Les perspectives de la situation de Calvin, durant l’été de 1553, étaient, comme on l’a vu, presque désespérées. Quelque renommée qu’il acquît comme théologien et quoique le protestantisme français vénérât en lui son chef véritable, Genève semblait devoir lui échapper. Son système disciplinaire rencontrait une résistance constante, bien que souvent mesquine et tracassière. Ses amis les réfugiés suscitaient la jalousie. Il paraissait probable qu’au plus tard les prochaines élections amèneraient une coalition des éléments d’opposition telle qu’il serait expulsé de la ville comme en 1538. Ce qui le sauva de cette situation et le mit sur la voie qui devait le conduire sûrement à la victoire définitive, ce fut l’arrivée inattendue à Genève d’un homme qui était considéré comme un archi-hérétique, de Michel Servet, dont le martyre constitue l’épisode le plus retentissant de tout le siècle de la Réforme.
Comme dans le cas d’Ameaux, les adversaires de Calvin, en s’identifiant, au moins partiellement, avec les intérêts d’un homme condamné par le sentiment public, fortifièrent à nouveau la situation du réformateur ; le vulgaire en conclut que sa cause était celle de la justice elle-même. Pour comprendre le cas de Servet, sa répercussion sur la destinée de Calvin, et l’attitude de ce dernier, il faut, autant que possible, se dépouiller des jugements à priori auxquels ont donné naissance trois siècles et demi de progrès dans la liberté religieuse et s’efforcer de le considérer au point de vue général du xvie siècle. Le plus grand tort qu’on pourrait faire à la mémoire de Calvin serait de diminuer sa part dans une tragédie qui, bien que répugnant à nos idées modernes, fut essentiellement pour lui l’exercice d’un devoir de conscience à l’égard de l’Église et, du même coup, un moyen de triompher de ses ennemis.
[Les documents relatifs au procès de Servet ont été publiés, d’abord par A. Rilliet de Candolle, Relation du procès criminel intenté à Genève en 1553 contre Michel Servet, dans les Mémoires et Documents publiés par la Société d’Histoire et d’Archéologie de Genève, t. iii, 1re livraison (1844) ; puis dans Opera, viii, 721-856 ; ses lettres à Calvin, ibid., 645-720 ; la relation et la réfutation de ses « erreurs » par Calvin dans sa Defensio orthodoxie fidei de 1554, ibid., 453-644. Les lettres contemporaines de Calvin et de ses amis se trouvent dans Opera, viii, 857-872 ; xii, 283 ; xiv, 480, 510, 589-709. Pour les relations de Colladon et de Bèze voir ibid., xxi, 57, 76, 146. — La littérature est considérable. Il faut mentionner L. Mosheim, Geschichte des berühmten spanischen Artztes Michael Serveto, 1748, et Neue Nachrichten, 1750 ; F. Trechsel, Michael Servet, 1839 ; H. Tollin, Characterbild Michael Servets, 1876 ; Das Lehrsystem Michael Servets, 1876-77 ; R. Willis, Servetus and Calvin, 1877 ; voir aussi Henry, iii, 95-223 ; F. H. Dyer, Life of John Calvin, p. 296-367 ; Schaff, History of the Christian Church, vii, 681-798 ; Roget, iv, 1-131 ; Kampschulte, ii, 167-203 ; Ch. Dardier, dans l’Encyclopédie des sciences religieuses, xi, 570-582 ; Harnack, Dogmengeschichte, iii, 661-698 ; Choisy, p 130-151, The Cambridge Modern History, ii, 411 ; N. Weiss, Calvin, Servet, G. de Trie et le Tribunal de Vienne, dans le Bulletin de 1908, p. 387-404.]
Michel Servet était né le 29 septembre 1511 à Villanueva de Sigena en Aragon. Il était donc de deux ans plus jeune que Calvin. Il étudia à Saragosse, puis à Toulouse, où il devint « estudieux de la Ste-Escripture » et fut angoissé au sujet de la vérité. En 1530, après avoir été à Bologne, au couronnement de Charles Quint, comme secrétaire de son confesseur, Jean de Quintana, puis à Augsbourg où il connut Mélanchthon, Bucer et peut-être même Luther, il vint à Bâle, y entra en relations avec Œcolampade, puis à Strasbourg où il fut bien accueilli par Capiton. Cette bienveillance cessa brusquement lorsqu’on 1531, il publia à Haguenau son De Trinitatis erroribus. Dans cet écrit, de tendances radicales, ce jeune homme, âgé de vingt ans à peine, devançait son époque, non seulement par beaucoup d’idées que le socinianisme devait développer plus tard, mais encore par quelques opinions christologiques qui sont aujourd’hui très répandues. Aux yeux des protestants comme des catholiques de son temps il devait, en raison de ce radicalisme extrême, passer pour ce qu’il était en réalité, c’est-à-dire pour un hérétique à tous crins. Très remarquable au point de vue spéculatif et doué de grands talents, il était certainement un homme de génie. Mais il manquait de jugement ; et son outrecuidance, son dédain de l’adversaire dépassaient notoirement les bornes, même à une époque où pourtant la courtoisie dans la discussion était fort rare. Il est, d’autre part, hors de doute qu’il se croyait sincèrement chargé d’une mission de la plus haute importance comme réformateur de la théologie traditionnelle.
Evitant d’être reconnu, il étudia la médecine et les sciences naturelles à Paris sous le nom de Villeneuve. C’est là qu’il dut connaître Calvin, qui désapprouvait fortement ses opinions, et qui chercha, paraît-il, une occasion de les réfuter devant témoins, mais sans parvenir à rencontrer Servet. Celui-ci devint ensuite correcteur dans l’imprimerie de Melchior et Gaspard Trechsel à Lyon où, en 1535, il publia une édition très remarquable de la Géographie de Ptolémée. Mais il revint bientôt à Paris, se jeta passionnément dans les discussions médicales à l’ordre du jour et s’y fit quelques ennemis. La pénétration de son esprit d’observation ressort toutefois du fait qu’il découvrit alors, trois quarts de siècle avant William Harvey, la circulation pulmonaire du sang. Après de courts séjours à Avignon, Lyon et Charlieu, il se fixa, vers 1540, comme médecin à Vienne en Dauphiné, toujours sous le nom de Villeneuve, y jouissant de la protection de l’archevêque et s’y faisant une clientèle très étendue.
[C’est dans son ouvrage théologique Christianismi Restitutio, que Servet décrit la circulation pulmonaire, p. 169 ; ce texte a été traduit et examiné, entre autres, par Willis, médecin lui-même, p. 205-213. Il existe trois exemplaires de l’édition originale, l’un à Paris, l’autre à Vienne en Autriche et le troisième, incomplet, à Edimbourg ; elle a été réimprimée, page pour page, en 1791.]
