Pères, élevez-les en les corrigeant.
La Bible avons-nous dit est peu prolixe en matière d’éducation. L’Ancien Testament en parle rarement, (en gros pour prôner le châtiment corporel) et le Nouveau Testament n’y consacre pas dix versets (sur les 2755 des épîtres) pour conseiller seulement aux parents : « Corrigez … instruisez … n’irritez pas » (Éphésiens 6.4 ; Colossiens 3.21 et Hébreux 12.7-11). C’est peu ! Avouons que pédagogues et psychologues se montrent plus loquaces, apparemment plus soucieux de l’enfant et de son épanouissement que les apôtres eux-mêmes.
Dans le Nouveau Testament, le seul à parler d’éducation – Saint Paul, le célibataire – n’a pas eu, que je sache, l’occasion d’élever des enfants. Alors, peut-il valablement fournir de justes directives à des parents, des éducateurs formés sur le terrain ? Sans aucun doute. Celui qui fut l’hôte d’un grand nombre de foyers ne manquait pas d’expérience. Inspiré par le plus grand des psychologues, il se permettait d’écrire, sans hésiter : « Père, élevez-les en les corrigeant et en les instruisant selon le Seigneur » (Éphésiens 6.4).
Instruire, passe encore, mais … CORRIGER !
Oui, CORRIGER. Que voilà un terme honni dans une société permissive comme la nôtre ! Il incommode les tenants de la psychologie moderne et a fort mauvaise presse parmi nos contemporains. Chacun se plaît à lui accorder – à tort – un sens péjoratif. Pour la plupart des parents, ce mot évoque le martinet et les remontrances. Qui corrige, se doit d’afficher un visage sévère aux yeux exorbités – les gros yeux – chargés de reproches. Obnubilés par le souvenir des excès des pères d’autrefois impitoyables et autoritaires, beaucoup de gens oublient tout simplement le vrai but de l’éducation. De là vient le malentendu.
Corriger (du latin corrigere : redresser) signifie rectifier ce qui dévie ou se déforme, rendre plus exact ce qui est flou et imprécis, ramener à la mesure, à de justes proportions ce qui est excessif, voire outrancier. C’est encore, selon le dictionnaire, soumettre à la règle tout ce qui s’en écarte et améliorer, en supprimant les fautes, ce qui est imparfait. Qu’y at-il à redire à cela ?
Alors, pourquoi répugne-t-on à remplir cette indispensable mission ? Parce que l’action de corriger, qui se veut utile et généreuse, ne s’accomplit pas aisément, sans problèmes et sans luttes. L’enfant ne s’y prête pas volontiers. Il résiste en qualifiant de répressive cette œuvre d’amour. Est-ce étonnant ? Non puisqu’il faut aller à l’encontre de ses penchants naturels, contrecarrer ses désirs mal orientés, lui barrer la route lorsqu’il s’égare. L’enfant est comparable à une automobile entraînée vers l’un des bas-côtés de la route à cause d’une direction flottante ou mal réglée. Bien qu’imperceptible aux autres occupants de la voiture, ce grave défaut oblige le conducteur à agir sur le volant pour maintenir le véhicule sur la chaussée. Ainsi fait le père soucieux de former son enfant. Par une action vigilante, il s’efforce de le ramener sur la bonne voie chaque fois qu’il s’en écarte, il lui communique le désir de bien faire, au risque de s’aliéner momentanément son estime. Il n’y a pas d’éducateur digne de ce nom qui n’accepte l’impopularité. Il va sans dire que la brusquerie n’est jamais formatrice et les oreilles se ferment à une instruction donnée dans la tempête et les clameurs. Seul un être aimant peut avoir de l’impact sur autrui. Corriger est une œuvre de longue haleine, décriée, mais de première importance.
Pourquoi les parents sont-ils appelés à « corriger » l’enfant ?
Première raison : Il n’est pas naturellement bon comme certains le prétendent. « La folie est attachée au cœur de l’enfant et c’est la verge de la correction qui l’en éloignera » (Proverbes 22.15). Voilà qui est clair. C’est une erreur de croire que l’enfant laissé à lui-même s’améliorera au fil des ans. Il est vrai que dans une certaine mesure le temps fera son œuvre et corrigera ce qui doit être réformé ou repris chez lui. Les difficultés de tous ordres rencontrées sur le chemin de la vie, les circonstances adverses, les résistances de l’entourage travailleront ensemble à le façonner, mais cette action ne remplacera jamais celle des parents. Elle la complètera seulement et pour une faible part.
Soyons réalistes : là où le père s’applique à enseigner aux siens la politesse, le don de soi et le respect des autres, s’épanouissent des enfants qui certainement témoigneront des égards à leur prochain. Dans un foyer où rien n’est exigé sur ce chapitre, grandissent des égoïstes qui ne font guère cas de la présence des autres. Je doute qu’ils viennent vers vous tout souriants pour vous offrir spontanément un siège ou une part de gâteau.
