Dans la pensée de Jean XXIII, le concile était dissous par sa retraite, et s’il ne le fut pas en principe, il faillit l’être en réalité. Déjà plusieurs cardinaux avaient suivi le pape à Schaffouse ; la nation italienne, qui lui était presque toute dévouée, et qui comptait trois cents voix, se disposait à quitter Constance, et, dans les trois autres nations, ceux qui craignaient que Jean XXIII, après avoir recouvré sa liberté, ne reprît sa puissance, et ceux qui, en plus grand nombre, cédaient soit au découragement, soit à l’ennui, songeaient également à se retirer.
Sigismond détourna le péril. Animé par son zèle ardent pour la paix de l’Église et pour l’union de la chrétienté, il se montra, aussitôt après l’évasion du pape, digne du titre de protecteur du concile, et fut véritablement empereur.
Il monte à cheval dès le jour suivant, accompagné de l’électeur palatin et de tous les seigneurs de sa cour ; il parcourt la ville à son de trompe, promet à chacun même sûreté qu’auparavant, déclare que le concile n’est pas interrompu par la fuite du pape, et qu’il versera pour le défendre la dernière goutte de son sang. Partout en même temps et par son ordre secret on affiche un écrit qui rappelle en termes énergiques la conduite du pape et de ses cardinaux, leur mauvaise foi, leurs efforts pour dissoudre le concile ou pour l’entraver ; on y accuse Jean XXIII de tyrannie, de simonie et d’autres crimes, et l’on exhorte enfin les membres du concile à le juger selon ses mérites et selon ce qui a été pratiqué, avec le concours des empereurs, dans la déposition de plusieurs papes.
Sigismond rassemble ensuite les nations dans la cathédrale ; là, en présence de tous, il déclare de nouveau qu’il maintiendra le concile au péril de sa vie. On délibère sur les moyens de ramener Jean XXIII à Constance et de le contraindre à abdiquer ; enfin, quatre députés, dont trois cardinaux, et Regnaud de Chartres, archevêque de Reims, sont députés à Schaffouse pour lui transmettre les résolutions du concile. Mais afin de rendre efficaces les mesures prises pour soumettre le pape, il fallait en adopter d’autres pour réduire Frédéric d’Autriche, complice de sa fuite et son protecteur. L’empereur réunit dans ce but tous les princes, et, en leur présence, il dénonce l’archiduc comme traître envers l’empire et envers le concile, et leur demande de s’unir pour le soumettre. La fermeté de sa parole impose à tous ; aucune voix ne s’élève pour défendre Frédéric ; il est cité devant le concile et devant l’empereur pour rendre compte de sa conduite, et Sigismond se dispose à le réduire par les armes.
Cependant le pape, épouvanté de l’orage qui éclate sur sa tête, écrit à l’empereur en termes soumis qu’il est venu à Schaffouse à l’insu de l’archiduc d’Autriche, non pour se dispenser d’accomplir la parole qu’il a donnée d’abdiquer, mais pour exécuter sa promesse librement et sans péril pour sa santé. Mais il était évident que Jean XXIII ne céderait qu’à la force, et, avant que l’empereur employât, pour le réduire, son autorité temporelle, le concile eut recours à d’autres armes non moins redoutables.
La fuite du pape soulevait de nouveau la question capitale déjà agitée et une fois résolue au concile de Pise, touchant les droits réciproques des papes et des conciles généraux, et la supériorité de ceux-ci sur ceux-là. Il s’agissait de décider encore si l’opposition obstinée d’un pontife pouvait annuler les actes d’un concile universel, et si celui-ci, dans l’intérêt de l’Église, ne pouvait contraindre un pape rebelle et schismatique. Du moment où le concile, en l’absence du pape, persistait à se dire légalement réuni, la solution du problème n’était plus douteuse. Ceux en effet qui, par crainte, avaient d’abord hésité à se déclarer contre le pape, allaient prudemment lui enlever des armes qu’il aurait plus tard tournées contre eux-mêmes, et ils s’empressèrent de se joindre aux hommes qui, en luttant contre l’omnipotence papale, n’écoutaient que leur conscience. Entre ces derniers se distinguèrent les représentants de l’Université de Paris, et, au premier rang, son illustre chancelier.
Gerson prononça, le 23 mars 1415, en présence des quatre nations, un sermon célèbre sur ce texte : Marchez pendant que vous avez la lumière, de peur que les ténèbres ne vous surprennent (Jean 12.35). Son discours fut le flambeau dont s’éclaira le concile.