C’est à Vienne qu’il travailla en secret à un ouvrage qui devait paraître au commencement de 1553 sous le titre de Restitution du Christianisme et dont la première ébauche fut terminée probablement en 1546. Servet était persuadé qu’il ramenait le christianisme à sa simplicité primitive. Partant d’une conception essentiellement panthéiste de Dieu, il enseignait que Christ était véritablement le Fils de Dieu, que Dieu le Père s’était manifesté dans sa chair, mais que sa personnalité n’avait pas préexisté, si ce n’est dans la pensée de Dieu, et commençait avec sa conception et sa naissance terrestres. Selon lui, la doctrine nicéenne de la Trinité, — « sorte de Cerbère à trois têtes », — la christologie du concile de Chalcédoine et le baptême des enfants étaient les trois sources principales de la corruption de l’Églisea. Il admettait, bien plus que ses adversaires, un progrès dans la révélation de l’Ancien au Nouveau Testament ; il rejetait la prédestination, attachait du mérite aux bonnes œuvres et croyait que la fin du monde et le règne millénaire du Christ étaient proches. C’est en vue de ce règne que sa Restitutio devait préparer l’humanité.
a – L’auteur emprunte ici- quelques phrases à son volume de 1901, The Reformation.
Pendant qu’il méditait cette œuvre capitale, Servet entra en correspondance avec Calvin en lui soumettant plusieurs questions théologiques destinées à amorcer une discussion sur ses opinions préférées. Calvin commença par s’y prêter d’assez bonne grâce, mais ne tarda pas à ressentir vivement la prétention de Servet à lui prouver qu’il était dans l’erreur la plus complète, et, renonçant à le convaincre, le renvoya à son Institution. Servet garda’le silence pendant quelques années, qu’il employa à couvrir l’Institution d’annotations critiques, à rédiger la première ébauche de la Restitutio, véritable contrepartie de l’Institutio, complétée par une série de lettres ou dissertations réfutant point par point l’enseignement du réformateur.
Il fit parvenir ce volumineux manuscrit à Calvin par l’entremise du libraire lyonnais Jehan Frellon, au commencement de 1547. Bien que Calvin n’eût pas « grand espoir de profiter guères envers tel homme », il se décida néanmoins à lui transmettre, par la même voie, une dernière réponse rédigée « plus durement que ma coustume ne porte ». Le même jour, 13 février 1547, il écrit à Farel que Servet lui ayant proposé de venir à Genève, si cela lui convenait : « je ne souffrirais point, pour peu que j’eusse de crédit, qu’il s’en fût vivantb ». A partir de ce moment il rompit définitivement avec Servet qui continua à correspondre avec Viret et avec Poupin, à qui il déclara : « Je sais à n’en pas douter qu’il me faudra mourir pour cette cause », allusion probable à la dernière lettre qu’il avait reçue de Calvin.
b – Opera, xii, 283. Cette lettre fut écrite pendant le procès contre Ameaux.
Bien des causes contribuèrent à inspirer à Calvin des sentiments aussi meurtriers à l’égard de Servet. Le ton avec lequel cet Espagnol critiquait les idées reçues non seulement à Genève, mais en tout lieu, sur la doctrine de la Trinité, était exaspérant. L’orthodoxie personnelle de Calvin sur ce point de dogme était devenue une question délicate depuis la discussion soulevée par Caroli en 1537 ; l’honneur de Dieu semblait à Calvin plus gravement attaqué que dans le cas d’Ameaux ; mais au fond de tout il y avait son intime conviction que la doctrine traditionnelle de la Trinité, enseignée, comme il le croyait, d’un bout à l’autre de l’Écriture, était seule capable de sauvegarder l’absolue divinité du Christ. Et ce n’est que si cette divinité était telle, qu’il pouvait y avoir expiation équivalente de la coulpe de l’humanité, intercession efficace auprès du Père, et véritable adoption filiale pour les rachetés. Aux yeux de Calvin, Servet détruisait l’espérance chrétienne ; et, quelqu’odieux que cela puisse nous paraître, au cas où l’occasion se présenterait et où Servet persisterait à ne pas se repentir de ses « erreurs », le réformateur considérait comme de son devoir de débarrasser le monde d’une telle « impiété ».
Tout au début de 1553, un exemplaire de la Restitutio, qui venait d’être imprimée dans le plus grand secret à Vienne par Balthasar Arnoullet et Guillaume Gueroult, parvint à Genève où il avait été très vraisemblablement envoyé par Servet lui-même et adressé à Calvin. A ce moment l’ami de Calvin, le marchand lyonnais Guillaume de Trie, réfugié à Genève pour sa foi, était engagé dans une active correspondance avec un de ses cousins, resté à Lyon, Claude Arneys, catholique fervent. Celui-ci, désireux de regagner de Trie, lui reprochait la licence au milieu de laquelle il prétendait que ce dernier vivait à Genève. De Trie lui répondit, le 26 février 1553, que ce n’était pas Genève, mais le catholicisme qui tolérait en France des blasphèmes semblables à ceux que renfermait la Restitutio dont il révéla l’auteur, « qui mérite bien d’estre bruslé partout où il sera », et l’imprimeur, dont il lui envoya « la première feuille pour enseigne ». Ceci n’était point une dénonciation en règle, c’était simplement une communication de cousin à cousin. Mais, bien qu’un mois plus tard de Trie expliquât à Arneys qu’il « avait entendu escripre privément à lui seul », il ne put être très fâché d’apprendre que sa lettre avait été communiquée aux autorités ecclésiastiques de Lyon. Un procès fut aussitôt intenté à Servet. Celui-ci ayant nié que le médecin Villeneuve et Servet fussent une seule et même personne, et une perquisition n’ayant rien produit, on recourut à de Trie pour avoir des preuves plus positives, et ce dernier envoya, le 26 mars, à Lyon deux feuillets de l’Institution annotés par Servet et une série de lettres manuscrites adressées par ce dernier à Calvin. Il déclara qu’il avait « eu grand peine à retirer ce que je vous envoye, de Monsieur Calvin ». Le 31 mars, il fournit encore quelques renseignements complémentaires.
Les faits que nous venons de raconter soulèvent une question difficile. Calvin fut-il l’instigateur et de Trie son instrument dans cette dénonciation de Servet au tribunal de Vienne ? Plusieurs historiens modernes répondent par l’affirmativec. C’était l’opinion de Servet lui-même. D’autre part, cette interprétation a été tout aussi énergiquement contredited, et les déclarations de de Trie que nous venons de citer sont confirmées par l’assertion de Calvin, contestant qu’il eût livré Servet aux juges de l’Inquisition. L’explication la plus simple nous paraît être que de Trie, lié avec Calvin, était au courant de la publication de Servet ; qu’il écrivit de son propre mouvement à Arneys la première des trois lettres qui nous ont été conservées, pensant que cette occasion de réduire à néant les imputations de son cousin était trop bonne pour n’être pas saisie ; mais qu’à la date de sa deuxième lettre et sans trop de difficultés, malgré son affirmation, il obtint de Calvin toutes les informations et documents que celui-ci pouvait fournir. A partir de ce moment le réformateur doit être considéré comme l’agent principal, mais indirect, de la dénonciation de Servet au tribunal de Vienne.
c – Par exemple Roget, iv, 25-27 ; Willie, p. 235-251 ; R. Stæhelin, p. 675.
d – Henry, iii, 140 ; Choisy, p. 131.
[M. N. Weiss, qui ne voit aucune raison de douter de l’affirmation de G. de Trie, suggère que Calvin a pu avoir aussi l’idée de sauver les cinq étudiants de Lyon en démasquant Servet et en démontrant ainsi qu’il ne soutenait pas des hérétiques renversant les fondements mêmes de la foi. Cf. Bulletin, 1908, p. 395.]
