Les noces de Cana. — Les vendeurs chassés du temple ; comparaison du récit de Jean avec ceux de Matthieu, Marc, Luc ; la parole du Seigneur touchant la destruction et la réédification du temple. — Nicodème. — La Samaritaine. — Jésus guérit le fils du seigneur de la cour.
Après avoir considéré le plan du Seigneur Jésus, ainsi que les instruments par le moyen desquels il l’exécuta, notre tâche consiste désormais à le suivre dans l’accomplissement de l’œuvre que le Père lui a donnée à faire. Ici se présente avant tout la question de la succession chronologique des faits. Je pense qu’il est possible d’arriver à quelque certitude dans le groupement des parties principales de la matière que les évangélistes nous donnent dans un ordre différent ; pour d’autres parties, le résultat de nos investigations nous montrera que nous ne pouvons arriver qu’à une certitude approximative. Au surplus ces questions ne sont pas en première ligne au point de vue de leur importance, ce qui ne doit pas empêcher ceux que s’y sentent appelés, de chercher à les résoudre. Ici nous pouvons d’autant mieux nous en dispenser, que nous avons aujourd’hui à nous occuper d’événements que Jean seul raconte, en sorte que c’est cet évangéliste qui nous guidera exclusivement. Notre leçon suivante nécessitera un autre procédé. Occupons-nous maintenant de la première activité du Seigneur, jusqu’à son retour en Galilée, raconté par le quatrième chapitre.
Après l’entrevue entre le Seigneur et Nathanaël, Jean continue son récit dans ces termes : trois jours après on faisait des noces à Cana en Galilée. Ces trois jours sont ceux qui suivirent la vocation de Nathanaël et qui durent être absorbés par le voyage. La mère de Jésus s’y trouvait ; Jésus fut aussi convié aux noces, et en son honneur les disciples, venus avec lui, furent également invités. Mais voilà qu’avant la fin du repas on manqua de vin. Il se peut, qu’à cause de ces nouveaux convives inattendus, la fête fût prolongée, car les coutumes orientales autorisent une célébration de noces de plusieurs jours. C’est Marie qui la première découvre, par une délicate attention, l’embarras dans lequel on se trouve, et qui en instruit son fils. Dans quelle intention le fait-elle ? Peut-elle compter sur un miracle, alors qu’il n’en a encore fait aucun, puisque celui-ci est expressément désigné comme le premier ? Ou veut-elle simplement dire par la que le moment de s’en aller est venu ? Cette explication est insuffisante, car en y regardant de près nous voyons que Marie, aussi bien que son fils, ont autre chose en vue. Il est probable que ce qui se passa lors du baptême de Jésus ait ravivé chez Marie le souvenir des promesses faites à son fils. Assurée de la sagesse et de la bonté du Seigneur, sa mère sans prétendre lui indiquer les moyens de mettre fin à cette situation embarrassante, avait le pressentiment qu’il saurait en tirer les convives.
Mais pourquoi repousse-t-il sa confiance par cette parole qui nous semble dure : « Femme, qu’y a-t-il entre moi et toi ? mon heure n’est pas encore venue. » Pourquoi refuse-t-il si énergiquement de faire une chose que, malgré ce refus, il accomplit cependant ? Pour bien comprendre ce discours, remarquons d’abord que ce n’est qu’en apparence qu’il s’y trouve de la dureté et du manque de respect. Celui qui parmi nous dirait « femme » à sa mère, ferait une chose inconvenante ; mais dans la langue originale on se sert même de ce terme pour parler à une reine. S’il n’y a aucun manque de respect dans cette parole, elle n’en est pas moins étrange, parce qu’ici pas plus que du haut de la croix, le Seigneur n’appelle Marie du nom de mère, et que même il va jusqu’à demander : Qu’y a-t-il dans cette chose entre moi et toi ?
Il faut qu’il ait un motif pour refuser dès le premier miracle toute immixtion étrangère. Ici il n’y a plus de place ni pour la requête de la mère ni pour la préoccupation de la femme, qui veut faire surgir une occasion. Les miracles de la vocation, à laquelle je me consacre désormais, n’ont que faire de l’immixtion de qui que ce soit ; c’est là mon affaire, dans laquelle il faut que tu me laisses une entière liberté. C’est le détachement des liens de famille qu’il réclame à cette fête de famille ; c’est dans le cercle d’une maison, et non au milieu du bruit de la place publique, qu’il veut pour la première fois manifester sa gloire, mais il le fait en dessinant nettement sa position. C’est pour cela qu’il attache une telle importance à son heure : mon heure n’est pas encore venue, — mais elle vint un instant après. Ce qui lui importe ce n’est point la différence du temps, mais la personne de qui émane l’impulsion de son œuvre. Il faut que ce soit mon œuvre accomplie à mon heure. Quand ailleurs il est question de son heure, qui n’est pas encore venue, il faut entendre par là l’heure de sa glorification par sa souffrance ; mais ici il parle de sa glorification par l’action, qui, elle aussi, a son temps fixé par le Père. C’est donc l’heure de Dieu qui est la chose importante en cette circonstance et dans la suite ; ce n’est point la pensée de quelque homme, ni même la bienveillance de sa propre mère.
C’est ainsi que Jésus opère sa sainte émancipation, que les paroles, qu’il avait prononcées dans le temple à l’âge de douze ans avaient fait pressentir pour la suite ; il effectue le détachement de sa mère nécessité par son ministère, sans la blesser, chose qui arrive si facilement quand nous-mêmes nous faisons ce pas. Marie n’est ni offensée, ni troublée ; elle accepte sa parole avec une entière humilité ; elle en reconnaît le droit sacré ; elle y puise même un redoublement de confiance, qu’elle exprime à l’égard des serviteurs en leur disant : « Faites tout ce qu’il vous dira. » Elle a compris que tout en ayant l’air de repousser sa demande, en réalité il l’accordait. En l’entendant dire : Mon heure n’est pas encore venue, Marie a reconnu une invitation à la patience, en même temps qu’elle discernait la promesse que cette heure viendrait.
Le Seigneur fait remplir les six vaisseaux de pierre, qui servaient aux purifications des Juifs, c’est-à-dire à laver les mains et les ustensiles, suivant l’ordonnance de leur culte. Ce qui dans nos traductions est rendu par deux ou trois mesures, comme ayant été la capacité de chacun de ces vaisseaux, signifie dans la langue originale une quantité bien plus forte, soit 40 à 60 mesures, ce qui pour les six vaisseaux faisait environ 300 mesures. Le Seigneur entend faire un riche présent de noces, qui ne doit pas être consommé en une fois. Les serviteurs obéissent, et dans l’intervalle qui s’écoule jusqu’à ce qu’ils puisent dans ces vases, le miracle s’accomplit en secret. Le maître d’hôtel l’atteste avec un mélange de sérieux et de gaieté ; toutefois il n’est pas probable que la coutume dont il parle ait été pratiquée par le couple pieux, qui avait invité Jésus à ses noces.
Jésus n’a pas changé l’eau en sang, comme Moïse, mais en vin. Nous avons dit plus haut que ceux qui croient au Seigneur Jésus miraculeusement ressuscité des morts n’ont aucune raison pour douter d’un miracle opéré par lui, parce que c’est un miracle. Sans doute, celui dont nous parlons est un signe particulièrement frappant de sa gloire, un miracle créateur. Il est vrai que tous ont ce caractère, parce que tous impliquent une création nouvelle ; mais cela est surtout le cas de celui-là, attendu qu’il fut opéré dans la création extérieure et non sur la personne d’un homme croyant. Mais déjà saint Augustin dit avec raison : « Dieu fait cela chaque année dans les vignes, en changeant l’eau de la pluie en vin, et nous ne nous en étonnons pas, parce que cela est devenu une chose ordinaire : c’est la même chose que le Seigneur opéra en cette circonstance en un moment et sans vigne. La puissance créatrice qui fait croître le cep, dans lequel la noble liqueur est distillée d’une manière qui nous est inexplicable, cette même puissance est ici mise en œuvre par le Seigneur pour préparer le produit de la vigne sans le moyen de la vigne. »
Mais que veut-il nous dire par là ? Dans le but immédiat de ses actes de puissance, de répondre à un besoin donné, se trouve chaque fois une signification qui fait de l’acte extérieur le signe de ce que Jésus opère dans l’esprit, et qui, par une œuvre actuelle et isolée, promet l’accomplissement à venir le plus complet. Retrouvons-nous ici ce caractère ? Remarquons d’abord que le premier miracle opéré par le Seigneur est précisément celui qui, au lieu de mettre fin à l’épreuve d’une douloureuse maladie, vient en aide à des personnes plongées dans un embarras pénible, qui trouble la joie du festin de noces. C’est que le but suprême de sa venue est de délivrer l’humanité de toutes les peines qui pèsent sur elle. Or la maladie du corps est-elle la seule peine ? Ce qui trouble la joie des noces, symbole terrestre de la communion céleste d’amour et de vie, que le Seigneur est venu établir sur la terre, cela n’est-il pas aussi une véritable peine ? Ne serait-il pas permis à son amour de l’ôter ? C’est ce qu’il fait en opérant son premier miracle, et il le fait si largement qu’il répond à la fois au besoin présent et à venir. Il ne craint pas un abus, car là où l’on ne se borne pas à recevoir ses dons, mais où on l’invite lui-même aux noces, sa présence sanctifie la joie et empêche qu’elle ne dégénère en dissolution.
C’est précisément là le caractère de la nouvelle alliance que le commencement des miracles de Jésus et la première manifestation de sa gloire soit un don abondant, apportant une grande joie, Le Seigneur vient de son propre mouvement au devant de l’homme, et lui apporte les richesses surabondantes de sa grâce gratuite, même au risque de voir l’homme en abuser. Comme on peut abuser du vin de Cana, ainsi le peut-on de la justice et du salut par grâce et de tous les dons du Seigneur. Mais ce n’est point par un légalisme pénible que le Seigneur obvie à cet inconvénient, c’est au contraire en subjuguant les cœurs par l’amour.
Quand on le possède on peut tout à la fois se réjouir et garder la mesure. Dans sa communion il est permis de se réjouir ici-bas ; on ne s’imagine plus servir Dieu d’un air sombre et en se reprochant à soi-même de jouir de plus de biens que d’autres, mais au contraire, on sanctifie tous les dons par la Parole de Dieu, et par la prière. D’un autre côté, on ne demande pas à être affranchi de la discipline intérieure, et l’on se souvient de la recommandation de devenir riche en bonnes œuvres, car le meilleur don qu’il faut conserver avec soin, c’est le Seigneur lui-même et l’esprit joyeux qu’il communique. Il est le véritable époux qui, par amour pour son épouse, qui est l’Eglise, a laissé son Père céleste et vient aussi de se détacher de sa mère terrestre. Il tire de sa plénitude de quoi rassasier et réjouir ses amis pour toute l’éternité, car il nous abreuve aux fleuves de ses délices. Arrière, tristesse ! car mon Jésus, qui est ma gloire et ma joie accomplie, entre chez moi. Voilà le caractère de ce premier signe par lequel les disciples arrivèrent plus pleinement à la foi. Voilà le caractère fondamental de l’Evangile. Jésus-Christ communique et sanctifie toute joie, et il le fera complètement alors qu’avec les siens il boira de nouveau du fruit de la vigne dans le royaume de son Père.
Il s’est montré comme le véritable époux ; mais il faut qu’auparavant il purifie son Eglise. C’est ce qu’il fait, alors qu’après un court séjour à Capernaüm, il commence son œuvre à Jérusalem, lors de la fête de Pâques. Celui qui vient de répandre la joie se montre un juge sévère. A. Cana, il était pour la première fois sorti de l’enceinte cachée de la vie de famille à l’occasion d’une fête de famille ; c’est en purifiant le temple qu’il inaugure son activité parmi le peuple entier.
Que trouva-t-il dans le temple ? Une profanation qu’il nous est difficile de comprendre : le parvis extérieur était occupé par un marché de bœufs, de brebis, de pigeons ; on y entendait le cri des acheteurs, et des vendeurs, et la foule se pressait autour des tables des changeurs. Comment en était-on arrivé là ? C’étaient les bêtes du sacrifice qui, peu à peu, pour la commodité des acheteurs, avaient fait irruption dans le parvis du temple, et c’est au même lieu que les changeurs offraient la facilité d’échanger les monnaies grecques et romaines contre le sicle d’Israël exigé pour payer la contribution du temple. Sous prétexte de favoriser le culte, on avait laissé envahir le sanctuaire par les mugissements et les bêlements des animaux et par l’avarice des usuriers ; on s’était aussi accoutumé, comme Marc le rapporte (Marc 11.16), à traverser le parvis avec des ustensiles divers, uniquement pour abréger le chemin. Quand une fois on commence à sacrifier les saintes convenances à l’égoïsme et à la paresse, à quelle limite s’arrêtera-t-on ? Quand sera-t-on embarrassé d’une excuse ? L’abus était d’autant plus criant que c’était dans le parvis des gentils que s’était installé ce bruyant marché. Les pharisiens n’avaient point d’objection à ce que les bêtes nettes du sacrifice occupassent le lieu réservé au peuple impur des gentils.
Mais le Seigneur en élevait une.
Il s’élève contre cette profanation en s’armant d’un fouet ; ce n’est pas une plainte impuissante mais un acte énergique qui rappelle à l’assemblée réunie pour la fête ce qui est dû à Dieu. Qui osera se plaindre de la violence de cette manière d’agir ? Qui donc, en se faisant l’avocat des sacrificateurs, osera plus qu’ils n’osèrent eux-mêmes à ce moment ? Il y a un conservatisme criminel qui conserve aussi le péché. Par contre, il y a un zèle pour la gloire de Dieu, pour le sérieux de l’adoration, pour le droit des gentils compromis en cette circonstance, qui se légitime par soi-même, malgré ses manifestations. Même dans les temps les plus reculés de l’ancienne alliance, on respectait un zèle de cette espèce chez les héros de la foi, alors même qu’ils n’avaient pas une vocation spéciale. C’est par la puissance d’un tel zèle que Phinées s’était fait un nom. En faisant abstraction de l’impression que la personnalité de Jésus devait nécessairement produire, nous pouvons dire que de nos jours encore il est une sainte colère, sans laquelle nulle véritable charité n’est possible.
