Simples entretiens sur la prière

CHAPITRE II – Coup d’œil révélateur sur la vie de prière de Jésus

Examinons rapidement, dans l’ordre chronologique, ces quinze mentions fournies par les évangélistes.

La première se trouve dans Luc III Les trois autres Evangiles nous parlent du baptême de Jésus, mais c’est Luc qui ajoute «pendant qu’il priait.» Ce fut pendant qu’il priait qu’il reçut le don du Saint-Esprit. Il n’osait pas commencer sa mission publique sans cette onction qui avait été promise dans les écrits prophétiques. Maintenant il est dans les eaux du Jourdain; il attend et il prie jusqu’à ce que le ciel s’ouvre et que l’Esprit descende sur lui, sous forme d’une colombe, pour habiter en lui. La prière est une source de pouvoir;  elle est elle-même une puissance. Lorsqu’on prie, on est fort. Prier, c’est entrer dans une telle union avec le Divin, que sa puissance, comme un courant électrique, puisse arriver jusqu’à nous sans perte et sans interruption.

La deuxième mention est faite par Marc, au chapitre premier. Luc» au chapitre quatre, fait allusion au même fait. «Dès que le jour parut, il sortit et alla dans un lieu désert.» Marc, plus explicite, nous dit au verset 35: «Vers le matin, pendant qu’il faisait encore très sombre, il se leva, et sortit pour aller dans un lieu désert, où il pria.» Il avait passé toute la journée précédente dans la ville qu’il affectionnait particulièrement, à Capernaüm. Il avait été occupé tout le jour au service de son Père, enseignant dans la synagogue et guérissant un démoniaque qui l’avait interrompu; puis il avait guéri la belle-mère de Pierre, et le soir on lui avait amené tous les malades et les démoniaques. Pendant une partie de la nuit, en passant au milieu d’eux, en les touchant simplement, il avait guéri ceux qui souffraient et délivré les possédés. Journée remplie et harassante s’il en fut.

A sa place, après une pareille journée, nous aurions ressenti le besoin de prolonger notre sommeil, car enfin il faut se reposer. Mais Jésus semble avoir eu, en plus du sommeil, un autre moyen de se reposer. Cette; nuit-là, il occupait probablement la chambre d’ami dans la demeure de Pierre et la maison se réveilla à l’heure habituelle. Le déjeuner fut préparé, mais on attendit pour se mettre à table que le Maître parût. Au bout de quelques minutes, la servante se rendit à la chambre de l’hôte et heurta légèrement. Pas de réponse. Elle heurta de nouveau et enfin entrouvrit la porte... et trouva la chambre inoccupée, «Où est donc le Maître? dit-elle.—Je crois que je le sais, répondit Pierre. J’ai remarqué que souvent il sortait le matin pour gagner quelque endroit tranquille où il peut être seul.» Pierre et ceux qui étaient avec lui se mirent alors à sa recherche, car déjà toute une foule affamée de miracles remplissait la rue. Ils le cherchèrent donc ici et là, au flanc des collines, dans les bosquets d’arbres, et finirent par le découvrir priant avec calme dans la tranquillité. Ecoutez alors le cri impatient de Pierre: «Maître, la foule est grande, et tous te réclament», et mettez en opposition la réponse nette et calme du Maître: «Allons ailleurs, dans les bourgades voisines, afin que j’y prêche aussi; car c’est pour cela que je suis venu.» Il eût été plus facile de retourner à Capernaüm et d’avoir de nouveau affaire à la foule du jour précédent, que d’affronter le scepticisme de localités nouvelles; mais, pour Jésus, il n’y a aucun doute sur ce qui doit être fait. La prière éclaircit merveilleusement la vision; elle raffermit les nerfs; elle définit le devoir; elle renforce la volonté; elle assouplit et fortifie l’esprit. Plus ses journées étaient chargées, et plus il était fidèle au rendez-vous qu’il avait avec Dieu le jour suivant; plus son départ pour cette rencontre avec son Père était matinal, {Esa 50.4} plus il dépensait de force, plus il laissait rayonner de puissance, et plus aussi il devait passer de temps seul à seul avec Celui de qui découle toute puissance.