Le procès suivit son cours. Servet avait des amis personnels, bien que ceux-ci fussent loin de partager ses vues. Il semble que c’est grâce à leur connivence qu’il parvint à s’échapper de sa prison le 7 avril ; le 17 juin, le procès se termina par une sentence le condamnant à être brûlé à petit feu, sentence qui fut exécutée en effigie, alors que Servet était en fuite depuis deux mois. Après avoir erré pendant quelques semaines dans le midi de la France, il vint sans raison apparente à Genève, dans l’intention de s’y arrêter en se rendant à Naples. Bien qu’on ait souvent affirmé qu’il passa un mois dans la ville sans être reconnu, il n’y a aucune raison d’admettre qu’il y ait séjourné plus de quelques jours. Il s’était enquis d’un bateau auprès de son hôte de l’auberge de la « Rose », dans le but de continuer son voyage, quand, le 13 août, pendant qu’il assistait, dit-on, à une prédication de Calvin, il fut reconnu et aussitôt arrêté, sans doute à l’instigation de Calvin lui-mêmee. Si ce dernier n’avait pas été prédisposé à user de rigueur, il aurait pu ne faire arrêter Servet qu’après s’être assuré qu’il comptait rester à Genève ; mais il pensa que, puisque celui-ci avait été livré entre ses mains, son devoir était d’empêcher qu’il contaminât d’autres personnes. Dès le début il compta que Servet perdrait la vie, mais d’une manière aussi peu cruelle que possiblef.
e – Lettres de Calvin, Opera, xiv, 589, 615.
f – « J’espère que le jugement aboutira en tout cas à la peine capitale, mais qu’on évitera la cruauté dans l’exécution » ; lettre à Farel du 20 août, citée ci-dessus (Opera, xiv, 590).
Le procès commença comme Calvin le désirait. Un réfugié, qui était à son service, Nicolas de la Fontaine, se constitua partie criminelle, en se chargeant des conséquences pour le cas où il ne pourrait soutenir l’accusation. Trente-huit articles furent dressés contre Servet devant le tribunal civil ; la plupart étaient d’ordre théologique, bien que comprenant aussi ses attaques contre Calvin. Servet répondit avec habileté, et à ce moment un élément nouveau entra en ligne de compte. Servet, il est vrai, ne convertit personne, ses théories spéculatives ne lui gagnèrent pas d’adhérents ; mais comme il était l’adversaire de Calvin et que sa condamnation devait être un triomphe pour l’autorité ébranlée du réformateur, les adversaires de celui-ci l’appuyèrent sans partager aucunement ses idées. A l’audience du 16 août, des paroles très vives furent échangées entre Philibert Berthelier, qui représentait le lieutenant de justice, et le savant avocat Germain Colladon, un réfugié, ami de Calvin, qui soutenait l’accusation. Evidemment, le procès engagé impliquait encore autre chose que la question des hérésies de Servet. Il s’agissait de mesurer les forces respectives des deux partis qui divisaient Genève, et la durée de l’autorité de Calvin. Dans cette nouvelle lutte, malgré une majorité qui lui était personnellement hostile au sein du Petit Conseil, Calvin avait le grand avantage de demander justice contre un homme qui, aux yeux de la plupart des esprits religieux du temps, était un hérétique impossible à tolérer. Berthelier, que l’esprit de parti aveuglait, s’était mis dans la position précaire de faire dépendre son succès de la défense d’une cause discréditée, et cela non parce que l’accusé lui était sympathique, mais parce qu’il détestait l’accusateur. Désormais, la condamnation de Servet devint pour toute la situation de Calvin à Genève une question vitale.
Calvin comprit la gravité des circonstances. Le 17 août, il se présenta en personne devant le Petit Conseil contre Servet. L’interrogatoire fut essentiellement théologique. Non seulement on discuta les attaques de la Restitutio contre la Trinité, mais Calvin prit prétexte d’une remarque que Servet avait insérée dans son édition de Ptolémée et qui contestait que la Palestine fût un pays où « coulait le lait et le miel », pour l’accuser de faire de Moïse un menteur, et par conséquent de blasphémer contre le Saint-Esprit qui avait inspiré Moïse. Calvin poussa aussi Servet jusqu’à déclarer, conformément à ses opinions panthéistes, que selon lui le plancher et les bancs mêmes du tribunal étaient de « substance divine », ce qui fit dire au réformateur : « Alors le diable est d’essence divine », à quoi Servet répliqua en riant, — ce qui dut indisposer les juges contre lui : — « En doutez-vous ? »
Malgré l’hostilité de quelques-uns de ses membres contre Calvin, le Petit Conseil ne pouvait se dissimuler que le cas était extrêmement sérieux. Le 17 août, de la Fontaine fut mis hors de cause et le procureur général de la ville, Claude Rigot, un ami de Calvin, fut chargé de la poursuite. Quatre jours plus tard, le Petit Conseil résolut de demander l’avis de Berne, de Bâle, de Zurich et de Schaffhouse, et de réclamer à Vienne communication des actes du procès intenté au prisonnier. Il n’y a aucune raison de voir dans cette mesure un moyen de venir en aide à Servet. Condamner quelqu’un pour hérésie était chose très grave, et le Conseil, sans aucun doute, ne voulait agir qu’avec circonspection. D’autre part, il est non moins certain que cette consultation encouragea les espérances de Servet et des adversaires de Calvin. On se rappelle que, dans le cas récent de Bolsec, l’avis des cantons suisses et de leurs pasteurs avait été en faveur de l’indulgence. A ce point de vue c’était un échec pour Calvin qui aurait préféré que le tribunal se prononçât sans délai contre le prisonnier. Le 23 août, Servet dut répondre à une nouvelle liste de griefs, dressée par le procureur général et qui, sans abandonner l’accusation d’hérésie, visait la conduite de Servet et l’influence mauvaise exercée par ses opinions, plutôt que le détail de celles-ci. La tentative de jeter du discrédit sur la moralité de Servet échoua aussi bien que celle de le faire passer pour un perturbateur déterminé de la tranquillité publique. Il déclara sincèrement qu’il ne défendait ses opinions que parce qu’il croyait de son devoir de le faire. A ce moment, Servet produisit certainement une bien meilleure impression sur le tribunal qu’au début, et ce léger succès fut corroboré par sa déclaration qu’il n’avait jamais discuté qu’avec des savants sur des questions théologiques obscures et s’était toujours abstenu de toute action séditieuse. Ainsi les efforts de Rigot avaient plutôt affaibli que fortifié la prévention. Le 31 août, le Petit Conseil répondit par un refus, courtoisement exprimé, au tribunal de Vienne qui réclamait l’extradition de Servet pour l’exécuter.