Au surplus, quelle délicate attention modère la résolution énergique du Seigneur ! Il les chassa tous du temple, tant les brebis que les bœufs : voilà les termes exactement traduits du récit. Nous voyons donc que c’est par le moyen du fouet qu’il parla aux animaux et par celui de la parole aux hommes. Il chasse ainsi ces animaux, comme s’ils s’étaient égarés dans ce lieu ; les marchands, qui seraient restés sourds aux bonnes raisons suivent leur bétail. Le Seigneur dit à ceux qui vendaient des pigeons de les emporter ; il renverse les tables dressées en vue d’un sordide bénéfice et il en répand la monnaie. Finalement il couronne son œuvre par cette parole : « Ne faites pas un marché de la maison de mon Père. » La maison de mon Père ! Ce qu’il avait reconnu dès son jeune âge, il l’oppose à tout le peuple. C’est par la puissance de son Père qu’il se tient là, et la foule s’incline devant son droit. C’est pourquoi cet homme seul, désarmé, est en état d’accomplir cet acte de puissance, par lequel se manifeste sa majestueuse énergie. La foule respecte ce rabbin ; les marchands s’imaginent peut-être qu’il les expulse par l’ordre des sacrificateurs ; ceux-ci, malgré leur déplaisir, n’osent lui opposer aucune résistance ; ils sentent son droit sacré et la puissance qui est en lui, et qui trouve un allié dans leur propre cœur. C’est qu’en effet la mauvaise conscience est lâche quand une action courageuse s’oppose à elle. C’est par cela qu’il est irrésistible ; aussi le peuple est-il ébranlé, les adversaires sont paralysés, les amis se réjouissent tout en pressentant que le Seigneur vient de commencer un combat qui lui vaudra l’expérience de David : le zèle pour ta maison, ô mon Dieu, me dévore, il consume ma force et me coûtera la vie.
C’est ainsi que le Seigneur a inauguré son activité messianique, et par le signe extérieur de cet acte énergique il annonce que c’est là le but de toute son œuvre de rédemption. Le temple qu’il veut purifier n’est pas seulement le sanctuaire construit de pierres, mais c’est tout Israël et son culte, ce peuple au milieu duquel l’Eternel habite, et qui a tant besoin de la purification du cœur et de la vie. « Le Seigneur que vous cherchez, et l’ange de l’alliance que vous désirez, entrera dans son temple ; voici il vient, a dit l’Eternel des armées, et qui pourra soutenir le jour de sa venue ? Il nettoiera les fils de Lévi ; il les purifiera, comme on purifie l’or et l’argent. » Voilà ce que prophétise Malachie (Malachie 3.1-3) touchant le grand et terrible jour du Seigneur. Quant au Fils de l’Homme, en préludant ainsi à cette venue aux jours de sa chair, il leur a adressé par cet acte cette parole : Si vous ne pouvez subsister devant moi dans mon abaissement, que ferez-vous quand je paraîtrai avec les flammes de mon jugement ?
Les trois autres évangélistes parlent aussi d’une purification du temple, mais non moins clairement que Jean parle de celle par laquelle le Seigneur inaugura son activité messianique, les autres évangélistes comprennent la purification qu’ils racontent, dans le récit de la dernière lutte que le Seigneur engagea contre les sacrificateurs le jour des Rameaux. Pourquoi cette action n’aurait-elle été accomplie que l’une ou l’autre fois ? pourquoi serait-il impossible que le Seigneur ait agi deux fois de la même manière, la première fois pour commencer la réformation, et la seconde fois, après que le scandale se fut de nouveau produit, pour annoncer le jugement aux principaux du peuple, dont l’inimitié était devenue plus complète ? C’est pourquoi le second acte diffère quelque peu du premier. Dans le dernier récit il n’est pas question d’un fouet ; les bœufs aussi et les brebis ne paraissent pas être revenus ; mais la malice des cœurs a augmenté, et c’est pourquoi son discours est plus sévère que la première fois. Il ne dit plus : Ne changez pas en un marché la maison de mon Père ; mais il leur oppose cette parole du prophète Esaïe : « Ma maison, dit l’Eternel, sera appelée une maison de prières pour toutes les nations » (Ésaïe 56.7), et cette autre parole de Jérémie : « Cette maison-ci, sur laquelle mon nom est réclamé, n’est-elle pas devenue comme une caverne de voleurs ? » (Ésaïe 7.11) Une maison de prières pour toutes les nations ! Mais vous, vous leur ravissez le lieu auquel ils ont droit, vous en faites une caverne de voleurs, car on peut aussi tuer dans le temple, ne fût-ce que par un regard ou des paroles méchantes. Quant à eux, ils avaient effectivement résolu de mettre à mort l’Oint de l’Eternel ; celui-ci les reprend et puis il les laisse. Il n’est plus question la seconde fois d’une défense, comme celle dont parle Jean.
Cette défense caractérise à la fois le Seigneur et ses adversaires. L’autorité ecclésiastique avait la charge de veiller à ce qu’aucun faux prophète ne se produisit, et elle abusa de ce droit à l’égard du Seigneur, comme elle l’avait fait à l’égard de Jean-Baptiste. On reconnaît bien le procédé des pharisiens dans cette demande faite au Seigneur de prouver par un signe extérieur son droit d’agir de la sorte ; ce qui eût abouti à accréditer matériellement un acte spirituel qui venait de remuer les consciences. Une fois engagé dans cette voie, on peut critiquer chaque signe, entasser les exigences sans jamais être satisfait. N’ont-ils pas demandé le lendemain de la multiplication des pains : « Quel signe feras-tu afin que nous le voyions et que nous croyions en toi ? » C’est bien ainsi qu’il faut s’y prendre, lorsqu’on veut à dessein éloigner l’impression intérieure.
La réponse du Seigneur est obscure : « Abattez ce temple, et je le relèverai dans trois jours. » Les Juifs lui dirent : « On a été quarante-six ans à bâtir ce temple, et tu le relèveras dans trois jours ? » Ils parlent du temple bâti de pierres, mais Jésus parlait du temple de son corps. Voilà ce que dit Jean, et il ajoute que même les disciples ne comprirent point alors cette parole, mais qu’ils en conservèrent le souvenir comme d’une énigme jusqu’à ce que la lumière se soit faite par la résurrection de Christ.
Mais comment les adversaires pouvaient-ils s’imaginer qu’il parlait du temple construit en pierres ? Nous avens ici un exemple de ces discours du Seigneur, que Jean surtout nous a conservés, où nous voyons les auditeurs comprendre d’une manière charnelle ce qui est spirituel, ce dont le Seigneur profite fréquemment pour manifester dans sa réponse une nouvelle profondeur de connaissance. Mais gardons-nous de croire que le fait d’une intelligence bornée, fût seul à détourner si souvent les adversaires du Seigneur de la saine compréhension de ses discours. La racine de leur incapacité est souvent, et surtout dans le cas qui nous occupe, dans le fond de leur cœur. Sans doute on ne pouvait pas leur demander la pleine intelligence de la pensée du Seigneur, car elle manquait également aux disciples. Mais au lieu de garder cette parole de Jésus et d’y réfléchir dans leurs cœurs, ils lui attribuent par leur répartie un sens qu’ils pouvaient savoir ne pas être le véritable. C’est avec une intention hostile qu’ils reprochent à ce charpentier l’absurde vanterie de relever en trois jours l’œuvre de quarante-six années. Certes ils pouvaient sentir que Jésus n’était pas homme à se targuer ainsi, mais c’est à dessein qu’ils le comprennent mal, pour échapper par une platitude à l’obligation de réfléchir sérieusement.
Ils s’abstiennent pour cette fois d’une nouvelle attaque : mais ils ne parviennent pas à secouer cette parole étrange dont ils se sont moqués. Elle reparaît après des années ; les faux témoins la rafraîchissent. Ces témoins, on ne les a cherchés qu’à la fin, parce qu’il y a déjà assez longtemps que cette parole a été prononcée ; aussi ne se la rappellent-ils pas exactement et leurs témoignages ne s’accordent point. Matthieu la rapporte autrement que Marc, et tous les deux s’écartent du récit de Jean. La calomnie des témoins lui attribue cette parole à la fois présomptueuse et menaçante : Je puis et même je veux détruire le temple de Dieu, qui est fait par la main des hommes ; tandis qu’en réalité il a dit, en parlant du temple de son corps : Détruisez ce temple. A cause de ces contradictions, ils ne parviennent pas à l’inculper par ce témoignage. Cette parole les obsède jusque sous la croix de Jésus. Au moment où ils consomment leur œuvre de destruction, par laquelle ils préparent l’œuvre de réédification annoncée par le Seigneur, ils se moquent de celui qui prétend reconstruire le temple. Même après que le Seigneur a rendu l’esprit, ces trois jours se présentent obstinément à leur pensée, et c’est pour empêcher l’accomplissement de cette parole qu’ils scellent le sépulcre de Jésus et qu’ils le font garder. Ils sont travaillés par cette parole mystérieuse sans pouvoir la comprendre.
L’évangéliste nous en a-t-il donné la véritable explication ? On en a douté parce que, quand le Seigneur parlait dans le parvis du temple de ce temple, les Juifs ne pouvaient penser qu’au sanctuaire de pierre, à moins que Jésus n’eût montré par un geste qu’il parlait de son corps. Or ce geste n’est pas admissible, parce que dans ce cas sa parole n’aurait pas pu rester inintelligible aux Juifs et même aux disciples.
Mais quel a donc été le véritable sens de cette parole ? On soutient que par le mot temple il ait désigné tout le culte de l’ancienne alliance : Continuez de la sorte, profanez le temple jusqu’à ce que vous soyez punis par la destruction de l’édifice et du culte qu’on y offre à Dieu ; quant à moi j’établirai dans le plus court délai le culte en esprit et en vérité. Voilà, dit-on, un sens plausible de ce discours, tandis qu’autrement le Seigneur dirait aux Juifs une parole dure, en leur ordonnant de détruire son corps, et une parole étrange en faisant cette promesse : Je le ressusciterai. Toutefois il dit aussi une autre fois : J’ai le pouvoir de laisser ma vie et j’ai le pouvoir de la reprendre (Jean 10.18) ; car le Père a donné au Fils d’avoir la vie en lui-même (Jean 5.26). Et puis les trois jours dont il parle, nous rappellent irrésistiblement la résurrection.
Mais ne se peut-il pas que sa parole ait trait au temple de pierre, tout en ayant une portée bien plus vaste, que les Juifs auraient pu sentir ? Et pareillement le service du temple ne se lie-t-il pas nécessairement au temple ? Or son sort se décide suivant ce qui arrive au corps de Jésus, qui est le vrai temple. C’est de cette connexion intérieure qu’il parle d’une manière qui n’était pas tout à fait inintelligible aux Juifs, car elle devait tout au moins les arrêter dans leur voie et les stimuler à y réfléchir, bien que d’un autre côté ce ne fût qu’après Pâques que les disciples en purent comprendre le sens complet. Ce sens n’implique nullement un commandement formel de mettre Jésus à mort ; voici au contraire quelle est sa pensée : Détruisez ce temple, comblez la mesure de vos pères (Matthieu 23.32), poussez votre résistance au point de détruire mon corps, ce vrai tabernacle de Dieu au milieu de vous : par ce fait vous aurez aussi détruit votre temple qui sera désormais inutile ; aussi le jugement le renversera-t-il et mettra-t-il fin à votre culte. Mais moi je rebâtirai le vrai temple, dans lequel Dieu est adoré en esprit et eu vérité ; je le ferai dans trois jours, et par la réédification du temple de Dieu qui est mon corps, j’établirai le temple de Dieu qui est mon Eglise (1 Corinthiens 3.16), ce grand corps dont je suis la tête (1 Corinthiens 12).
C’est là la réponse frappante a cette question : De quel droit purifies-tu le temple ? par quel signe prouves-tu ce droit ? Jésus répond : Je vous donnerai le signe du prophète Jonas ; attendez et vous me verrez faire une chose plus grande que de nettoyer l’ancien temple ; vous me verrez établir le temple nouveau et vivant. Et vous-mêmes vous participerez à cette œuvre, car votre résistance atteignant son point culminant, sera le moyen par lequel le nouvel édifice sera construit.
Ils ne le comprennent pas, mais ils n’osent quant à présent, rien entreprendre contre lui. Quant à lui il fait des signes et des miracles et beaucoup croient en lui. Il sait toutefois combien peu l’on peut se confier à une foi superficielle car il sait quels replis recèle le cœur de chaque homme. Il les sonde et il considère leurs cœurs. Ne voyons-nous pas en Nicodème, dans la Samaritaine et dans le seigneur de la cour trois exemples admirables de la manière dont il éprouve les esprits, ainsi que de cet art consommé que nous lui connaissons déjà, de traiter chacun selon ses besoins ?
Comment pourrons-nous parler convenablement de l’entretien du Seigneur avec Nicodème sans nous étendre longuement ? Il pénètre si avant dans les cœurs et dans le conseil de Dieu, que nous ne cessons d’y revenir, sans jamais l’épuiser.
Nicodème est un visiteur auquel le Seigneur s’ouvre, parce qu’il vient avec un esprit de sincère recherche. Après les disciples, Nicodème est le premier exemple de ceux qui arrivent à croire au Seigneur Jésus. Sans doute cette foi est encore faible et timide ; elle s’appuie principalement sur les miracles ; dans son cœur la recherche de Dieu et la gloire de ce monde se livrent un combat dont l’issue est incertaine. Ce n’est pas à nous de te juger ; nous devons plutôt nous incliner devant cet homme haut placé qui vient auprès du charpentier galiléen, devant ce pharisien, l’un des principaux Juifs, ce docteur et ce membre du sanhédrin, ce vieillard respectable qui ne dédaigne pas de visiter ce jeune rabbin qui déjà s’est attiré la colère des autorités. Il vient malgré cela, mais il vient de nuit, et le Seigneur est aussi prêt de nuit à ranimer l’étincelle de cette foi naissante.
