’ajouter foi à l’Histoire sainte, puisqu’il y aurait d’autant plus d’imprudence à ne pas croire ce qu’elle nous raconte du passé, que nous voyons de nos yeux l’accomplissement de ce qu’elle a prédit de l’avenir. Le même Pline dit toutefois qu’il existe encore une nation où l’on vit deux cents ans[5]. Si donc quelques pays qui nous sont inconnus conservent encore des restes de cette longue vie dont nous n’avons pas d’expérience, pourquoi ne croirions-nous pas aussi qu’il y a eu des temps où l’on vivait autant que l’Ecriture le témoigne ? S’il est croyable que ce qui n’est point ici soit ailleurs, pourquoi serait-il incroyable que ce qui n’est pas maintenant ait été autrefois ?
[1] Sur la longévité des hommes primitifs, voyez Josèphe, Ant. Hebr., lib. I, cap. 3, § 9, et Pline l’Ancien, Hist. nat., lib. VII, capp. 49, 50.
[2] Virgile en cet endroit (Enéide, livre XII, v. 899, 900) a suivi Homère, mais en l’exagérant. Voyez l’Iliade (chant V, v. 302-304), où le fils de Tydée lance une pierre que deux hommes ordinaire, auraient eu de la peine à soulever. Deux hommes n’ont pas suffi à Virgile, il en a mis douze, et de choix.
[3] Cette dent prodigieuse était, selon toute probabilité, une dent d’éléphant fossile. Voyez mir ce point, comme aussi sur la taille et la longévité des anciens hommes, la lettre de M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire à M. Poujoulat, auteur d’une Histoire de saint Augustin (tome III, pages 339 et suiv.) On consultera également avec fruit le livre récent de M. Flourens : De la longévité humaine.
[4] En son Histoire naturelle, au livre VII, ch. 16.
[5] Pline parle en effet de cette nation, qui est celle des Epéens dans l’Italie, mais il n’en parle pas en témoin oculaire ; il rapporte un fait qu’il a lu dans un vieil historien, nommé Hellanicus. Voyez Hist. nat., lib. VII, cap. 49.
Ainsi, bien qu’il semble qu’il y ait quelque diversité, quant au nombre des années, entre les livres hébreux et les nôtres[1], sans que je sache d’où elle provient, elle n’est pas telle néanmoins qu’ils ne s’accordent touchant la longue vie des hommes de ce temps-là. Nos livres portent qu’Adam engendra Seth à l’âge de deux cent trente ans, et ceux des Hébreux à l’âge de cent trente[2] ; mais aussi, selon les leurs, il vécut huit cents ans depuis, au lieu que, selon les nôtres, il n’en vécut que sept cents[3] ; et ainsi ils conviennent dans la somme totale. Il en est de même des autres générations ; les cent années que les Hébreux comptent de moins que nous avant qu’un père ait engendré un tel qu’ils nomment, ils les reprennent ensuite, en sorte que cela revient au même. Dans la sixième génération, il n’y a aucune diversité. Pour la septième, il y a la même que dans les cinq premières, et elle s’accorde aussi de même. La huitième n’est pas plus difficile à accorder. Il est vrai que, suivant les Hébreux, Enoch, lorsqu’il engendra Mathusalem, avait vingt ans de plus que nous ne lui en donnons ; mais aussi lui en donnent-ils vingt de moins lorsqu’il l’eut engendré[4]. Ce n’est que dans la neuvième génération, c’est-à-dire dans les années de Lamech, fils de Mathusalem et père de Noé, qu’il se rencontre quelque différence dans la somme totale ; encore n’est-elle pas considérable, puisqu’elle se borne à vingt-quatre années d’existence que les Hébreux donnent de plus que nous à Lamech ils lui attribuent six ans de moins que nous avant qu’il engendrât Noé, et trente de plus que nous après qu’il l’eût engendré[5] ; de sorte que, rabattant ces six ans, restent vingt-quatre.
[1] Par nos livres, saint Augustin entend ceux dont l’Eglise de son temps faisait usage, c’est-à-dire une version du grec des Septante, antérieure à la Vulgate ou version de saint Jérôme ; il entend par livres hébreux une autre version latine de l’Ecriture, faite sur l’hébreu même.
[2] Gen. V, 3.
[3] Ibid. 4.
[4] Gen. V, 25-27.
[5] Ibid. 28-31.
Cette diversité entre les livres hébreux et les nôtres a fait mettre en question si Mathusalem a vécu quatorze ans après le déluge[1], tandis que l’Ecriture ne parle que de huit personnes qui turent sauvées par le moyen de l’arche[2], entre lesquelles elle ne compte point Mathusalem. Selon les Septante, Mathusalem avait soixante-sept ans lorsqu’il engendra Lamech, et Lamech cent quatre-vingt-huit ans avant d’engendrer Noé, ce qui fait ensemble trois cent cinquante-cinq ans ; ajoutez-y les six cents ans de Noé avant le déluge[3], cela fait neuf cent cinquante-cinq ans depuis la naissance de Mathusalem jusqu’au déluge. Or, Mathusalem vécut en tout neuf cent soixante et neuf ans, cent soixante et sept avant que d’engendrer Lamech, et huit cent deux ans depuis[4] par conséquent, il vécut quatorze ans après le déluge, qui n’arriva que la neuf cent cinquante-cinquième année de la vie de Mathusalem. De là vient que quelques-uns aiment mieux dire qu’il vécut quelque temps avec son père Enoch, que Dieu avait ravi hors du monde, que de demeurer d’accord qu’il y ait faute dans la version des Septante, à qui l’Eglise donne tant d’autorité ; et en conséquence ils prétendent que l’erreur est plutôt du côté des exemplaires hébreux. Ils allèguent, à l’appui de leur sentiment, qu’il n’est pas croyable que les Septante, qui se sont rencontrés mot pour mot dans leur version, aient pu se tromper ou voulu mentir sur un point qui n’était pour eux d’aucun intérêt, et qu’il est bien plus probable que les Juifs, jaloux de ce que la loi et les Prophètes sont venus à nous par le moyen de cette version, ont altéré leurs exemplaires afin de diminuer l’autorité des nôtres. Chacun peut croire là-dessus ce qui lui plaira ; toujours est-il certain que Mathusalem ne vécut point après le déluge, mais qu’il mourut la même année, si la chronologie des Hébreux est véritable. Pour les Septante, j’en dirai ce que j’en pense, lorsque je parlerai du temps auquel ils ont écrit[5]. Il suffit, en ce qui touche la difficulté présente, que, selon les uns et les autres, les hommes d’alors aient vécu assez longtemps pour qu’il en soit né durant la vie de Caïn un nombre capable de constituer une ville.
[1] Comparez saint Jérôme. De quœat hebr. in Genesim.
[2] I Pierre, III, 20 s.
[3] Gen. VII, 6 s.
[4] Ibid. V, 25.27.
[5] Voyez plus bas, Livre XVIII, ch. 42-44.
Il ne faut point écouter ceux qui prétendent que l’on comptait alors les années autrement qu’à cette heure, et qu’elles étaient si courtes qu’il en fallait dix pour en faire une des nôtres. C’est pour cette raison, disent-ils, que, quand l’Ecriture dit de quelqu’un qu’il vécut neuf cents ans, on doit entendre quatre-vingt-dix ans ; car dix de leurs années en font une des nôtres, et dix des nôtres en font cent des leurs. Ainsi, à leur compte, Adam n’avait que vingt-trois ans quand il engendra Seth, et Seth vingt ans et six mois quand il engendra Enos. Selon cette opinion, les anciens divisaient une de nos années en dix parties, chacune valant pour eux une année et étant composée d’un senaire carré, parce que Dieu acheva ses ouvrages en six jours et se reposa le septième[1]. Or, le senaire carré, ou six fois six, est de trente-six, qui, multipliés par dix, font trois cent soixante jours, c’est-à-dire douze mois lunaires. Quant aux cinq jours qui restaient pour accomplir l’année solaire, et aux six heures qui sont cause que tous les quatre ans nous avons une année bissextile, les anciens suppléaient de temps en temps quelques jours afin de compléter le nombre des années, et les Romains appelaient ces jours intercalaires. De même Enos, fils de Seth, n’avait que dix-neuf ans quand il engendra Caïnan[2] ; ce qui revient aux quatre-vingt-dix ans que lui donne l’Ecriture. Aussi, poursuivent-ils, nous ne voyons point, selon les Septante, qu’aucun homme ait engendré avant le déluge qu’il n’eût au moins cent soixante ans, c’est-à-dire seize ans, en comptant dix années pour une, parce que c’est l’âge destiné par la nature pour avoir des enfants. A l’appui de leur opinion, ils ajoutent que la plupart des historiens rapportent que l’année des Egyptiens[3] était de quatre mois, celle des Acarnaniens de six, et celle des Laviniens de treize. Pline le naturaliste[4], à propos de quelques personnes que certaines histoires témoignent avoir vécu jusqu’à huit cents ans, pense que cette assertion tient à l’ignorance de ces temps-là ; attendu, dit-il, que certains peuples ne faisaient leur année que d’un été et d’un hiver, et que les autres comptaient les quatre saisons de l’année pour quatre ans, comme les Arcadiens dont les années n’étaient que de trois mois. Il ajoute même que les Egyptiens, dont nous avons dit que les années n’étaient composées que de quatre mois, les réglaient quelquefois sur le cours de la lune, tellement que chez eux on vivait jusqu’à mille ans.