Le Petit Conseil avait décidé, le 17 août, qu’on essayerait de démontrer à Servet ses « erreurs ». Ceci impliquait une discussion, et Calvin y était tout disposé. Le 1er septembre elle eut lieu entre les deux opposants en présence des juges, parmi lesquels siégeaient Ami Perrin et Philibert Berthelier. Le débat fut confus et ne donna guère de résultats. Servet objecta que la prison n’était pas un lieu propre pour disputer. Calvin fut du même avis et exprima le désir d’avoir une discussion publique. Mais le Conseil coupa court à ces projets en demandant à Calvin de mettre par écrit les erreurs de Servet ; ce dernier répliquerait, l’un et l’autre se servant du latin. Cette décision semble avoir été dictée par deux considérations. Sans doute Perrin et Berthelier redoutaient qu’une discussion publique avec un controversiste de la taille de Calvin se terminât par une victoire populaire remportée par le réformateurg, — résultat éminemment désagréable pour eux ; — tandis qu’une controverse au moyen de documents écrits permettrait à Servet de tirer le meilleur parti de son cas en vue d’un exposé destiné à être soumis à l’appréciation des cantons suisses dont on avait résolu de demander l’avis. Bien que n’osant pas soutenir Servet ouvertement, les adversaires de Calvin tâchaient de gagner du temps et de rendre l’issue du procès aussi douteuse que possible, et Servet fut très encouragé par cette tactique. Calvin eut promptement extrait des écrits de Servet ses accusations d’hérésie, et le prisonnier n’y répondit pas moins promptement. Sa confiance dans l’appui des ennemis de Calvin se montre dans le ton méprisant de cette réponse, où il reproche à Calvin d’être un disciple de Simon le Magicien qui ne sait ce qu’il dit, qui s’imagine « par son seul abboy de chien » pouvoir « estourdir les aureilles des juges ». La réplique de Calvin, concluant que son adversaire tendait à « abolir toute religion », fut signée par tous les pasteurs de Genève. Elle fut transmise à Servet le 15 septembre, et celui-ci, dans les deux ou trois jours qui suivirent, la couvrit d’annotations dénotant son exaspération et dont le ton est vraiment surprenant quand on réfléchit à la situation dans laquelle était celui qui les a écritesh. « Tu en as menti… sycophante… imposteur… en toy est la rage… être abominable », tels sont les termes dont il se sert. Le 22, il adresse aux autorités une requête hardie réclamant l’arrestation de Calvin suivant la loi du talion, comme faux accusateur et hérétique « jusques à ce que la cause soyt diffinie, pour mort de luy ou de moy, ou aultre poine ». Il ne demande pas seulement la condamnation de Calvin, mais qu’il soit « exterminé et déchacé de vostre ville ; et son bien doyt estre adjugé à moy ». Sur ces entrefaites les lettres circulaires, qu’on avait votées le 17 août, furent expédiées, le 22 septembre, par le Petit Conseil aux pasteurs et aux magistrats de Berne, de Bâle, de Zurich et de Schaffhouse. On attendit leurs réponses avant de procéder plus avant.
g – M. Rilliet observe avec raison (Relation du procès, p. 73) que « le débat oral n’était évidemment pas à l’avantage de l’Espagnol qui ne pouvait lutter de parole avec le réformateur ».
h – Tous ces documents se trouvent dans Opera, viii, 501-553.
L’attitude provocante de Servet et la conviction qu’il avait de son acquittement s’expliquent, dans une large mesure, par son tempérament, mais il fut non moins sûrement confirmé dans ces sentiments par un nouveau conflit qui éclata alors, dans lequel Calvin fut entraîné et qui devait indirectement profiter au prisonnier. Nous avons plus d’une fois eu l’occasion de relever à quel point les adversaires de Calvin, aussi bien les hommes de mœurs légères que les vieux Genevois, de conduite plus digne et qui tenaient à l’indépendance de leur ville, avaient en aversion le trait essentiel du nouveau régime ecclésiastique, à savoir le Consistoire et spécialement le droit d’excommunication dont ce corps était investi. Ce droit, bien qu’il fût régulièrement appliqué, n’en était pas moins contesté depuis longtemps, et plusieurs fois le Petit Conseil avait été sur le point de le supprimer. Les circonstances actuelles parurent à Perrin, à Vandel et à Berthelier propices pour affirmer la suprématie du Petit Conseil sur le Consistoire. Calvin était absorbé par l’affaire de Servet, l’issue du procès dépendait du Petit Conseil et avait la plus grande importance pour le réformateur. Si le Petit Conseil, qui renfermait une majorité de perrinistes, retirait au Consistoire le droit de prononcer à lui seul l’excommunication, Calvin se soumettrait peut-être à cette mesure, à contre cœur, mais dans la crainte que sa résistance lui retirât l’appui du Petit Conseil dans la condamnation de Servet. Berthelier paraissait désigné pour conduire cette opération. Il était courageux, combatif, populaire, et de plus excommunié par le Consistoire ; malheureusement pour son parti sa conduite était notoirement répréhensible et la peine qu’elle avait entraînée n’était point imméritée. Le 1er septembre, il se présenta devant le Petit Conseil et lui demanda de lever l’excommunication infligée par le Consistoire et de l’admettre à la communion du dimanche 3 septembre. On demanda l’avis de Calvin. En présence de cette mise en demeure, fatale à son système de gouvernement ecclésiastique et tout à fait inattendue, il protesta de toutes ses forces, mais en vain, car le Petit Conseil acquiesça à la requête de Berthelier, provoquant ainsi toute la résistance dont le réformateur était capable. Celui-ci exigea et obtint que le Petit Conseil tînt séance le samedi, et là il déclara qu’il mourrait plutôt que de donner la cène à Berthelier. En apparence il subit un nouvel échec : le Petit Conseil maintint sa décision. Mais la volonté de fer de Calvin réussit à transformer cette défaite en victoire ; car, tout en renouvelant sa décision de relever Berthelier de l’excommunication, le Petit Conseil lui fit dire — par dessous main sans doute — de ne pas se présenter à la table sacrée. C’était un compromis, dénotant une réelle faiblesse. On ignore si Calvin en fut informé ; mais il était bien résolu à ne pas laisser le peuple dans le doute sur son attitude. Devant la foule assemblée le lendemain à Saint-Pierre pour la communion et frémissante dans la prévision d’un incident sensationnel, il interdit à toute personne excommuniée par le Consistoire de prendre part à la sainte cène, et déclara qu’il s’y opposerait autant que ses forces le lui permettraient.
Heureusement pour Calvin, Berthelier se conforma à l’avis qu’il avait reçu et n’assista pas au service. La situation était critique au plus haut point, Calvin avait bravé le Petit Conseil. Il était si convaincu que son attitude ferait l’objet d’une mesure de la part de l’autorité qu’il fit, l’après-midi, une prédication qui était, pour ainsi dire, un sermon d’adieux. Mais son courage avait accru l’indécision du Conseil. Le 7 septembre, avec tous ses collègues, Calvin protesta formellement devant les magistrats, puis renouvela cette protestation le 15 ; et enfin, le 18, le Petit Conseil décida de « se tenir aux éditz comment l’on a ça devant faict ». La question de l’excommunication en restait donc au même point qu’avant l’assaut de Berthelier. Elle demeurait contestée ; mais la victoire appartenait en réalité au réformateur. La tentative de Berthelier avait été déjouée par la force de caractère de Calvin.
