Persécutions contre les Vaudois au xiiie siècle.
Vaudois répandus en divers lieux, — en France, — en Allemagne et en Italie ; — en Autriche et en Bohème. — La persécution générale se prépare. — Décret d’Otton IV en Piémont ; — du comte Thomas. — Contre les albigeois en France. — Moyens de conversion. — Conseil de Dominique. — Disputes publiques. — Excommunication de Raymond de Toulouse. — Croisades. — Dominique. — L’inquisition inventée, — approuvée. — Ce tribunal établi, en divers lieux. — Seconde croisade ; — troisième. — L’hérésie reparaît. — Nouvelles menées. — Succès des dominicains ou de l’inquisition, — contre les Vaudois d’Allemagne. — Echard persécuteur converti.
Au commencement du XIIIe siècle, le nombre des chrétiens vaudois était considérable en tous lieux ; mais, comme on l’a vu à la fin du chapitre VI, ils étaient connus sous des noms différents, dérivés de ceux de leurs chefs particuliers, ou dûs autant au mauvais vouloir qu’à certaines circonstances.
En France, l’œuvre commencée par Pierre de Brais et par Henri avait reçu une nouvelle impulsion de Pierre Valdo, ou le Vaudois. Les prédications ainsi que les exemples de renoncement et de charité de ce fidèle et pieux serviteur de Jésus-Christ, comme aussi les travaux de ses disciples qu’on flétrissait du nom honorable de pauvres de Lyon, avaient servi avantageusement la cause de la vérité chrétienne. L’attention générale s’était arrêtée sur ces manifestations. L’effet que celles-ci avaient produit avait été si vif, que le souvenir des précédentes en avait été comme effacé, et que la plupart des contemporains ne firent mention que de Pierre Valdo et de ses disciples. L’on ne se rappela point l’état où en étaient les affaires religieuses lorsqu’il parut ; on ne soupçonna pas même les relations probables qu’il avait soutenues avec les Vaudois qui l’avaient précédé, et à grand tort, on le fit, les uns par ignorance, les autres par une confusion inexplicable, chef de la secte vaudoise, dont il n’était cependant qu’un affilié, mais des plus actifs. Au commencement du XIIIe siècle, le zèle des pauvres de Lyon, joint à celui des pétrobrusiens, des henriciens et des autres sectaires avait singulièrement augmenté le nombre des Vaudois, dans presque toutes les contrées de la France.
L’Allemagne aussi nourrissait toujours de nombreux ennemis de Rome, ainsi que l’Italie. Ils appartenaient à toutes les classes de la société. L’on comptait parmi eux des nobles, des roturiers, des clercs, des moines, des religieuses, des bourgeois et des paysans. Tritème, qui exprime ce fait, nous apprend qu’à la date de l’an 1229, les cathares, subdivision des Vaudois, comme nous l’avons vu au chapitre VI, étaient répandus, quoique secrètement, en Allemagne, en Italie et surtout en Lombardie, en si grand nombre, qu’au dire de quelques-uns d’entre eux, ils pouvaient aller de Cologne à Milan, et trouver toutes les nuits, dans leur route, l’hospitalité chez des confrères. (V. Tritème,… p. 224. à 232.)
L’un d’eux, indiqué sous le nom de Maître nouveau, et martyrisé à Vienne en Autriche, l’an 1299, soutenait que, dans cette même contrée, en Bohème et dans les lieux environnants, ils étaient au nombre de plus de quatre-vingt mille. Que le lecteur n’oublie pas que Pierre Valdo, obligé de fuir de Lyon, après avoir passé en Picardie, en Vindelicie, s’était réfugié en Bohème où il avait terminé sa vie.
L’inquisiteur Rainier Sacco nous apprend, de son côté, que l’Italie, au temps où il vivait, vers l’an 1254, était remplie de cathares. Outre les hérétiques bagnolenses, ou de Bagnolo (1), nommés ainsi d’une ville située dans le voisinage des Vallées Vaudoises actuelles, Rainier parle des cathares de Mantoue, de Brescia, de Bergame et du duché de Milan. Il mentionne aussi ceux de Vicence, de Florence et de la vallée de Spoletto. Après avoir énuméré seize Eglises de ces Vaudois cathares, établis dans toute l’Europe jusqu’à Constantinople, il ajoute, que, si leur nombre (le nombre des parfaits sans doute, savoir, des principaux parmi eux) ne dépasse pas quatre mille, les croyants, c’est-à-dire sans doute tous les affiliés, sont innombrables. Outre plusieurs de ces Eglises qu’il place en France, telles que les albigeoises, il nomme celle de Bulgarie, d’Esclavonie, etc. (Maxima Biblioth., P. P., t. XXV, col, 269 et suiv.)