Il est vrai que les paroles de Nicodème trahissent les ténèbres qui sont encore dans son cœur. Maître, nous savons que tu es un docteur venu de la part de Dieu : voilà l’hommage qu’il rend à Jésus et il semble presque vouloir en même temps l’assurer de sa bienveillance et de sa faveur. Il ne sait rien dire de plus de Jésus, sinon qu’il est un docteur, et dans les miracles du Seigneur, Nicodème voit la preuve que Dieu est avec lui. Nicodème parle maladroitement des choses spirituelles. Le Seigneur lui donne une réponse qui ne semble pas en être une : « En vérité, en vérité, je te le dis, que si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu. » C’est ainsi que le Seigneur coupe brusquement court à ces témoignages de politesse ; d’un coup il enlève Nicodème de la sphère de sa propre science, et le met en demeure d’écouter cette vérité vivante, qu’au fond il recherchait. Le royaume de Dieu ! voilà l’essentiel. Il ne lui explique pas en quoi ce royaume consiste. Y entreras-tu ? voilà la question. Qu’importe ta science, si tu ignores cela ? Comment peux-tu connaître ce royaume, si tu ne le possèdes ? Or qui le possède et qui peut le voir, sinon celui qui est né d’en haut ou de nouveau ?
Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? peut-il retourner dans le sein de sa mère ? Ainsi répond Nicodème et nous nous demandons s’il est possible que Nicodème soit déraisonnable au point de ne pas s’apercevoir que Jésus ne parlait pas de telles impossibilités physiques ? Il devait nécessairement sentir que ce n’était pas là le sens des paroles de Jésus ; mais cela ne lui donnait ni la connaissance ni la possession de ce que Jésus avait en vue. Il pouvait savoir ce que la parole prophétique dit du cœur nouveau et de l’esprit nouveau, il pouvait se souvenir qu’en Israël on appelait des prosélytes d’entre les gentils des enfants nouvellement nés. Mais cela ne le mettait pas encore au fait de l’essence de la régénération. C’est qu’en effet la régénération n’est pas une chose avec laquelle on puisse se familiariser par une connaissance extérieure. Il faut que le vénérable docteur aussi bien que le moindre païen soit régénéré ; Nicodème s’aperçoit que c’est là ce que Jésus lui demande, et il en est un peu blessé. Tu ne vas pas prétendre que je doive rentrer dans le ventre de ma mère ? Je ne sais ce que tu dis !
Mais le Seigneur, suivant sa coutume en pareil cas, lui répète la même chose avec des paroles plus fortes, en ajoutant toutefois que c’est d’eau et d’esprit qu’il faut qu’un homme naisse pour entrer dans le royaume de Dieu. Ne sais-tu pas ce que dit Ezéchiel : « Je répandrai sur vous des eaux pures ? » (ch. 36) Oublies-tu ce que dit et ce que fait Jean-Baptiste à tous ceux qui viennent à lui ? Ne te souviens-tu pas de cette prophétie de Joël : « Je répandrai mon Esprit sur toute chair » (Joël 3.1) — et de cette parole de Jean : « Celui qui vient après moi est plus grand que moi, et il baptisera du Saint-Esprit et de feu ? » Il faut que vous cherchiez la purification et alors l’Esprit vous vivifiera. Sinon vous restez chair, nés de la chair, quand même vos, œuvres auraient la plus belle apparence. Ne sois point surpris de cela ! L’Esprit est semblable au vent (c’est le même mot en grec et en hébreu). Ne vois-tu pas dans la création extérieure bien des choses dont tu ne connais ni le commencement ni la fin ? Elles n’en sont pas moins là et tu t’aperçois de leur présence. C’est ainsi que le vent souffle avec puissance ; tu connais sa direction ; tu entends sa voix, mais tu ignores à la fois son origine et le but où il s’arrête. Voilà aussi la nature de l’Esprit et de quiconque est né de lui ; abandonne-toi à sa puissance.
Nicodème lui dit : Comment ces choses se peuvent-elles faire ? Ce n’est pas qu’il ignore complètement ce souffle de l’Esprit ; il sent au contraire que cet esprit lui manque et il voudrait le posséder, mais, lié par une habitude invétérée de son intelligence tenace, il ne trouve pas d’autre expression que celle-ci : Si seulement je pouvais le comprendre ! Et Jésus lui répond : Tu es un docteur en Israël, et tu ne sais pas ces choses ! Pourquoi donc n’avez-vous pas confiance en nous qui parlons par l’Esprit ? Pourquoi ne croyez-vous pas à celui qui est descendu, afin d’être élevé, comme Moïse éleva le serpent dans le désert ? Cette hideuse image du péché, de son auteur et de son salaire empoisonné, qui par la grâce admirable de Dieu fut transformée en un signe de victoire et en un remède salutaire, nous est donnée ici comme un type du Sauveur, qui dans la forme de notre race de vipères, et rangé parmi les malfaiteurs, a été fait pour tous péché et malédiction, afin que quiconque le contemple obtienne par sa foi la vie éternelle. Tout cela émane de l’amour du Père ; son Fils unique ne veut pas condamner le monde, mais il veut le sauver. Ceux qui ne veulent pas venir à la lumière, parce qu’ils lui préfèrent les ténèbres, ceux-là, par leur incrédulité, ont choisi la mauvaise part, et se sont condamnés eux-mêmes. Mais toi, Nicodème, agis selon la vérité ; viens à la lumière, et tu arriveras à la nouvelle naissance et à la vie éternelle. Voilà comment ces choses peuvent se faire.
Nicodème a écouté en silence ces importantes paroles. Quel effet ont-elles produit sur son cœur ? Le récit se tait là-dessus et dans ce silence il y a une vérité profonde. Que de fois nous nous en allons, incapables de prendre une résolution immédiate ! Que nos convictions sont lentes à mûrir ! Là même où peut-être nous résistions en contredisant, un hameçon a été enfoncé dans notre cœur, par lequel nous sommes insensiblement attirés. Un ébranlement profond et durable vaut mieux qu’une prompte adhésion. C’est ainsi que s’en va Nicodème. Plus tard, quand ses collègues maudirent Jésus, il fit cette confession timide, mais bonne malgré cela : Notre loi condamne-t-elle un homme sans l’avoir ouï auparavant et sans s’être informé de ce qu’il a fait (Jean 7.50-51) ? et Nicodème se fortifia en supportant les insultes de ses collègues. Sa foi mûrit jusqu’à ce qu’elle fût trouvée de bon aloi dans le feu de l’affliction, et que, mieux trempée que celle de ces principaux, qui aimaient mieux la gloire qui vient des hommes que la gloire de Dieu (Jean 12.43), elle se montrât pleinement sous l’opprobre de la croix (Jean 19.39). Nicodème ne fut pas brusquement converti comme le pharisien Saul, mais lentement élevé par la longanimité de son Dieu. Qui est assez reconnaissant envers le Seigneur, lorsque sa patiente fidélité nous ménage les moyens d’arriver à la lumière même lentement et tardivement ?
Le Seigneur, après avoir exercé pendant quelque temps son ministère simultanément avec Jean-Baptiste, apprend qu’il a été rapporté aux pharisiens qu’il fait beaucoup plus de disciples que son précurseur. Cela le décide à quitter la Judée. C’est probablement à cette époque que Jean fut jeté en prison par Hérode (Matthieu 4.12). Or les pharisiens, en apprenant cela, pouvaient être tentés d’en faire autant à l’égard du Seigneur. S’ils avaient déjà vu de mauvais œil Jean-Baptiste, ils devaient haïr bien davantage Jésus, qui menaçait bien plus encore de détacher d’eux leurs adhérents. Pour empêcher qu’ils ne fissent une tentative semblable contre lui, il se retira dans la Galilée, et pour s’y rendre, il traversa la Samarie. Lui, qui avait dit à ses disciples de n’entrer dans aucune ville des Samaritains (Matthieu 10.5), n’avait non plus l’intention de s’y arrêter. Il se décida toutefois à y demeurer deux jours, après en avoir été prié. Nous connaissons les motif de cette limitation de son activité terrestre.
Nous avons aussi parlé précédemment (dans la cinquième leçon) de la foi des Samaritains. L’histoire de la femme samaritaine en est un exemple remarquable. En traversant la Samarie, Jésus arriva à une petite ville nommée Sychar, qui est près de la possession que Jacob avait donnée à Joseph, son fils. C’est là que Joseph avait été enseveli, et qu’était le puits de Jacob. Le nom de Sychar au lieu de Sichem est surprenant ; il ne constitue pas une altération insultante du nom, moyennant laquelle on désignerait Sichem comme une ville de mensonge ou d’ivrognerie, ainsi qu’on l’a supposé. Il est au contraire probable que Sychar était un petit endroit près de l’ancienne Sichem, appelé fréquemment Suchar dans le Talmud, et en langue arabe Ascar, ce qui veut dire : la chose achetée, et désignerait cette terre achetée et consacrée à un lieu de sépulture. C’est là que le Seigneur arrive, et tandis que les disciples s’en vont acheter des vivres, lui, fatigué, s’assied près du puits. Il était midi, et Jésus put d’autant mieux avoir un entretien solitaire avec cette femme, que cette heure n’était point celle à laquelle on venait ordinairement puiser de l’eau.
Qu’il s’entend bien à rattacher l’entretien le plus profond à la parole la plus simple ! Combien chaque visite, même inattendue, lui est bienvenue ! Le docte et honnête pharisien, cette femme enlacée dans les liens du péché et appartenant à un peuple à demi païen, il les embrasse l’un et l’autre dans un même amour. Ni le repos de la nuit, ni la fatigue du voyage ne sont un empêchement pour lui. C’est aux besoins des âmes qu’il rattache ses paroles, et c’est le plus naturellement du monde qu’il passe d’une simple demande aux paroles de la vérité divine. Ici nous pouvons voir ce que c’est que vivre dans son ministère. La grande et incessante préoccupation qui le pénètre, c’est de s’offrir aux pécheurs comme le don de Dieu apportant la vie éternelle. Son cœur est ouvert à tous ceux qu’il rencontre, et voilà pourquoi il trouve le chemin de chaque cœur non endurci.
Sa première parole exprime son besoin. Fatigué et altéré, participant à notre faiblesse pour nous rendre participants de sa force, il dit à la femme : « Donne-moi à boire. » Il demande de l’eau, mais en même temps il a un désir plus profond. Il salue cette femme qui ne l’a point salué, et il l’éprouve comme Eliéser éprouva Rébecca. C’est qu’il a soif de chaque âme, afin de lui offrir sa vie ; cet homme altéré est consumé du désir de devenir pour cette pécheresse une source d’eau vive.
Mais la première parole de cette Samaritaine n’a pas de quoi réjouir le cœur de Jésus. Elle a reconnu le Juif à son costume ou à son langage, et sans lui donner ce qu’il demande, elle dit, non sans un peu de raillerie : « Comment se fait-il que cet homme juif demande à boire à la femme samaritaine ? » Il supporte patiemment ce manque d’intelligence et de bonté. Il a supporté bien autre chose. « Si tu connaissais le don de Dieu et celui qui te demande ; si tu comprenais quel don excellent Dieu t’offre par moi, tu me prierais, moi, de te donner de l’eau vive. » C’est ainsi qu’il veut réveiller son désir. L’eau vive peut signifier l’eau de source par opposition à celle d’un puits. Mais le Seigneur parle de l’eau vive de l’Esprit, de celle qui découle de la vie éternelle. La femme le peut-elle comprendre ? Cette parole, pas plus que celle de la réédification du temple ou de la nouvelle naissance ne pouvait être comprise par celui qui l’entendait pour la première fois. Mais cette femme, bien qu’absorbée par les choses terrestres, pouvait au moins s’apercevoir que le Seigneur lui donnait à deviner une énigme. Elle aurait pu et dû comprendre que le Seigneur était à même de lui donner quelque chose de grand, dépassant l’intelligence et le sens ordinaires. Elle pouvait essayer de s’élever sur cette échelle d’une similitude terrestre en faisant une question sensée. Mais elle répond d’une manière déraisonnable. « Tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond. » — Il a 105 pieds de profondeur au dire des voyageurs. — « D’où prendrais-tu cette eau vive ? Prétends-tu être plus grand que notre père Jacob ? » Cette Samaritaine, malgré sa vie déréglée, se targue de sa descendance de Jacob, et elle se vante de ce que c’est ce patriarche qui leur a donné ce puits, après en avoir bu lui-même aussi bien que ses enfants et ses troupeaux. Elle se trahit par cette dernière parole, car l’eau qui sert à la fois aux hommes et aux bêtes pourrait-elle être la vraie eau donnant la vie véritable ? Mais le monde ne veut pas souffrir qu’on déprécie ses grands biens, alors même qu’ils ne servent qu’à la vie animale.
Mais le Seigneur, sans rien ôter à Jacob, oppose à cette eau, qui n’étanche que momentanément la soif, la véritable eau vivante, qui apaise réellement la soif de l’âme, la source qui, après avoir été tirée par la verge de la foi du rocher de notre cœur, coule dans la vie éternelle. « Seigneur, donne-moi cette eau ! » dit-elle. Un sentiment irrésistible de confiance en cet étranger étonnant s’est emparé d’elle ; mais dans la confusion de ses vieilles pensées charnelles, la curiosité, le désir et le doute s’entre-choquent ; ne pouvant s’élever encore au-dessus des biens terrestres, que lui représente son imagination, elle se figure qu’il est question de je ne sais quel merveilleux trésor magique ; oh ! la belle chose si j’étais désormais dispensée de me fatiguer pour venir puiser de l’eau ! Comment feras-tu cela ?