Il ne faut pas s’étonner, toutefois, que Servet ait été encouragé par cette lutte et en ait conçu l’espoir d’un acquittement. Il aurait bénéficié de la défaite de Calvin. Mais l’événement empira sa situation. Le 18 octobre arrivèrent les réponses des pasteurs et des magistrats suisses. Contrairement à l’avis émis dans l’affaire de Bolsec, toutes les lettres condamnèrent les opinions du prisonnier, et approuvèrent l’attitude de Calvin et de ses collègues. Tout en s’abstenant de se prononcer sur le châtiment, toutes, et notamment celle de Berne, firent comprendre qu’on devait « éloigner cette peste » des Églises. Il était évident pour tous que Calvin avait l’appui de la Suisse protestante. Ses adversaires étaient battus. Perrin essaya de gagner du temps en s’absentant du Petit Conseil et en proposant d’en appeler aux Deux Cents, mais sans succès. Le 26 octobre, le Conseil décréta que Servet serait brûlé vif le lendemain. Calvin demandait un supplice moins cruel, — nous avons déjà mentionné sa protestation contre ce genre de supplices, — mais le tribunal ne tint aucun compte de ce vœu.
Il semble que Servet ne s’attendait nullement à cette sentence qui commença par l’accabler. Mais son courage reprit le dessus et il ne parut jamais plus à son avantage que dans ces dernières heures. Il demanda à voir Calvin et implora son pardon pour le mal qu’il pouvait lui avoir fait ; il demanda une mort plus douce, non qu’il rétractât aucune de ses opinions, mais de peur que les souffrances causées par le feu ne lui fissent renier les vérités qu’il défendait. Simplement et dignement, il se rendit au lieu d’exécution sur la colline de Champel, accompagné par Farel qui était venu à Genève pour être présent à l’instant suprême et qui l’exhortait instamment à se repentir. A la vue de la torche embrasée Servet ne put réprimer un cri d’horreur, mais son courage fut à la hauteur de sa détresse. La maladresse du bourreau — nullement intentionnelle comme on l’a prétendu parfois — prolongea son agonie ; mais la dernière parole qui échappa de ses lèvres, lorsque les flammes torturaient déjà son corps, fut une prière exprimant son espérance chrétienne en même temps que son interprétation personnelle de la mystérieuse doctrine de la Trinité, qu’il avait défendue et pour laquelle il mourait : « Jésus, Fils du Dieu éternel, aie pitié de moi ! »
[Il n’est peut-être pas inutile, à une époque aussi peu théologique que la nôtre, de faire remarquer que la distinction entre ces deux phrases « fils du Dieu éternel » et « fils éternel de Dieu » résume toute la controverse.]
Autographe de Servet.
Autographe de Calvin.
A ceux qui ont le bonheur de jouir de la liberté plus grande que nous avons au xxe siècle, un tel spectacle et le procès sans merci qu’il couronnait répugnent absolument. Quelle que soit leur appréciation des questions théologiques en jeu ou quelque vivement qu’ils reconnaissent les nombreuses défaillances de la victime de cette tragédie, c’est à elle que vont leurs sympathies. On ne peut voir avec plaisir l’ardeur avec laquelle Calvin poursuivit sa condamnation, ni sa coopération avec le tribunal de Vienne, quelque explication qu’on en puisse d’ailleurs donner. Ceux qui, près de la place où fut dressé le bûcher de Champel, ont élevé en 1903, après trois cent cinquante années, un monument à Servet, ont bien fait. Ce tas de fagots a été comme une pierre milliaire, permettant de mesurer le progrès de l’humanité sur le chemin qui mène à la liberté d’exprimer sa pensée.
A la vérité, le bûcher de Champel ne put consumer Servet sans provoquer aussitôt quelque réprobation. A Bâle, en particulier, où régnait une liberté plus grande que partout ailleurs en Suisse, et où Castellion avait une certaine influence, quelques voix firent entendre une protestation. Nombre de réfugiés protestants italiens, la plupart d’opinions avancées, le désapprouvèrent. Calvin, touché par ces critiques, publia en février 1554, revêtue des signatures de ses collègues genevois, sa Réfutation des erreurs de Michel Servet, dans laquelle il donne, non seulement sa version personnelle de la tragédie, mais encore une justification de l’emploi de la peine capitale pour le châtiment des hérétiques en général. Cet écrit provoqua la publication, par son ancien adversaire Castellion et par quelques autres hommes du même bord, d’un volume qui indigna fortement Calvin parce qu’il critiquait d’une manière incisive l’usage de la contrainte en matière de foi et citait un grand nombre de témoignages favorables à la cause de la tolérance : « Qui est ce qui ne penseroit, s’écriait l’auteur, que Christ fust quelque Moloch, ou quelque tel Dieu, s’il veut que les hommes luy soyent immolez, et bruslez tout vifz ! »
[Ce livre parut en mars 1554, sous le pseudonyme de Martinus Bellius, ostensiblement à Magdebourg, sous le titre De Hœreticis an sint persequendi ? (Cf. Buisson, S. Castellion, i, 368). Au jugement de Calvin, Castellion était « une bête non moins virulente qu’indomptable et obstinée » ; Opera, xv, 209.]
Ces opposants furent toutefois relativement peu nombreux et n’eurent guère d’influence. L’opinion générale dans les milieux protestants fut que c’était un bonheur pour le monde d’être débarrassé de Servet, et que Calvin avait bien agi. Ses collègues genevois l’approuvaient ; les Églises suisses se prononçaient pour lui ; même un homme aussi doux que Mélanchthon déclarait qu’on « avait agi avec justicei ». On ne peut pas davantage douter de l’influence exercée par cet événement sur la situation personnelle du réformateur et sur la cause du protestantisme en général. Calvin avait délivré les Églises de la Suisse de l’imputation d’hérésie ; il avait empêché qu’on tolérât des opinions antitrinitaires dans les milieux religieux qui attendaient de lui leur direction. Par dessus tout, ses adversaires genevois s’étaient irrémédiablement compromis en soutenant, non par sympathie théologique, mais par haine contre lui, un homme que le monde en général considérait comme un hérétique justement puni.
i – Lettre à Calvin, du 14 octobre 1554 ; Opera, xv, 268.
Cet affaiblissement de l’opposition à Calvin n’apparut toutefois pas immédiatement. Servet venait à peine d’être exécuté que Berthelier recommença avec le Consistoire sa lutte déjà ancienne. Le 7 novembre, le Petit Conseil soumit cet épineux problème aux Deux Cents qui décrétèrent que le Consistoire n’avait pas le droit d’excommunier sans l’ordre du Conseil. Mais la protestation que firent entendre les pasteurs, Calvin à leur tête, fut si énergique que le Petit Conseil et les Deux Cents ne maintinrent pas leurs positions et demandèrent l’avis des Églises de Berne, de Zurich, de Bâle et de Schaffhouse. Comme on pouvait s’y attendre, vu les usages régnant dans la Suisse allemande, les réponses furent loin de donner une approbation sans réserve à la discipline introduite à Genève par Calvin. Toutefois, grâce aux efforts de ce dernier, secondés par ceux de Bullinger, les lettres de Zurich et de Schaffhouse furent favorables ; mais Berne fut nettement hostile. Néanmoins l’affaiblissement de l’opposition ressort du fait qu’au lieu de maintenir leurs prétentions, le Petit Conseil et les Deux Cents arrangèrent une sorte de trêve qui, en laissant nominalement la question au point où elle était auparavant, constituait en réalité une victoire pour la discipline selon Calvin. Perrin lui-même reconnut que cette tentative hostile avait avorté. Les événements de l’année 1553 avaient modifié l’équilibre des partis, et un nouvel indice de l’infériorité de celui de l’opposition apparut aux élections de février 1554, dans le fait que trois syndics sur quatre furent pris parmi les adhérents de Calvin. Au mois d’octobre de cette même année, Berthelier continuant à refuser d’obéir au Consistoire, une commission fut nommée pour examiner le problème du droit d’excommunication et finalement, en janvier 1555, au grand contentement de Calvin, la question qui avait été discutée pendant des années fut résolue par les votes successifs du Petit Conseil, des Soixante et des Deux Cents, « que l’on se tient aux éditz jà passés par Conseil général ». En apparence, ce n’était pas une conclusion, puisque c’était justement sur l’interprétation des « éditz » ou Ordonnances que l’on était en désaccord. Mais, au fond, cette décision confirmait définitivement l’usage établi, pour le maintien duquel Calvin avait si longtemps lutté. Il pouvait maintenant se dire avec satisfaction que le droit d’excommunication, sans intervention de l’autorité civile, était assuré. La pierre angulaire de son système ecclésiastique genevois était enfin fermement assise.