Telles sont les raisons sur lesquelles se fondent des critiques dont le dessein n’est pas d’ébranler l’autorité de l’Ecriture, mais plutôt de l’affermir en empêchant que ce qu’elle rapporte de la longue vie des premiers hommes ne paraisse incroyable. Il est aisé de montrer évidemment que tout cela est très-faux ; mais, avant que de le faire, je suis bien aise de me servir d’une autre preuve pour réfuter cette opinion. Selon les Hébreux, Adam n’avait que cent trente ans lorsqu’il engendra son troisième fils[5]. Or, si ces cent trente ans ne reviennent qu’à treize des nôtres, il est certain qu’il n’en avait que onze ou peu davantage quand il eut le premier. Or, qui peut engendrer à cet âge-là selon la loi ordinaire de la nature ? Mais, sans parler de lui, qui peut-être fut capable d’engendrer dès qu’il fut créé, car il n’est pas croyable qu’il ait été créé aussi petit que nos enfants lorsqu’ils viennent au monde, son fils, d’après les mêmes Hébreux, n’avait que cent cinq ans quand il engendra Enos[6], et par conséquent il n’avait pas encore onze ans, selon nos adversaires. Que dirai-je de son fils Caïnan qui, suivant le texte hébreu, n’avait que soixante et dix ans quand il engendra Malaléhel[7] ? Comment engendrer à sept ans, si soixante et dix ans d’alors n’en font réellement que sept de nos jours ?
[1] Voyez plus haut, livre XI, ch. 8.
[2] Gen. V, 9, sec. LXX.
[3] Voyez Censorinus, De die nat., cap. 19 ; Macrobe, Saturn., lib. I, cap. 12, page 255, édit. Bip. ; Solinus, Polyhist., cap. 3.
[4] Hist. nat., lib. VII, cap. 49.
[5] Gen. V, 3.
[6] Gen. V, 6.
[7] Ibid. 12.
Je prévois bien ce que l’on me répliquera : que c’est une imposture des Juifs qui ont falsifié leurs exemplaires, comme nous l’avons dit plus haut, et qu’il n’est pas présumable que les Septante, ces hommes d’une renommée si légitime, aient pu en imposer. Cependant, si je demande lequel des deux est le plus croyable, ou que les Juifs, qui sont répandus en tant d’endroits différents, aient conspiré ensemble pour écrire cette fausseté, et qu’ils se soient privés eux-mêmes de la vérité pour ôter l’autorité aux autres, ou que les Septante, qui étaient aussi Juifs, assemblés en un même lieu par Ptolémée, roi d’Egypte, pour traduire l’Ecriture, aient envié la vérité aux Gentils et concerté ensemble cette imposture, qui ne devine la réponse que l’on fera à ma question ? Mais à Dieu ne plaise qu’un homme sage s’imagine que les Juifs, quelque méchants et artificieux qu’on les suppose, aient pu glisser cette fausseté dans un si grand nombre d’exemplaires dispersés en tant de lieux, ou que les Septante, qui ont acquis une si haute réputation, se soient accordés entre eux pour ravir la vérité aux Gentils. Il est donc plus simple de dire que, quand on commença à transcrire ces livres de la bibliothèque de Ptolémée, cette erreur se glissa d’abord dans un exemplaire par la faute du copiste et passa de la sorte dans tous les autres. Cette réponse est assez plausible pour ce qui regarde la vie de Mathusalem et pour les vingt-quatre années qui se rencontrent de plus dans les exemplaires hébreux. A l’égard des cent années qui sont d’abord en plus dans les Septante, et ensuite en moins pour faire cadrer la somme totale avec le nombre des années du texte hébreu, et cela dans les cinq premières générations et dans la septième, c’est une erreur trop uniforme pour l’imputer au hasard.
Il est plus présumable que celui qui a opéré ce changement, voulant persuader que les premiers hommes n’avaient vécu tant d’années que parce qu’elles étaient extrêmement courtes et qu’il en fallait dix pour en faire une des nôtres, a ajouté cent ans d’abord aux cinq premières générations et à la septième, parce qu’eu suivant l’hébreu, les hommes eussent encore été trop jeunes pour avoir des enfants, et les a retranchés ensuite pour retrouver le compte juste des années. Ce qui porte encore plus à croire qu’il en a usé de la sorte dans ces générations, c’est qu’il n’a pas fait la même chose dans la sixième, parce qu’il n’en était pas besoin, et que Jared, selon les textes hébreux, avait cent soixante et deux ans[1] lorsqu’il engendra Enoch, c’est-à-dire seize ans et près de deux mois, âge auquel on peut avoir des enfants.
Mais, d’un autre côté, on pourrait demander pourquoi, dans la huitième génération, tandis que l’hébreu donne cent quatre-vingt-deux ans à Mathusalem avant qu’il engendrât Lamech, la version des Septante lui en retranche vingt, au lieu qu’ordinairement elle en donne cent de plus que l’hébreu aux patriarches, avant que de les faire engendrer. On pourrait penser peut-être que cela est arrivé par hasard, si, après avoir ôté vingt années à Mathusalem, il ne les lui redonnait ensuite, afin de trouver le compte des années de sa vie. Ne serait-ce point une manière adroite de couvrir les additions précédentes de cent années, par le retranchement d’un petit nombre d’autres qui n’était pas d’importance, puisque, malgré cela, Mathusalem aurait toujours eu cent soixante-deux ans, c’est-à-dire plus de seize ans, avant que d’engendrer Lamech ? Quoi qu’il en soit, je ne doute point que, lorsque les exemplaires grecs ou hébreux ne s’accordent pas, il ne faille plutôt suivre l’hébreu, comme l’original, que les Septante, qui ne sont qu’une version, attendu surtout que quelques exemplaires grecs, un latin et un syriaque s’accordent en ce point, que Mathusalem mourut six ans avant le déluge[2].
[1] Gen. V, 18.
[2] Comp. Quaest. In Gen., quaest. 2.
Je vais maintenant prouver jusqu’à l’évidence que durant le premier âge du monde les années n’étaient pas tellement courtes qu’il en fallût dix pour en faire une des nôtres, mais qu’elles égalaient en durée celles d’aujourd’hui que règle le cours du soleil. Voici en effet ce que porte l’Ecriture : « Le déluge arriva sur la terre l’an 600 de la vie de Noé, au second mois, le vingt-septième jour du mois ». Comment s’exprimerait-elle de la sorte si les années des anciens n’avaient que trente-six jours ? Dans ce cas, ou ces années n’auraient point eu de mois, ou les mois n’auraient été que de trois jours, pour qu’il s’en trouvât douze dans l’année. N’est-il pas visible que leurs mois étaient comme les nôtres, puisque, autrement, l’Ecriture sainte ne dirait pas que le déluge arriva le vingt-septième jour du second mois ? Elle dit encore un peu après, à la fin du déluge : « L’arche s’arrêta sur les montagnes d’Ararat le septième mois, le vingt-septième jour du mois. Cependant les eaux diminuaient jusqu’à l’onzième mois ; or, le premier jour de ce mois, on vit paraître les sommets des montagnes[2] ». Que si leurs mois étaient semblables aux nôtres, il faut étendre cette similitude à leurs années. Ces mois de trois jours n’en pouvaient pas avoir vingt-sept ; ou si la trentième partie de ces trois jours s’appelait alors un jour, un si effroyable déluge qui, selon l’Ecriture, tomba durant quarante jours et quarante nuits, se serait donc fait en moins de quatre de nos jours. Qui pourrait souffrir une si palpable absurdité ? Loin, bien loin de nous cette erreur qui ruine la foi des Ecritures sacrées, en voulant l’établir sur de fausses conjectures ! Il est certain que le jour était aussi long alors qu’à présent, c’est-à-dire de vingt-quatre heures, les mois égaux aux nôtres et réglés sur le cours de la lune, et les années composées de douze mois lunaires, en y ajoutant cinq jours et un quart, pour les ajuster aux années solaires, et par conséquent ces premiers hommes vécurent plus de neuf cents années, lesquelles étaient aussi longues que les cent soixante-quinze que vécut ensuite Abraham[3], que les cent quatre-vingts que vécut Isaac[4], que les cent quarante ou environ que vécut Jacob[5], que les cent vingt que vécut Moïse[6], et que les soixante-dix ou quatre-vingts que les hommes vivent aujourd’hui et dont il est dit : « Si les plus robustes vont jusqu’à quatre-vingts ans, ils en ont d’autant plus de mal[7] ».
Quant à la différence qui se rencontre entre les exemplaires hébreux et les nôtres, elle ne concerne point du tout la longueur de la vie des premiers hommes, sur quoi les uns et les autres conviennent ; ajoutez à cela que, lorsqu’il y a diversité, il faut plutôt s’en tenir à la langue originale qu’à une version. Cependant, ce n’est pas sans raison que personne n’a encore osé corriger les Septante sur l’hébreu, en plusieurs endroits où ils semblaient différents. Cela prouve qu’on n’a pas cru que ce défaut de concordance fût une faute, et je ne le crois pas non plus ; mais, à la réserve des erreurs de copiste, lorsque le sens est conforme à la vérité, ou doit croire que les Septante ont changé le sens du texte, non en qualité d’interprètes qui se trompent, mais comme des prophètes inspirés par l’esprit de Dieu. De là vient que, lorsque les Apôtres allèguent quelques témoignages de l’Ancien Testament dans leurs écrits, ils ne se servent pas seulement de l’hébreu, mais de la version des Septante. Comme j’ai promis de traiter plus amplement cette matière au lieu convenable, où je pourrai le faire plus commodément, je reviens à mon sujet, et dis qu’il ne faut point douter que le premier des enfants du premier homme n’ait pu bâtir une cité à une époque où la vie des hommes était si longue : cité, au reste, bien différente de celle que nous appelons la Cité de Dieu, pour laquelle nous avons entrepris ce grand ouvrage.
[1] Gen. VII, 10, 11, sec. LXX.
[2] Gen. VIII, 4, 5.
[3] Ibid. XXV, 7.
[4] Ibid. XXXV, 28.
[5] Ibid. XLVII, 28.
[6] Deut. XXXIV, 7.
[7] Ps. LXXXIX, 10.
