Les jours consacrés et les fêtes. — Le mariage. — L’ascétisme. — Les funérailles.
§ I. Les jours et les temps consacrés. — Dès la création Dieu avait institué, pour le plus grand bien de l’homme, un jour de repos. Il avait béni et sanctifié le septième jour « parce qu’en ce jour il se reposa de toute son œuvre qu’il avait créée » (Genèse 2.3). Plus tard, il confirma cette institution dans la loi donnée au peuple d’Israël, et en assura le maintien en l’entourant d’observances strictes et de pénalités sévères. Sous la Nouvelle Alliance, ce jour ne cessa pas d’être consacré, mais, comme les autres dispensations patriarcales ou mosaïques, il fut l’objet d’une sorte de création nouvelle, il fut investi d’une gloire supérieure, et à l’esclavage de la lettre succéda la liberté de l’esprit.
D’un autre côté, le Seigneur était ressuscité le premier jour de la semaine. Ce jour revêtit un caractère de joie sainte et reconnaissante et, avec le temps, se substitua au sabbat juif dans l’Église chrétiennea. Aujourd’hui, beaucoup de nos Églises voient un lien de filiation directe entre le jour du sabbat et le dimanche, et veulent que celui-ci soit observé aussi strictement que le premier.
a – Actes 20.7 ; 1 Corinthiens 16.2 ; Apocalypse 1.10, où Jean l’appelle le jour du Seigneur.
Telle n’était pas l’opinion de l’Église primitive. D’après les Constitutions apostoliques, la célébration du sabbat juif doit exister en même temps que celle du premier jour de la semaine. Pour Athanase, Ambroise, Chrysostome, Jérôme, Augustin, le sabbat juif est, au contraire, aboli. Tous considèrent l’institution du premier jour de la semaine comme nouvelle, et ayant pour but de rappeler à perpétuité la résurrection. Le pape Léon le Grand (440-461) exprime éloquemment — mais avec un mélange d’idées sacerdotales appartenant à son époque — des idées analogues. « Tout ce qu’il y a de plus glorieux dans le plan divin, dit-il, est concentré autour du jour de la résurrection. Ce jour-là, la création commence ; ce jour-là la mort est vaincue et la vie renaît. Ce jour-là les apôtres reçoivent du Seigneur la trompette de l’Évangile, pour la faire résonner dans toutes les nations ; ils reçoivent le sacrement de la régénération, pour le porter dans le monde entier. Ce jour-là, les disciples sont assemblés dans la Chambre Haute et, toutes les portes étant fermées, le Seigneur entre, souffle sur eux et leur dit : Recevez le Saint-Esprit. Ceux à qui vous pardonnerez les péchés, ils leur seront pardonnes, et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. Ce jour-là enfin, le Saint-Esprit descend sur les apôtres, suivant la promesse du Seigneur…, et c’est ainsi que nous savons, par cette règle donnée par Dieu lui-même, que ce jour, dépositaire de tous les biens de la grâce, est aussi celui où nous devons exalter les mystères des bénédictions sacerdotales. »
[Ep. IX, à Dioscorus. L’un des plus anciens écrits ecclésiastiques, l’Épître attribuée à Barnabas, contient un passage digne de remarque. Non pas qu’une interprétation comme la sienne puisse être réellement tirée du texte ; mais pour montrer quelles étaient les idées courantes à la fin du premier siècle. « Dieu leur dit : je ne puis souffrir vos sabbats et vos nouvelles lunes. Voyez comment il leur parle : vos présents sabbats ne peuvent être acceptables pour moi. Mais c’est ce que j’ai fait. Donnant du repos à toutes choses, je ferai un commencement nouveau du huitième jour ; ce sera le commencement d’un monde nouveau. Aussi sommes-nous joyeux d’observer le huitième jour, qui est celui de la résurrection de Jésus-Christ. » Ch. 15. — C’est dans Tertullien (De la couronne, ch. 3), qu’on trouve la première mention de la cessation de toute affaire mondaine le jour du Seigneur. Constantin le Grand confirma cet usage par une loi. Voy. ci-dessous, IIe partie, ch. 10. Les empereurs Valentinien I et II défendirent de lever les impôts et de poursuivre les affaires judiciaires ce jour-là. Théodose le Grand (386) et Théodose II (425) défendirent les représentations théâtrales le dimanche, et Léon et Anthémius (460), toute espèce de divertissement mondain. Au vie siècle, une stricte observance du dimanche semble s’être développée, car le synode d’Orléans (538) déclare que « c’est une superstition judaïque de dire qu’on ne peut, le dimanche, ni monter à cheval, ni se promener, ni balayer la maison, ni préparer des vivres. Si l’on défend les occupations dans les champs, c’est pour que les fidèles puissent aller à l’église et prier. » Schaff, Nicene Christianity, 378, 385.]