Pendant que la situation de Calvin à Genève se fortifiait rapidement, il fut exposé, comme jamais auparavant, à des attaques venant des cantons suisses. Nous avons déjà noté l’hostilité dont Castellion, à Bâle, était le centre, et qui comptait d’ailleurs d’autres représentants. Dans cette ville, comme à Paris, quand on voulait injurier quelqu’un, on l’appelait calviniste, à cause de l’énergie avec laquelle Calvin insistait sur sa doctrine de la prédestination, bien plus qu’à cause de sa conduite à l’égard de Servet. Cette doctrine, comme on l’a vu dans le procès de Bolsec, était loin de rencontrer une adhésion cordiale auprès des Églises suisses, dans la forme rigoureuse qu’elle revêtait à Genève. Berne, en particulier, la repoussait, et c’est de Berne que vinrent alors à Calvin les principaux ennuis. Il y avait à cela plusieurs causes. Les relations politiques entre Berne et Genève étaient depuis longtemps tendues. Berne voyait de mauvais œil l’influence croissante des réfugiés français sur lesquels Calvin s’appuyait dans une si large mesure. Elle préférait et soutenait l’ancien élément genevois, représenté par Perrin et Vandel, comme étant plus facile à gagner à ses intérêts personnels et plus hostile à toute alliance française éventuelle. Le corps pastoral bernois se méfiait de la discipline genevoise, si différente de la sienne, et la réputation internationale du chef de l’Église de Genève était naturellement un sujet de jalousie. Mais le principal élément de difficultés était l’état des territoires de langue française placés sous la juridiction bernoise. Ils touchaient presque les murs de Genève, leurs pasteurs sympathisaient généralement avec Calvin et ses méthodes — Viret à Lausanne en est un exemple marquant — et pourtant leurs Églises dépendaient du gouvernement de Berne.
Depuis son bannissement de Genève en 1551, Bolsec avait été autorisé par Berne à séjourner sur ses terres et avait travaillé dans la Suisse française comme un ennemi intransigeant de Calvin. Ses attaques contre la doctrine strictement prédestinatienne avaient été favorablement accueillies. André Zébédée et Jean Lange, pasteurs à Nyon et à Bursins, sympathisaient avec lui, et Calvin ne tarda pas à être dénoncé comme « un hérétique et un antéchrist ». Les pasteurs de Genève se plaignirent aux autorités de Berne, mais n’obtinrent guère de résultat. En janvier 1555, le Conseil de Berne donna, il est vrai, l’ordre de cesser ces attaques ; mais en même temps il déclarait que la doctrine qu’on discutait était plus propre à faire naître des disputes, des haines, voire l’immoralité, qu’à édifier. Ceci était assez pénible pour Calvin, mais il allait y avoir quelque chose de pire. En mars, une députation du Petit Conseil de Genève, dont la majorité était alors formée par les amis du réformateur, se rendit en sa faveur auprès du gouvernement de Berne, accompagnée par Calvin en personne. On obtint que Bolsec fût expulsé des terres de Berne, comme perturbateur de la paix. Mais le Conseil de la ville affirma que Calvin, ainsi que ses adversaires, avaient été trop enclins à se disputer et à pénétrer les mystères des conseils de Dieu ; et il y ajouta la déclaration insultante que si quelque livre, composé par Calvin ou par tout autre auteur et contraire à la réformation bernoise, était trouvé dans leur juridiction, il serait brûlé. On ne pouvait donc pas dire que Berne, le puissant voisin protestant de Genève, déclarait Calvin hérétique ; mais il était inévitable qu’une forte partie du public interprétât ainsi cette décision, et le fait est que sur les terres de Berne on attaquait très généralement et peu charitablement l’orthodoxie du réformateur.
Si ces faits s’étaient passés deux ans plus tôt, il est vraisemblable que, combinés avec l’hostilité de Perrin, Vandel et Berthelier, ils auraient été assez influents pour mettre un terme au ministère de Calvin à Genève. Mais dans cette ville même la position de ce dernier était devenue progressivement plus forte depuis la fin de 1553. Les erreurs de ses adversaires y avaient contribué. Une nouvelle génération de jeunes citoyens était élevée d’année en année par son ministère et de plus en plus influencée par ses principes. Mais, par dessus tout, les réfugiés constituaient une force qui croissait régulièrement et dont l’influence s’exerçait presqu’exclusivement en faveur de Calvin. Comparés à la moyenne de la population genevoise, composée surtout d’artisans, ces nouveaux venus avaient l’avantage de l’instruction et de la culture morale, souvent aussi celui de la richesse et de la position sociale. Ils avaient eu le courage de quitter leur maison et leur patrie, pour obéir à leur conscience. C’était une élite, venue surtout de France, en bien moins grand nombre d’Italie, mais aussi d’Angleterre et d’Ecosse, surtout lorsque Marie la Catholique y eut succédé à Edouard VI. Des hommes comme le noble napolitain Galeazzo Caraccioli, marquis de Vico, comme les Colladon et les Budé, comme Laurent de Normandie, auraient été remarqués n’importe où ; dans la petite Genève ils brillaient du plus vif éclat. Comme on l’a fort bien dit : « Il n’y avait peut-être, dans le monde protestant, pas d’autre milieu qui pût montrer autant de noms nobles, distingués et aristocratiques ». Leur présence à Genève était l’œuvre de Calvin. Des réfugiés de cette qualité devaient nécessairement conquérir les bonnes grâces de la généralité des citoyens genevois, malgré l’hostilité cordiale qu’éprouvaient à leur égard Perrin, Vandel, Berthelier et leurs adhérents ; et, dans la mesure où ils se rendaient agréables, ils augmentaient le crédit et l’influence de Calvin dans les milieux genevois. Ceux-ci finirent par reconnaître avec satisfaction que la présence des réfugiés ajoutait à la renommée de la ville et en augmentait le mouvement commercial.
