Genèse 25
Si cette tente où nous habitons sur la terre est détruite, nous avons dans le ciel un édifice qui est l’ouvrage de Dieu…
Un sage, qui se glorifie d’avoir été roi de Jérusalem, a déclaré qu’il vaut mieux aller dans une maison de deuil que dans une maison de festin, et que la fin d’une chose vaut mieux que son commencementa. A ce compte-là, si grandes qu’aient été les leçons que nous avons recueillies auprès d’Abraham vivant, nous en avons de plus précieuses à retirer de sa mort.
a – Ecclésiaste 7.2, 8.
Et cependant, comme elle est racontée brièvement, nous allions presque dire : sèchement ! Si nous comparons ces quelques lignes aux chapitres qui nous parlent de la mort de Jacob et de l’enlèvement d’Élie, nous serions presque tentés de croire que l’historien sacré n’avait rien à nous dire du décès d’Abraham. Ce serait probablement une erreur ; il savait plus qu’il n’écrit. Mais ce qu’il écrit a été suffisant, pour nous montrer le patriarche objet jusqu’à la fin de la fidélité de son Dieu.
Une dernière scène de vie, toutefois, précède celle du trépas. Après la mort de Sara, nous voyons Abraham contracter un second mariage. S’il est mentionné, bien que sans détails ou à peu près, c’est qu’il a contribué pour sa part à l’accomplissement des prophéties relatives à la postérité du patriarche. Kétura, qui devient alors sa femme, ne lui donne pas moins de six fils. Ignorant beaucoup sur son compte, nous pouvons affirmer du moins qu’elle n’était pas cananéenne. Après les recommandations faites à Éliézer au sujet des fiançailles d’Isaac, Abraham n’eût certes pas consenti à faire d’une païenne sa femme. On a donc supposé, et non sans vraisemblance, que cette Kétura était la fille d’un des nombreux étrangers qui formaient la domesticité de notre héros. L’exemple d’Éliézer nous montre qu’au service de cet homme on était aisément amené à partager sa foi. Kétura la possédait sans doute en partie, lorsqu’elle fut appelée à l’honneur de devenir sa compagne. Elle disparaît de l’histoire aussitôt qu’elle y est entrée ; nous ne la retrouvons même pas au lit de mort de son mari. Ses fils sont devenus les pères de tribus arabes, disséminées surtout sur les bords de la mer Rouge. C’est à propos de cet accroissement notable de sa famille que le texte rappelle un fait tout à l’éloge du patriarche : il a pris, en pleine lucidité d’esprit, des dispositions testamentaires très précises et très sages. Isaac est désigné comme seul héritier ; il se pourrait bien qu’il l’eût été dès la conclusion de son mariage avec Rebecca. Les autres fils du patriarche ne seront, au reste, pas déshérités ; il n’y aura pas d’injustice commise. Mais, après avoir reçu chacun la part qui lui revient, ils s’éloigneront du fils de Sara. Cela vaut mieux, afin de prévenir tout conflit. De son vivant, donc, Abraham le pacifique arrange tout en vue de la paix : ce n’est pas celui qui s’est effacé devant un neveu pour éviter des troubles domestiques, qui oubliera les précautions à prendre pour qu’ils soient, après lui. aussi difficiles que possible.
Le récit, enfin, arrive à sa conclusion naturelle, et relate en peu de mots le décès du fils de Térach.
Quelques traits seulement.
D’abord la durée de sa vie : 175 ans, dont un siècle tout entier passé loin de son pays et de sa parenté. Nous ignorons la partie la plus grande, de beaucoup, des événements qui se sont passés pendant ce siècle. Ce que nous savons, pourtant, est suffisamment riche pour remplir plus d’une existence humaine. Ne vous semble-t-il pas qu’un croyant qui n’aurait à montrer, dans toute sa carrière, qu’un sacrifice de Morijah aurait assez vécu pour passera la postérité ?
Un coup d’œil ensuite sur sa vieillesse. Elle fut heureuse ; Dieu le lui avait promis il y a déjà cent ans. Les orages lui furent épargnés. Une blessure, il est vrai, en avait marqué l’entrée, et ne devait jamais être entièrement pansée : Sara était morte. Les joies, toutefois, abondèrent dans la famille. Isaac et Rebecca y avaient ramené la jeunesse ; Ésaü et Jacob passèrent quinze ans avec leur grand-père ; si Abraham fut « rassasié de jours, » il n’en vint point jusqu’à dire : J’ai trop vécu !