Mais l’Église ne s’en tint pas là, et on ne tarda pas à perdre de vue une des plus grandes vérités chrétiennes, à savoir que le culte rendu à Dieu ne dépend pas des éléments de ce monde, mais qu’il est un commerce intime avec le ciel. Aussi vit-on les chrétiens en revenir à l’esprit particulariste du mosaïsme. A l’institution apostolique des réunions du premier jour de la semaine, on joignit l’observation de certaines époques de jeûne ou de prière. On pensa que ce serait une bonne préparation au jour du dimanche, anniversaire joyeux de la résurrection, que de consacrer à la mortification et à la prière les mercredis et les vendredis, en mémoire de la trahison et de la crucifixion du Sauveur. Les Églises judéo-chrétiennes, de leur côté, tout en adoptant le dimanche, ne cessèrent pas d’observer le sabbat. C’est à elles qu’il faut faire remonter la coutume, devenue bientôt générale en Orient, de ne jamais jeûner le samedi et de se tenir debout ce jour-là pendant les prières faites à l’égliseb. Au contraire, en Occident et surtout à Rome, où une opposition énergique était faite alors aux idées judéo-chrétiennes, la coutume de consacrer le samedi au jeûne prévalut peu à peu.
b – S’agenouiller pour les prières était considéré comme une attitude pleine d’humiliation, qui ne convenait pas aux jours d’actions de grâces.
§ II. La Pâque. — Les Judéo-chrétiens ne se contentèrent pas de conserver le sabbat. Ils conservèrent aussi les fêtes de l’Ancienne Alliance auxquelles ils étaient habitués. Seulement ils leur donnèrent une application chrétienne. Au contraire, les chrétiens d’Occident, qui avaient reçu l’Évangile par le moyen de l’apôtre Paul, semblent n’avoir eu de longtemps aucune fête religieuse annuelle. Aussi, lorsqu’ils commencèrent à célébrer la commémoration de la crucifixion et de la résurrection, se manifesta-t-il une différence entre eux et quelques Églises d’Orient, quant aux jours où ces fêtes devaient être célébrées.
En Orient, où les idées juives prévalaient, on fixait le jour de la Passion d’après le moment de la Pâque juive. Il arrivait donc souvent que ce n’était pas un vendredi, et que la fête de la résurrection n’était pas célébrée un dimanche. En Occident, au contraire, où l’on ne s’occupait pas du calendrier juif, on s’inquiéta plus, en adoptant l’usage oriental de célébrer la Pâque, du jour de la semaine que de celui du mois. Ce n’avait été que par une coïncidence, évidemment voulue de Dieu, que le jour de la Pâque, témoin des souffrances du Sauveur, se trouvât être la veille d’un jour de sabbat. Il en résulta que le sixième jour fut réservé pour la commémoration de la crucifixion, et le premier pour celle de la résurrection.