(1) – Ce fait est confirmé par Gioffredo, Storia delle Alpi maritime ; — dans Monumenta historiæ patriæ, t. III, p. 488.
Un mouvement aussi général et aussi opposé au culte romain n’avait pu manquer d’exciter une grande colère dans le cœur du pape, des prélats et du clergé. Bientôt, un cri d’indignation et de vengeance retentit du midi au nord, et la persécution, qui n’avait été jusque-là que partielle et locale, éclata sur tous les points. La superstition craignit pour ses autels, pour ses images et pour ses faux miracles. L’ignorance se scandalisa de la lumière évangélique. L’orgueil blessé et l’avarice entrevirent la ruine du crédit et des revenus du clergé ; une guerre à mort pouvait seule sauver l’établissement romain du coup terrible dont il se voyait menacé par les efforts des chrétiens vaudois, pour la propagation de la pure doctrine, par l’exemple de leur vie de renoncement, par leur charité, par leur pureté et par leurs bonnes œuvres. Les prélats et le pape invoquèrent donc l’assistance du pouvoir temporel, et avec son aide ils travaillèrent à la destruction de leur ennemi. Ils ne s’arrêtèrent que lorsqu’ils se virent les maîtres et qu’ils estimèrent l’avoir étouffé ou réduit à rien.
Tous les fils de ce tissu d’iniquité ne sont pas parvenus jusqu’à nous. Les cris des victimes n’ont guère dépassé l’enceinte des prisons ou le cercle tracé par la foule autour de leurs bûchers. La correspondance de Rome et les archives de l’inquisition gardent plus d’un secret et d’abondants détails qui nous manquent. Sur plusieurs points, nous ne connaissons que quelques faits sans ensemble.
Et pour commencer par un de ces faits peu circonstancié, mais relatif aux contrées le plus souvent mentionnées dans cet ouvrage, aux Vallées Vaudoises du Piémont, nous citerons le premier décret de persécution (que nous connaissions) obtenu contre les Vaudois nominativement par le clergé romain, et émané du pouvoir impérial. Il est de l’an 1198. Otton IV, se rendant à Rome pour se faire couronner par les mains du pape, l’accorda aux demandes de Jacques, évêque de Turin. En voici les principaux passages traduits du latin : « Otton, par la grâce de Dieu, empereur toujours auguste, à son bien-aimé et fidèle évêque de Turin, grâce et bonne volonté, etc.
» Nous voulons que tous ceux qui ne marchent pas dans le droit chemin, et qui s’efforcent d’éteindre dans notre empire la lumière de la foi catholique par la perverse hérésie, soient punis avec une sévérité impériale, et que, dans toutes les parties de l’empire, ils soient séparés du commerce des fidèles. Nous vous mandons par l’autorité des présentes, à l’égard des hérétiques vaudois (Valdenses) et de tous ceux qui sèment l’ivraie du mensonge dans le diocèse de Turin, et qui attaquent la foi catholique, enseignant quelque erreur perverse, que vous les expulsiez de tout le diocèse de Turin, appuyé sur l’autorité impériale. A cet effet, nous vous conférons, etc., etc. » (Tiré de Spondanus, en l’an 1198, et des archives de Turin. Voir Monumenta historiæ patriæ, t. III, p. 488.)
L’on ne connaît pas l’usage que l’évêque de Turin fit des pouvoirs qui lui étaient accordés, mais l’on ne saurait douter qu’il n’ait persécuté ceux contre lesquels il les avait obtenus, et que les hérétiques de Bagnolo et leurs voisins des Vallées Vaudoises actuelles, ainsi que ceux qui étaient établis dans la plaine, n’en aient ressenti les rigueurs.
L’ordonnance du comte Thomas de Savoie et du magistrat de Pignerol, de l’an 1220, citée déjà au chapitre précédent, doit être rappelée ici (2) à l’article des persécutions, puisqu’il y était défendu à tout habitant de cette ville et de sa banlieue, de donner l’hospitalité à un Vaudois ou à une Vaudoise. Cette mesure sévère démontre l’état de proscription dans lequel se trouvaient les Vaudois de cette partie du Piémont, lorsqu’ils se hasardaient hors de leurs Vallées.