Elle va l’apprendre. « Va et appelle ton mari. » Par cette parole le scrutateur des cœurs fait vibrer une corde nouvelle qui résonne tristement. Dans sa confusion, la femme répond : « Je n’ai pas de mari. » Mais le Seigneur ne la lâche pas, et en peu de mots, sans dire plus que ce qui est indispensable, il lui découvre sa conduite : « Tu as dit vrai, car tu as eu cinq maris, et celui que tu as maintenant n’est point ton mari. » Quelles voies charnelles, quels divorces accomplis avec légèreté, quelle dégradation encore plus profonde est indiquée par là. C’est par ce nouveau côté qu’il l’attaque, parce que ce n’est qu’ainsi que sa connaissance peut être ouverte. Nulle âme ne désire avec une entière sincérité l’eau de la vie éternelle, tant qu’elle n’a pas été divinement convaincue de son péché.
Elle s’avoue vaincue. Ou ne serait-ce qu’une diversion prompte et adroite qui lui ferait demander au prophète le lieu où il faut adorer ? Nous connaissons ces échappatoires et ce pieux parlage par le moyen duquel on tâche de détourner un entretien gênant. Mais telles ne sont pas les paroles de cette femme, à en juger par la réponse que lui fait le Seigneur. Il la traite en âme sérieuse, et elle l’est en effet. « Je vois que tu es un prophète ! » Cette parole implique sa confession franche et sans réserve. Elle ne nie rien ; mais doit-elle remuer cette fange ? Cela ne vaudrait rien, et ne montrerait pas un repentir plus profond que sa brève confession. Arrivée à la repentance, elle voudrait invoquer Dieu. Notre culte à Garizim ne serait-il pas le véritable ? Loin de railler ce Juif, son âme a soif du culte véritable qui lui manque. — Devrais-je peut-être venir chez vous ? Seulement, dans sa maladresse, qui rappelle celle de Nicodème, elle s’enquiert du lieu de l’adoration, au lieu de s’enquérir de l’adoration elle-même.
Mais le Seigneur, tout en affirmant que le salut vient des Juifs, lui montre quelque chose de plus grand en lui parlant de l’adoration en esprit et en vérité, et en lui montrant les vrais adorateurs, n’ayant plus besoin de venir à la montagne de Garizim, ni même à Jérusalem. Cette vérité profonde, il ne la regarde pas comme trop élevée pour en parler à cette femme sans culture, dont le cœur s’est ouvert et tressaille à l’ouïe de ces paroles. L’obscure lueur d’espérance messianique, qu’elle a conservée dès sa jeunesse comme un capital mort, se réveille à cette heure solennelle. Un pressentiment et un désir surgissent en elle ; ce docteur qu’attendaient les Samaritains, elle le réclame. Le Messie seul peut bien annoncer ces choses ! Elle dit annoncer pour donner. Il semble qu’elle devine, et qu’elle se demande : Quoi ? cet étranger serait-il ? — C’est moi, dit le Seigneur, en se faisant connaître comme le Messie à cette pécheresse repentante. Elle prouve incontinent le sérieux de son amendement quand, dérangée par la venue des disciples, elle laisse là sa cruche et s’en va en toute hâte annoncer à ses compatriotes le salut qu’elle a trouvé. Il m’a dit tout ce que j’ai fait ! Voilà le témoignage qu’elle lui rend en leur présence ; et cependant il en avait dit si peu de chose ; mais la conscience de cette femme avait entendu plus que les paroles que Jésus avait prononcées, et tout son être porte le sceau d’une puissante transformation.
Quant au Seigneur, qui dans sa grande joie avait oublié de manger et de boire, il considère en esprit combien sa moisson diffère de celle des campagnes environnantes. Pour lui, il ne s’agit pas d’attendre quatre mois, car à peine a-t-il semé que déjà les épis mûrissent. L’expression « blanche pour la moisson » n’a pas dans nos contrées la vérité littérale qu’elle a en Palestine, où le grain, dans sa complète maturité, a une couleur beaucoup plus pâle que chez nous. Le Seigneur voit la moisson blanche ; il voit venir ces troupes de Samaritains qui suivent l’appel de cette femme, et qui ne sont que les prémices de la moisson des apôtres en Samarie et dans le monde entier. Voilà la joie qu’il trouve parmi ces Samaritains, qui le retiennent deux jours au milieu d’eux, et qui croient en lui, non à cause de quelque miracle extérieur, ou de ce que la femme leur avait dit de lui, mais qui, pour l’avoir entendu eux-mêmes, savent qu’il est véritablement le Christ, le Sauveur du monde.
Ce grand art du Seigneur d’élever les hommes par degrés à cette foi, nous le voyons surtout par un troisième exemple, à l’occasion de l’autre miracle opéré par Jésus à Cana ; nous le voyons dans la rencontre du Sauveur avec ce seigneur de la cour d’Hérode, dont le fils était mortellement malade de la fièvre à Capernaüm. Cet homme juif est complètement distinct de ce centenier romain, dont le serviteur était mortellement malade de la paralysie dans la même ville de Capernaüm, et chez lequel, bien qu’il fût païen, le Seigneur trouva une foi comme il n’en avait pas trouvé en Israël. Au contraire, à ce seigneur de la cour, bien qu’il soit un père affligé, il faut que tout d’abord Jésus adresse cette parole de blâme, touchant sa foi et celle de ses compatriotes : Si vous ne voyez pas de miracles qui étonnent et des signes frappants, vous ne croyez pas. Vous, Galiléens, vous avez une foi qui s’arrête quand elle ne voit pas de miracles. Or, une telle foi n’est point la foi véritable.
Pourquoi ce reproche sévère à ce malheureux qui cherche du secours ? Parce qu’il en a besoin : c’est ce dont nous sommes assurés de la part du Seigneur Jésus. Il voile sa gloire pour pouvoir d’autant mieux la manifester. En effet, il ne dit point : Je ne le ferai pas, aussi peu que précédemment il a opposé un refus à sa mère ; mais il faut qu’une apparence de refus fraye le chemin à l’exaucement, pour que cet homme reçoive le véritable secours. Sans cette parole pénétrante, cet homme haut placé ne serait pas arrivé à la foi véritable et solide. C’était, à la vérité, un bon commencement que ce cœur angoissé d’un père au sujet de son enfant ; toutefois, ce seigneur ne vint pas auprès du charpentier dans un esprit autre que celui dans lequel on recherche un médecin réputé par ses cures merveilleuses. Sans cette parole de reproche, il aurait obtenu la guérison de son enfant, mais sans arriver en même temps au renouvellement du cœur. Le besoin l’avait poussé à prier ; mais le Seigneur seul enseigne à prier véritablement dans le besoin.
Le père angoissé accepte cette réponse sans se laisser irriter ni troubler ; il persévère dans la prière et il tient bon dans cette nouvelle épreuve, alors que d’une part le Seigneur l’exauce au delà de sa demande en même temps qu’il lui demande de croire sans voir. Va ! ton fils vit. Et voyez comme sa foi a grandi à l’école du Seigneur : il croit sur parole sans voir. Il ne faut donc plus dire : Quand vous voyez, c’est alors que vous croyez ; mais, au contraire : Celui qui croit verra. Il consent à ce que le Seigneur lui refuse sa présence visible, tout en promettant d’opérer la guérison.
Cette foi à la parole du Seigneur le conduit avec toute sa maison à une foi mûrie et ferme en la personne de celui qui est le vrai Sauveur, non seulement du corps, mais surtout de l’âme.
Laissez-moi vous rappeler ici que, parmi les femmes pieuses qui accompagnaient le Seigneur et qui l’assistaient de leurs biens, Luc nomme aussi une Jeanne, femme de Chuzas, intendant d’Hérode (Luc 8.3). Il est vrai que nous ne sommes pas à même de décider si ce Chuzas est identique avec ce père angoissé et réjoui.
Avec quelle admirable patience le Seigneur ne traite-t-il pas chaque âme suivant ses besoins ! Avec quel art et quelle persévérance n’amène-t-il pas à la foi ce docte pharisien, qui ne se laisse aller qu’avec une prudente lenteur à l’impulsion de l’Esprit ; cette pécheresse samaritaine, dont la foi éclôt rapidement, parce qu’une fleur est plus tôt plantée qu’un arbre ; enfin, cet homme qui vit dans la sphère du pouvoir temporel, qui se laisse humilier par une dureté apparente, et qui passe du monde au Seigneur. Oui, le Seigneur sait ce qui est dans l’homme. Bienheureux tous les hommes qui savent ce qui est en lui.
J’ai essayé, dans la seconde et dans la troisième leçon, d’exposer le but et le plan de chacun des quatre évangélistes ; par contre, notre tâche consiste à présent à essayer dans quelle mesure nous parviendrons à relier et à agencer les faits historiques que nous donnent ces quatre sources. C’est là en même temps une continuation de l’investigation chronologique à laquelle nous avons consacré l’Appendice à la sixième leçon. Cette tâche, quand nous la comparons au but le plus élevé d’une histoire de la vie de Jésus, n’a qu’une importance secondaire ; toutefois, elle n’est pas à mépriser, en tant qu’il importe pour la certitude de la réalité historique, que l’on puisse montrer au moins avec une sûreté approximative la succession chronologique des événements. En outre, l’élucidation de la manière dont le récit d’un évangéliste cadre avec celui de l’autre peut contribuer à les éclairer réciproquement. Seulement, dans plusieurs cas, les motifs décisifs nous font défaut pour un pareil agencement, et nous sommes réduits, à défaut d’une complète certitude, à nous contenter de probabilités plus ou moins plausibles.
C’est aussi pour cette raison que les essais tentés dans ce domaine offrent au premier coup d’œil une grande diversité. Mais celui qui se livre à un examen plus approfondi trouve bien des points communs au milieu de ces divergences. Au moins peut-on agencer des groupes d’actions et de discours avec une assez grande certitude, et c’est surtout quant à l’époque plus ou moins avancée ou reculée de l’un ou l’autre de ces groupes, que les interprètes diffèrent. Ebrard, dans sa Critique scientifique de l’Histoire évangélique (2e édit. Erlangen, 1850), donne (p. 45) un aperçu de ces divers essais, et (p. 65) il expose les principes qui l’ont guidé lui-même. En théorie, ils sont excellents ; mais, dans leur application, il est impossible d’éviter une certaine liberté, allant parfois jusqu’à l’indécision. C’est souvent une affaire de sentiment ou de tact, que d’admettre quelque part un joint où l’on peut intercaler autre chose, ou de retenir ailleurs plus sévèrement la connexion de manière à ne rien pouvoir intercaler dans le récit.
Comme exemple d’une autre difficulté, je citerai Matthieu 12.9 ; si nous n’avions d’autre récit de cet événement que celui de Matthieu, chacun admettrait que la guérison de la main sèche a eu lieu en ce même jour de sabbat, dans lequel les disciples arrachèrent d’abord des épis. Mais Luc, qui raconte avec plus de précision que Matthieu, dit expressément que cette guérison a été opérée un autre sabbat (Luc 6.6). De même, Matthieu raconte la purification du temple comme si elle avait été faite le jour de l’entrée du Seigneur à Jérusalem ; la malédiction du figuier et l’entretien dont cet acte fut l’objet se seraient passés dans la matinée du lendemain (Matthieu 21.12, 18-22). Mais Marc, plus exact dans les choses extérieures, dit que l’arbre fut maudit dans la matinée qui suivit l’entrée de Jésus dans Jérusalem ; après cela, le Seigneur chassa les vendeurs du temple, et ce n’est que le lendemain qu’eut lieu la conversation relative au figuier maudit (Marc 11.11-16, 19 et suiv.). Cela ne doit-il pas nous apprendre à ne pas attacher trop d’importance à la succession chronologique, et à traiter avec une certaine liberté les indications que les évangélistes nous fournissent à cet égard ? Après tout, chaque interprète agit ainsi, en sorte que celui qui a posé les règles les plus sévères, leur devient infidèle en mainte occasion. C’est ainsi que le terme de transition employé par Luc (Luc 11.37) est identiquement égal à celui que nous trouvons chez Matthieu (Matthieu 9.18). Malgré cela, Ebrard voit, dans le premier, quelque chose de relâché et d’approximatif, tandis qu’il attribue au second une portée précise et immédiate. Qu’en faut-il conclure, sinon que même, pour l’application des meilleures règles, il faut nous réserver une certaine liberté ?
Nous avons déjà fait remarquer que ce principe s’applique aussi à la déclaration de Luc (Luc 1.3), qu’il veut tout raconter par ordre. Or, c’est chez cet évangéliste que nous trouvons le plus fréquemment les formules de transition les plus générales et les moins précises ; et ceux même d’entre les savants qui, à cause de cette déclaration, sont d’avis que la succession des récits de Luc est à considérer comme strictement chronologique, ainsi que le fait Wieseler entre autres, ne peuvent pas éviter de voir parfois une connexion de faits de même nature remplaçant l’ordre chronologique. La promesse de Luc de raconter « par ordre » ne va donc nullement jusqu’à empêcher cet évangéliste de raconter une histoire par anticipation ou de faire précéder un fait antérieur par un fait postérieur.
La manière mécanique d’André Osiander, qui attachait la plus grande importance à la succession chronologique, peut être considérée aujourd’hui comme abandonnée. Nous ne parlerons aujourd’hui que du mode plus libre de Calvin, de Chemnitz et de Bengel. Outre les ouvrages déjà souvent cités d’Ebrard, de Wieseler, de Lichtenstein, et sans vouloir reléguer dans l’ombre d’autres travaux que je passe sous silence, je mentionnerai encore ce qui a été fait en cette matière par Stierc, par Krafft et par Tischendorf. Je me borne à ces indications destinées à ceux qui voudraient approfondir cette matière.
c – Dans la préface du IIIe et du VIe vol. de ses Discours du Seigneur Jésus.