A l’origine, cette diversité fut acceptée telle quelle. Elle ne paraissait pas d’une importance à provoquer des discussions. On savait encore, à cette époque, que le royaume de Dieu ne consiste ni en viande, ni en breuvage, ni dans aucune coutume extérieure. Lorsque Polycarpe fit une visitec à l’évêque de Rome Anicet, cette différence de coutume fit l’objet de leurs conversations. Anicet maintenait que les anciens qui avaient, avant lui, dirigé l’Église de Rome, n’avaient jamais accepté l’usage orientald. De son côté, Polycarpe assurait qu’il avait lui-même pratiqué cet usage avec l’apôtre Jean. Enfin, ils en vinrent à cette conclusion, qu’une pareille diversité pouvait être admise et qu’elle ne compromettait en rien ni l’unité, ni la communion des Églises. Et comme preuve, Anicet invita Polycarpe à présider un service de Cène à sa placee.
c – Cinq ans avant son martyre.
d – Ce passage est obscur. On a été jusqu’à supposer que la fête de Pâques n’avait pas encore été célébrée dans l’Église de Rome. Néander, I, 414, note (trad. angl).
e – Eusèbe, liv. V, ch. 23, 24.
Mais dans les dernières années du deuxième siècle, pendant l’épiscopat de Victor à Rome, la question provoqua une controverse générale. D’un côté, l’Église de Rome, appuyée par celles de Tyr, de Césarée de Palestine, de Jérusalem et d’Alexandrie ; de l’autre, les Églises d’Asie Mineure et à leur tête Polycrates, évêque d’Éphèse. La dispute s’échauffa ; on convoqua des synodes. Les évêques d’Asie Mineure décrétèrent que la Pâque devait être célébrée le quatorzième jour de la lune, sans s’inquiéter du jour lui-même, parce que l’agneau pascal avait été immolé à cette date. Au contraire, Rome et le reste des Églises décrétèrent que tous les chrétiens devaient célébrer la résurrection du Sauveur un dimanche et non un autre jour. Les évêques d’Asie Mineure n’en persévérèrent pas moins dans leur opinion, si bien que l’évêque de Rome, homme altier et imbu d’idées hiérarchiques, voulut les retrancher du corps de l’Église, et s’attira par là les sévères admonestations de plusieurs évêques, notamment d’Irénée de Lyon. « Les apôtres nous ont enjoint, écrit Irénée, de ne pas juger au sujet du manger ou du boire, ou au sujet d’une fête, d’une nouvelle lune, ou des sabbats (Colossiens 2.16). Que signifient donc ces disputes ? D’où proviennent ces divisions ? Nous observons la fête, mais c’est avec le levain amer de la malice et de la méchanceté, et nous déchirons l’Église de Dieu. Nous nous attachons à ce qui est extérieur, et nous négligeons la foi et la charité, qui sont bien plus importantes. De telles fêtes et de tels jeûnes sont une abomination à l’Éternel, comme les prophètes nous l’enseignent. »
[Il n’est pas sûr que le texte que nous venons de citer soit exactement celui de la lettre d’Irénée à Victor. C’est un fragment de l’un des écrits perdus d’Irénée et il n’y a ni titre, ni contexte. Toutefois le témoignage d’Eusèbe et de Socrate le Scolastique confirme son authenticité. Eusèbe dit : Quelques évêques parlèrent à Victor avec une grande sévérité… Parmi eux, Irénée l’avertit comme il devait le faire. » H. E., liv. V, ch. 24. D’après Socrate, Irénée, dans sa lettre à Victor, « le censura sévèrement à cause de son violent emportement, » H.E., liv. V, ch. 25.]
Un jour devait venir, mais plus tard, où le projet de Victor se réaliserait et où l’Église visible serait déchirée en deux tronçons. En dehors de la fête de Pâques et de celle de la Pentecôte, que Tertullien mentionne comme étant célébrée de son tempsf, les pagano-chrétiens ne paraissent avoir célébré, au deuxième siècle, aucune autre fête annuelle.
f – De l’idolâtrie, ch. 14 ; Du baptême, ch. 19.