(2) – On peut conclure de cette citation, selon nous, que Thomas, qui avait fait partie de la croisade contre les albigeois, et qui laissa tranquilles les Vaudois des Vallées piémontais, à ce qu’il paraît, n’était pas encore leur souverain. Ce serait donc plus tard que les marquis de Luserne se sont soumis à la maison de Savoie.
Quelques faits isolés, sauvés de l’oubli, font voir que la persécution religieuse sévissait aussi dans d’autres contrées de l’Italie. Là, c’était une femme, Tedesca ou la Tedesca, l’Allemande, dont le supplice par le feu occasionna de grands troubles à Parme, en 1277, au milieu desquels le couvent des dominicains inquisiteurs fut saccagé. Ici, dans la contrée de Domo-d’Ossola, en 1307, c’est l’hérésiarque Dolcigno que l’on poursuit les armes à la main, ainsi que les nombreux partisans qui le suivent, et que l’on accuse de renouveler la secte des cathares et des patarins. Réunis au nombre de treize cents, ils sont attaqués, défaits, et leur chef brûlé. (Bossi, Storia d’Italia,… t. XV, p. 391-520.)
Mais ce fut, surtout contre les amis de l’Evangile, à l’occident des Alpes, contre les disciples de Pierre de Bruis, d’Henri et de Pierre Valdo, que sévit la cour de Rome. La fureur concentrée se déchaîna particulièrement, durant de longues années, dans les riantes campagnes qu’arrosent le Tarn et les autres affluents de la Garonne, dans les vallons sur la Durance et dans les plaines que baignent le Rhône inférieur et les eaux de la Méditerranée. Elle frappa sans pitié des hommes consciencieux et éclairés qui n’aspiraient qu’à rendre à Dieu un culte plus pur que celui qu’ils lui offraient lorsqu’ils étaient conduits par les prêtres romains. Ces cruelles persécutions sont connues sous le nom de croisades contre les Albigeois, nom emprunté à la ville et au territoire d’Albi, l’un des principaux centres de la secte vaudoise dans le midi de la France.
Il ne saurait entrer dans notre plan de faire l’histoire de ce grand acte d’iniquité. Un tel sujet doit être traité à part ; nous renvoyons donc le lecteur, pour les détails, aux historiens particuliers. Nous nous bornons à signaler les moyens qu’employa la cour de Rome et leurs résultats.
Ce fut par des armes charnelles que le prétendu vicaire de Jésus-Christ et son clergé entreprirent de ramener les hérétiques dans le giron de l’Eglise romaine ; tandis que l’apôtre qui a converti le plus d’âmes à la foi chrétienne, l’apôtre saint Paul, s’est écrié : Nous ne combattons point selon la chair, et les armes avec lesquelles nous combattons ne sont pas charnelles (2 Corinthiens 10.3, 4), et que Jésus a dit à Pierre qui, un glaive à la main, voulait, non pas attaquer des contredisants, mais défendre la personne chérie de son divin maître : Remets ton épée dans le fourreau (Matthieu 26). Le pape Innocent III commença l’œuvre, en combinant les moyens de persuasion avec les menaces, les appels à la fidélité catholique avec les démarches insinuantes de la plus habile et de la plus astucieuse politique auprès des princes régnants. Le choix d’agents, parfaitement aptes à une semblable mission, devait lui assurer le succès. Ce furent d’abord Raynier et Guy, moines de Cîteaux, nommés légats, dès 1198, dans les contrées infestées. Innocent leur adjoignit, en 1204, Pierre de Castelnau, archidiacre de Maguelone, avec des pleins pouvoirs. Mais, quelque peine qu’ils se donnassent, quelque pressantes que fussent leurs exhortations, et quelque sévères que fussent leurs menaces, la mission n’obtenait que peu de succès, lorsque l’espagnol Dominique de Gusman, si célèbre dès-lors, vint leur conseiller d’imprimer à leur marche une nouvelle direction.