Pour rechercher la succession des faits, il nous faut nous appuyer sur Jean, qui dessine le plus distinctement les lignes principales des événements tels qu’ils se suivent. Bientôt après son baptême, Jésus retourne en Galilée, où il opère son premier miracle à Cana (Jean 2.1,11). Ensuite il séjourne un peu de temps à Capernaüm (v. 12) jusqu’à la première fête de Pâques, pendant laquelle il purifie le temple (v. 13). De là il se rend en Judée (Jean 3.22), où ses disciples baptisent (Jean 4.2) avant que Jean n’ait été mis en prison (Jean 3.24). Les Pharisiens l’observent et il se rend en Galilée (Jean 4.1-3) ; c’est pendant ce voyage qu’il dit qu’il y a encore quatre mois jusqu’à la moisson (v. 35) ; puis il retourne à Cana (v. 46), où il opère, après son second retour de Judée, son deuxième miracle galiléen (v. 54). A la fête de Jérusalem il avait pareillement fait des miracles (Jean 2.23 ; 4.45). Après cela vient, sans que l’époque soit précisée, cette fête à laquelle Jésus guérit le malade de Béthesda (Jean 5.1). Ensuite, sans qu’il soit dit combien de temps s’était écoulé, Jésus traverse le lac de Tibériade et il nourrit 5 000 hommes (Jean 6.1). Puis il séjourne en Galilée jusqu’à la fête des tabernacles, car il évite Jérusalem où on en veut à sa vie (Jean 7.1). Il se rend alors à la fête, mais non pas publiquement (Jean 7.10), et il reste à Jérusalem jusqu’après la guérison de l’aveugle-né (Jean 10.21). La fête de la Dédicace (Jean 10.22) a lieu quelques mois plus tard, et il ne nous est pas dit où il séjourna dans l’intervalle. S’il est écrit au Jean 10.40 : Il s’en alla de nouveau au delà du Jourdain, c’est-à-dire en Pérée, il n’en résulte pas qu’il ait été là avant la fête de la Dédicace ; le terme « de nouveau » rappelle au contraire son précédent séjour en ce lieu au temps de Jean-Baptiste (Jean 1.28). De là il se rend à Béthanie pour ressusciter Lazare (Jean 11.7 et suiv.) ; de Béthanie il se retire à Ephraïm, sur les confins du désert (Jean 11.54) ; six jours avant la dernière Pâque il est de nouveau à Béthanie, où on lui prépare un repas (Jean 12.1).
Dans ce cadre, donné par Jean, comment disposerons-nous la matière fournie par les trois autres évangélistes ? Il faut qu’avant tout nous cherchions à obtenir quelques points fixes. Avec Jean 6, coïncident Matthieu 14, Marc 6, Luc 9, car les quatre évangélistes racontent la même multiplication des pains pour nourrir cinq mille hommes, et même trois d’entre eux (Luc seul fait exception) la font suivre immédiatement de la marche de Jésus sur le lac de Génézareth. Voilà donc un même point final. Mais le commencement de cette période peut-il être déterminé avec autant de certitude. Nous voyons bien qu’en Matthieu 4.12 ; Marc 1.14 ; Luc 4.14, il est question d’un retour de Jésus en Galilée ; mais laquelle des trois indications de Jean doit être réunie aux trois autres ? Ce sera là notre première question. Notre seconde investigation aura pour objet l’ordre intérieur de la partie de l’évangile de Matthieu qui va du ch. 4 au ch. 14. Notre troisième tâche consistera à comparer les chapitres 15 à 20 de Matthieu, et les parties correspondantes de Marc et de Luc avec Jean ch. 7 à 11.
Nous demandons d’abord : Avec quelle indication de Jean coïncide ce retour de Jésus en Galilée dont parlent les trois autres évangélistes ? L’assertion de Jean, aux termes de laquelle Jean-Baptiste n’avait pas encore été mis en prison après cette fête de Pâque, après laquelle le Seigneur purifia le temple (Jean 3.24), cette assertion ne nous permet pas de faire coïncider Matthieu 4.12 avec Jean 2.1 et suiv. Ce qui d’autre part pouvait nous y engager sera l’objet d’un examen ultérieur. Nous voyons plutôt que les trois premiers évangélistes passent sous silence ce commencement de l’activité de Jésus-Christ en Judée, et indiquent comme son début ce qu’il fit plus tard dans les synagogues de la Galilée. C’est qu’à l’époque où le Seigneur baptisait en Judée, Matthieu n’était pas encore devenu son disciple. C’est donc tout au plus avec ce retour à travers la Samarie, raconté par Jean dans son ch. 4, qu’on peut réunir Matthieu 4.12 (Marc et Luc).
Quelques savants, par exemple Wieseler et Lichtenstein, ont entrepris de placer le commencement de la prédication en Galilée après la guérison du malade de Béthesda, c’est-à-dire après le ch. 5 de Jean. J’estime qu’ils l’ont fait sans motif et au prix de sérieux inconvénients. Sans motif ; car je ne saurais admettre que ce qui est dit Jean 4.1, présuppose la continuation de l’activité de Jean-Baptiste. On pouvait fort bien comparer l’activité de Jésus avec celle de Jean, alors même que celui-ci n’était plus libre. J’accorde que Jean ne dit pas que Jésus se soit retiré à cause de l’hostilité des pharisiens ; il en est de ceci comme de cette autre résolution de mettre Jésus à mort à cause de la résurrection de Lazare, motif mentionné seulement par Jean et passé sous silence par les autres évangélistes. Ce sera donc aussi le cas ici de combiner le motif énoncé par Matthieu avec celui que Jean indique.
Ce but pourra être atteint d’une manière qui se recommande mieux que l’interprétation artificielle de Lichtenstein. Celui-ci est d’avis que Jésus se retira, parce que des adversaires haineux rapetissaient Jean, et que le Seigneur ne voulait point porter préjudice à l’activité du Précurseur. Parce que les ennemis parlaient de l’activité de Jésus comme dérangeant l’œuvre de Jean-Baptiste, le Seigneur se serait retiré dans la solitude pour y attendre un nouvel appel de son Père, afin que l’œuvre de Jean et de Jésus ne fût pas étouffée en germe, ce qui serait arrivé, si le peuple eût été égaré par la manière haineuse dont les pharisiens comparaient entre elles ces deux activités. Mais des comparaisons haineuses ne suffisent pas pour détruire une œuvre de Dieu.
Au surplus, ce que disaient les pharisiens n’était autre chose que ce que Jean-Baptiste lui-même avait désigné comme la marche normale, savoir que Jésus croissait et que lui-même diminuait. Ce qui surtout n’est pas naturel, c’est l’hypothèse de Lichtenstein, suivant laquelle le Seigneur Jésus, après avoir publiquement commencé son ministère à Jérusalem, se serait retiré dans le silence de la vie de famille et cela depuis décembre jusqu’à la fête dont il est parlé Jean ch. 5 ; Lichtenstein la prend pour une fête des tabernacles, en sorte que cet intervalle de repos embrasserait environ neuf mois. Il ne se lasse pas de revenir par de nouvelles explications à cette circonstance inexplicable ; mais ces fréquentes répétitions semblent dénoter la gêne que lui impose cette hypothèse contre nature.
Wieseler aussi est d’avis que l’activité de Jésus en Galilée (Matthieu .4.12) ne commence qu’après la guérison du malade de Béthesda (Jean ch. 5) ; par conséquent lui aussi se voit obligé d’admettre qu’entre le voyage à travers la Samarie (Jean ch. 4) et la fête dont il est question au chapitre suivant du même évangile, est comprise une période durant laquelle le Seigneur s’était retiré de son activité publique. Mais comme il prend cette fête pour celle de Purim, qu’on avait coutume de célébrer en mars, il a cet avantage sur Lichtenstein, de n’avoir pas à expliquer une inactivité aussi prolongée. Mais même ce loisir plus court reste une énigme, et au surplus Wieseler s’enlace par ses hypothèses chronologiques dans d’autres difficultés inextricables.
Il s’agit surtout ici de Jean 4.35 ; 5.1 ; car c’est principalement de ces deux passages que dépend la décision touchant la durée de l’activité publique du Seigneur. Dans le premier passage le Seigneur dit à ses disciples : « Ne dites-vous pas qu’il y a encore quatre mois jusqu’à la moisson ? Mais moi je vous dis : Levez les yeux et regardez les campagnes qui sont déjà blanches et prêtes à être moissonnées. » La question est ici de savoir si cette parole implique une indication du temps dans lequel elle fut prononcée, ou si on peut la considérer comme un proverbe, qui dans ce cas pourrait être énoncé n’importe dans quel temps.
Krafft s’est prononcé pour cette dernière hypothèse. Le sens de ce proverbe serait le suivant : Le grain est semé, mais jusqu’à la moisson il faut qu’il ait ses quatre mois, pendant lesquels il faut attendre sans rien pouvoir en retrancher ; ou bien : Patientez encore quatre mois, et la moisson viendra certainement en son temps. Mais moi, disait le Seigneur Jésus, je vous montre quelque chose de bien plus grand, savoir une moisson qui suit immédiatement les semailles. Cela semble plausible ; et indépendamment des semailles et de la moisson extérieures, cette parole pourrait être prononcée peu de temps après la fête de Pâque, mentionnée Jean ch. 2, et la fête Jean ch. 5 tomberait encore dans la même année. Toutefois des objections assez sérieuses s’élèvent contre cette interprétation. Et d’abord cette parole ne paraît pas faite pour être considérée comme un proverbe. En effet la sentence Matthieu 16.2-3 sur laquelle Krafft s’appuie est d’une autre nature. Le soir vous dites : La journée sera belle, car le ciel est rouge ; et le matin vous dites : Il y aura aujourd’hui de l’orage, car le ciel est sombre et rouge. Ces paroles énoncent chaque fois expressément la condition sur laquelle s’appuie le jugement. Mais la même chose ne se trouve point dans le passage de Jean, qu’il faudrait compléter ainsi : Quand les semailles sont faites, vous dites, etc. Mais ce proverbe ne serait ni vrai ni exact, car en réalité, même en Palestine, il y a au moins cinq mois entre les semailles et la moisson, car les semailles y ont lieu en octobre et novembre, tandis qu’on commence à moissonner en avril. Par ce motif il nous est impossible de considérer cette parole comme un proverbe, pouvant être toujours employé, mais au contraire nous y découvrons l’évaluation du temps devant s’écouler depuis le moment où elle fut prononcée, jusqu’à la moisson c’est-à-dire jusqu’en avril. Par conséquent le retour en Galilée à travers la Samarie s’effectua en décembre, et c’est environ neuf mois qu’avait duré la première activité du Seigneur en Judée et à Jérusalem.
S’il en est ainsi, la fête dont il est question Jean ch. 5 ne peut plus tomber dans la même année que la première Pâque, mentionnée Jean ch. 2. On ne peut guère penser à la fête de la Dédicace qui avait lieu en hiver, car un bain dans le réservoir de Béthesda ne cadre pas avec cette saison (comp. Jean 10.22-23). Mais de quelle fête de l’année suivante l’évangéliste Jean parle-t-il ? Il ne l’a point précisée, et la différence des manuscrits ne nous fournit aucune indication positive, en ce que les uns parlent d’une fête, tandis que les autres disent : C’était la fête des Juifs. Si la fête de Pâque mentionnée Jean 6.4, devait être la première après ce retour à travers la Samarie, il ne resterait entre décembre et Pâques que la seule fête de Purim, célébrée par les Juifs un mois avant Pâques en commémoration de la victoire remportée sur Haman par Mardochée et Esther.
Wieseler entre autres se décide pour ce parti, mais l’ensemble de ses hypothèses est insoutenable. Il assigne à l’emprisonnement de Jean-Baptiste le temps de cette fête de Purim, la fait suivre immédiatement de l’activité de Jésus en Galilée ; il place la décollation de Jean-Baptiste encore avant la fête de Pâques et la fait suivre de la multiplication des pains. Ainsi le temps pendant lequel Hérode, après que sa colère se fut calmée, aimait à entendre Jean (Marc 6.20), et dans lequel celui-ci eut à lutter avec les doutes qui assaillirent sa foi, se serait borné à trois semaines tout au plus ? et ces trois courtes semaines suffiraient pour le contenu si riche de Matthieu ch. 4 à 14 ?
On en a montré l’impossibilité, surtout Lichtenstein.
Wieseler a aussi essayé d’utiliser l’histoire profane, pour déterminer la chronologie de Jean-Baptiste. En s’appuyant sur l’accusation élevée plus tard contre Hérode Antipas, comme ayant conspiré, lors de sa visite à Rome, avec Séjan contre Tibère, Wieseler essaye de prouver qu’Hérode n’a pu faire ce voyage, avec lequel son adultère était en rapport, qu’après la mort de l’impératrice mère, Livie. Mais Lichtenstein lui a montré d’une manière plausible que ces déductions manquent d’une base solide, que la connivence d’Hérode avec Séjan a pu tout aussi bien avoir lieu plus tôt, et qu’au surplus tous ces événements n’ont pas pu se succéder avec la rapidité affirmée par Wieseler.
Mais même en faisant abstraction des déductions chronologiques, on pourra contester l’hypothèse de Wieseler, suivant laquelle c’est d’une fête de Purim qu’il est question dans le passage Jean ch. 5. Cette fête, remarquable surtout par les excès de boisson auxquels elle donnait lieu, aurait-elle attiré le Seigneur Jésus à Jérusalem ? Qu’allait-il y chercher, puisque en ces jours il n’était pas d’usage que le peuple se réunît au temple ? Ces raisons de Hengstenberg me paraissent décisives contre Wieseler, quand même les raisons qui militent pour Pâques n’ont pas la même force. Au surplus, ce dernier point est moins important. Les commentateurs de Jean ch. 5 ont tour à tour admis chacune des fêtes juives, sans trouver pour aucune d’elles des raisons complètement décisives. En attendant, nous retenons que ce n’était pas la fête de Purim ; mais alors c’est au plus tôt la fête de Pâque, et dans ce cas la Pâque aux approches de laquelle eut lieu la multiplication des pains (Jean ch. 6), n’est pas la première Pâque mais seulement la seconde, après Jean ch. 4, en sorte que le miracle de la multiplication des pains eut lieu environ seize mois après la parole que Jésus avait prononcée touchant la récolte. Par conséquent l’activité du Seigneur depuis la première Pâque (Jean ch. 2) jusqu’à la crucifixion embrasse trois années et non pas seulement deux.