§ III. Les noms païens des jours. — Dans leur zèle à renoncer à tout ce qui pouvait rappeler l’idolâtrie, les premiers chrétiens se firent scrupule d’employer les noms païens des jours de la semaine. Ils avaient reçu des Juifs des noms plus simples : le premier, le second, le troisième jour du sabbat, etc., et ils se bornaient à modifier celui du premier de ces jours, et à l’appeler le jour du Seigneur. Cela dura quelque temps. Justin-Martyr et Tertullien emploient les noms classiques des jours, mais, en général, c’est seulement lorsqu’ils écrivent pour les païens. Justin, parlant du premier jour de la semaine, le désigne ainsi : le jour appelé du soleil. A partir de l’édit de Constantin (321), dans lequel ce jour est nommé : le vénérable jour du soleil, on employa les deux styles. Mais, en 380, Philastrius condamnait encore comme hérétique l’emploi des noms planétaires pour désigner les jours.
§ IV. Le mariage. — Dans l’ancien monde romain, le mariage était entravé par les lois et dégradé par la coutume. Seuls les citoyens romains pouvaient contracter une union légitime ; encore la condition de la femme n’était-elle pas celle d’une égale, mais d’une servante. Même aux plus beaux jours de la Grèce, on ne voyait dans le mariage qu’un moyen de procréer des enfants, et dans la femme qu’une maîtresse de maison devant veiller sur les esclaves ; l’idée d’une union dont le but serait l’aide et l’assistance mutuelles était inconnue. Il en résultait naturellement un mépris général de cette institution divine, de fréquents divorces, des infanticides, de nombreuses naissances illégitimes et bien pis encore. A ces maux criants, l’Évangile seul pouvait apporter le vrai remède ; il était le bois qu’il fallait jeter dans ces eaux amères, pour les rendre douces (Exode 15.23-25). Grâce à lui, le mariage était remis en honneur et redevenait saint ; par lui, le foyer domestique avec ses vertus et ses bénédictions était rendu au mondeg.
g – Wordsworth, Church History, p. 326.
« Comment pourrions-nous, s’écrie Tertullien, trouver des expressions suffisantes pour peindre le bonheur d’un mariage que l’Église a cimenté, que l’oblation a confirmé, que la bénédiction a scellé ! Les anges en portent au ciel la nouvelle et le Père le ratifie. Quel joug aisé que celui de deux croyants participant à la même espérance, … à la même discipline, aux mêmes obligations ; ils sont vraiment compagnons de service, uns quant à la chair, uns quant à l’esprit. Ensemble ils prient, ensemble ils jeûnent, ensemble ils s’instruisent, s’exhortent, se soutiennent. Ensemble encore on les trouve dans l’Église de Dieu, on les voit s’asseoir à la table du Seigneur. Ils sont unis dans l’épreuve, dans la persécution, dans la consolation. Ils ne se cachent rien, ils ne s’évitent pas, ils ne s’importunent pas l’un l’autre. Volontiers ils visitent le pauvre, soutiennent l’indigent et font l’aumône sans craindre de mutuels reproches. Dans l’intimité, ils chantent des psaumes et se répondent, luttant à qui chantera le mieux les louanges de son Dieu. Christ le voit, l’entend, s’en réjouit et leur envoie sa paix. Où une pareille union entre deux êtres existe, Il vient habiter et, où Il habite, le Malin n’est pash… » Et Clément d’Alexandrie écriti : « Le mariage, comme un saint tableau, doit être soigneusement préservé de tout ce qui pourrait en ternir l’éclat. Des époux chrétiens doivent confesser le Seigneur en tout temps, aussi bien dans le sommeil que lorsque la lumière sainte du jour paraît ; ils doivent lui offrir leurs actions de grâces et leurs prières quand ils se lèvent et quand ils se couchent ; ils doivent maintenir la piété dans leurs âmes et rester maîtres de leurs corps. »
h – Tertullien, A sa femme, liv. II, ch. 8.
i – Strom., II, ch. 23.