Est-il croyable, dira-t on, qu’un homme, qui n’avait pas dessein de garder le célibat, se soit contenu cent ans et plus, ou, selon l’hébreu, quatre-vingts, soixante-dix ou soixante ans, et qu’il n’ait point eu d’enfants auparavant ? Il y a deux réponses à cela. Ou l’âge d’avoir des enfants venait plus tard en ce temps-là, à proportion des années de la vie ; où, ce qui me paraît plus vraisemblable, l‘Écriture n’a pas fait mention des aînés, mais seulement de ceux dont il fallait parler selon l’ordre des générations, pour parvenir à Noé et ensuite à Abraham, et pour marquer le progrès de la glorieuse Cité de Dieu, étrangère ici-bas et qui soupire après la céleste patrie. En effet, on ne saurait nier que Caïn ne soit le premier fils d’Adam, puisque Adam n’aurait pas dit, comme le lui fait dire l’Ecriture : « J’ai acquis un homme par la grâce de Dieu », si cet homme n’avait été ajouté en naissant à nos deux premiers parents. Abel vint après, qui fut tué par son frère Caïn, en quoi il fut la première figure de la Cité de Dieu, exilée en ce monde et destinée à être en butte aux injustes persécutions des méchants, c’est-à-dire des hommes du siècle attachés aux biens passagers de la cité de la terre ; mais on ne voit pas à quel âge Adam les engendra l’un et l’autre. Ensuite sont rapportées les deux branches d’hommes, l’une sortie de Caïn, et l’autre de Seth, que Dieu donna à Adam à la place d’Abel. Ainsi ces deux ordres de générations, l’une de Seth et l’autre de Caïn, marquant distinctement les deux cités dont nous parlons, l’Ecriture sainte ne dit point quel âge avaient ceux de la race de Caïn quand ils eurent des enfants, parce que l’esprit de Dieu n’a jugé dignes de cet honneur que ceux qui représentaient la Cité du ciel. La Genèse, à la vérité, marque à quel âge Adam engendra Seth, mais il en avait engendré d’autres auparavant, savoir : Caïn et Abel ; qui sait même s’il n’avait engendré que ceux-là ? De ce qu’ils sont nommés seuls à cause des généalogies qu’il fallait établir, ce n’est pas à dire qu’Adam n’en ait point eu d’autres. Aussi bien, lorsque l’Ecriture sainte dit en général qu’il engendra des fils et des filles qu’elle ne nomme pas, qui oserait sans témérité en déterminer le nombre ? Ce qu’Adam dit après la naissance de Seth : « Dieu m’a donné un autre fils au lieu d’Abel », il a pu fort, bien le dire par une inspiration divine, en tant que Seth devait imiter la vertu d’Abel, et non en tant qu’il fut né immédiatement après lui. De même, quand il est écrit : « Seth avait deux cent cinq ans », ou, selon l’hébreu, cent cinq, (319) lorsqu’il engendra Enos, qui serait assez hardi pour assurer qu’Enos fût son premier-né ? Outre qu’il n’y a point d’apparence qu’il se soit contenu pendant tant d’années, n’ayant point dessein de garder la continence. L’Ecriture dit aussi de lui : « Et il engendra des fils et des filles, et Seth vécut en tout neuf cent douze ans[1] ». L’Ecriture, qui ne se proposait, comme je l’ai déjà dit, que de descendre jusqu’à Noé par une suite de générations, n’a pas marqué celles qui étaient les premières, mais celles où cette suite était gardée.
J’appuierai ces considérations d’un exemple clair et indubitable. Saint Matthieu, faisant la généalogie temporelle de Notre Seigneur, et commençant par Abraham pour venir d’abord à David : « Abraham, dit-il, engendra Isaac ». Que ne dit-il Ismaël, qui fut le fils aîné d’Abraham ? « Isaac, ajoute-t-il, engendra Jacob ». Pourquoi ne dit-il pas Esaü, qui fut son aîné ? C’est sans doute qu’il ne pouvait pas arriver par eux à David. Poursuivons « Jacob engendra Juda et ses frères ». Est-ce que Juda fut l’aîné des enfants de Jacob ? « Juda », dit-il encore, « engendra Pharès et Zaram[2] ». Et cependant il avait déjà eu trois enfants avant ceux-là. Voilà l’unique et irrécusable solution qu’il faut apporter à ces difficultés de la Genèse, sans aller s’embarrasser dans cette question obscure et superflue, si les hommes avaient en ce temps-là des enfants plus tard qu’aujourd’hui.
[1] Gen. V, 4, 8.
[2] Matt. I, 2, 3.
Le besoin qu’avait le monde d’être peuplé, et le défaut d’autres hommes que ceux qui étaient sortis de nos premiers parents, rendirent indispensables entre frères et sœurs des mariages qui seraient maintenant des crimes énormes, à cause de la défense que la religion en a faite depuis. Cette défense est fondée sur une raison très-juste, puisqu’il est nécessaire d’entretenir l’amitié et la société parmi les hommes ; or, ce but est mieux atteint par les alliances entre étrangers que par celles qui unissent les membres d’une même famille, lesquels sont déjà unis par les liens du sang. Père et beau-père sont des noms qui désignent deux alliances. Lors donc que ces qualités sont partagées entre différentes personnes, l’amitié s’étend et se multiplie davantage[1]. Adam était obligé de les réunir en lui seul, parce que ses fils ne pouvaient épouser que leurs sœurs ; Eve, de même, était à la fois la mère et la belle-mère de ses enfants, comme les femmes de ses fils étaient ensemble ses filles et ses brus. La nécessité, je le répète, excusait alors ces sortes de mariages.
Depuis que les hommes se sont multipliés, les choses ont bien changé sous ce rapport, même parmi les idolâtres. Ces alliances ont beau être permises en certains pays[2], une plus louable coutume a proscrit cette licence, et nous en avons autant d’horreur que si cela ne s’était jamais pratiqué. Véritablement la coutume fait une merveilleuse impression sur les esprits ; et, comme elle sert ici à arrêter les excès de la convoitise, on ne saurait la violer sans crime. S’il est injuste de remuer les bornes des terres pour envahir l’héritage d’autrui, combien l’est-il plus de renverser celles des bonnes mœurs par des unions illicites ? Nous avons éprouvé, même de notre temps, dans le mariage des cousins germains, combien il est rare que l’on suive la permission de la loi, lorsqu’elle est opposée à -la coutume. Bien que ces mariages ne soient point défendus par la loi de Dieu, et que celles des hommes n’en eussent point encore parlé[3], toutefois on en avait horreur à cause de la proximité du degré, et parce qu’il semble que ce soit presque faire avec une sœur ce que l’on fait avec une cousine germaine. Aussi voyons-nous que les cousins et les cousines à ce degré s’appellent frères et sœurs. Il est vrai que les anciens patriarches ont eu grand soin de ne pas trop laisser éloigner la parenté et de la rapprocher en quelque sorte par le lien du mariage, de sorte qu’encore qu’ils n’épousassent pas leurs sœurs, ils épousaient toujours quelque personne de leur famille[4]. Mais qui peut douter qu’il ne soit plus honnête de nos jours de défendre le mariage entre cousins germains, non-seulement pour les raisons que nous avons alléguées, afin de multiplier les alliances et n’en pas mettre plusieurs en une seule personne, mais aussi parce qu’une certaine pudeur louable fait que nous avons naturellement honte de nous unir, même par mariage, aux personnes pour qui la parenté -nous donne du respect.
Ainsi l’union de l’homme et de la femme est comme la pépinière des villes et des cités ; mais la cité de la terre se contente de la première naissance des hommes, au lieu que la Cité du ciel en demande une seconde pour effacer la corruption de la première. Or, l’Histoire sainte ne nous apprend pas si, avant le déluge, il y a eu quelque signe visible et corporel de cette régénération[5], comme fut depuis la circoncision[6]. Elle rapporte toutefois que les premiers hommes ont fait des sacrifices à Dieu, comme cela se voit clairement par ceux de Caïn et d’Abel, et par celui de Noé au sortir de l’arche[7] ; et nous avons dit à ce sujet, dans les livres précédents, que les démons qui veulent usurper la divinité et passer pour dieux n’exigent des hommes ces sortes d’honneurs que parce qu’ils savent bien qu’ils ne sont dus qu’au vrai Dieu.
[1] Comp. saint Jean Chrysostome, Homélies, hom. XXXIV, n. 3,4.
[2] Par exemple chez les Perses et les Egyptiens.
[3] Suivant Aurélius Victor, ce fut l’empereur Théodose qui, le premier, interdit les mariages entre cousins.
[4] Voyez la Genèse, XXIV, 3, 4 ; XXVIII. 1, 2.
[5] Voyez l’écrit de saint Augustin, Contra Julian., n. 45.
[6] Gen. XVII, 10, 11.
[7] Ibid. VIII, 20.