« Considérant, dit le père Touron dans la vie de Dominique, que les voies de fait, qu’on avait pratiquées jusqu’alors contre les apostats, n’avaient servi qu’à les aigrir ; que le luxe et la mollesse des catholiques scandalisaient les amis et les ennemis de l’Eglise… ; que les albigeois, au contraire, par un dehors de piété, se conciliaient la confiance des peuples et l’estime des grands… ; que la cupidité et la dissolution de ceux (des prêtres) que leur état engageait à une plus grande sainteté étaient une odeur de mort qui faisait blasphémer contre leur religion, et que les hérétiques, croyant pouvoir décrier la doctrine de ceux dont ils ne pouvaient estimer les mœurs, en profitaient pour entretenir les ignorants dans cet esprit de révolte qu’ils leur avaient inspiré contre leurs pasteurs légitimes, Dominique conclut de là qu’il fallait employer la persuasion et l’exemple plutôt que la terreur, marcher sur les traces des apôtres, en prêchant et en vivant comme eux, en voyageant comme saint Pierre et saint Paul toujours à pied, sans équipage, sans argent et sans provisions… Il ne doutait pas qu’un tel exemple ne prévînt les peuples en leur faveur, et ne reformât peu à peu les mœurs du clergé et ne confondit l’hypocrisie des hérétiques. » (Tournon, Vie de saint Dominique, liv. V, p. 36.)
Le conseil fût suivi, les évêques et les légats eux-mêmes se firent missionnaires, et non sans obtenir certains succès. Ils ne reculèrent même point devant des disputes publiques. Mais la méthode de persuasion n’ayant point, par sa lenteur, satisfait des espérances exagérées, et s’écartant trop de la marche exclusive et tyrannique de Rome, les légats en revinrent aux excommunications et à l’emploi de la force.
Tout étant préparé, Innocent lança ses foudres contre Raymond, comte de Toulouse, l’excommunia et le maltraita dans un manifeste outrageant. Il convia en même temps le roi de France, les ducs, princes et seigneurs de cette contrée et du voisinage à une croisade contre les hérétiques, les y excitant par la promesse de leurs dépouilles et de magnifiques et éternelles récompenses dans le ciel, pour prix du sang des martyrs qu’ils auraient répandu. Obéissant à ses ordres, l’an 1209, sous la conduite du comte de Montfort, commandant de l’armée, et d’Amalric, abbé de Citeaux, légat du pape, cent mille croisés (3), au moins, envahirent le Languedoc, territoire hérétique.
(3) – Il y a des auteurs qui portent infiniment plus haut la force de cette armée.
Dominique, irrité du peu de succès de son éloquence, appelle maintenant, à grands cris, les châtiments humains sur ceux qu’il n’a pu convertir. Un crucifix à la main, il apparaît lui-même au milieu des soldats, avec sa longue robe blanche et son manteau noir, ainsi que l’ange inexorable de la guerre, ou encore comme le digne suppôt de l’Antechrist. A l’entendre, le fer et le feu doivent venger le ciel. A la prise et au sac de Béziers (4), l’ardeur de massacrer est telle que l’on y fait subir un même sort aux hérétiques et aux chanoines s’avançant en procession au-devant des croisés : Tuez-les tous, avait dit Amalric, le fidèle légat d’un pape sans pitié, tuez-les tous. Dieu saura bien reconnaître ceux qui sont à lui ! Des bords du Rhône à ceux du Lot, les bûchers sont, pour ainsi dire, en permanence. La confiscation des biens, les tortures, d’horribles tourments et les flammes sont réservés à tous ceux de la prétendue doctrine hérétique, que l’épée et la lance n’ont pas transpercés dans les combats.
(4) – Dans la première campagne.
Tandis que de farouches et avides guerriers attaquent les places fortes, les châteaux et les chaumières des sectaires albigeois, Foulques, évêque de Toulouse et ses confrères du Languedoc, Dominique et ses disciples, intelligents et complaisants instruments de l’Antechrist, font épier par leurs émissaires, dénoncent, interrogent et condamnent des malheureux sans nombre, qu’ils arrachent à leurs familles.
Des années d’expérience ayant démontré quels services signalés une association de moines intrigants, accusateurs et persécuteurs, pouvait rendre à la cause de l’oppression religieuse, Innocent III approuva, l’an 1215, lors du concile de Latran, l’intention que lui exprima Dominique de fonder un ordre de moines mendiants, de frères prêcheurs, pour la conversion et la répression des ennemis de l’Eglise. Et l’année suivante, Honorius III, successeur du sanguinaire Innocent, confirma l’institution et constitua l’ordre. Ces frères prêcheurs furent appelés plus tard dominicains (5), du nom de leur fondateur, et reçurent des privilèges spéciaux pour l’extirpation des hérétiques.
(5) – Presqu’en même temps, saint François d’Assise formait un second ordre de moines mendiants, connus sous les noms de frères mineurs et de franciscains. Ils se montrèrent les dignes émules des dominicains.