On ne sait pas grand’chose sur la manière dont les premiers chrétiens célébraient leurs mariages. Aucun écrivain de cette époque primitive n’en donne de description. Quelques allusions viennent pourtant nous permettre de nous rendre compte des cérémonies qui les accompagnaient à la fin du deuxième siècle. Il y régnait, évidemment, une grande simplicité. Chez les Juifs, le mariage était contracté sans aucune cérémonie religieuse bien déterminée. L’acte essentiel consistait dans le fait de conduire la fiancée de la maison de son père à celle de son fiancé ou du père de son fiancé. Les deux points importants de la cérémonie chrétienne étaient la publication du mariage et sa sanction par l’Église. « Il est convenable, dit Ignace, que ceux qui se marient demandent l’approbation du surveillant (ou évêque), afin que le mariage soit selon Dieu et non selon la concupiscencej. » « Les unions tenues secrètes, c’est-à-dire non déclarées devant l’Église, écrit Tertullien, risquent fort d’être estimées comme confinant à l’adultère et à la fornication » ; et il nous apprend ailleurs (dans son traité sur la Monogamie), qu’il était d’usage de demander le consentement de l’évêque, des anciens et diacres et des veuves ». Nous avons également vu qu’une bénédiction était prononcée probablement par l’évêque ou par l’ancien présidant le culte, sur le couple nouvellement marié, et que les conjoints communiaient ensemblek. Plus tard on imagina des cérémonies beaucoup plus compliquées, aussi bien pour les fiançailles que pour le mariage lui-même. Nous n’avons pas à nous en occuper ici.
j – Epître à Polycarpe, ch. 5.
k – Neander, I, 393 (trad. angl.). D’autres pensent que le mot oblation signifie offrande. Il s’agirait d’un don fait à l’Église par les fiancés.
§ V. Le jeûne. — Les tendances ascétiques, qui depuis les temps les plus reculés ont caractérisé les religions de l’Orient, se montrent de bonne heure dans l’Église chrétienne. Nous avons vu toute l’importance attachée à l’observation cérémonielle du jeûne qui prévalut dès les temps post-apostoliques. L’auteur du Pasteur d’Hermas, tout attaché qu’il est à des idées imbues de superstition, blâme cette tendance. Voici un dialogue emprunté à l’une de ses Similitudes : « Tandis qu’assis sur une certaine montagne, je jeûnais et remerciais le Seigneur de tout ce qu’il avait fait pour moi, le Pasteur s’assit près de moi et me dit : « Pourquoi es-tu venu ici de si bonne heure ? — Parce que, répondis-je, j’ai une station. — Qu’est-ce qu’une station ? répliqua-t-il. — C’est un jeûne que j’accomplis. — Et quel est ce jeûne que tu accomplis ? — Celui qu’on m’a appris à observer. — Tu ne sais pas, me dit-il, comment il faut jeûner pour le Seigneur, et ton jeûne est sans valeur. Je t’apprendrai à jeûner selon le Seigneur : sers-le avec un cœur pur, garde ses commandements, marche selon ses préceptes et chasse tout mauvais désir de ton cœur. Si tu fais cela, ce sera un grand, un vrai jeûne, agréable au Seigneur. Garde-toi de toute mauvaise parole, de tout mauvais désir ; purifie ton cœur de toutes les vanités de ce monde. Le jour où tu jeûneras, contente-toi de pain et d’eau, puis fais le compte de ce que t’auraient coûté les repas que tu aurais pris, et donne une somme égale à la veuve, à l’orphelin et au pauvre. De la sorte ton abstinence servira à satisfaire les nécessiteux et ils pourront prier le Seigneur pour toi. »
[Similitude V, ch. 1 et 3. Ce roman était un des livres les plus populaires parmi les chrétiens du iie siècle. On l’a appelé le Pèlerinage du chrétien de l’Église primitive. Mais cette comparaison n’a rien de flatteur pour l’œuvre de Bunyan. — Station est un des mots employés par les plus anciens auteurs, pour désigner les jours de jeûne, soit parce que ces jours étaient déterminés (statis diebus), soit parce que les jeûnes étaient considérés comme des stations (stationes) militaires contre les attaques de l’ennemi. Dict. Christ. Antiq., art. Statio.]