Comme Adam était le père de ces deux sortes d’hommes, tant de ceux qui appartiennent à la cité de la terre que de ceux qui composent la Cité du ciel, après la mort d’Abel, qui figurait un grand mystère[1], il y eut deux chefs de chaque cité, Caïn et Seth, dans la postérité de qui l’on voit paraître des marques plus évidentes de ces deux cités. En effet, Caïn engendra Enoch et bâtit une cité de son nom, laquelle n’était pas étrangère ici-bas, mais citoyenne du monde, et mettait son bonheur dans la possession paisible des biens temporels. Or, Caïn veut dire Possession, d’où vient que quand il fut né, son père ou sa mère dit : « J’ai acquis[2] un homme par la grâce de Dieu[3] » ; et Enoch signifie Dédicace, à cause que la cité de la terre est dédiée en ce monde même où elle est fondée, parce que dès ce monde elle atteint le but de ses désirs et de ses espérances. Seth, au contraire, veut dire Résurrection, et Enos, son fils, signifie Homme, non comme Adam qui, en hébreu, est un nom commun à l’homme et à la femme, suivant cette parole de l’Ecriture : « Il les créa homme et femme, et les bénit et les nomma Adam[4] » ; ce qui fait voir qu’Eve s’appelait aussi Adam, d’un nom commun aux deux sexes. Mais Enos signifie tellement un homme, que ceux qui sont versés dans la langue hébraïque assurent qu’il ne peut pas être dit d’une femme ; Enos est en effet le fils de la résurrection, où il n’y aura plus de mariage[5] ; car il n’y aura point de génération dans l’endroit où la génération nous aura conduits. Je crois, pour cette raison, devoir remarquer ici que, dans la généalogie de Seth, il n’est fait nommément mention d’aucune femme[6], au lieu que, dans celle de Caïn, il est dit : « Mathusalem engendra Lamech, et Lamech épousa deux femmes, l’une appelée Ada, et l’autre Sella, et Ada enfanta Jobel. Celui-ci fut le père des bergers, le premier qui habita dans des cabanes. Son frère s’appelait Jubal, l’inventeur de la harpe et de la cithare. Sella eut à son tour Thobel, qui travaillait en fer et en cuivre. Sa sœur s’appelait Noéma[7] ». Là finit la généalogie de Caïn, qui est toute comprise en huit générations en comptant Adam, sept jusqu’à Lamech, qui épousa deux femmes, et la huitième dans ses enfants, parmi lesquels l’Ecriture fait mention d’une femme. Elle insinue par là qu’il y aura des générations charnelles et des mariages jusqu’à la fin dans la cité de la terre ; et de là vient aussi que les femmes de Lamech, le dernier de la lignée de Caïn, sont désignées par leurs noms, distinction qui n’est point faite pour d’autres que pour Eve avant le déluge. Or, comme Caïn, fondateur de la cité de la terre, et son fils Enoch, qui nomma cette cité, marquent par leurs noms, dont l’un signifie possession et l’autre dédicace, que cette même cité a un commencement et une fin, et qu’elle borne ses espérances à ce monde-ci, de même Seth, qui signifie résurrection, étant le père d’une postérité dont la généalogie est rapportée à part, il est bon de voir ce que l’Histoire sainte dit de son fils.
[1] Ce mystère est sans doute la mort du Christ.
[2] La Vulgate porte possedi, je suis entré en possession.
[3] Gen. VI, 1.
[4] Gen. V, 2 s.
[5] Luc XX, 35.
[6] Camp. Théodoret in Genesim, quaest. 47.
[7] Gen. IV, 18-22.
« Seth », dit la Genèse, « eut un fils, qu’il appela Enos ; celui-ci mit son espérance à invoquer le nom du Seigneur[1] ». Voilà le témoignage que rend la Vérité. L’homme donc, fils de la résurrection, vit en espérance tant que la Cité de Dieu, qui naît de la foi dans la résurrection de Jésus-Christ, est étrangère en ce monde. La mort et la résurrection du Sauveur sont figurées par ces deux hommes, par Abel, qui signifie deuil, et par Seth, son frère, qui veut dire résurrection. C’est par la foi en Jésus ressuscité qu’est engendrée ici-bas la Cité de Dieu, c’est-à-dire l’homme qui a mis son espérance à invoquer le nom du Seigneur. « Car nous sommes sauvés par l’espérance, dit l’Apôtre : or, quand on voit ce qu’on avait espéré voir, il n’y a plus d’espérance ; car qui espère voir ce qu’il voit déjà ? Que si nous espérons voir ce que nous ne voyons pas encore, c’est la patience qui nous le fait attendre[2] ». En effet, qui ne jugerait qu’il y a ici quelque grand mystère ? Abel n’a-t-il pas mis son espérance à invoquer le nom du Seigneur, lui dont le sacrifice fut si agréable à Dieu, selon le témoignage de l’Ecriture ? Seth n’a-t-il pas fait aussi la même chose, lui dont il est dit : « Dieu m’a donné un autre fils à la place d’Abel[3] ? » Pourquoi donc attribuer particulièrement à Enos ce qui est commun à tous les gens de bien, sinon parce qu’il fallait que celui qui naquit le premier du père des prédestinés à la Cité de Dieu figurât l’assemblée des hommes qui ne vivent pas selon l’homme dans la possession d’une félicité passagère, mais dans l’espérance d’un bonheur éternel ? Il n’est pas dit : Celui-ci espéra dans le Seigneur ; ou : Celui-ci invoqua le nom du Seigneur ; mais : « Celui-ci mit son espérance à invoquer le nom du Seigneur ». Que signifie : « Mit son espérance à invoquer » si ce n’est l’annonce prophétique de la naissance d’un peuple qui, selon l’élection de la grâce, invoquerait le nom de Dieu ? C’est ce qui a été dit par un autre prophète ; et l’Apôtre l’explique de ce peuple qui appartient à la grâce de Dieu : « Tous ceux qui invoqueront le nom du Seigneur seront sauvés[4] ». Ces paroles de l’Ecriture : « Il l’appela Enos, c’est-à-dire l’homme », et ensuite : « Celui-ci mit son espérance à invoquer le nom du Seigneur », montrent bien que l’homme ne doit pas placer son espérance en lui-même. Comme il est écrit ailleurs « Maudit est quiconque met son espérance en l’homme[5] » ; personne par conséquent ne doit non plus la mettre en soi-même, afin de devenir citoyen de cette autre cité qui n’est pas dédiée sur la terre par le fils de Caïn, c’est-à-dire pendant le cours de ce monde périssable, mais dans l’immortalité de la béatitude éternelle.
[1] Gen. IV, 26.
[2] Rom. VIII, 24, 25.
[3] Gen. IV, 25.
[4] Rom. X, 15.
[5] Jérém. XVII, 5.
Cette lignée, dont Seth est le père, a aussi un nom qui signifie dédicace dans la septième génération depuis Adam, en y comprenant Adam lui-même. En effet, Enoch, qui signifie dédicace, est né le septième depuis lui ; mais c’est cet Enoch, si agréable à Dieu, qui fut transporté hors du monde, et qui, dans l’ordre des générations, tient un rang remarquable, en ce qu’il désigne le jour consacré au repos. Il est aussi le sixième, à compter depuis Seth, c’est-à-dire depuis le père de ces générations qui sont séparées de la lignée de Caïn. Or, c’est le sixième jour que l’homme fut créé et que Dieu acheva tous ses ouvrages. Mais le ravissement d’Enoch marque le délai de notre dédicace ; il est vrai qu’elle est déjà faite en Jésus-Christ, notre chef, qui est ressuscité pour ne plus mourir et qui a été lui-même transporté ; mais il reste une autre dédicace, celle de toute la maison dont Jésus-Christ est le fondateur, et celle-là est différée jusqu’à la fin des siècles, où se fera la résurrection de tous ceux qui ne mourront plus. Il n’importe au fond qu’on l’appelle la maison de Dieu, ou son temple, ou sa cité ; car nous voyons Virgile donner à la cité dominatrice par excellence le nom de la maison d’Assaracus, désignant ainsi les Romains, qui tirent leur origine de ce prince par les Troyens. Il les appelle aussi la maison d’Enée, parce que les Troyens, qui bâtirent dans la suite la ville de Rome, arrivèrent en Italie sous la conduite d’Enée[1]. Le poète a imité en cela les saintes lettres qui nomment le peuple nombreux des Israélites la maison de Jacob.
[1] Énéide, livre I, v. 284 ; livre III, v. 97.
Quelqu’un dira : Si celui qui a écrit cette histoire avait l’intention, dans le dénombrement de ces générations, de nous conduire d’Adam par Seth jusqu’à Noé, sous qui arriva le déluge, et de Noé à Abraham, auquel l’évangéliste saint Matthieu commence les générations qui mènent à Jésus-Christ, roi éternel de la Cité de Dieu, quel était son dessein dans le dénombrement de celles de Caïn, et jusqu’où prétendait-il aller ? Je réponds : jusqu’au déluge, où toute la race des habitants de la cité de la terre fut engloutie, mais réparée par les enfants de Noé. Quant à cette société d’hommes qui vivent selon l’homme, elle subsistera jusqu’à la fin du siècle dont Notre Seigneur a dit : « Les enfants de ce siècle engendrent et sont engendrés[1] ». Mais, pour la Cité de Dieu qui est étrangère en ce siècle, la régénération la conduit à un siècle dont les enfants n’engendrent ni ne sont engendrés. Ici-bas donc, il est commun à l’une ou à l’autre cité d’engendrer et d’être engendré, quoique la Cité de Dieu ait dès ce monde plusieurs milliers de citoyens qui vivent dans la continence ; mais l’autre en a aussi quelques-uns qui les imitent en cela, bien qu’ils soient dans l’erreur sur tout le reste. A cette société appartiennent aussi ceux qui, s’écartant de la foi, ont formé diverses hérésies, et qui, par conséquent, vivent selon l’homme et non selon Dieu. Les gymnosophistes des Indes qui, dit-on, philosophent nus au milieu des forêts, sont de ses citoyens ; et néanmoins ils s’abstiennent du mariage[2]. Aussi la continence n’est-elle un bien que quand on la garde pour l’amour du souverain bien qui est Dieu. On ne voit pas toutefois que personne l’ait pratiquée avant le déluge, puisque Enoch même, ravi du monde pour son innocence, engendra des fils et des filles, et entre autres Mathusalem qui continue l’ordre des générations choisies.