C’est dans cette période de seize mois comprise entre le 4e et le 6e chap. de Jean, ou bien le 4e et le 14e chap. de Matthieu, que se place cette fête dont il est parlé au 5e chap. de Jean, pour laquelle reste indécise la place où il faut l’intercaler dans le récit de Matthieu (de Marc et de Luc). Il pourrait toutefois y avoir une indication dans ce fait que le passage Jean 5.18, mentionne les premières pensées de meurtre des Juifs à Jérusalem, tandis qu’en Marc 3.22, il est question du blasphème des scribes venus dans une intention hostile de Jérusalem en Galilée. On pourrait voir là une indication que la guérison de Béthesda est à placer avant ce blasphème des pharisiens. J’ajoute que j’adhère de préférence aux avis des commentateurs qui voient dans la fête mentionnée Jean ch. 5 une fête des tabernacles, non pas, il est vrai, par le motif mystique indiqué par Krafft, mais pour la rapprocher le plus possible de la fête des tabernacles, dont il est question Jean ch. 7. A cette fête Jésus parle des pensées de meurtre des Juifs, à cause d’une seule œuvre qu’il a faite parmi eux, qui est cette guérison opérée le jour du sabbat et qu’ils ne voulaient pas lui pardonner (v. 19-25). On comprend qu’ils lui gardassent rancune à cause de ce seul miracle, si dans l’intervalle il n’avait pas été à Jérusalem. Le sixième chapitre nous montre qu’il avait évité de se rendre à Jérusalem pour la fête de Pâques. Or nous obtenons un plus petit nombre de fêtes pendant lesquelles il ne vint pas au temple, à cause des intentions meurtrières de ses ennemis, et une moindre distance entre ce seul miracle et le discours dans lequel le Seigneur le rappela dans la suite, si de la fête de Pâques mentionnée au 6e chap. de Jean, nous ne remontons que le temps nécessaire, en sorte que passant pardessus les Purim et la Dédicace, nous arrivons à la fête des tabernacles de l’automne précédent comme étant la plus rapprochée des grandes fêtes.
En résumé, nous admettons que, depuis ce mois de décembre, dans lequel le Seigneur parla des quatre mois qui doivent s’écouler avant la moisson, jusqu’au temps de Pâques, où le Seigneur nourrit miraculeusement cinq mille hommes, il y a une période d’environ seize mois. Au milieu de ce temps se place la fête mentionnée Jean ch. 5, probablement une fête des tabernacles ; avant et après cette fête se groupent aisément les faits que nous lisons Matthieu ch. 4 à 14 (et dans les évangiles de Marc et de Luc). Le commencement de cette période nous est désigné par Jean 4.1 et suiv., et par Matthieu 4.12. Ces deux rapports s’expliquent réciproquement. Si nous n’avions pas celui de Jean, nous ne pourrions pas comprendre comment l’emprisonnement de Jean-Baptiste a pu décider Jésus, à se rendre dans le pays du roi qui avait mis la main sur Jean. Mais tout s’éclaircit quand nous réunissons les deux rapports. Hérode avait osé mettre la main sur Jean-Baptiste, cela réagit sur le grand conseil à Jérusalem, « Les pharisiens pouvaient se sentir poussés à arrêter le second prophète en voyant qu’Hérode avait emprisonné le premier. » Parce qu’en Judée une excitation extraordinaire des esprits faisait de Jésus l’objet de la haine des pharisiens, qui le regardaient comme plus dangereux que Jean, Jésus, en passant de la Judée dans la Galiléed, se déroba aux persécutions, que ses ennemis encouragés par l’exemple d’Hérode, lui préparaient.
d – Lange, Leben Jesu, II 1,161, et p. 389.
Jusqu’à quel point est-il possible, en nous aidant de Luc et de Marc, de rétablir une succession historique des événements retracés par les ch. 4 à 14 de l’évangile de Matthieu ? Il nous est dit Matthieu 4.13, que le Seigneur quitta Nazareth et vint demeurer à Capernaüm. Le récit Luc 4.16-31, nous en montre le motif, auquel s’ajoute la circonstance que Capernaüm était situé bien plus que toute autre localité au centre des relations que voulait former Jésus. La prédication dans la synagogue de Nazareth, dont parle Luc, fut précédée de son activité dans cette contrée et spécialement à Capernaüm (Luc 4.15) ; car à Nazareth on cite des miracles faits par le Seigneur à Capernaüm (v. 23), et qui sont nécessairement plus récents que la guérison rapportée par Jean 4.54, comme le second miracle galiléen.
Dès lors Jésus commença à prêcher comme Jean-Baptiste (Matthieu 4.17), en disant : « Le temps est accompli, et le règne de Dieu approche » (Marc 1.15) ; ce qui revient à dire qu’il allait par toute la Galilée, enseignant dans leurs synagogues (Matthieu 4.12,23).
A cela se rattache la vocation des deux couples de pêcheurs (Matthieu 4.18 et suiv. ; Marc 1.16-20). Sans doute on peut être surpris que la vocation de ces disciples à l’apostolat suivent de si loin leur première connaissance du Seigneur (Jean ch. 1), et se place après ces baptêmes auxquels procédaient les disciples du Seigneur, et qui sont déjà mentionnés Jean 3.22 ; 4.2. Il est possible que l’appel adressé à ces quatre disciples de devenir pêcheurs d’hommes, ait eu lieu lors du premier séjour du Seigneur à Capernaüm (Jean 2.12), et que Matthieu et Marc, qui passent ce séjour sous silence, profitent d’une occasion ultérieure pour parler de cette vocation. Il n’y a rien dans ces deux évangélistes qui s’oppose à cette hypothèse, qui cadre parfaitement avec leur manière de raconter. Mais dans ce cas la pêche miraculeuse de Pierre coïncide d’autant moins avec sa vocation, par la raison que ce miracle ne se place en aucun cas avant Jean 4.54.
Nous allons commencer par scinder la matière en quelques groupes, qu’on peut discerner avec plus ou moins de certitude, avant d’aborder la succession des faits qui composent chaque groupe.
Marc 1.21-28 ; Luc 4.31-37, racontent la guérison du démoniaque dans la synagogue de Capernaüm, et ils y rattachent la guérison de la belle-mère de Pierre (Marc 1.29-31 ; Luc 4.38-39). Ce dernier fait nous est aussi rapporté par Matthieu, ainsi que la guérison de beaucoup de malades après le coucher du soleil (Matthieu 8.14-17) ; mais ce n’est que par Marc (v. 32-39) et par Luc (v. 40-44) que nous apprenons le motif pour lequel la multitude attendit le commencement de la nuit pour amener les malades ; c’est qu’elle voulait attendre la fin du sabbat. Marc et Luc racontent encore que le lendemain matin, comme il faisait encore fort obscur, Jésus, s’étant levé, s’en alla dans un lieu écarté pour prier ; que Simon voulut le ramener, mais que Jésus se rendit dans d’autres villes. A tout cela se rattache chez Luc la pêche miraculeuse de Pierre (Luc 5.1 et suiv.), qui probablement eut lieu bientôt après. Nous ne trouvons qu’une partie de ce groupe chez Matthieu, qui, au lieu de cela, commence le récit de l’activité du Christ par la mention générale de ses prédications et de ses miracles en Galilée (Matthieu 4.23-25). Nous désignerons ce premier groupe par la lettre a.
Ensuite vient la guérison du paralytique, « quelques jours après, » comme dit Marc 2.1-12), tandis que Luc dit : « Un jour… il survint des gens, etc. » (Luc 5.17 et suiv.). A ce récit se rattache la vocation de Lévi ou Matthieu (Marc 2.13-14, et Luc), et le festin dans la maison de celui-ci (Marc 2.15-17, et Luc) ; enfin l’entretien du Seigneur avec les disciples de Jean touchant le jeûne (Marc 2.18-22, et Luc). Matthieu a ce même récit, mais placé après le retour de Jésus du pays des Gadaréniens (Matthieu 9.2-17). Ses premières paroles semblent se rattacher à ce qui précède ; la formule de transition est encore plus serrée quand l’histoire de Jaïrus est introduite par ces mots : « Comme il leur disait ces choses, un des chefs de la synagogue vint, etc. » (v. 18). Chez Matthieu et chez Marc, l’entretien avec les disciples de Jean est séparé de ce qui précède ; chez Luc, cet entretien est un peu modifié (v. 33) et plus étroitement rattaché à ce qui précède. La signification de ce dernier fait apparaîtra alors que nous essayerons d’agencer ensemble ces récits. En attendant, nous désignons ce second groupe par la lettre b.
Un troisième groupe est formé par le récit des épis arrachés par les disciples le jour du sabbat, et de la guérison de la main sèche, également en un jour de sabbat. Les trois évangélistes nous les donnent sans les relier étroitement avec ce qui précède ni avec ce qui suit (Luc 6.1,12 ; Marc 2.23 ; Matthieu 12.1) ; Marc 3.7 et suiv., ainsi que Matthieu 12.15 et suiv., rattachent au second récit la mention de la foule qui affluait et à laquelle le Seigneur tâchait de se dérober.
Une certaine indication du temps gît dans la mention de Luc 6.1, que ce fut au jour du sabbat appelé second-premier, que les disciples arrachèrent des épis. Les commentateurs ont émis diverses suppositions à cet égard. Wieseler croit que c’était le sabbat du mois de Nisan avant la fête de Pâques ; mais il glisse trop légèrement par-dessus cette loi qui défendait de manger du pain ou du blé nouveau avant l’offrande des prémices, qui avait lieu le 16 du mois de Nisan (Lévitique 23.14). D’après ce commandement, les pharisiens ne se seraient pas bornés à accuser les disciples de transgresser la loi du sabbat, s’ils avaient arraché les épis avant le terme légal. Il faut donc placer le sabbat second-premier après le 16 Nisan. La maturité du grain indique que cet événement se passa aux environs de Pâques, et si les disciples mangèrent sans scrupule du grain nouveau, c’est que l’offrande des prémices avait déjà eu lieu. L’explication suivante de Krafft me paraît la plus plausible : dans ce temps pascal, le quinzième et le vingt et unième jour du mois de Nisan avaient un caractère sabbatique ; si entre ces deux jours se plaçait un sabbat ordinaire, la semaine de Pâques comptait trois jours de sabbat. Par rapport au sabbat final du vingt et unième jour, le quinzième jour était le premier sabbat, et le sabbat ordinaire suivant était le second-premier. Ewald voit dans le sabbat en question le deuxième sabbat des sept semaines qui séparent Pâques de la Pentecôte. Nous reviendrons à ce sabbat second-premier quand nous parlerons de l’agencement de ces groupes ; en attendant, nous désignerons ce troisième groupe par la lettre c.
Le sermon sur la montagne nous est donné par Matthieu (ch. 5 à 7) et par Luc 6.20 et suiv.). J’espère démontrer dans notre quinzième leçon que ce ne sont pas deux discours différents. Luc fait précéder ce discours du choix des apôtres et de la guérison de beaucoup de malades, après quoi il y rattache l’histoire du centenier de Capernaüm (Luc 7.1-10). Chez Matthieu aussi, cette histoire se trouve placée après le sermon sur la montagne ; mais il intercale entre les deux récits la guérison du lépreux ; il n’y a à cela nulle objection à faire ; car Marc 1.40 et Luc 5.12-16 racontent cette histoire sans la relier à ce qui précède ni à ce qui suit ; même les paroles finales de Marc (v. 45) et de Luc (v. 16) ne prouvent rien contre la place que Matthieu assigne à ce récit. Nous trouvons trop artificielle la supposition de Lange, suivant laquelle Jésus aurait dû éviter pendant quelque temps les villes pour ménager le préjugé, en vertu duquel il serait devenu impur par le contact du lépreux. La remarque de l’évangéliste s’explique simplement par la sensation que produisait partout l’arrivée de Jésus. Le choix des apôtres, le sermon sur la montagne, la guérison du lépreux et celle du serviteur du centenier de Capernaüm forment un groupe que nous désignerons par A. Luc y ajoute encore la résurrection du jeune homme de Naïn (Luc 7.11), au moyen d’une conjonction dont la valeur diffère suivant les manuscrits. Les uns disent : le lendemain ; mais le plus grand nombre porte vaguement : dans le temps suivant. On est également incertain sur l’époque à laquelle il faut placer l’envoi des disciples de Jean (Luc 7.18 ; Matthieu 11), l’onction des pieds de Jésus par la pécheresse (Luc 7.36) et la période pendant laquelle il était accompagné par les femmes qui le servaient (Luc 8.1-3).
Un groupe important commence par le blasphème des pharisiens, qui osaient dire que Jésus chassait les démons par Beelzébuth. Matthieu et Marc nous en donnent le récit exact ; Matthieu rattache le sien par le mot « alors » (τοτέ) à une description générale. Chez Marc, cette histoire se borne à Marc 3.20 et suiv. Ensuite viennent la mère et les frères du Seigneur pour lui parler (Matthieu 12.46 et suiv. ; Marc 21.31 et suiv.). « En ce jour-là » (Matthieu 13.1) il parle au peuple en beaucoup de similitudes (Marc 4.1-34). Puis Matthieu dit (Matthieu 13.36) que Jésus, après avoir renvoyé le peuple, s’en alla à la maison. Il serait dès lors possible que la traversée du lac, racontée par Marc, se soit effectuée un jour plus tard ; mais il se peut aussi que le retour de Jésus à la maison ait eu lieu un peu plus tard, et que c’est parce que Matthieu passe sous silence cette traversée, qu’il arrive immédiatement à parler du retour. C’est de la même manière que Luc 2.39 passe rapidement de la présentation de l’enfant Jésus dans le temple, au retour de ses parents à Nazareth. Il en est de même de cette indication de Marc 4.10 : quand Jésus fut en particulier ; ou bien il y a ici une anticipation de l’évangéliste, qui intercale, à cause de la connexion des faits, ce qui ne fut dit que plus tard ; ou bien l’on peut admettre que Jésus se trouvait seul avec les disciples, dès que ceux-ci eurent conduit la barque un peu plus avant dans le lac. En tous cas, les v. 35 et 36 de Marc font l’impression que le jour où le Seigneur prononça toutes ces paraboles, après s’être préalablement défendu contre le blasphème des pharisiens et avoir reçu la visite de sa famille, en ce même jour, se trouvant déjà dans la barque, il avait fort tard traversé le lac. Nous comprenons que, fatigué d’un si grand travail, il s’endormit. Les possédés le rencontrent le lendemain.