§ VI. Le célibat. — La tendance à l’ascétisme se manifeste encore dans l’honneur porté aux personnes non mariées. Très tôt, peut-être même dès le temps des apôtres, le célibat fut considéré comme plus saint que l’état de mariagel. Vous trouverez plusieurs personnes parmi nous, dit Athénagoras (177), hommes ou femmes, qui vieillissent dans le célibat, dans l’espoir de vivre en communion plus intime avec Dieum. » Il y avait même quelques chrétiens, qui, comme les moines et les ermites des iiie et ive siècles, se retiraient du commerce des hommes, pour consacrer leur vie à la méditation et à la prière. Cependant une conception plus saine de ce que devait être la vie d’un chrétien prévalait encore contre les tendances ascétiques. L’auteur de l’épître de Barnabas réprouve ceux qui s’y laissaient aller dans les termes suivants : « Ne vous retirez pas du monde pour mener une vie solitaire comme si vous étiez déjà parfaits ; réunissez-vous au contraire en un même lieu et cherchez ensemble ce qui concerne votre avantage commun. Car l’Écriture dit : malheur à ceux qui sont sages à leurs propres yeux et qui se croient intelligentsn ! »
l – Fragments d’Ignace, ch. 9 et 6, cités dans Wordsworth, Church Hist., p. 136, 141, notes.
m – Message pour les chrétiens, ch. 33.
n – Ésaïe 5.21, Epît. de Barnabas, IV.
Clément d’Alexandrie traite la question dans le style énergique et clair qui lui est habituel. « Le chrétien avancé, dit-il, a l’exemple des apôtres pour règle… Et en vérité, ce n’est pas dans la vie solitaire qu’il peut réellement se montrer un homme. Mais celui qui, comme mari et père de famille, supporte les épreuves qui l’assiègent, pourvoit à l’entretien de sa femme, de ses enfants, de ses domestiques, de sa position, sans voir fléchir son amour pour Dieu, celui-là peut vraiment le faire. L’homme qui n’a pas de famille évite beaucoup d’épreuves. Mais d’un autre côté, n’ayant à penser qu’à lui-même, il est bien inférieur à celui qui, malgré tout ce qui pourrait le détourner du soin de son salut, remplit un plus grand nombre de devoirs de la vie sociale et se montre, dans sa famille, une vraie miniature de la Providence elle-mêmeo. »
o – Strom., liv. VII, ch. 12. Neander, I, 389.
Les secondes noces étaient généralement tenues en discrédit, et même dénoncées comme criminelles par certains écrivains. Est-il besoin d’ajouter qu’une pareille doctrine est contraire aux plus clairs enseignements de l’Écriture » ?
[Le pasteur d’Hermas, Précepte IV, ch. 4 ; Tertullien, A sa femme, liv. I, ch. 7 ; De la monogamie, passim ; De la pudicité, ch. 9. Tertullien appelle les secondes noces un adultère. C’était l’opinion montaniste. — Romains 7.2-3 ; 1 Corinthiens 7.39.]
§ VII. Les funérailles. — Les premiers chrétiens ne voulurent rien avoir de commun avec la coutume classique de la crémation des morts. Ils préférèrent suivre l’usage meilleur de l’ancien peuple de Dieu et rendre à la poudre ce qui était redevenu poudre (Ecclésiaste 12.9.). Aux yeux des chrétiens, la crémation soulevait deux objections capitales : l’une de rappeler le paganisme ; l’autre, de paraître une négation de l’une de leurs plus chères convictions, la résurrection des corps.