Pourquoi compte-t-on un si petit nombre d’individus dans les générations de Caïn, si elles vont jusqu’au déluge et si les hommes en ce temps-là étaient en état d’avoir des enfants d’aussi bonne heure qu’aujourd’hui ? Si l’auteur de la Genèse n’avait pas eu en vue quelqu’un auquel il voulût arriver par une suite de générations, comme c’était son dessein à l’égard de celle de la postérité de Seth, qu’il voulait conduire jusqu’à Noé, pour reprendre ensuite l’ordre des générations jusqu’à Abraham, qu’était-il besoin de passer les premiers-nés pour arriver à Lamech, auquel finit cette généalogie, c’est-à-dire à la huitième génération depuis Adam, et à la septième depuis Caïn, comme si de là il eût voulu passer à quelque autre généalogie pour arriver ou au peuple d’Israël, en qui la Jérusalem terrestre même a servi de figure à la Cité céleste, ou à Jésus-Christ comme homme, qui est le Dieu suprême élevé au-dessus de toutes choses[3], béni dans tous les siècles, et le fondateur et le roi, de la Jérusalem du ciel ; qu’était-il besoin, dis-je, d’en user de la sorte, attendu que toute la postérité de Caïn fut exterminée par le déluge ? Cela pourrait faire croire que ce sont les premiers-nés qui sont nommés dans cette généalogie. Mais pourquoi y a-t-il si peu de personnes, si, comme nous l’avons dit, les hommes avaient des enfants en ce temps-là d’aussi bonne heure qu’ils en ont à présent ? Supposé qu’ils eussent tous trente ans quand ils commencèrent à en avoir, comme il y a huit générations en comptant Adam et les enfants de Lamech, huit fois trente font deux cent quarante ans. Or, est-il croyable qu’ils n’aient point eu d’enfants tout le reste du temps jusqu’au déluge ? Et, s’ils en ont eu, pourquoi l’Ecriture n’en fait-elle point mention ? Depuis Adam jusqu’au déluge, il s’est écoulé deux mille deux cent soixante-deux ans[4], selon nos livres, et mille six cent cinquante-six, selon les Hébreux. Lors donc que nous nous arrêterions à ce de ? nier nombre comme au véritable, si de mille six cent cinquante-six ans on retranche deux cent quarante, restent mille quatre cents ans et quelque chose de plus. Or, peut-on s’imaginer que la postérité de Caïn soit demeurée pendant tout ce temps-là sans avoir des enfants ?
Mais il faut se rappeler ici ce que nous avons dit, lorsque nous demandions comment il se peut faire que ces premiers hommes, qui n’avaient aucun dessein de garder la continence, se soient pu contenir si longtemps. Nous avons en effet montré qu’il y a deux moyens de résoudre cette difficulté : ou et disant que, comme ils vivaient si longtemps ils n’étaient pas sitôt en âge d’engendrer, et que les enfants dont il est parlé dans ces généalogies ne sont pas les aînés, mais ceux qui servirent à perpétuer l’ordre des génération, jusqu’au déluge. Si donc dans celles de Caïn l’auteur de la Genèse n’a pas eu cette intention comme dans celles de Seth, il faudra avoir recours à l’autre solution, et dire qu’en ce temps-là les hommes n’étaient capables d’avoir des enfants qu’après cent ans. Il se peut faire néanmoins que cette généalogie de Caïn n’aille pas jusqu’au déluge, et que l’Ecriture sainte, pour quelque raison que j’ignore, ne l’ait portée que jusqu’à Lamech et à ses enfants. Indépendamment de cette réponse que les hommes avaient des enfants plus tard en ce temps-là, il se peut que la cité bâtie par Caïn ait étendu au loin sa domination et ail eu plusieurs rois de père en fils, les uns après les autres, sans garder l’ordre de primogéniture. Caïn a pu être le premier de ces rois ; son fils Enoch, qui donna le nom au siège de cet empire, le second ; le troisième, Gaïdad, fils d’Enoch ; le quatrième, Manihel, fils de Gaïdad ; le cinquième, Mathusaël, fils de Manihel ; et le sixième, Lamech, fils de Mathusaël, qui est le septième depuis Adam par Caïn. Il n’était pas nécessaire que les aînés succédassent à leurs pères ; le sort, ou le mérite, ou l’affection du père appelait indifféremment un de ses fils à la couronne. Rien ne s’oppose à ce que le déluge soit arrivé sous le règne de Lamech et l’ait fait périr avec les autres. Aussi voyons-nous que l’Ecriture ne désigne pas un seul fils de Lamech, comme dans les générations précédentes, mais plusieurs, parce qu’il était incertain quel devait être son successeur, si le déluge ne fût point survenu.
Mais de quelque façon que l’on compte les générations de Caïn, ou par les aînés, ou par les rois, il me semble que je ne dois pas passer sous silence que Lamech, étant le septième en ordre depuis Adam, l’Ecriture, qui lui donne trois fils et une fille, parle d’autant de ses enfants qu’il en faut pour accomplir le nombre onze, qui signifie le péché. En effet, comme la loi est comprise en dix commandements, d’où vient le mot décalogue, il est hors de doute que le nombre onze, qui passe celui de dix, marque la transgression de la loi, et par conséquent le péché. C’est pour cela que Dieu commanda[5] de faire onze voiles de poil de chèvre dans le tabernacle du témoignage, qui était comme le temple portatif de son peuple pendant son voyage, attendu que cette étoffe fait penser aux péchés, à cause des boucs qui doivent être mis à la gauche. Aussi, lorsque nous faisons pénitence, nous nous prosternons devant Dieu couverts d’un cilice, comme pour dire avec le Psalmiste : « Mon péché est toujours présent devant moi[6] ». La postérité d’Adam par le fratricide Caïn finit donc au nombre de onze, qui signifie le péché ; et ce nombre est fermé par une femme, dont le sexe a donné commencement au péché par lequel nous avons tous été assujettis à la mort. Et ce péché a été suivi d’une volupté charnelle qui résiste à l’esprit ; d’où vient que le nom de cette fille de Lamech signifie volupté. Mais le nombre dix termine les générations descendues d’Adam par Seth jusqu’à Noé. Ajoutez à ce nombre les trois fils de Noé, dont deux seulement furent bénis, et l’autre fut réprouvé à cause de ses crimes, vous aurez douze : nombre illustre dans les Patriarches et dans les Apôtres, et composé des parties du nombre sept multipliées l’une par l’autre, puisque trois fois quatre et quatre fois trois font douze. Dans cet état de choses, il nous reste à voir comment ces deux lignées, qui, par des générations distinctes, marquent les deux cités, l’une des hommes de la terre, et l’autre des élus, se sont ensuite tellement mêlées ensemble que tout le genre humain, à la réserve de huit personnes, a mérité de périr par le déluge.
[1] Luc XX, 34.
[2] Voyez plus haut, livre XIV, ch. 17. Comp. Apulée, Florides, p. 343 de l’édit. d’Elmenhorst ; Porphyre, De abst. anim., livre IV, cap. 17.
[3] Rom. IX, 5.
[4] Eusèbe, saint Jérôme, Bède, et d’autres encore qui se fondent sur la version des Septante, comptent vingt ans de moins que saint Augustin. Peut-être, selon la conjecture de Vivès, n’y a-t-il ici qu’une erreur de copiste, le signe XL pouvant être aisément pris pour le signe LX.
[5] Exod. XXVI, 7.
[6] Ps. L, 5.
Il faut considérer d’abord pourquoi, dans le dénombrement des générations de Caïn, après que l’Ecriture a fait mention d’Enoch, qui donna son nom à la ville que son père bâtit, elle les continue tout de suite jusqu’au déluge, où finit entièrement toute cette branche, au lieu qu’après avoir parlé d’Enos, fils de Seth, elle interrompt le fil de cette généalogie, en disant : « Voici la généalogie des hommes. Lorsque Dieu créa l’homme, il le créa à son image. Il les créa homme et femme, les bénit, et les appela Adam[1] ». Il me semble que cette interruption a eu pour objet de recommencer le dénombrement des temps par Adam ; ce que l’Ecriture n’a pas voulu faire à l’égard de la cité de la terre, comme si Dieu en parlait en passant plutôt qu’il n’en tient compte. Mais d’où vient qu’après avoir déjà nommé le fils de Seth, cet homme qui mit sa confiance à invoquer le nom du Seigneur, elle y revient encore, sinon de ce qu’il fallait représenter ainsi ces deux cités, l’une descendant d’un homicide jusqu’à un homicide, car Lamech avoue à ses deux femmes qu’il a tué un homme[2], et l’autre, fondée par celui qui mit sa confiance à invoquer le nom de Dieu ? Voilà, en effet, quelle doit être l’unique occupation de la Cité de Dieu, étrangère en ce monde pendant le cours de cette vie mortelle, et ce qu’il a fallu lui recommander par un homme engendré de celui en qui revivait Abel assassiné. Cet homme marque l’unité de toute la Cité céleste, qui recevra, un jour son accomplissement, après avoir été représentée ici-bas par cette figure prophétique. D’où le fils de Caïn, c’est-à-dire le fils de possession, pouvait-il prendre son nom, si ce n’est des biens de la terre dans la cité de la terre à qui il a donné le sien ? Il est de ceux dont il est dit dans le psaume : « Ils ont donné leurs noms à leurs terres[3] » ; aussi tombent-ils dans le malheur dont il est parlé en un autre psaume : « Seigneur, vous anéantirez leur image dans votre cité[4] ». Pour le fils de Seth, c’est-à-dire le fils de la résurrection, qu’il mette sa confiance à invoquer le nom du Seigneur ; c’est lui qui figure cette société d’hommes qui dit : « Je serai comme un olivier fertile en la maison du Seigneur, parce que j’ai espéré en sa miséricorde[5] ». Qu’il n’aspire point à la vaine gloire d’acquérir un nom célèbre sur la terre ; car « heureux celui qui met son espérance au nom du Seigneur, et qui ne tourne point ses regards vers les vanités et les folies du monde[6] ». Après avoir proposé ces deux cités, l’une établie dans la jouissance des biens du siècle, l’autre mettant son espérance en Dieu, mais toutes deux sorties d’Adam comme d’une même barrière pour fournir leur course et arriver chacune à sa fin, l’Ecriture commence le dénombrement des temps, auquel elle ajoute d’autres générations en reprenant depuis Adam, de la postérité de qui, comme d’une masse justement réprouvée, Dieu a fait des vases de colère et d’ignominie, et des vases d’honneur et de miséricorde[7] traitant les uns avec justice et les autres avec bonté, afin que la Cité céleste, étrangère ici-bas, apprenne, aux dépens des vases de colère, à ne pas se fier en son libre arbitre, mais à mettre sa confiance à invoquer le nom du Seigneur. La volonté a été créée bonne, mais muable, parce qu’elle a été tirée du néant : ainsi, elle peut se détourner du bien et du mal ; mais elle n’a besoin pour le niai que de son libre arbitre et ne saurait faire le bien sans le secours de la grâce.