Deuxième raison : L’action de corriger porte des fruits durables en dépit de l’absence de progrès visibles. C’est pourquoi ne désespérez pas si vous constatez que vos leçons restent lettre morte. Ne dites pas : « A quoi bon » en relâchant la discipline. Ne doutez pas de votre action, même si vous l’estimez maladroite et imparfaite. Le temps fera son œuvre et le Saint Esprit, utilisant la vôtre, accomplira la sienne, sans bruit mais sûrement. Le moment venu, il vous donnera de voir les fruits de votre obéissance (corriger est un ordre de Dieu). Alors votre joie sera grande : « Instruis l’enfant selon la voie qu’il doit suivre et jusqu’à sa vieillesse, il ne s’en détournera pas » (Proverbes 22.6).
A cela, d’excellents chrétiens pensent devoir objecter que l’on ne change pas la nature de l’enfant par une quelconque discipline. Sans la nouvelle naissance (le miracle par lequel Dieu communique une nature nouvelle), l’homme demeure incurable. Le père aura beau moraliser, répéter à son fils et sur tous les tons : « Sois courageux ! » il restera un poltron si tel est son caractère. Corriger un enfant orgueilleux n’en fera pas à terme un être humble et modeste.
J’en conviens. Il ne suffit pas de jeter des graines dans un champ pour les voir germer et produire une abondante récolte. Sans l’action d’En-Haut, pas le moindre fruit et toute peine est inutile. Mais que pourrait le Seigneur si le paysan négligeait d’ensemencer ? Quand l’homme ne joue pas son rôle, Dieu ne peut agir. Que peut l’Esprit Saint si je néglige d’enseigner et de corriger l’enfant ? Le moment venu, le divin Maître utilisera mon action jugée par certains vaine et moralisatrice, pour produire des fruits durables : rejet du péché, appréciation juste de soi, désir de servir, soumission et humilité … Corrigé avec amour, mon enfant sera plus apte au Royaume de Dieu (Proverbes 23.14).
Et puis, les bonnes habitudes ne sont pas à dédaigner. Si le maître ne cherchait pas à s’imposer à ses élèves, jamais il n’obtiendrait le silence. L’indiscipline rendrait tout travail sérieux impossible. L’instituteur exige-t-il la nouvelle naissance pour autant ?
D’autres esprits noteront qu’à vouloir corriger leur enfant, les parents ne réussiront, en définitive, qu’à « fabriquer » un hypocrite. La façade pourra changer mais pas le fond. Le petit fera des courbettes à contrecœur, en détestant peut-être celui qu’il prétend honorer. Cet argument n’est pas sans valeur. J’admets volontiers que ni le code de la route ni les gendarmes ne parviendront à changer le cœur des automobilistes. Toutefois, leur présence et leurs interventions communiqueront des habitudes de discipline dont les usagers de la route ne pourront que se féliciter. Et puis, à choisir entre un être poli et respectueux soupçonné d’hypocrisie et un gars réputé plus authentique parce que grossier et du genre « mufle », je n’hésite pas : j’opte pour le premier, n’en déplaise aux partisans du laisser-faire.
Troisième raison : L’enfant corrigé avec fermeté donne à la famille du repos, selon Proverbes 29.17. Ce motif, apparemment égoïste, n’est pas négligeable car un peu de discipline rend la vie du foyer plus agréable, en tous cas plus sereine. Parfois « les grands » ne peuvent rédiger leurs devoirs, ni les parents se détendre ou converser, tout simplement parce qu’ils tolèrent un énergumène de deux ou trois ans, sûr de l’impunité, qui ne cesse de brailler ou de taper du pied. C’est mal aimer les siens que de ne pas intervenir.
Quatrième raison : En définitive, les parents se doivent de corriger leurs enfants pour la seule raison que telle est la volonté de Dieu (Éphésiens 6.4). Ne contestons pas Ses impératifs : il est le plus averti des psychologues. Il connaît mieux que quiconque la nature humaine et sait parfaitement ce qu’il convient de faire à l’égard de ceux que nous aimons. Dans sa sagesse, Il ne compte nullement sur les bonnes dispositions de l’enfant et donc ne peut encourager la seule « méthode persuasive ». C’est dans la peau du gosse de se montrer rebelle, irrespectueux et menteur. Égoïste, il l’est naturellement et cet égoïsme ne fera que croître avec le temps si rien n’intervient. Il faut donc le corriger en le confiant à Celui qui a le pouvoir de transformer les caractères.
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Il y a longtemps de cela, un ami me citait le cas d’un garçon dont les parents s’étaient montrés sévères et fort exigeants à son endroit.
— Ah ! me dit-il, ça n’empêche pas ce gamin d’être un polisson quand le père est loin …
Peut-être. Mais que serait-il advenu de ce fils difficile si, livré à lui-même, il avait eu pour père … mon interlocuteur ?
Vingt ans ont passé depuis. Le « polisson » de jadis est aujourd’hui un chrétien dynamique, dévoué envers autrui et heureux dans son foyer. Quant à la progéniture de celui qui jugeait le papa sévère, il vaut mieux ne pas en parler !
LES PARENTS S’INTERROGENT