Bien que beaucoup de ces immigrants eussent été admis à l’habitation, un nombre relativement peu élevé d’entre eux avaient été reçus comme bourgeois et par conséquent rendus capables de contribuer par leur vote à la direction politique de la cité. On en avait reçu vingt-six en 1553 et sept en 1554. Mais les élections, ayant été favorables à Calvin dans cette dernière année, le favorisèrent encore plus en février 1555, en partie parce que son influence avait augmenté et aussi parce qu’on était généralement excédé par l’usage que Perrin avait fait de sa situation pour se pousser ainsi que ses parents et ses amis. Non seulement les quatre syndics étaient maintenant des calvinistes décidés, mais les voix acquises à Calvin au sein du Petit Conseil et de celui des Deux Cents avaient beaucoup augmenté. Le parti du réformateur résolut dès lors de fortifier sa position d’une manière durable en admettant un nombre suffisant de réfugiés à la bourgeoisie, ce qui devait neutraliser définitivement l’opposition que le parti des anciens Genevois lui avait faite jusqu’alors. Du 16 avril au 19 mai, soixante nouveaux bourgeois furent ainsi créés, parmi lesquels des hommes comme Guillaume de Trie, Laurent de Normandie, Germain Colladon, Jean et François Budé et Jean Crespin, tous entièrement dévoués à Calvin. Perrin, Vandel et Berthelier, qui au commencement se méfiaient à peine, ne virent bientôt que trop clairement les conséquences de ces mesures énergiques. Ils essayèrent en vain d’obtenir que les nouveaux citoyens fussent privés du droit d’avoir des armes et, pendant dix ans, de celui de voter. Les craintes des adversaires de Calvin augmentèrent rapidement. Le 13 mai, le lieutenant de justice, Hudriot du Molard, appartenant au parti des anciens Genevois, protesta formellement devant le Petit Conseil et demanda la convocation des Deux Cents. Le Petit Conseil répliqua en votant l’admission de nouveaux bourgeois. Le lendemain Hudriot, accompagné d’une troupe nombreuse d’adhérents, renouvela sa protestation, mais reçut la même réponse.
La défaite évidente des perrinistes, si puissants naguère, et leur incapacité de rien faire par des moyens légaux pour empêcher le dénouement, les fit entrer dans une voie qui devait les conduire à leur ruine et sur la nature de laquelle on a beaucoup épilogué, bien que les résultats ne soient que trop manifestes.
[Calvin a donné sa version de l’évènement dans une longue lettre à Bullinger, Opera, xv, 676-685 ; voir aussi celles à Farel, ibid., 617, 686, 693. Colladon et Bèze le racontent au point de vue strictement calviniste, Vies, xxi, 79, 150. La version des vaincus se trouve dans E. Dunant, Les relations politiques de Genève avec Berne, p. 142-146. Parmi les modernes, mentionnons Henry, in, 374-378 ; J.-B.-G. Galiffe, Quelques pages d’histoire exacte ; Roget, iv, 245-336 ; Kampschulte, ii, 258-278 Choisy, p. 174-186. Roget en particulier donne un résumé d’une bonne partie des témoignages produits aux procès.]
Le soir du 16 mai 1555, un certain nombre de perrinistes, comprenant Perrin et Vandel, soupèrent dans deux auberges et déclamèrent passionnément contre le régime établi à Genève. Ils projetaient sans doute contre le gouvernement une nouvelle manifestation plus énergique que celle du 14 mai, mais la mise à exécution de ce projet ne semble pas avoir été sérieusement préparée. Les convives se séparèrent de bonne heure. Perrin et Vandel étaient rentrés chez eux à neuf heures ; mais le plus grand nombre de leurs compagnons circulèrent dans les rues en proférant des menaces et en faisant du tapage. Arrivés devant la demeure de Jean Baudichon de la Maisonneuve, partisan de Calvin et membre depuis peu du Petit Conseil, ils crièrent contre les réfugiés français, et Claude Dumont, serviteur de Jean Pernet, récemment élu au Petit Conseil comme Baudichon, fut atteint par une pierre lancée par le plus jeune des frères Comparet, deux bateliers qui avaient été au nombre des convives. Dumont ne fut pas dangereusement blessé et ce fut là le seul accident qui résulta de cette bagarre. Les cris attirèrent un garde de nuit et firent aussi sortir de sa pharmacie voisine Henri Aubert, l’un des syndics. Celui-ci essaya d’arrêter le jeune Comparet. Ce dernier et son frère résistèrent. La foule s’amassa. Des paroles irritées furent échangées entre les deux camps. Les cris de « traîtres, à mort, à mort, battez les Français », etc., retentirent. Perrin parut et essaya d’enlever à Aubert son bâton, insigne de sa fonction de syndic, et renouvela un peu plus tard la même tentative contre un autre syndic, Pierre Bonna.
Cette échauffourée se calma d’elle-même en quelques minutes, mais de sinistres rumeurs parcoururent la ville. On colporta le bruit que les réfugiés s’étaient procuré des armes en abondance et qu’ils se réunissaient en grand nombre. Une troupe de perrinistes s’assembla dans le quartier du Bourg-de-Four, dont Vandel était capitaine. Ils refusèrent d’obtempérer à l’ordre qu’un syndic leur donna de se disperser, et n’y obéirent que lorsque Vandel y joignit ses instances. Bien des menaces furent proférées contre les réfugiés ; mais avant minuit tout était terminé. Les Comparet furent arrêtés et la ville rentra dans le calme sous la garde de ses seize veilleurs de nuit.
Considérée en elle-même, cette affaire du 16 mai fut d’importance minime ; mais elle aurait facilement pu dégénérer en une bagarre sanglantej. Elle manifesta aussi une disposition à s’écarter des voies légales pour s’élever contre de nouvelles admissions de réfugiés à la bourgeoisie. Mais l’existence d’une conspiration ourdie avec soin afin de renverser le gouvernement est démentie par les faits d’une façon trop évidente pour qu’on puisse soutenir cette thèse. Perrin et Vandel étaient rentrés tranquillement et de bonne heure. Vandel aida à disperser la foule. Il n’y a aucune preuve d’une tentative pour s’emparer du pouvoir en attaquant le Petit Conseil qui siégeait le même soir. On n’éleva point de barricades ; on ne put découvrir aucune organisation militaire. Mais Calvin et ses amis virent dans tout cela un effort formidable dirigé contre l’indépendance du gouvernement. Ils déclarèrent que c’était une conspiration révolutionnaire, tendant au massacre des réfugiés français et au renversement des quatre syndics et de ceux des membres du Petit Conseil qui avaient le tort de partager leurs vues. Il n’y a aucune raison de mettre en doute la sincérité de Calvin, non plus que celle de la plupart de ses partisans, dans leur conviction que cette affaire cachait un perfide complot. Le réformateur avait mauvaise opinion de Perrin et de Vandel. A son point de vue leur action avait été depuis longtemps hostile à Dieu. Mais cette conviction cadrait aussi avec la situation politique du moment. Si les perrinistes étaient coupables de haute trahison, leur parti pouvait être définitivement chassé du pouvoir. Les luttes, dans une petite république comme Genève, étaient toujours très vives. Dans le passé les vainqueurs avaient abusé de leur triomphe contre les Mamelouks et les Artichauts. Ils allaient être encore plus impitoyables à l’égard des perrinistes.
j – L’interprétation de Choisy nous paraît plus justifiée que l’appréciation trop optimiste de Roget.
