Anwoth, 14 septembre 1634
Très noble et digne Madame,
Je repasse souvent dans mon esprit les consolations que moi, pauvre, étranger, sans ami, ai reçues de votre seigneurie quand le Seigneur « me priva du désir de mes yeux » (Ézéchiel 24.16), blessure qui n’est ni fermée ni cicatrisée. J’espère que le Seigneur se souviendra de vos bontés, et qu’Il fera pour vous ce qu’Il fit pour moi. S’Il vous a rendue veuve, c’est afin que vous deveniez libre en Christ. De toutes les croix mentionnées dans la Bible, celle-là vous assure un droit plus particulier à devenir l’épouse de Dieu ; vous ne pouviez pas l’être au même degré pendant la vie de votre mari. En dehors de cette épreuve, voyez combien est grande la céleste miséricorde. La perte de l’époux de votre jeunesse est, selon l’expression biblique, la plus lourde affliction de ce monde (Joël 1.8). Vous savez que, si vous attendez Celui qui vous a voilé sa face pour un peu de temps, la gloire de Dieu et la fidélité de ses promesses consistent à redonner un époux à celle qui est veuve.
Considérez ce que vous avez perdu, et de quelle petite durée sera la séparation. Laissez-moi donc vous supplier, Madame, au nom des compassions de Jésus-Christ, par les consolations de son Esprit, et en présence de ce qui vous attend devant Dieu, de prendre garde à ce qui se passe en vous. Qu’est-ce que vous montrez aux hommes et aux anges ? Est-ce votre foi, votre patience ? Laissez voir que le Christ, votre bien-aimé, est le premier et le dernier dans vos affections. Tout votre amour doit reposer maintenant sur Lui, seul Il est digne de le posséder. Dieu a tari une des sources de votre amour en rappelant à Lui votre mari, laissez maintenant emporter votre cœur par le torrent qui coule vers Christ. C’est dans sa souveraine grâce que le Seigneur s’est mis à la place de votre mari, et vous a placée en dehors de ce terrible Juge du monde contre la maison de Kenmure. Je dirai même que le marteau dont Dieu vous a frappée dès votre jeunesse, a taillé votre pierre de telle sorte qu’elle reposera sur la partie supérieure du temple de la nouvelle Jérusalem.
Votre Sauveur n’a jamais supposé que la vaine gloire de ce monde fût un don digne de vous. Il n’a pas voulu vous l’offrir, ayant une bien meilleure part qu’Il vous réserve. Abandonnez-la aux cœurs incertains, et prenez l’héritage qui vous appartient. Vous êtes un des enfants de la maison éternelle, une joie sans fin sera la vôtre. Alors même qu’elle se fait attendre, elle n’en sera pas moindre. J’espère voir s’accomplir bientôt ce que j’ai toujours attendu de vous depuis que je vous ai si bien connue, savoir : que vous puiserez toute votre force dans le saint d’Israël, et qu’en Lui vous défiez toutes les peines de cette vie. Votre âme est une forteresse qui peut être assiégée, mais qui ne sera pas emportée. Qu’avez-vous à faire ici-bas ? On vous y témoigne fort peu d’affection, vous devez peu d’amour au monde, il fut toujours malveillant pour vous, et vous l’aimeriez ? Non, ce n’est pas possible, ne cherchez pas de chaleur sous la glace. Votre bonheur ne saurait s’accroître dans ces parages. Placez-le plus haut avec « cette grande multitude que personne ne peut compter, de » toute nation, de toute tribu, de tout peuple et de toute langue ; ils se tiennent devant l’Agneau, vêtus de robes blanches, et ils ont des palmes à la main » (Apocalypse 7.9). Ce qui ne sera jamais votre part ici-bas, vous l’obtiendrez là-haut. Puis, remarquez-le bien, dans vos épreuves qui ont été, je l’avoue, si nombreuses, le Seigneur a pris soin de vous détacher jusqu’à la racine des choses qui périssent, pour attirer à Lui votre âme : « Conservez-vous dans l’amour du Fils de Dieu, » Madame, comme dit Jude 1.21.
J’espère que votre seigneurie prendra ces lignes en bonne part. Veuillez me pardonner, Madame, si j’ai manqué en quelque chose à la gratitude que je vous dois pour toute votre confiante affection. Encore un mot, chère et noble dame, je vous supplie de relever la tête ; car, voici, le jour de votre rédemption approche. Souvenez-vous que l’étoile qui brilla en Gallowaya éclaire maintenant un autre monde. Je prie Dieu de répondre au désir de votre âme, et puisse-t-il être pour vous le Dieu de toutes consolations.
a – Région d’Ecosse qui comprend les comtés de Wigtownshire et Kirkcudbrightshire où vécut Lord Kenmure.