Epier et rechercher les non-croyants, les convaincre de leurs erreurs, les persuader de rentrer dans le giron de l’Eglise, et s’ils résistaient, dresser les actes d’accusation, faire arrêter les prévenus, informer et instruire la procédure, prononcer le jugement et le faire exécuter par l’intervention du bras séculier : tels étaient les offices dont fut chargé cet ordre du sein duquel sortit bientôt le Tribunal de l’Inquisition, voué à jamais à l’exécration des hommes.
Dès l’an 1215, conjointement avec les évêques, les dominicains célébrèrent avec pompe ces actes de foi, auto-da-fé, comme on les appela par un déplorable abus de langage, dans lesquels ils exposaient les condamnés aux regards de la foule et les brûlaient ensuite avec une dévotion apparente, selon le cérémonial en usage dans les actes les plus solennels du catholicisme. O saints martyrs de la foi chrétienne ! morts de misère dans les prisons (6), dans les tortures, ou entassés sur les bûchers, vous avez été jugés dignes, comme votre divin maître, de souffrir, victimes de la haine que l’hypocrisie et la superstition ont vouée à la vérité. Comme Jésus, votre Sauveur, accusé de blasphème et condamné par les princes de son peuple, à l’heure en laquelle il proclamait devant eux l’accomplissement en sa personne des prophéties et des promesses, vous avez été, vous, ses fidèles disciples, déclarés dignes de la mort et voués au feu réservé éternellement aux impénitents, alors que vous essayiez de mettre en honneur la lumière de l’Evangile, et que vous confessiez, en opposition aux sectateurs de l’Antechrist, le nom de Jésus, le roi de gloire ! Saints martyrs, nouveaux Etiennes, puissiez-vous à l’heure de vos plus amères douleurs, lorsque la flamme flamboyait autour de vos membres, noircis et palpitants, avoir vu, comme le fidèle diacre de Jérusalem, les cieux ouverts et le Fils de l’homme assis à la droite de Dieu ! Vos derniers regards auront été ceux de la reconnaissance, et vos dernières paroles ici-bas celles de la foi triomphante. Honneur à vos cendres jetées au vent ! souvenir respectueux à votre fidélité ! Et surtout, plaise à Dieu que votre persévérance à confesser son nom par un culte en esprit et en vérité, et que votre fidélité jusqu’au martyre, ne soient pas un exemple perdu pour nous !
(6) – L’un des plus barbares supplices consistait à emmurer, c’est-à-dire à mettre le patient entre quatre murs, à le nourrir chétivement par un guichet, ou même à l’y laisser périr de faim…
Pour atteindre le but de l’institution de leur ordre, et pour se montrer dignes de la confiance qu’on leur témoignait, les dominicains, aussi haineux que fanatiques, parcoururent les villes et comtés du Languedoc, établissant en divers lieux des tribunaux provisoires d’inquisition. Ils eurent la barbarie de décider que les enfants hérétiques, âgés de plus de sept ans, seraient passibles de la peine du bûcher, comme parvenus déjà, à cette époque de leur vie, à l’âge de raison. Le cardinal Conrad, nouveau légat du pape, en 1222, soutint avec véhémence ce tribunal sanguinaire. La fureur des inquisiteurs, accrue par son appui, exaspéra à un tel point les peuples du Languedoc, que l’on courut de toutes parts aux armes. Conrad, s’armant des foudres romaines, lança l’excommunication, appela ses fidèles sous les drapeaux, invoqua à son aide la guerre et la destruction, et prêcha une nouvelle croisade contre les Vaudois albigeois.
Raymond VI était mort, ainsi que son ennemi Simon de Montfort ; leurs fils, Raymond VII et Amauri, croisèrent, comme leurs pères, le fer l’un contre l’autre sur les champs de bataille. Louis VIII, roi de France, se plaça à la tête des amis du pape, qui commirent partout des cruautés inouïes. Louis IX, que Rome a béatifié sous le nom de saint Louis, suivit les mêmes errements. Ayant obtenu la soumission du comte de Toulouse et de ses principaux alliés, les anciens soutiens des Vaudois albigeois, il publia une ordonnance stable contre tous les hérétiques. Ceux-ci furent mis hors de la loi commune, privés de leurs droits civils et politiques et proscrits. Une forte somme fût promise à qui les dénoncerait, à qui les arrêterait. Le concile de Toulouse, de l’an 1229, prit des mesures analogues en ce qui concernait l’administration ecclésiastique et les droits de l’Eglise. On interdit spécialement aux laïques de conserver chez eux les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, à l’exception des psaumes. On défendit, surtout, d’en traduire aucune partie en langue romane.