[1] Gen. V, 1, 2.
[2] Ibid. IV, 23.
[3] Ps. XLVIII, 12.
[4] Ibid. LXXII, 20.
[5] Ibid. LI, 10.
[6] Ibid. XXXIX, 5.
[7] Rom. IX, 23 s.
Comme les hommes, en possession de ce libre arbitre, croissaient et s’augmentaient, il se fit une espèce de mélange et de confusion des deux cités par un commerce d’iniquité ; et ce mal prit encore son origine de la femme, quoique d’une autre manière qu’au commencement du monde. Dans le fait, les femmes de la cité de la terre ne portèrent pas les hommes au péché, après avoir été séduites elles-mêmes par l’artifice d’un autre ; mais les enfants de Dieu, c’est-à-dire les citoyens de la cité étrangère sur la terre, commencèrent à les aimer pour leur beauté[1], laquelle véritablement est un don de Dieu, mais qu’il accorde aussi aux méchants, de peur que les bons ne l’estiment un grand bien. Aussi les enfants de Dieu ayant abandonné le bien souverain qui est propre aux bons, se portèrent vers un moindre bien commun aux bons et aux méchants, et épris d’amour pour les filles des hommes, ils abandonnèrent, afin de les épouser, la piété qu’ils gardaient dans la sainte société. Il est vrai, comme je viens de le dire, que la beauté du corps est un don de Dieu ; mais comme c’est un bien misérable, charnel et périssable, on ne l’aime pas comme il faut quand on l’aime plus que Dieu, qui est un bien éternel, intérieur et immuable. Lorsqu’un avare aime plus son argent que la justice, ce n’est pas la faute de l’argent, mais celle de l’homme ; il en est de même de toutes les autres créatures : comme elles sont bonnes, elles peuvent être bien ou mal aimées. On les aime bien quand on garde l’ordre, on les aime mal quand on le pervertit. C’est ce que j’ai exprimé en ces quelques vers dans un éloge du Cierge : « Toutes ces choses, Seigneur, sont à vous et sont bonnes, parce qu’elles viennent de vous, qui êtes souverainement bon. Il n’y a rien de nous en elles que le péché, qui fait que, renversant l’ordre, nous aimons, au lieu de vous, ce qui vient de vous[2] ».
Quant au Créateur, si on l’aime véritablement, c’est-à-dire si on l’aime lui-même sans aimer autre chose à la place de lui, on ne le saurait mal aimer. Nous devons même aimer avec ordre l’amour qui fait qu’on aime comme il convient tout ce qu’il faut aimer, si nous voulons être bons et vertueux. D’où je conclus que la meilleure et la plus courte définition de la vertu est celle-ci : l’ordre de l’amour. L’épouse de Jésus-Christ, qui est la Cité de Dieu, chante pour cette raison dans le Cantique des cantiques : « Ordonnez en moi la charité[3] ». Pour avoir confondu l’ordre de cet amour[4], les enfants de Dieu méprisèrent Dieu et aimèrent les filles des hommes. Or, ces deux noms, enfants de Dieu, filles des hommes, distinguent assez l’une et l’autre cité. Bien que ceux-là fussent aussi enfants des hommes par nature, la grâce avait commencé à les rendre enfants de Dieu. En effet, l’Ecriture sainte, dans l’endroit où elle parle de leur amour pour les filles des hommes, les appelle aussi anges de Dieu ; ce qui a fait croire à plusieurs que ce n’était pas des hommes, mais des anges.
[1] Gen. VI, 1 et seq.
[2] C’est sans doute pour une cérémonie en l’honneur du Cierge pascal que saint Augustin avait composé ces vers. Il est à propos, de rappeler ici que parmi les écrits inédits de saint Augustin publiés par Michael Denis, à Vienne, en 1792, il s’en trouve un, le premier, qui a pour sujet le cierge pascal, ce qui fait que l’éditeur l’a intitulé : De Cereo paschali, au lieu des mots In sabbato sancto que porte le manuscrit. Au surplus, ce petit écrit, tout semé de comparaisons puériles, n’est probablement pas de saint Augustin.
[3] Cant, II, 4.
[4] Sur l’amour bien ordonné, voyez saint Augustin, De doct. christ., n. 28.
Nous avons touché, sans la résoudre, au troisième livre de cet ouvrage[1], la question de savoir si les anges, en tant qu’esprits, peuvent avoir commerce avec les femmes. Il est écrit en effet : « Il se sert d’esprits pour ses anges », c’est-à-dire que de ceux qui sont esprits par leur nature, il en a fait ses anges, ou, ce qui revient au même, ses messagers[2] ; mais il n’est pas aisé de décider si le Prophète parle de leurs corps, lorsqu’il ajoute : « Et d’un feu ardent pour ses ministres[3] » ; ou s’il veut faire entendre par là que ses ministres doivent être embrasés de charité comme d’un feu spirituel. Toutefois l’Ecriture témoigne que les anges ont apparu aux hommes dans des corps tels que non-seulement ils pouvaient être vus, mais touchés. Il y a plus : comme c’est un fait public et que plusieurs ont expérimenté ou appris de témoins non suspects que les Sylvains et les Faunes, appelés ordinairement incubes, ont souvent tourmenté les femmes et contenté leur passion avec elles, et comme beaucoup de gens d’honneur assurent que certains démons, à qui les Gaulois donnent le nom de Dusiens[4], tentent et exécutent journellement toutes ces impuretés[5], en sorte qu’il y aurait une sorte d’impudence à les nier, je n’oserais me déterminer là-dessus, ni dire s’il y a quelques esprits revêtus d’un corps aérien qui soient capables ou non (car l’air, simplement agité par un éventail, excite la sensibilité des organes) d’avoir eu un commerce sensible avec les femmes. Je ne pense pas néanmoins que les saints anges de Dieu aient pu alors tomber dans ces faiblesses, et que ce soit d’eux que parle saint Pierre, quand il dit : « Car Dieu n’a pas épargné les anges qui ont péché, mais il les a précipités dans les cachots obscurs de l’enfer, où il les réserve pour les peines du dernier jugement[6] » ; je crois plutôt que cet apôtre parle ici de ceux qui, après s’être révoltés au commencement contre Dieu, tombèrent du ciel avec le diable, leur prince, dont la jalousie déçut le premier homme sous la forme d’un serpent. D’ailleurs, l’Ecriture sainte appelle aussi quelquefois anges les hommes de bien[7], comme quand il dit de saint Jean : « Voilà que j’envoie mon ange devant vous, pour vous préparer le chemin[8] ». Et le prophète Malachie est appelé ange par une grâce particulière[9].
Ce qui fait croire à quelques-uns que les anges, dont l’Ecriture dit qu’ils épousèrent les filles des hommes, étaient de véritables anges, c’est qu’elle ajoute que de ces mariages sortirent des géants ; comme si dans tous les temps il n’y avait pas eu des hommes d’une stature extraordinaire[10] ! Quelques années avant le sac de Rome par les Goths, n’y vit-on pas une femme d’une grandeur démesurée ? et ce qui est plus merveilleux, c’est que le père et la mère n’étaient pas d’une taille égale à celle que nous voyons aux hommes très grands. Il a donc fort bien pu y avoir des géants, même avant que les enfants de Dieu, que l’Ecriture appelle aussi des anges, se fussent mêlés avec les filles des hommes, c’est-à-dire avec les filles de ceux qui vivaient selon l’homme, et que les enfants de Seth eussent épousé les filles de Caïn[11]. Voici le texte même de l’Ecriture : « Comme les hommes se furent multipliés sur la terre et qu’ils eurent engendré des filles, les anges de Dieu[12], voyant que les filles des hommes étaient bonnes, choisirent pour femmes celles qui leur plaisaient. Alors Dieu dit : Mon esprit ne demeurera plus dans ces hommes ; car ils ne sont que chair, et ils ne vivront plus que cent vingt ans. Or, en ce temps-là, il y avait des géants sur la terre. Et depuis, les enfants de Dieu ayant commerce avec les filles des hommes. Ils engendraient pour eux-mêmes, et ceux qu’ils engendraient étaient ces géants si renommés[13] » – Ces paroles marquent assez qu’il y avait déjà des géants sur la terre, quand les enfants de Dieu épousèrent les filles des hommes et qu’ils les aimèrent parce qu’elles étaient bonnes, c’est-à-dire belles ; car c’est la coutume de l’Ecriture d’appeler bon ce qui est beau. Quant à ce qu’elle ajoute, qu’ils engendraient pour eux-mêmes, cela montre qu’auparavant ils engendraient pour Dieu, ou, en d’autres termes, qu’ils n’engendraient pas par volupté, mais pour avoir des enfants, et qu’ils n’avaient pas pour but l’agrandissement fastueux de leur famille, mais le nombre des citoyens de la Cité de Dieu, à qui, comme des anges de Dieu, ils recommandaient de mettre leur espérance en lui[14] et d’être semblables à ce fils de Seth, à cet enfant de résurrection qui mit sa confiance à invoquer le nom du Seigneur, afin de devenir tous ensemble avec leur postérité les héritiers des biens éternels.