Matthieu nous parle ailleurs (Matthieu 8.18) de cette même traversée. Les hommes qui s’offrirent à suivre le Seigneur, ou qui y furent invités par lui (Matthieu 8.19-22 ; Luc 9.57 et suiv.), vinrent-ils à ce même moment ou seulement plus tard ? C’est là un point que nous ne pouvons éclaircir. Il suffit de dire qu’ensuite vient l’apaisement de la tempête (Marc 4.37 et suiv.), puis la guérison des Gadaréniens possédés (Matthieu 8.28 et suiv ; Marc 5.1-20). Immédiatement après le retour, Marc (Marc 5.21-43) et Luc placent l’histoire de Jaïrus et de la femme malade d’une perte de sang, tandis que Matthieu intercale d’abord le groupe b.
Luc ne rapporte que bien plus tard ce blasphème des pharisiens (Luc 11.14-36). Matthieu aussi en connaît un second de la même espèce (Luc 9.32 et suiv.) ; toutefois on ne pourrait guère l’identifier chronologiquement avec celui dont parle Luc. Il faut plutôt admettre que Luc, sans déterminer le temps, reprend le récit de cet événement qui, suivant Matthieu et Marc, appartient à une époque antérieure. Pour ce qui est de Luc 11.37, ce n’est pas le cas d’attribuer une grande importance à ce passage sous le rapport chronologique. Quant au surplus du contenu de ce groupe, nous le trouvons dans un précédent passage de cet évangéliste (Luc 8.4-56), quoique moins complet et disposé un peu autrement. A la résurrection de la fille de Jaïrus, Matthieu rattache la guérison de deux aveugles (Matthieu 9.27-31) et d’un possédé (v. 32-34). A cela s’ajoute convenablement la seconde visite du Seigneur à Nazareth (Marc 6.1-6 ; Matthieu 13.53). Nous entreprendrons de justifier, par le commencement de la treizième leçon, la distinction entre deux visites du Seigneur à Nazareth.
En résumé, le premier blasphème des pharisiens, la visite des parents de Jésus, les similitudes, la traversée du lac (peut-être précédée de l’entretien de Jésus avec deux hommes qui voulaient le suivre), l’apaisement de la tempête, la guérison des Gadaréniens, l’histoire de Jaïrus et de la femme malade d’une perte de sang, les deux aveugles et le possédé dont la guérison est l’occasion d’un second blasphème, enfin la seconde visite à Nazareth, voilà le second grand groupe, que nous désignerons par la lettre B.
Le dernier groupe dont nous avons à parler ici est très facile à former. Il comprend l’envoi des apôtres et leur retour (Matthieu 9.38 et suiv. ; ch. 10) ; la peur que Jésus inspira à Hérode, le meurtrier de Jean, la traversée du lac, la distribution des pains aux cinq mille hommes avant Pâques, et, dans la nuit suivante, la marche de Jésus sur le lac (Matthieu 14 ; Marc 6.7-56 ; Luc 9.1-17 ; Jean 6.1-21) ; le lendemain, le discours dans la synagogue de Capernaüm (Jean 6.22-59) avec ses suites (Jean 6.60-71), ainsi que les guérisons diverses racontées par Matthieu et par Marc. Nous désignons ce groupe par la lettre C.
La question est maintenant de voir jusqu’à quel point nous parviendrons à agencer ces groupes entre eux. Pour a, on pourrait essayer d’intercaler tout ce groupe dans le groupe A, de manière à ce que la guérison du possédé dans la synagogue fût placée entre le centenier de Capernaüm et la belle-mère de Pierre. Cela n’est pas inadmissible, mais cela n’est nullement nécessaire, car en faisant attention que dans ses ch. 8 et 9 Matthieu réunit un certain nombre de miracles de diverses époques, nous pouvons sans difficulté séparer la guérison de la belle-mère de Pierre de celle du serviteur du centenier, et placer par là le groupe a en tête.
Plus difficile est la question pour b, groupe que Matthieu place au milieu de B, de telle sorte qu’il semble que Matthieu 9.2, et surtout v. 18, nous défende de détacher ce groupe de ce à quoi il se rattache. Chez Marc et chez Luc, le groupe b n’est étroitement relié ni à ce qui le précède ni à ce qui le suit, de sorte que de ce côté il ne s’élève pas d’obstacle contre la manière dont Matthieu intercale ce groupe. Ce n’est que par la comparaison des groupes A et B qu’on est frappé de cette difficulté, qu’en intercalant b dans B la vocation de Matthieu ne serait placée qu’après les similitudes, ce qui la recule trop en arrière. En effet, dans le groupe A, nous lisons déjà avant le sermon sur la montagne le choix des douze apôtres, qui implique la vocation de Matthieu. Il semble par conséquent qu’en intercalant b dans B il faudrait expliquer de quelle manière la vocation de Matthieu a pu avoir lieu si longtemps après le choix des apôtres ou le sermon sur la montagne ; ou bien, pour assigner à la vocation du péager sa vraie place, il faudrait avancer avec b tout le groupe B avant A, disposition que recommande aussi l’histoire du jeune homme de Naïn. Si ces deux voies se trouvent être l’une et l’autre impraticables, il faut essayer de détacher partiellement ou entièrement b de B, et de placer seulement b, mais non pas B, avant A, ainsi que le fait Luc (et en partie Marc).
Stier, suivant en cela les traces de Bengel, se décide pour le premier mode, en admettant que déjà avant le sermon sur la montagne Matthieu avait été choisi comme apôtre, mais que la vocation de laisser complètement son banc de péager ne lui fut adressée que dans la suite. Toutefois, cela est difficile à admettre, et l’on comprend bien mieux un retour temporaire de Pierre à ses filets qu’un retour au péage, après que le péager avait déjà été fait apôtre. Mais, à cause de cette difficulté, placerons-nous tout le groupe B avant A, la série des similitudes avant le sermon sur la montagne, ainsi que le font Ebrard et Lichtenstein ? Bien moins encore ferons-nous cela ! Quand même nous n’attachons pas une grande importance à ce que cette disposition intervertirait l’ordre des faits des trois évangélistes, Stier reste, selon nous, dans le vrai en affirmant que les paraboles se placent après le sermon sur la montagne. En effet, comment le Seigneur aurait-il pu déclarer le peuple sourd et endurci (Matthieu 13.15), et néanmoins après cela lui adresser la sermon de la montagne ? Au surplus, quand le Seigneur parle en paraboles, nous voyons les douze déjà élus par lui (Marc 4.10), circonstance que Lichtenstein voudrait mettre de côté par une explication dénuée de tout fondement.
Il faut dès lors que B reste placé après A, en même temps que b précède A en entier ou en partie. Si pour Matthieu 9.18, malgré cette expression : « Comme il leur disait ces choses, » nous nous permettions de détacher ce qui précède, nous pourrions séparer tout le groupe b du groupe B ; mais si nous nous attachons plus strictement aux paroles de Matthieu, il faut qu’au moins l’entretien avec les disciples de Jean, ou bien le festin dans la maison de Matthieu, trouve place dans B, à cause de Luc 5.33. Mais rien ne saurait nous empêcher de ranger la guérison du paralytique et la vocation de Matthieu avant A, en admettant que le festin dans sa maison ne suivit pas immédiatement sa vocation, mais n’eut lieu que plus tard. Il est d’ailleurs naturel qu’en racontant cette vocation on avait coutume d’y rattacher le festin. Par cette disjonction du groupe b en deux parties séparées par un intervalle, nous obtenons ce double résultat, que, d’une part, la vocation de Matthieu peut être placée avant le sermon sur la montagne, et que, d’autre part, le groupe qui comprend les similitudes, et le banquet des péagers conserve sa vraie place après le sermon sur la montagne.
La résurrection du jeune homme de Naïn, en tant qu’elle fait partie du groupe A, ne nous oblige pas à ranger ce groupe après le groupe B, comprenant l’histoire de la fille de Jaïrus. En effet, il n’est nullement établi que le jeune homme de Naïn ait été ressuscité plus tard que la fille de Jaïrus. Luc au moins n’hésite pas à placer la fille de ce chef de la synagogue après le fils de la veuve.
Pour ce qui est du groupe c, nous avons fait observer que le sabbat second-premier ne se place qu’après l’offrande des prémices. A cause de cela, Krafft admet qu’en Luc ch. 6 il est question d’un temps de Pâques d’une année antérieur à celui mentionné Jean ch. 6 et Luc ch. 9. Mais c’est là une déduction inexacte résultant de l’importance exagérée attribuée à Luc 1.3. Nous avons dit plus haut que le groupe c est sans connexion chronologique ; sous ce rapport, rien n’empêche de l’intercaler plus tôt ou plus tard. Par contre, nous trouvons un motif de ranger c seulement à la fin de C. En effet, dans ce groupe C, il nous est raconté de quelle manière Hérode se préoccupa pour la première fois de Jésus, qu’il prenait pour Jean-Baptiste ressuscité ; il faut que tant que Jean-Baptiste était en vie, il n’ait rien appris de Jésus, car autrement son opinion eût été impossible. Sans doute, on peut s’étonner de voir ce prince rester si longtemps dans une complète ignorance touchant le Seigneur Jésus ; mais nous savons d’un autre côté le peu de cas qu’il faisait des choses de Dieu, dès qu’elles ne s’imposaient pas à lui. En outre, nous pouvons déduire du fait qu’Hérode écoutait souvent les paroles de Jean-Baptiste dans la prison (Marc 6.20), qu’il avait dû faire un assez long séjour au sud de la Pérée. Bref, il est certain que ce n’est qu’aux environs de cette fête de Pâques, où Jésus nourrit les cinq mille hommes, qu’Hérode entendit pour la première fois parler de Jésus. Après la guérison de la main sèche, les Pharisiens s’entendent déjà avec les gens d’Hérode sur la manière dont ils pourraient mettre Jésus à mort (Marc 3.6).
D’après tout cela, nous aurions la disposition suivante comme étant la plus probable : a ; la première moitié de b ; A, sauf à placer peut-être Luc 7.11 à 8.3 derrière B ; ensuite B avec la seconde moitié de b ; finalement C et c.
Il nous reste à comparer Matthlieu ch. 15 à 20 (Marc et Luc) avec Jean ch. 7 à 11. Nous avons fait remarquer précédemment les époques de l’histoire chez Jean. Ce sont les suivantes : Jean 7.1 et suiv., les tabernacles ; Jean 10.22, la Dédicace ; Jean 10.40, arrivée en Pérée ; Jean 11.1 et suiv., à Béthanie ; Jean 11.54, Ephraïm. Matthieu, par contre (Matthieu 15.1 à 16.12), complètement d’accord avec Marc (Marc 7.1 à 8.26), raconte sans interruption la dispute avec les scribes touchant les traditions d’hommes, la guérison de la fille de la Cananéenne, le retour dans la Décapole (Marc 7.31), à l’est du lac de Génézareth ; une foule de guérisons dans cette contrée, à la place desquelles Marc ne mentionne que le seul exemple du sourd-muet ; la seconde multiplication des pains pour nourrir quatre mille hommes ; la demande adressée par les pharisiens à Jésus pour leur faire voir un miracle ; l’avertissement du Seigneur de se garder de leur levain. A ce groupe Marc rattache encore la guérison d’un aveugle.
Pour un second groupe aussi Matthieu (Matthieu 16.13 à 18.36) et Marc (Marc 8.27 à 9.50) sont d’accord quant à l’essentiel, et ici Luc se joint de nouveau à eux (Luc 9.18-30). Il comprend la confession de Pierre près de Césarée de Philippe, la première prédiction claire que fit Jésus de sa passion, puis six jours plus tard (Luc dit : environ huit jours, c’est-à-dire une semaine après) la transfiguration sur la montagne ; après cela (le lendemain, est-il dit chez Luc) la guérison du lunatique, la seconde prédiction des souffrances du Seigneur, l’histoire du statère (rapportée par Matthieu seul) ; finalement, à la même heure et également à Capernaüm les paroles touchant la simplicité des enfants, la recommandation d’éviter le scandale et de pardonner.
A partir de ce moment il se produit un changement visible ; Matthieu 19.1-2 et Marc 10.1 racontent comment Jésus quitta la Galilée pour se rendre en Pérée à la frontière de la Judée ; c’est là que s’accomplissent les faits qui précèdent l’entrée à Jérusalem, savoir les paroles touchant le divorce, la bénédiction des enfants, l’entretien avec le jeune homme riche, et cette similitude des ouvriers qui travaillent dans la vigne, reproduite seulement par Matthieu. En tout cela, Matthieu (Matthieu 19.3 à 20.16) et Marc (Marc 10.21-32) marchent d’accord. Avec Matthieu 20.17 ; Marc 10.32 ; Luc 18.31, commence le récit de la dernière marche par Jérico à Jérusalem, et nous arrivons ainsi à cette histoire de la dernière semaine qui commence dans l’évangile de Jean au ch. 12. Il semble qu’avec Matthieu 19.1 coïncide Luc 9.51, en ce que là aussi il est question d’une marche vers Jérusalem ; mais Luc fait suivre cette mention d’un grand nombre de récits et de discours (jusqu’à Luc 18.4), qui pour la majeure partie sont rapportés par lui seul, et ce n’est qu’à partir de Luc 18.15 qu’il se rencontre de nouveau avec les deux premiers évangélistes. En nous disposant à comparer les quatre évangélistes entre eux notre première question sera : Où se place la fête des tabernacles ? (Jean 8.2 à 10.21) Je fais observer avant tout que rien ne s’oppose à ce qu’on admette qu’après la fête des tabernacles, c’est-à-dire chez Jean entre les versets 21 et 22 du ch. 10, le Seigneur ait pu retourner encore une fois en Galilée. Il est vrai que Jean n’en dit rien, mais son silence n’est pas moins complet touchant tout ce qui se place entre son 5e et son 6e chapitre. Il sera moins facile d’intercaler un retour en Galilée après Jean 10.40, où la Pérée est expressément mentionnée. Il trouve bien mieux sa place entre les versets 21 et 22. Dans la seizième leçon je ferai valoir un motif puisé dans le récit de Jean lui-même, qui indique que Jésus ne resta pas à Jérusalem entre ces deux fêtes. Trouverons-nous des motifs pour admettre que dans l’intervalle il soit retourné en Galilée ? C’est là ce que nous allons examiner.