L’hérésie, toutefois, ne disparaissant pas et faisant même des progrès sur quelques points de ces contrées désolées, Grégoire IX, pontife romain, attribuant ce mal à la négligence des évêques, plus occupés de leurs affaires temporelles que du salut de leurs ouailles, prit la résolution de leur enlever la connaissance du fait d’hérésie, pour la transporter aux seuls frères prêcheurs, et accorda cet immense pouvoir aux élèves de Dominique, par un décret du 12 avril 1233, dans le diocèse de Toulouse principalement, et dans celui des archevêques (7) de Bourges, Bordeaux, Aix, Arles, Auch, Narbonne, Vienne et Embrun. Il mit les inquisiteurs sous la protection spéciale des comtes de Toulouse, de Foix, et des autres seigneurs, ainsi que des sénéchaux de France, avec l’obligation pour ceux-ci de leur prêter assistance toutes les fois qu’ils en seraient requis. A la suite de ce bref, des tribunaux d’inquisition furent érigés et demeurèrent en permanence à Toulouse, Carcassonne, Avignon, Montpellier, Albi et Cahors. Partout on les reconnut, et jusqu’à la dernière création du parlement de Toulouse, l’an 1444, leurs jugements furent exécutés sans appel.
(7) – Lieux, sans doute, où les progrès de l’hérésie se faisaient remarquer.
Est-il nécessaire d’ajouter que les dominicains se montrèrent dignes de la confiance pontificale. Ils déployèrent un zèle sans égal, une sévérité indicible, ne s’astreignant à aucune règle, ou plutôt les enfreignant toutes. Ils pénétrèrent dans les secrets des familles, armèrent les parents, les amis les uns contre les autres, exaspérèrent et abreuvèrent de douleurs toutes les âmes généreuses. Aussi, ils atteignirent enfin leur but. Les prisons regorgèrent de victimes et durent souvent être agrandies ; les bûchers s’élevèrent de toutes parts. Tout ce qui ne renonça pas à ses convictions, et qui ne réussit pas à se cacher ou à dissimuler sa foi, périt dans les flammes ou succomba lentement dans les cachots. On estime que, dans les cinquante premières années de ce siècle, un million d’albigeois perdirent la vie, victimes de la haine, de la barbarie et de la superstition de l’Eglise romaine.
Ces développements sont, pour la plupart, empruntés à l’Histoire de l’Inquisition en France, par M. de Lamothe-Langon ; Paris, 1829.
Hélas ! en exterminant et en emprisonnant la généralité des chrétiens vaudois, là où ils avaient obtenu les plus beaux succès, en ne leur laissant aucun repos, on avait réussi à arrêter les progrès du réveil magnifique que le retour aux saintes Ecritures, à la saine et ancienne doctrine évangélique, avait opéré. On put sans doute alors se flatter de l’étouffer bientôt tout-à-fait.
De tels résultats réjouirent la cour de Rome ; elle se hâta de poursuivre son œuvre infernale et d’employer les mêmes moyens dans tous les lieux où l’hérésie lui fut dénoncée, partout où le pouvoir séculier se soumit au rôle d’instrument de ses vengeances et d’exterminateur de ses propres sujets.
Les Vaudois d’Allemagne eurent aussi leur tour et ne purent échapper à la persécution. On en saisit quatre-vingts dans la seule ville de Strasbourg, dont la plupart furent livrés aux flammes. Le fameux inquisiteur Conrad de Marpurg recourut à un moyen sûr de convaincre les accusés ; il les soumettait à l’épreuve du fer rougi au feu. L’an 1233, un grand nombre d’hérétiques furent également brûlés en divers lieux de l’Allemagne par les soins de ce même moine prêcheur et inquisiteur, qui, enfin, paya ses exactions par une mort violente. Dans le cours du siècle, l’on renouvela souvent les mêmes supplices. Matthieu Paris rapporte que, l’an 1249, on condamna aux flammes quatre cent quarante-trois hérétiques, en Saxe et en Poméranie.
Parmi les victimes qui appartenaient à la Germanie, l’on vit avec étonnement à Heidelberg, l’an 1234, un inquisiteur, le moine Echard, ancien persécuteur des Vaudois, monter à son tour sur le bûcher. L’esprit de Dieu l’avait atteint pendant qu’il faisait subir des interrogatoires aux accusés ; leur constance au milieu des supplices l’avait subjugué à l’Evangile. Beau triomphe de la foi ! — Nous sommes sans renseignements sur ce qui se passait en Italie.