Mais il ne faut pas s’imaginer qu’ils aient tellement été anges de Dieu, qu’ils n’aient point été hommes, puisque l’Ecriture déclare nettement qu’ils l’ont été. Après avoir dit que les anges de Dieu, épris de la beauté des filles des hommes, choisirent pour femmes celles qui leur plaisaient le plus, elle ajoute aussitôt ceci : Alors le Seigneur dit : « Mon esprit ne demeurera plus dans ces hommes, car ils ci ne sont que chair ». L’esprit de Dieu les avait rendus anges de Dieu et enfants de Dieu ; mais, comme ils s’étaient portés vers les choses basses et terrestres, l’Ecriture les appelle hommes, qui est un nom de nature, et non de grâce ; elle les appelle aussi chair, parce qu’ils avaient abandonné l’esprit, et mérité par-là d’en être abandonnés. Entre les exemplaires des Septante, les uns les nomment anges et enfants de Dieu, et les autres ne leur donnent que cette dernière qualité[15] ; et Aquila[16], que les Juifs préfèrent à tous les autres interprètes, n’a traduit ni anges de Dieu, ni enfants de Dieu, mais enfants des dieux. Or, toutes ces versions sont acceptables. Ils étaient enfants de Dieu et frères de leurs pères, qui avaient comme eux Dieu pour père ; et ils étaient enfants des dieux, parce qu’ils étaient nés de dieux avec qui ils étaient aussi des dieux, suivant cette parole du psaume : « Je l’ai dit, vous êtes des dieux, vous êtes tous des enfants du Très-Haut[17] ». Aussi bien, on pense avec raison que les Septante ont été animés d’un esprit prophétique, et on ne doute point que ce qu’ils ont changé dans la version, ils ne l’aient fait par une inspiration du ciel, encore qu’ici l’on reconnaisse que le mot hébreu est équivoque, et qu’il peut aussi bien signifier enfants de Dieu comme enfants des dieux.
Laissons donc les fables de ces écritures qu’on nomine apocryphes, parce que l’origine en a été inconnue à nos pères, qui nous ont transmis les véritables par une succession très connue et très-assurée. Bien qu’il se trouve quelque vérité dans ces écritures apocryphes, elles ne sont d’aucune autorité, à cause des diverses faussetés qu’elles contiennent. Nous ne pouvons nier qu’Enoch, qui est le septième depuis Adam, n’ait écrit quelque chose ; car l’apôtre saint Jude le témoigne dans son Epître canonique[18] ; mais ce n’est pas sans raison que ces écrits mie se trouvent point dans le catalogue des Ecritures, qui était conservé dans le temple des Juifs par le soin des prêtres, attendu que ces prétendus livres d’Enoch ont été jugés suspects, à cause de leur trop grande antiquité, et parce qu’on ne pouvait justifier que ce fussent les mêmes qu’Enoch avait écrits, dès lors qu’ils n’étaient pas produits par ceux à qui la garde de ces sortes de livres était confiée. De là vient que les écrits allégués sous son nom, qui portent que les géants n’ont pas eu des hommes pour pères, sont justement rejetés par les chrétiens sages, ainsi que beaucoup d’autres que les hérétiques produisent sous le nom d’autres anciens prophètes, ou même sous celui des Apôtres, et qui sont tous mis par l’Eglise au rang des livres apocryphes. Il est donc certain, selon les Ecritures canoniques, soit juives, soit chrétiennes, qu’il y a eu avant le déluge beaucoup de géants citoyens de la cité de la terre, et que les enfants de Seth, qui étaient enfants de Dieu par la grâce, s’unirent à eux après s’être écartés de la voie de la justice. On ne doit pas s’étonner qu’il ait pu sortir aussi d’eux des géants. A coup sûr, ils n’étaient pas tous géants ; mais il y en avait plus alors que dans toute la suite des temps qui se sont écoulés depuis ; et il a plu au Créateur de les produire, pour apprendre aux sages à ne faire pas grand cas, non-seulement de la beauté, mais même de la grandeur et de la force du corps, et à mettre plutôt leur bonheur en des biens spirituels et immortels, comme beaucoup plus durables et propres aux seuls gens de bien. C’est ce qu’un autre prophète déclare en ces termes : « Alors étaient ces géants si fameux, hommes d’une haute stature et qui étaient habiles à la guerre. Le Seigneur ne les a pas choisis et ne leur a pas donné la science véritable ; mais ils ont péri et se sont perdus par leur imprudence, parce qu’ils ne possédaient pas la sagesse[19] ».
[1] Au chap. 5.
[2] Le mot grec angelos, remarque saint Augustin, signifie messager.
[3] Ps. CIII, 5.
[4] Ces Dusiens, des Gaulois font penser aux Dievs, divinités malfaisantes de la mythologie persane. – Sur les Faunes, comp. Servius (ad, Aeneid., lib. VI, V. 776), Isidore (Orig., lib. VIII, cap. 11, § 103) et Cassien (Collat., VII, cap. 32).
[5] Sur les démons mâles et femelles, incubes et succubes, voyez le commentaire de Vivès sur la Cité de Dieu (tome II, page 157) et le livre de Psellus, De natura daemonum.
[6] I Pierre II, 4.
[7] Même remarque dans Tertullien (Contra. Jud, lib. II, cap. 9) et dans saint Jean Chrysostome (Hom. 21 in Genes.)
[8] Marc I, 2 s.
[9] Malach. II, 7.
[10] Voyez plus haut, ch. 9.
[11] Comp. Quœst. in Gen., qu. 3.
[12] Lactance, Sulpice Sévère et beaucoup d’autres ont cru, d’après ces paroles de l’Ecriture, à un commerce entre les anges proprement dits et les filles des hommes, opinion qu’on trouve fort répandue pendant les premiers siècles de l’Eglise, Voyez Lactance (Inst. lib. II, cap. 15) et Sulpice Sévère (Hist. sacr., lib. I, cap. 1).
[13] Gen. VI, 1, 4.
[14] Ps. LXXVII, 7.
[15] C’est ce qu’on peut vérifier encore aujourd’hui : le manuscrit du Vatican porte uioi tou Theou, enfants de Dieu ; le manuscrit Alexandrin porte oi angeloi tou Theou, les anges de Dieu, leçon qui a été suivie par Philon le Juif dans son traité Des Géants.
[16] Aquila vivait sous l’empereur Adrien. D’abord chrétien, il s’adonna aux recherches de l’astrologie et de la magie, ce qui le fit excommunier. Il embrassa le culte israélite, et devenu grand hébraïsant, il s’appliqua, selon le témoignage d’Epiphane, à combattre la version des Septante et à effacer dans l’Ecriture les traces des prophéties qui annoncent le Christ.
[17] Ps. LXXXI, 6 s.
[18] Jude 14.
[19] Baruch III, 26-28.
Quand Dieu dit : « Ils ne vivront plus que cent vingt ans[1] », il ne faut pas entendre que les hommes ne devaient pas passer cet âge après le déluge, puisque quelques-uns ont vécu depuis plus de cinq cents ans ; mais cela signifie que Dieu ne leur donnait plus que ce temps-là jusqu’au déluge. Noé avait alors quatre cent quatre-vingts ans ; ce que l’Ecriture, selon sa coutume, appelle cinq cents ans pour faire le compte rond. Or, le déluge arriva l’an six cent de la vie de Noé[2], en sorte qu’il y avait encore, au moment de la menace divine, cent vingt ans à écouler jusqu’au déluge. On croit avec raison que, lorsqu’il arriva, il n’y avait plus sur la terre que des gens dignes d’être exterminés par ce fléau : car, bien que ce genre de mort n’eût pu nuire en aucune façon aux gens de bien, qui seraient toujours morts sans cela, toutefois il est vraisemblable que le déluge ne fit périr aucun des descendants de Seth. Voici quelle fut la cause du déluge, au rapport de l’Ecriture sainte : « Comme Dieu, dit-elle, eût vu que les hommes devenaient de jour en jour plus méchants et que toutes leurs pensées étaient sans cesse tournées au mal, il se mit à penser et à réfléchir que c’était lui qui les avait créés, et il dit : J’exterminerai l’homme que j’ai créé, et depuis l’homme jusqu’à la bête, depuis les serpents jusqu’aux oiseaux ; car « j’ai de la colère de les avoir créés[3] ».
[1] Gen. VI, 3 s.
[2] Ibid. VII, 11.
[3] Gen. VI, 5-7.
La colère de Dieu[1] n’est pas en lui une passion qui le trouble, mais un jugement par lequel il punit le crime, de même que sa pensée et sa réflexion ne sont que la raison immuable qu’il a de changer les choses. Il ne se repent pas, comme l’homme, de ce qu’il a fait, parce que son conseil est aussi ferme que sa prescience certaine ; mais si l’Ecriture ne se servait pas de ces expressions familières, elle ne se proportionnerait pas à la capacité de tous les hommes dont elle veut procurer le bien et l’avantage, en étonnant les superbes, en réveillant les paresseux, en exerçant les laborieux, en éclairant les savants. Quant à la mort qu’elle annonce à tous les animaux, et même à ceux de l’air, c’est une image qu’elle donne de la grandeur de cette calamité à venir, et non une menace qu’elle fait aux animaux dépourvus de raison, comme s’ils avaient aussi péché.
[1] Il y a un traité exprès de Laitance De la colère de Dieu.
En ce qui regarde le commandement que Dieu fit à Noé, qui était, selon le témoignage de l’Ecriture même, un homme parfait[1], non de cette perfection qui doit un jour égaler aux anges les citoyens de la Cité de Dieu, mais de celle dont ils sont capables en cette vie, en ce qui regarde, dis-je, le commandement que Dieu lui fit de construire une arche pour s’y sauver de la fureur du déluge, avec sa femme, ses enfants, ses brus et les animaux qu’il eut ordre d’y faire entrer, c’est sans doute la figure de la Cité de Dieu étrangère ici-bas, c’est-à-dire de l’Eglise, qui est sauvée par le bois où a été attaché le médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme[2]. Les mesures même de sa longueur, de sa hauteur et de sa largeur, sont un symbole du corps humain dont Jésus-Christ s’est vraiment revêtu, comme il avait été prédit. En effet, la longueur du corps de l’homme, de la tête aux pieds, a six fois autant que sa largeur, d’un côté à l’autre, et dix fois autant que sa hauteur, c’est-à-dire que son épaisseur, prise du dos au ventre. C’est pourquoi l’arche avait trois cents coudées de long, cinquante de large et trente de haut. La porte qu’elle avait sur le côté est la plaie que la lance fit au côté de Jésus-Christ crucifié[3]. C’est, en effet, par là qu’entrent ceux qui viennent à lui, parce que c’est de là que sont sortis les sacrements par qui les fidèles sont initiés. Dieu commande qu’on la construise de poutres cubiques, pour figurer la vie stable et égale des saints ; car dans quelque sens que vous tourniez un cube, il demeure ferme sur sa base. Les autres choses de même qui sont marquées dans la structure de l’arche sont des figures de ce qui se passe dans l’Eglise.