En Matthieu 19.1, et Marc 10.1, il est raconté que le Seigneur quitta complètement la Galilée. A ces deux passages beaucoup de personnes réunissent Luc 9.51, bien que Luc 9.51 nous ramène encore une fois en Galilée. Il se pourrait que les deux premiers eussent raconté d’une manière sommaire ce que Luc développe beaucoup plus complètement. Supposons provisoirement la coïncidence des trois récits : est-il juste de déclarer que le voyage dont ils parlent est ce même voyage de Jésus se rendant à la fête des tabernacles, en sorte que Matthieu ch. 15 à 18 (Marc et Luc) seraient à placer avant Jean ch. 7 ? Je crois que de sérieuses raisons militent contre cette combinaison.
Si c’est un seul et même voyage dont le récit commence (Luc 9.51), et pendant lequel eut lieu l’envoi des soixante et dix disciples (Luc 10.1), il est impossible que ce soit le voyage du Seigneur, se rendant à la fête des tabernacles ; car celui-ci se fit en secret (Jean 7.10), parce que le Seigneur tenait absolument à éviter pour cette fois encore la décision ; tandis que l’autre eut un grand retentissement, le Seigneur ayant pris soin de faire annoncer partout sa venue par les soixante et dix disciples. Si on voulait distinguer Luc 9.51 de Luc 10.1 et ne faire coïncider que la première date avec Jean ch. 7, tandis que l’autre aurait trait à un voyage qui n’aurait eu lieu qu’après la fête des tabernacles, il serait étrange qu’en Luc 9.51-62 on commençât à parler d’un voyage sans que le récit soit continué jusqu’au bout, et qu’au dixième chapitre nous nous trouvassions déjà transportés sur une autre scène et à une époque ultérieure. Mais alors même que nous accorderions cela, il y a en Luc 9.51 une raison qui nous empêche de voir en ce voyage celui dont il est parlé Jean ch. 7.
En effet je ne saurais admettre avec Wieseler qu’il faille comprendre ainsi les paroles de Luc : comme les jours prenaient fin auxquels il trouvait accueil (en Galilée) ; il faut au contraire comprendre ces paroles comme suit : comme le temps approchait auquel il devait être enlevé (par la mort dans la gloire céleste), ou plus exactement encore : comme ces jours étaient en train de s’accomplir, il tourna son visage droit vers Jérusalem. Ces paroles nous renvoient à l’histoire de la transfiguration, où le Seigneur s’était entretenu avec Moïse et Elie du dénouement qui devait avoir lieu à Jérusalem (v. 31). Par cette raison le verset 51 désigne une époque plus tardive dans la vie du Seigneur que ne l’était la fête des tabernacles, époque à laquelle son temps n’était pas encore accompli (Jean 7.6,8).
Si cette raison est valable pour le voyage mentionné Luc 9.51, elle l’est aussi pour la transfiguration, qui est évidemment l’introduction à la passion du Seigneur. Et attendu que la confession de Pierre près de Césarée de Philippe est étroitement rattachée à la transfiguration, il faut qu’avec Stier et Lichtenstein nous placions la fête des tabernacles dont parle Jean ch. 7 et suiv. avant Matthieu 16.13 (Marc et Luc).
Mais nous ne pourrons pas même nous borner à cela, car en suivant les rapports des évangélistes concernant les diverses traversées du Seigneur sur le lac de Génézareth (Matthieu 15.39 ; 16.5 ; Marc 8.10,13), nous découvrons que ce Bethsaïda, où le Seigneur opéra la guérison d’un aveugle, racontée dans Marc 8.22, n’est pas le bourg bien connu de ce nom, situé près de Capernaüm, mais un autre Bethsaïda, situé au nord-est du lac de Génézareth. Là il était à proximité de Césarée de Philippe, ville distincte de cette Césarée bien connue, construite au bord de la mer, tandis que Césarée de Philippes était située à la limite septentrionale du pays, au pied de l’Hermon. S’il est naturel de ne pas séparer quant au temps cette guérison à Bethsaïda et les paroles prononcées à Césarée de Philippe, deux faits si étroitement reliés par rapport au lieu, il devient indispensable (ainsi qu’Ebrard le fait) de placer la fête des tabernacles avant Matthieu ch. 15 et Marc ch. 7.
Que pourrait-on objecter à cela ? Ce ne sera pas la manière dont Matthieu et Marc relient, le premier son 15e et le second son 7e chapitre à ce qui précède. Marc le fait par la simple conjonction « et ». Il est vrai que Matthieu dit « alors », τοτέ, mais ce τοτέ est précédé d’une description générale de l’activité du Seigneur Jésus, comme au Matthieu 12.22, où nous n’avions pas hésité à placer le commencement d’un nouveau groupe. Je voudrais en général que les passages suivants, où Matthieu emploie la conjonction τοτέ, fussent comparés soit dans leur ensemble, soit dans leurs rapports avec les autres évangiles : Matthieu 3.13 ; 9.37 ; 26.14 ; 26.31 ; 27.27 ; 27.38. Cette comparaison prouverait combien peu l’emploi de ce mot par Matthieu est en droit de nous empêcher d’admettre une lacune entre les ch. 14 et 15.
Non seulement rien n’empêche de placer la fête des tabernacles avant Matthieu ch. 15, mais diverses raisons viennent à l’appui de cette disposition. L’inimitié croissante des principaux Juifs de la capitale, telle qu’elle se montre à la fête des tabernacles, explique bien que les pharisiens et les scribes venus de Jérusalem guettent le Seigneur avec un redoublement d’hostilité (Matthieu 15.1 ; Marc 7.1). Cette animosité explique aussi les efforts du Seigneur pour se dérober à une attention qui lui est pénible, par de fréquents voyages jusqu’à l’extrémité du pays (Marc 7.24). Nous admettons par conséquent qu’il faut intercaler Matthieu ch. 15 à 18 (Marc et Luc) dans le ch. 10 de Jean entre le 21e et le 22e verset.
La décision touchant ce qui suit est plus incertaine. Sans doute ce qui est raconté Matthieu 19.20, Marc ch. 10 et Luc 18.15-30 se place dans le dernier temps qui précède la semaine de la passion. En est-il de même de ce qui est particulier à Luc, Luc 9.51 à 18.14 ? Voilà une question à laquelle il ne peut être répondu qu’en comparant Luc et Jean. Luc 9.51 à 10.42 fait connaître le voyage depuis le départ de la Galilée jusqu’à la visite du Seigneur chez les sœurs de Béthanie près de Jérusalem. Puis viennent des discours (Luc 11.1 à 13.21) sans nulle indication du temps ni du lieu où ils furent prononcés. Le passage Luc 13.22 nous montre de nouveau Jésus tenant le chemin de Jérusalem, et comme c’est ce même jour que quelques pharisiens vinrent dire au Seigneur : Retire-toi, car Hérode veut te faire mourir, il faut que Jésus se trouve sur le territoire de ce prince, soit en Galilée, soit en Pérée. Pour les discours et les actes rapportés Luc 14.1 à 17.10, ni le temps ni le lieu ne sont déterminés. Par contre il est parlé Luc 17.11, de Jésus allant à Jérusalem et passant par le milieu de la Samarie et de la Galilée. Encore une fois il n’est question ni de lieu ni de temps dans le récit suivant, jusqu’à ce qu’enfin Jérico soit mentionné Luc 18.35.
Que faut-il penser de cette partie de l’évangile de Luc sous le rapport chronologique ? Admettrons-nous qu’il n’est question que d’un seul voyage, qui serait le dernier avant la semaine de la passion ? Les passages Luc 13.22,31 ; 18.11 prouveraient-ils qu’à cette dernière date le Seigneur n’avait pas de nouveau quitté la Galilée, parce qu’après s’être mis en route (Luc 10.51) son voyage avait été lent à cause des soixante et dix disciples qu’il voulait suivre partout ? Dans ce cas Luc 17.11 pourrait être compris ainsi : Jésus se dirigea vers le Jourdain en suivant les limites de la Galilée et de la Samarie.
Mais dans ce cas la visite à Béthanie se trouverait intercalée au Luc 10.38, sans nul égard ni pour le temps ni pour le lieu. On peut en général demander. A quelle époque de la vie de Jésus, d’après Jean, faut-il placer ce voyage, qui comprend l’envoi des soixante et dix disciples et tant d’autres événements ? Comme ce devait être le dernier voyage, précédant immédiatement la semaine de la passion, il doit nécessairement être placé dans le temps mentionné Jean 11.54, alors que Jésus ne paraissait plus ouvertement parmi les Juifs, mais s’en alla dans une contrée voisine du désert, près d’une ville appelée Ephraïm. C’est de là qu’il se serait rendu encore une fois en Galilée, pour revenir de là avec la plus grande publicité après avoir rassemblé tous ses disciples. Cela n’est pas impossible, bien que le rapport de Jean ne nous prépare nullement à l’envoi des soixante et dix disciples seulement après le séjour à Ephraïm. Ou devrions-nous peut-être faire attention à ce contraste, que précisément à l’époque où le Sanhédrin avait donné l’ordre de se saisir de Jésus (Jean 11.57), le Seigneur ne tenant nul compte de leur malice, envoya le véritable conseil des soixante et dix anciens, sans que personne osât mettre la main sur lui ? Je le répète, c’est possible ; mais ce n’est que possible. Au surplus, c’est une chose hasardée d’admettre que la visite à Béthanie se trouve intercalée si tard et sans égard pour sa situation. Il est vrai que le blasphème des pharisiens (Luc 14-36) appartient à un temps antérieur, d’après Matthieu et Marc ; mais la visite à Béthanie au milieu d’événements passés en Galilée, et si tard, qu’elle se placerait après le séjour à Ephraïm et par conséquent après la résurrection de Lazare ! cela est bien plus difficile à admettre. Evidemment la visite de Jésus aux deux sœurs, dont parle Luc, appartient à un temps antérieur. On pourrait dire que Luc, précisément parce qu’il passe sous silence la résurrection de Lazare, n’était obligé par rien, alors qu’il racontait cet événement antérieur, d’avoir égard à son rapport chronologique avec cette résurrection. C’est de cette manière que ceux qui voient en Luc 9.51 le commencement du dernier voyage, pourraient défendre leur point de vue.
Wieseler énonce une autre supposition ; il trouve en Luc 9.51 ; 13.22 ; 17.11, l’indication de trois voyages, dont le premier coïncide avec le voyagea la fête des tabernacles (Jean ch. 7) dont le second atteint son but à Béthanie (Jean ch. 11), tandis que le troisième a Ephraïm pour point de départ. C’est à cause de cela même qu’il est dit que le Seigneur se rendit à Jérusalem en passant par le milieu de la Galilée et de la Samarie. Ainsi Wieseler ne comprend pas la limite de ces deux territoires, mais ce qui en effet est plus simple : Jésus serait allé d’Ephraïm par la Samarie en Galilée, d’où il se rendit à Jérusalem avec la troupe de ceux qui montaient à la fête.
Si la dernière partie de cette combinaison est satisfaisante, on n’en saurait dire autant de la première, même avec la rectification dont elle a été l’objet de la part de Tischendorf, Nous avons déjà vu qu’en Luc 9.51 il ne saurait être question du Seigneur se rendant à la fête des tabernacles. En outre, il y a quelque chose d’artificiel dans la manière dont Wieseler essaye de s’en tirer quand il ne fait aboutir qu’à Béthanie le voyage mentionné Luc 13.22.
Sans doute on peut admettre que Luc 9.51 (même sans l’interprétation de Wieseler) ne désigne pas avec une précision chronologique un voyage accompli dans les dernières semaines, mais que ces paroles caractérisent plutôt la période dont Luc entreprend maintenant la description. Le Seigneur regarde en face l’issue des événements et il se tourne de la Galilée vers Jérusalem. C’est pourquoi il jette son filet aussi loin que possible pour, autant que faire se peut, inviter tout le peuple à entrer dans le royaume de Dieu. Désormais sa face est tournée vers la décision qui doit être prise à Jérusalem. Mais il pouvait en être ainsi plusieurs mois avant la dernière catastrophe. Au contraire scinder ce récit en trois voyages, ainsi que le fait Wieseler, cela me semble inadmissible. J’incline plutôt à voir un seul voyage de Luc 9.51 jusqu’à Luc 13.35, qui trouverait aussi place entre Jean 10.21-22, c’est-à-dire entre la fête des tabernacles et celle de la Dédicace. Une visite à Béthanie s’accorderait très bien avec le cours de ce voyage. Ce que Luc rapporte depuis Luc 14.1 jusqu’à Luc 17.10, pourrait faire partie de ce voyage, ou aussi se placer après la fête de la Dédicace, dans ce séjour que le Seigneur fit au delà du Jourdain (Jean 10.40).
En confessant que c’est pour le groupe qui commence par Luc 9.51, que j’ai le moins de certitude, je regarde la disposition suivante comme la plus probable : Jean 7.1 à 10.21 : la fête des tabernacles ; Matthieu ch. 15 à 18 (Marc et Luc) : dernier séjour du Seigneur dans la partie septentrionale du pays, comprenant la transfiguration ; Luc 9.51 à 13.35 (et peut-être jusqu’à Luc 17.10) : voyage pour rassembler les croyants, particulièrement par le ministère des soixante et dix disciples ; Jean 10.23-42 : la fête de la Dédicace et le séjour en Pérée (ici se place peut-être Luc 14.4 à 17.10) ; Jean 11.1-54 : résurrection de Lazare : séjour caché à Ephraïm ; Luc 17.11 et suiv. ; Matth. ch. 19 et 20 ; Marc ch. 10 : dernier voyage d’Ephraïm par la Samarie, la Galilée, la Pérée à Jérusalem.
Puis vient l’histoire de la passion, dont la chronologie nous occupera plus tard.