Nous trouvons la troisième mention de la vie de prière de Jésus dans Luc V C’est peu de temps après la scène que nous venons de décrire, et peut-être lors de ce voyage dont Jésus parlait à Pierre. Dans une de ces nombreuses bourgades galiléennes, ému de cette compassion qui remplissait toujours son cœur, il avait guéri un cas avancé de lèpre, et le malade, sans s’occuper de l’ordre exprès qu’il avait reçu de Jésus, avait si largement publié sa guérison miraculeuse, que de grandes foules barraient le chemin à Jésus. Il résolut alors de se rendre dans la campagne. La multitude qui remplissait le village l’y suivit. Voyez maintenant ce que le Maître faisait: il se retirait dans les déserts et priait. Cette parole n’indique pas un acte isolé, mais une action habituelle, pratiquée des jours et des semaines durant. Obligé à cause de l’immensité de la foule de se retirer dans la solitude et, malgré ses efforts, poursuivi jusque dans sa retraite, il avait moins l’occasion d’être seul; il en ressentait toutefois un impérieux besoin; aussi, pendant que patiemment il continue son admirable travail, il recherche chaque occasion d’échapper de temps à autre à la foule et de prier.

Comme sa vie ressemblait à la nôtre! Sollicités par nos devoirs, par notre activité, par les besoins de ceux qui nous entourent, nous sommes fortement tentés de consacrer peu de temps à la méditation. «Cet ouvrage doit être fait, pensons-nous, bien que parfois il trouble et agite les minutes que nous donnons à la prière».—Non! proclame l’expérience du Maître. Non, ne mettez pas le travail à la première place, comptant sur la prière pour le bénir mais placez d’abord la prière: notre activité bénie d’avance par la prière n’en acquerra que plus de force. Plus le monde extérieur cherchait à envahir sa vie privée, et plus Jésus défendait l’heure de sa prière et le calme de son âme. Plus son esprit était tendu, et plus il donnait de temps à une prière que rien ne venait troubler.

Luc nous fournit la quatrième allusion; au chapitre VI, verset 12: «En ce temps-là, Jésus se rendit sur la montagne pour prier, et il passa toute la nuit à prier Dieu». Ceci se passe environ au milieu de la seconde année de son ministère. Il venait de faire des expériences décevantes avec les chefs spirituels de la Judée qui épiaient ses pas, critiquaient ses actes et jetaient des semences de scepticisme chez les Galiléens, gens à l’esprit simple et absolu. C’est le jour qui précède le choix des douze disciples et le Sermon sur la montagne. Luc ne nous dit pas que Jésus avait l’intention de passer toute la nuit en prière. L’esprit fatigué par les traits incessants et la haine infatigable de ses ennemis, pensant au travail si sérieux qui l’attendait le jour suivant, il sentit qu’il n’avait qu’une chose à faire. Il savait où trouver le repos, une douce compagnie, une présence apaisante et un sage conseil. Dirigeant ses pas vers le nord, il rechercha la solitude de la montagne pour y méditer et pour prier. Et comme il priait, comme il écoutait et parlait sans même ouvrir les lèvres, la lumière du jour fit place au crépuscule et bientôt les étoiles brillantes de l’Orient s’allumèrent. Et toujours il priait, pendant qu’à ses pieds l’ombre s’épaississait et qu’au-dessus de sa tête le bleu du ciel devenait plus intense; le calme bienfaisant de Dieu enveloppa la nature et remplit l’âme du Christ d’une paix profonde. Fasciné par la présence adorable de son Père, il perdit toute notion de la fuite des heures, mais pria, pria jusqu’à ce que peu à peu la nuit fût écoulée. L’Orient s’empourpra, le sol de la Palestine, parfumé de la rosée d’une nuit orientale, se réchauffa au soleil renaissant. Et alors «quand le jour parut»—c’est ainsi que continue le récit—«Il appela ses disciples et il en choisit douze; il descendit avec eux et s’arrêta dans une plaine où se trouvait une foule d’autres disciples et une multitude de gens... et il les guérissait... et il les enseignait... car une force,sortait de lui». Y a-t-il là quelque chose d’étonnant après cette veillée d’armes? Si nos émotions, si nos inquiétudes étaient suivies de prière, si nos décisions et nos paroles étaient précédées d’une calme prière, quel pouvoir sortirait également de nous! Car il n’y a pas de différence entre ce qu’il était dans ce monde et ce que nous sommes.