Les frères Comparet avaient été arrêtés pendant les désordres et une enquête générale fut entreprise dès le lendemain par le Petit Conseil, Perrin et Vandel occupant leur place accoutumée. On entendit beaucoup de témoins, et l’affaire fut prorogée. Le 23, le Conseil ordonna de nouvelles arrestations. Le lendemain, les Deux Cents s’assemblèrent et, fortifié par leur concours, le Petit Conseil décréta l’arrestation de Perrin et de plusieurs de ses partisans. Heureusement pour eux, ils comprirent le danger qui les menaçait et s’enfuirent à temps. Les autorités bernoises intervinrent en leur faveur, mais ni Calvin, ni ses amis ne paraissaient disposés à accueillir favorablement une communication quelconque de Berne. Le 3 juin, Perrin et quatre de ses adhérents furent formellement condamnés à être décapités et coupés en quatre quartiers ; par bonheur ils avaient réussi à se mettre hors d’atteinte. Les Comparet, qui étaient détenus dans la prison de la ville, furent mis cruellement à la question dans le but de leur faire avouer le complot. On obtint cet aveu pendant la torture, mais avant leur exécution, qui eut lieu le 27 juin, ils se rétractèrent et assurèrent que la bagarre n’avait point été préméditée. Le 27 août et le 11 septembre, Claude Genève et François-Daniel Berthelier, frère cadet de Philibert, furent mis à mort à leur tour. Dans l’intervalle, le 6 août, Pierre Vandel et Philibert Berthelier avaient été condamnés par contumace au même supplice et d’autres, impliqués dans la même affaire, à diverses peines plus ou moins dures. Même les femmes des condamnés furent bannies de la ville ; et à une séance du Conseil général du 6 septembre, non seulement on approuva ce qui avait été fait, mais toute tentative pour aider les fugitifs à revenir fut interdite sous peine de mort. L’influence politique du parti perriniste à Genève était totalement anéantie.
Calvin ne prit aucune part officiellement à ces événements. Le procès et leur conclusion furent l’œuvre des autorités civiles, mais sa participation à la lutte n’en fut pas moins réelle. Il visita les condamnés en prison et s’efforça d’obtenir d’eux l’aveu du complot supposé. Il écrivit à Bullinger un exposé détaillé de sa manière d’envisager l’affaire, dans le but d’influencer les autorités de Zurich et de Schaffhouse. Il exprima sa satisfaction de ce que probablement la torture extorquerait à deux des prisonniers les informations désiréesk. Malgré son aversion, déjà relevée précédemment, pour les supplices cruels, il vit une preuve particulière du jugement de Dieu dans la prolongation des souffrances des Comparet par la maladresse du bourreau, que le gouvernement genevois désavoua d’ailleurs en bannissant ce fonctionnaire. Il avait le sentiment que la conduite des autorités avait été plutôt trop modérée. C’est Calvin sous son aspect le plus dur et le plus antipathique qui s’exprime ainsi ; mais il faut se rappeler ce qu’il avait souffert pendant des années ; il avait été sur le point d’assister au naufrage d’une œuvre qu’il croyait être celle de Dieu plus encore que la sienne propre, et cela du fait d’hommes appartenant à un parti dont il voyait enfin la ruine avec une si grande satisfaction.
k – A Farel, Opera, xv, 693. « D’ici à dix jours nous verrons, j’espère, ce que la torture leur arrachera. »
La chute des perrinistes valut à Calvin la cessation de toute opposition sérieuse à Genève. Les réfugiés furent librement admis à la bourgeoisie. Du 1er février 1555 au 1er février 1556, cent-soixante-neuf étaient ainsi devenus bourgeois de Genève, et cent-dix-sept de plus furent admis dans les douze mois qui suivirent. Le Consistoire agissait avec une indépendance et une autorité incontestées dont il n’avait pas encore joui jusque-là. Genève était devenue, non la cité idéale de Calvin — elle ne devait jamais le devenir — mais une ville puritaine, religieuse, consciencieuse, stricte dans la surveillance des mœurs et appliquant efficacement les censures ecclésiastiques. L’œuvre à laquelle il avait mis la main, lors de son retour en 1541, avait été largement accomplie.
Et pourtant ce succès chèrement payé aurait pu être, même alors, fortement compromis, s’il n’avait pas été suivi d’une bonne fortune qu’on ne pouvait prévoir. Bien que Genève eût réussi à réaliser dans son sein une union qu’elle n’avait pas connue jusque-là, ses relations extérieures, notamment avec Berne, n’avaient jamais été pires qu’au moment de la chute des perrinistes. Berne ne se bornait pas à offrir un asile aux détracteurs de Calvin ; elle accordait encore sa protection aux chefs perrinistes bannis. L’alliance, politiquement avantageuse, entre Genève et ce puissant voisin devait expirer en mars 1556. Genève désirait la renouveler, mais Berne refusait d’y consentir, sauf à des conditions humiliantes pour le gouvernement calviniste. En conséquence celui-ci renonça à cette alliance. Pourtant la situation de la petite république, sans l’appui politique de Berne, était extrêmement précaire et de longues négociations, dont Calvin prit sa large part, furent entreprises avec d’autres cantons, et avec Berne également, en vue du rétablissement de l’alliance. Les conditions de Berne furent trop dures et trop en faveur des perrinistes pour que Genève pût les accepter. Mais un changement inattendu survint en 1557, lorsque la grande victoire remportée le 10 août à Saint-Quentin sur les Français, par Emmanuel-Philibert, duc de Savoie, fit de ce dernier le premier chef militaire de l’Europe, paralysa la puissance de la France et permit au duc de réclamer les anciens territoires savoyards. Le péril menaçait à la fois Berne et Genève et il fit aboutir promptement les négociations qui jusque-là avaient échoué. Une « alliance perpétuelle, » dans laquelle pour la première fois Genève était placée sur un pied d’égalité avec Berne, fut conclue en janvier 1558 ; les perrinistes furent entièrement déçus dans l’espoir qu’ils avaient placé sur l’appui de Berne, et les résultats de 1555 furent confirmés d’une façon définitive. Le parti de Calvin n’avait pas seulement remporté la victoire à Genève, mais il l’avait obtenue en détournant le plus grave péril auquel la ville fût exposée, et en lui assurant ainsi une indépendance politique plus grande que celle dont elle avait joui jusqu’alors.
Pendant que se poursuivaient ces angoissantes négociations avec Berne, Calvin passait par de pénibles épreuves domestiques. La femme de son frère Antoine, depuis longtemps soupçonnée d’inconduite, fut finalement convaincue d’avoir commis adultère avec le bossu Pierre Daguet, secrétaire et domestique de Calvin, alors qu’ils habitaient tous la maison de ce dernier. Le 7 janvier 1557, Calvin et son frère soumirent le cas au Consistoire, qui le transmit au Petit Conseil. Le 16 février, la culpabilité ayant été prouvée, le Petit Conseil autorisa Antoine à divorcer et ordonna à sa femme de quitter la ville. Le scandale fut grand pour le réformateur et sa douleur intense ; mais la gravité du fait semble avoir été quelque peu exagérée. Il fournit toutefois aux adversaires un sujet d’attaques, surtout lorsqu’Antoine, à la grande indignation des catholiques, se remaria en 1560. Et ce ne fut pas la seule épreuve que Calvin dut subir de la part de ceux qui partageaient sa demeure ou appartenaient à sa famille. En 1562 sa belle-fille Judith tomba dans la même faute, et Calvin en fut si vivement impressionné qu’il quitta la ville et alla passer quelques jours à la campagne pour y chercher la solitude, lorsque ces tristes circonstances furent parvenues à la connaissance du publicl.
l – Calvin à Bullinger, Opera, xix, 327.
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