Il serait trop long d’expliquer tout cela en détail, outre que nous l’avons déjà fait dans nos livres contre Fauste le manichéen, qui prétend qu’il n’y a aucune prophétie de Jésus-Christ dans l’Ancien Testament. Il se peut bien faire qu’entre les explications qu’on en donnera, celles-ci soient meilleures que celles-là, et même que les nôtres ; mais il faut au moins qu’elles se rapportent toutes à cette Cité de Dieu qui voyage dans ce monde corrompu comme au milieu d’un déluge, à moins qu’on ne veuille s’écarter du sens de l’Ecriture. Par exemple, j’ai dit, dans mes livres contre Fauste, au sujet de ces paroles : « Vous ferez en bas deux ou trois étages[4] », que ces deux étages signifient l’Eglise, cette assemblée de toutes les nations, à cause des deux genres d’hommes qui la composent, les Juifs et les Gentils[5], et que trois étages la figurent aussi, parce que toutes les nations sont sorties après le déluge des trois fils de Noé. Un autre, par ces trois étages, entendra peut-être ces trois vertus principales que recommande l’Apôtre, savoir : la foi, l’espérance et la charité[6]. On peut aussi et mieux encore y voir l’image de ces trois abondantes moissons de l’Evangile[7], dont l’une rend trente pour un, l’autre soixante et l’autre cent, en sorte que la chasteté conjugale occupe le dernier étage, la continence des veuves le second, et celle des vierges le troisième et le plus haut ; et ainsi du reste, qu’on peut expliquer de différentes manières, mais où l’on doit toujours prendre garde de ne s’éloigner en rien de la foi catholique.
[1] Gen. VI, 9.
[2] I Tim. II, 5.
[3] Au livre XII, ch. 14.
[4] Gen. VI, 16.
[5] Voyez saint Paul, Rom. III, 9.
[6] I Cor. XIII, 13.
[7] Matth. XIII, 8.
On aurait tort de croire qu’aucune de ces choses ait été écrite en vain, ou qu’on n’y doive chercher que la vérité historique sans allégories, ou au contraire que ce ne soient que des allégories, ou enfin, quoi qu’on en pense, qu’elles ne contiennent aucune prophétie de l’Eglise. Quel homme de bon sens pourrait prétendre que des livres si religieusement conservés durant tant de milliers d’années aient été écrits à l’aventure, ou qu’il y faille seulement considérer la vérité de l’histoire ? Pour ne parler que d’un point, il n’y avait aucune nécessité de faire entrer dans l’arche deux animaux immondes de chaque espèce, et sept des autres ; on y en pouvait faire[1] entrer et des uns et des autres en nombre égal[2], et Dieu, qui commandait de les garder ainsi pour en réparer l’espèce, était apparemment assez puissant pour les refaire de la même façon qu’il les avait faits.
Pour ceux qui soutiennent que ces choses ne sont pas arrivées en effet et que ce ne sont que des figures et des allégories, ce qui les porte à en juger ainsi, c’est surtout qu’ils ne croient pas que ce déluge ait pu être assez grand pour dépasser de quinze coudées la cime des plus hautes montagnes, par cette raison, disent-ils, que les nuées n’arrivent jamais au sommet de l’Olympe[3], et qu’il n’y a point là de cet air épais et grossier où s’engendrent les vents, les pluies et les nuages. Mais ils ne prennent pas garde qu’il y a de la terre, laquelle est le plus matériel de tous les éléments. N’est-ce point peut-être qu’ils prétendent aussi que le sommet de cette montagne n’est pas de terre ? Pourquoi ces peseurs d’éléments veulent-ils donc que la terre ait pu s’élever si haut et que l’eau ne l’ait pas pu de même, eux qui avouent que l’eau est plus légère que la terre ? Ils disent encore que l’arche ne pouvait pas être assez grande pour contenir tant d’animaux. Mais ils ne songent pas qu’il y avait trois étages, chacun de trois cents coudées de long, de cinquante de large et de trente de haut, ce qui fait en tout neuf cents coudées en longueur, cent cinquante en largeur et quatre-vingt-dix en hauteur. Si nous ajoutons à cela, suivant la remarque ingénieuse d’Origène[4], que Moïse, parfaitement versé, au rapport de l’Ecriture[5], dans toutes les sciences des Egyptiens, qui s’adonnaient fort aux mathématiques, a pu prendre ces coudées pour des coudées, de géomètres, qui en valent six des nôtres, qui ne voit combien il pouvait tenir de choses dans un lieu si vaste ? Quant à la prétendue impossibilité de faire une arche si grande, elle ne mérite pas qu’on s’y arrête, attendu que tous les jours on bâtit des villes immenses, et qu’il ne faut pas oublier que Noé fut cent ans à construire son ouvrage. Ajoutez à cela que cette arche n’était faite que de planches droites, qu’il ne fut besoin d’aucun effort pour la mettre en mer, mais qu’elle fut insensiblement soulevée par les eaux du déluge, et enfin que Dieu même la conduisait et l’empêchait de naufrager.
Que répondre encore à ceux qui demandent si des souris et des lézards, ou même encore des sauterelles, des scarabées, des mouches et des puces entrèrent aussi dans l’arche en même nombre que les autres animaux ? ceux qui proposent cette question doivent savoir d’abord qu’il n’était point nécessaire qu’il y eût dans l’arche, non-seulement aucun des animaux qui peuvent vivre dans l’eau, comme les poissons, mais même aucun de ceux qui vivent sur sa surface, comme une infinité d’oiseaux aquatiques. De plus, l’Ecriture marque expressément que Noé y fit entrer un mâle et une femelle de chaque espèce, pour montrer que c’était pour en réparer la race, et qu’ainsi il n’était point besoin d’y mettre ceux qui naissent sans l’union des sexes ou qui proviennent de la corruption[6] ; ou que si l’on y en mit, ce fut sans aucun nombre certain, comme ils sont ordinairement dans les maisons ; ou enfin, si l’on prétend que, pour figurer avec une exactitude parfaite le plus auguste des mystères, il fallait qu’il y eût un nombre limité de toutes les sortes d’animaux qui ne peuvent vivre naturellement dans l’eau, je réponds que la providence de Dieu pourvut à tout cela sans que les hommes eussent à s’en mêler. Noé ne prenait pas les animaux pour les mettre dans l’arche, mais ils y venaient d’eux-mêmes. Les paroles de l’Ecriture le font assez entendre : « Ils viendront à vous[7] » ; c’est-à-dire qu’ils n’y viendront pas par l’entremise des hommes, mais par la volonté de Dieu, qui leur en donnera l’instinct. Il ne faut pas s’imaginer néanmoins que les animaux qui n’ont point de sexe y soient entrés, car l’Ecriture dit en termes formels qu’il devait y entrer un mâle et une femelle de chaque espèce. Il existe en effet certains animaux qui s’engendrent de corruption et qui ne laissent pas ensuite de s’accoupler, comme les mouches ; il en est d’autres en qui l’on ne remarque aucune différence de sexe, comme les abeilles. Pour les bêtes qui ont un sexe, mais qui n’engendrent point, comme les mules et les mulets, je ne sais si elles y eurent place, et peut-être n’y eût-il que celles dont elles procèdent, et ainsi des autres animaux hybrides. Si toutefois cela était nécessaire pour le mystère, elles y étaient, puisque dans cette espèce d’animaux il y a aussi mâle et femelle.
Quelques-uns demandent encore quelle sorte de nourriture pouvaient avoir là les animaux que l’on croit ne vivre que de chair, si Noé en fit entrer dans l’arche quelques autres pour les nourrir, outre ceux que Dieu lui avait commandés, ou, ce qui est plus vraisemblable, s’il y avait quelques aliments communs à tous[8] ; car nous savons que plusieurs animaux qui se nourrissent de chair mangent aussi des fruits et particulièrement des figues et des châtaignes. Quelle merveille donc que Noé, ce sage et saint personnage, ait préparé dans l’arche une nourriture convenable à tous les animaux et qu’au surplus Dieu même avait pu lui indiquer ? D’ailleurs, que ne mange-t-on point, quand on a faim ? Et puis, Dieu n’était-il pas assez puissant pour leur rendre agréables et salutaires toutes sortes d’aliments, lui qui n’en aurait pas eu besoin pour les faire subsister, si cela n’eût été compris dans l’accomplissement figuré du mystère ? Au reste, que tant de choses spécifiées dans le plus grand détail soient des figures de l’Eglise, c’est ce qu’on ne saurait nier sans opiniâtreté. Les nations, tant pures qu’impures, ont déjà tellement rempli l’Eglise et sont si bien unies par les liens inviolables de son unité, jusqu’à l’accomplissement final, que ce fait seul, qui est si évident, suffit pour ne nous laisser aucun doute sur les autres choses qui ne sont pas aussi claires ; et par conséquent, il faut croire que c’est avec beaucoup de sagesse que ces événements ont été confiés à la tradition et à l’écriture, qu’ils sont arrivés en effet, qu’ils signifient quelque chose, et que ce qu’ils signifient concerne l’Eglise. Mais il est temps de finir ce livre, pour continuer dans le suivant l’histoire des deux cités depuis le déluge.
[1] Gen. VII, 2.
[2] Comp. Contr. Faust., lib XII, cap. 38 et 15.
[3] Le mont Olympe, en Thessalie, dont la hauteur a été fort exagérée par les poètes et les historiens de l’antiquité. Elle est en réalité de 2,373 mètres.
[4] Voyez sa seconde Homélie sur la Genèse.
[5] Act. VII, 22.
[6] On remarquera que saint Augustin se montre ici favorable à la génération spontanée, doctrine généralement suspecte aux docteurs de l’Eglise.
[7] Gen. VI, 19, 20.
[8] Comp. Quaest. In Gen. quaest. 6.