Après cela, un regard dans l’au-delà. « Abraham, » dit l’historien sacré, « fut recueilli auprès de son peuple. » Quel peuple ? Évidemment pas celui de la Chaldée : il l’avait quitté pour ne plus le rejoindre. Pas davantage celui de Canaan : jamais il n’en avait fait partie ; ce n’était pas le sien. Mais le peuple des croyants, formé, à l’insu du monde, dès les jours d’Abel le juste, et passant par Enoch pour aboutir à notre patriarche, en attendant qu’il devienne « la grande nuée de témoins » dont parle l’Épître aux Hébreux. Quel enseignement sur l’unité indestructible du peuple de Dieu à travers tous les siècles ! Quelle preuve aussi que déjà l’ancienne Alliance croit à la survivance de l’âme ! Abraham n’est point perdu ; il est recueilli auprès de son peuple.
Dernier trait, enfin. Ses deux fils, Isaac et Ismaël, longtemps séparés, se réunissent pour lui rendre les derniers devoirs. Ils ne donnent pas le désolant spectacle d’enfants désunis autour du cercueil de leur père. Tous deux ils ont suivi le convoi funèbre ; leurs mains se sont cherchées ; ils ont pleuré ensemble ; leurs jalousies d’autrefois n’ont pas franchi l’enceinte sacrée de Macpéla. Et il faut bien que ce trait ait particulièrement frappé l’imagination populaire, car c’est un de ceux que nous voyons se conserver par la légende comme par l’histoire. Une tradition, moitié arabe moitié juive, raconte qu’Isaac et Ismaël, associés pour offrir un sacrifice, envoyèrent à leur père malade la meilleure portion de la victime. Appelant alors auprès de lui le jeune Jacob, l’aïeul lui aurait adressé quelques hautes leçons de morale et de piété. Il l’aurait pris ensuite dans ses bras, où l’enfant se serait endormi. Jacob, à son réveil, se serait aperçu que son grand-père était mort.
Laissons la légende. La poésie de ses récits ne vaut pas les beautés que nous trouvons dans les faits. Retournons en arrière. Parcourons par la pensée les cent ans qui viennent de s’achever, et qui ont commencé lors de l’appel du patriarche à Charan. Marquons, pour finir, les principales lignes de cette noble figure, qui repose maintenant du dernier sommeil.
Abraham a révélé des qualités maîtresses comme homme d’action. A son départ de la Chaldée ; dans sa rapide et triomphante campagne contre Kédor-Laomer, il a montré qu’il savait obéir et qu’il ne s’entendait pas moins à commander. Aussi hardi capitaine qu’il a été berger prudent et propriétaire circonspect, il a su arracher brusquement la victoire à quatre rois qui passaient pour tout-puissants. Ce nomade si paisible aurait pu devenir, s’il avait voulu, l’homme des plus audacieux coups de main.
Abraham a observé de la façon la plus empressée comme la plus aimable, les lois de l’hospitalité. Nul autre n’a été plus prévenant. Les étrangers qui passaient devant sa tente devenaient en un instant les objets de ses soins. Il a mis son honneur à les bien recevoir, ne laissant à personne la tâche de les servir, de les entretenir et de les accompagner.
Abraham s’est conduit en prêtre de famille, ne craignant point de rendre son témoignage, au milieu des païens et dans son culte domestique. Il a partout dressé des autels au Seigneur qui lui était apparu. Il a invoqué le nom du vrai Dieu. Choisi expressément – nous l’avons entendu – « afin qu’il ordonnât à ses fils et à sa maison de garder les voies de l’Éternelb » il n’a pas failli à cette mission. Il a prêché, par ses actes autant que par ses paroles. Et fallait-il qu’il eût pris de bonne heure l’habitude de prier, pour savoir, à l’heure décisive, envelopper son Dieu d’un tel réseau d’intercessions, qu’il ait obtenu de lui la promesse d’épargner, s’il y trouvait seulement dix justes, les plus abominables villes de l’antiquité !… Si vous pouvez, essayez après cela de vous représenter ce que devaient être les prières du matin et du soir dans la tente d’un tel homme !
b – Genèse 18.19.