La cinquième mention d’une prière de Jésus se trouve dans Matthieu IV et Marc VI Jean y fait allusion au chapitre sixième de son Evangile. C’était au début de la dernière aimée de son ministère. Lui et ses disciples avaient été très occupés par les foules incessantes qui se groupaient autour d’eux. Ils venaient d’apprendre la fin tragique du Précurseur. Un repos physique s’imposait dans ces circonstances, aussi bien qu’un temps de calme, pour réfléchir aux obstacles que dressait l’opposition, alors à son apogée. Montant dans un bateau, ils se dirigèrent vers la rive est du lac. Mais la foule avide surveillait leurs mouvements et reconnaissant la direction qu’ils avaient prise, ils contournèrent le lac, coururent littéralement après eux et même les devancèrent. Quand Jésus sortit de la barque, comptant prendre ce repos si nécessaire, il y avait là sur la rive des milliers d’hommes qui l’attendaient.

Les disciples manifestèrent-ils quelque impatience en voyant qu’ils ne pouvaient pas même avoir un moment de repos? C’est fort probable et nous pouvons le présumer. Mais Jésus «fut ému de compassion» et, tout fatigué qu’il fût, il passa patiemment toute la journée à enseigner, et le soir, quand les disciples proposèrent de renvoyer la foule à cause du manque de nourriture, à l’aide de quelques pains et de quelques poissons il rassasia cette foule de cinq mille personnes et plus.

Il n’y a rien qui ait frappé davantage les peuples de tout temps et de tout pays que cette puissance de fournir des vivres en abondance. Des milliers de gens s’endorment chaque soir ayant faim; c’était le cas ce jour-là. Aussitôt un fort courant populaire se dessina dans cette multitude; ils voulaient mettre à leur tête ce chef admirable et secouer le joug des Romains. Ils pensaient que si seulement Jésus consentait, le succès était sûr.

Cette manifestation ne se rapproche-t-elle pas étonnamment des propositions que Satan lui avait faites dans le désert? C’était bien une tentation, alors même qu’elle ne trouvait aucun écho en lui. Avec l’influence étonnante que sa présence exerçait parfois, il calma le mouvement et força {1} les disciples à monter dans la barque et à passer avant lui de l’autre côté pendant qu’il renvoyait la foule.

«Quand il l’eut renvoyée, il s’en alla sur la montagne et continua de prier jusqu’au matin.» Une seconde nuit passée en prière! Fatigué physiquement, l’esprit frémissant à l’approche d’un événement qu’il pressentait déjà, sa mort tragique, il a de nouveau recours au remède infaillible: la solitude et la prière. C’est par elles en effet qu’il surmonte toutes les difficultés, triomphe des tentations et pare à tous les besoins. Combien nous, ses disciples d’aujourd’hui nous nous rendons peu compte du temps que consacrait à la prière cet Homme qui la comprenait et la pratiquait si bien!


{1} Ce mot énergique n’indiquerait-il pas qu’il y a peut-être eu une entente entre les disciples et les chefs révolutionnaires

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