Il demeura dans ce château environ vingt ans, s’y livrant seul aux exercices de la piété ; enfin, ce temps étant passé, comme beaucoup de personnes souhaitaient de le voir et désiraient imiter son genre de vie, plusieurs de ses amis se réunirent et enfoncèrent la porte de vive force. Antoine sortit du château comme d’un sanctuaire où Dieu l’avait initié à ses mystères et rempli de sa présence. C’est ainsi qu’il parut pour la première fois hors du château devant ceux qui étaient venus le visiter. Ceux-ci en le revoyant furent étonnés de le trouver dans le même état qu’autrefois. Le défaut d’exercice n’avait point fait contracter d’embonpoint à son corps, les jeûnes et les combats avec les démons ne l’avaient pas non plus amaigri : il était tel qu’on l’avait connu avant sa retraite ; c’était la même sérénité de caractère, ni assombrie par le chagrin, ni épanouie par la joie, ni portée à rire ou à s’attrister ; il ne paraissait point être importuné, ni se réjouir de la multitude de ceux qui venaient le visiter, mais il conservait en tout la même égalité de caractère, parce qu’il était gouverné par la raison et qu’il savait se tenir dans les justes bornes de la nature.