Abraham a été sacrificateur. Jusqu’à notre Sauveur Jésus-Christ, qui a été tout ensemble prêtre et victime, nous n’en voyons aucun qui se soit élevé si haut que notre patriarche. Il lui a suffi d’un ordre de Dieu pour qu’il prît son fils, son Isaac, l’héritier non pas de son nom seulement – c’était peu – mais des promesses – c’était tout – et qu’il allât sur Morijah l’offrir lui-même en sacrifice. Le sang qui a coulé pendant ces trois jours a été celui de son propre cœur. N’oserons-nous pas l’affirmer sans profanation, et en nous rappelant les distances : Abraham a connu alors son Gethsémané.
Réunissez tous ces traits… Ah ! je sais bien ceux que vous pourrez leur opposer. Nous ne les avons pas déguisés ; nous n’avons pas fait retomber les voiles que l’Écriture avait si courageusement levés. Nous nous rappelons les lâchetés, les mensonges ; Sara chez Pharaon et chez Abimélec, Agar mise à la place qui n’était point la sienne, chassée ensuite pour une faute dont elle n’était point la première coupable. Non, nous n’oublions pas ! Et je le répète pourtant. Réunissez tous les traits de la vie d’Abraham. Mettez-les en présence, que dirai-je ? de ceux que les années commencent à marquer sur votre propre figure et dans votre propre histoire ?… Non : de ceux qui sont définitivement gravés dans les annales les plus incontestées, et qui dessinent autour de quelques têtes rares une auréole glorieuse ou sainte. Faites cette comparaison. Soyez impartiaux. J’attends sans crainte votre jugement. Vous conclurez qu’Abraham fut un des plus grands personnages qui aient honoré notre humanité !
Les Arabes l’ont appelé « El Khûlil, » l’ami. Cela veut dire l’ami de Dieu. Ils ne se sont pas trompés. L’Écriture sainte aussi lui a donné ce titrec. Jésus, d’ailleurs, s’est chargé d’inscrire sur le tombeau du patriarche l’épitaphe dont il était digne. « Il a vu mon jour » a-t-il dit de lui. Remarquez que pareil témoignage n’est rendu par le Christ ni à Moïse ni à Élie. Remarquez, de plus, qu’il n’est jamais dit de nos morts qu’ils s’en vont reposer dans le sein d’Enoch ou dans le sein de David. Jésus a vu Lazare dans le sein d’Abraham. Connaissez-vous un témoignage plus beau rendu à quelque homme que ce soit, de l’ancienne ou de la nouvelle Alliance ? Abraham nous est ainsi représenté comme le point central autour duquel les croyants viennent se grouper, en attendant que l’économie présente soit achevée, et que Christ soit tout en tousd.
c – Jacques 2.23. Comparez 2 Chroniques 20.7 ; Ésaïe 41.8.
d – Comparez Funcke, ouvr. cité. P. 410.
Oui, mes amis. Christ tout en tous. C’est avec cette pensée que j’ai commencé nos entretiens. C’est avec cette espérance que je veux les clore.
Il n’y a pas longtemps mourait, à Genève, un homme qui a laissé chez tous ceux qui l’ont connu le souvenir d’une vie honnête dès sa jeunesse. Ses camarades le croyaient presque un saint. On a retrouvé, parmi ses papiers, quelques lignes qu’on m’a permis de vous communiquer : « Ma vie n’a pas été fructueuse. J’en attribue la cause à l’état de péché et de corruption dans lequel j’ai vécu bien des années. Dieu a eu pitié de moi… à cause de Jésus, qui s’est fait connaître à moi comme mon Sauveur. »
J’ignore, mes amis, si vous auriez à signer la première partie de cette confession. Pouvez-vous du moins signer la seconde ? Dieu a eu pitié de vous.
Le savez-vous ? Le croyez-vous ? Jésus, celui qu’Abraham a vu, est-il votre Sauveur ? Je le lui demande du fond de mon cœur. Je l’attends de sa bonté fidèle ; heureux si vous pouvez dire comme moi, en fermant ce livre :