[Les Romains ensevelirent leurs morts jusqu’au temps de Sylla (78 av. J.-C.). Cicéron, De Legg., II, 22. — A cette époque, les Grecs introduisirent l’usage de la crémation. Mais cet usage ne devint jamais universel, et les enterrements recommencèrent très vite dans l’ère chrétienne. Peut-être même les sentiments si décidés des chrétiens sur ce point influèrent-ils dans ce sens. Vers la fin du ive siècle, la crémation avait entièrement cessé. Voy. Dict. Christ. Antiq., art. Catacombs, p. 300, et Parker, Archaeology of Rome, Catacombs, p. 42, 43.]
Beaucoup suivaient la coutume juive, jadis empruntée aux Égyptiens, d’embaumer leurs morts. Cécilius, l’interlocuteur païen du dialogue de Minucius Félix, reproche aux chrétiens de proscrire les parfums pour les vivants et de les réserver pour les funérailles ; et Tertullien dit, dans son Apologie : « Nous n’achetons pas d’encens, il est vrai ; si les Arabes s’en plaignent, les Sabéens savent que nous achetons des aromates plus chers et en plus grande quantité pour ensevelir les morts, que vous n’en perdez à enfumer vos dieux. »
§ VIII. Le deuil. — Les nouvelles et glorieuses espérances apportées par l’Évangile devaient amener les chrétiens à mépriser et à rejeter tout l’attirail de deuil déployé autour d’eux : le sac, la cendre et les vêtements déchirés des Juifs ; les vêtements noirs des Romains et les pleureurs loués, également chers aux nations de l’Orient et de l’Occident. Ils réprouvaient aussi comme entaché d’idolâtrie et comme évoquant des idées d’orgie et de mollesse, l’usage de couronner de fleurs la tête des mortsp. Cyprien s’exprime en termes très énergiques sur tout ce qui concerne le deuil dans les lignes qu’il consacre à ceux qui moururent de la peste sous les règnes de Gallus et de Valérienq : « Combien de fois, dit-il, et avec quelle clarté ne m’a-t il pas été révélé, grâce à l’infinie bonté de Dieu, que je devais déclarer publiquement que nos frères, appelés par l’ordre du Seigneur à quitter ce monde, ne doivent pas être l’objet de nos lamentations, puisqu’ils ne sont pas perdus, mais nous ont devancés ! Nous pouvons soupirer après le moment où nous les rejoindrons, mais nous ne devons pas gémir sur eux ; et nous ne devons pas, à cause d’eux, nous revêtir de vêtements noirs ici-bas, quand ils sont déjà vêtus là-haut de vêtements blancsr. » Encore plus tard, Augustin écrit : « Pourquoi nous défigurerions-nous avec des vêtements noirs, à moins que nous ne voulions imiter les nations incrédules, non seulement dans leurs lamentations, mais aussi dans leur deuil ? Ce sont là des usages étrangers et illicites. Fussent-ils licites, ils ne seraient pas convenabless. »
p – Clément d’Alex., Pédagogue, liv. II, ch. 8. Tertullien, De la couronne, ch. 10.
q – A.-D. 251-260. Cet extrait et celui qui le suit sont anticipés. Mais si de pareilles pratiques soulevaient encore des objections aux iiie et ive siècles, a fortiori, devaient-elles en soulever au iie.
r – De la mortalité, ch. 20.
s – Sermon II, De consol. mort., cité par Coleman, Antiq., ch. 20, § 4 Dict. Christ. Antiq., art. Mourning.
Le cercueil était porté sur les épaules des parents et des amis intimes, et les porteurs chantaient, en marchant, des hymnes d’espérance et d’actions de grâces.