Gerson s’écrie avec l’apôtre : « Conservez l’unité de l’esprit par le lien de la paix (Éphésiens 4.3). N’ayez tous, dit-il, qu’un même corps et qu’une âme, un seul Dieu, une seule foi, un seul baptême. Soyons unis en Christ, notre tête, de qui tous les membres dépendent, à qui tous sont liés et soumis. »
Gerson déduit de cette vérité première douze propositions dont les principales sont que l’union ecclésiastique se rapporte à un seul chef, qui est Jésus-Christ, et qu’elle se fait par un chef secondaire, qu’on appelle le souverain pontife, et qui est le vicaire de Jésus-Christ ; que l’Église a en Jésus-Christ un époux tellement inséparable que jamais il ne peut lui donner des lettres de divorce, mais qu’au contraire l’Église n’est pas tellement liée avec le vicaire de son époux qu’il ne puissent se séparer.
« L’Église, ou le concile général qui la représente, dit Gerson, est une règle dirigée par le Saint-Esprit et donnée par Jésus-Christ, afin que tout homme, fût-il pape, l’écoute et lui obéisse, sous peine d’être regardé comme un païen et comme un publicain. L’Église ou le concile peut, en plusieurs cas, s’assembler sans un exprès consentement ou commandement du pape, lors même qu’il serait canoniquement élu et vivrait régulièrement. Ces cas sont les suivants, savoir : si le pape, étant accusé et mis en cause, refuse opiniâtrement d’assembler l’Église ; si, un concile général ayant décidé qu’un autre concile serait tenu à une époque déterminée, le pape refuse de le convoquer ; enfin s’il y a schisme ou concurrence entre plusieurs papes. »
Gerson termine par ces paroles : « L’Église ou le concile général doit poursuivre l’extirpation de l’erreur et la correction de ceux qui s’égarent, sans faire aucune acception de personnes ; elle doit réformer l’ordre et la hiérarchie ecclésiastique sur le modèle de la hiérarchie céleste, en se formant aux anciennes règles, et l’Église n’a aucun moyen plus efficace pour atteindre ce but que de prescrire la continuation des conciles généraux, sans omettre les provinciaux. »
L’Université de Paris, dans deux mémoires adressés au concile, s’expliqua d’une manière plus vive et plus hardie. L’un de ces deux mémoires portait en substance que l’Église est plus nécessaire que le pape ; parce qu’on ne saurait se sauver hors de l’Église, et qu’on peut bien faire son salut sans le pape ; qu’elle est plus utile et meilleure, parce que le pape est pour l’Église, et non l’Église pour le pape ; qu’elle a plus de dignité, parce qu’elle est l’épouse de Jésus-Christ et la femme de l’Agneau ; plus de pouvoir, parce que les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle, au lieu qu’elles ont souvent prévalu contre les papes par les vices et les hérésies ; qu’elle a plus d’intelligence, parce qu’elle est ornée de plusieurs dons qui ne se trouvent pas rassemblés dans un pape ; que c’est de l’Église que le pape reçoit la souveraine puissance qui réside en elle habituellement, quoiqu’elle donne au pape le pouvoir de l’exercer ; que c’est à l’Église que Jésus-Christ a donné les clefs du royaume des cieux, et que le pape ne les tient que d’elle ; que, lorsque l’Église est légitimement rassemblée, elle peut se servir de ces clefs pour juger, corriger et déposer le pape, puisqu’il est permis d’arracher une épée d’entre les mains d’un furieux, et que l’Église n’a pas conféré les clefs du pape pour détruire, mais pour édifier. La conclusion du mémoire est que, dans plusieurs cas, le concile est au-dessus du pape.
Les cardinaux avaient refusé d’entendre le discours de Gerson, et dès lors ils se tinrent presque tous à l’écart ; ils sentaient que, dans l’état des choses, les actes du concile porteraient une grave atteinte à l’autorité de l’Église romaine, représentée en leur personne, et ils tentèrent pour la plupart d’apporter aux décrets de l’assemblée des restrictions ou des entraves.
Jean XXIII recourait de son côté à toutes sortes de voies pour se défendre : il écrivit une lettre apologétique au roi de France, au duc d’Orléans, à l’Université ; il y protestait contre la validité des actes du concile, et quelques-unes de ses raisons étaient plausibles. On avait, disait-il, méconnu à Constance la pratique des conciles antérieurs ; les suffrages avaient été pris par nation et non par tête ; tout le monde avait été admis indifféremment, ecclésiastiques et séculiers, mariés ou non mariés, avec grades ou sans grades, gens d’honneur ou autres ; on avait fait toutes ces choses bien que, selon les canons, les cardinaux, les patriarches et les prélats eussent seuls voix délibérative dans les conciles. Le pape accusait le roi des Romains de s’être arrogé à Constance une autorité qui ne lui appartenait pas, tandis qu’il n’avait eu lui-même aucune liberté ; il terminait en avouant la complicité du duc d’Autriche, qu’il avait niée dans sa lettre à l’empereur, et, tandis qu’il négociait ainsi à l’étranger, il redoublait d’efforts pour détacher du concile la nation italienne, les cardinaux, et tous ceux dont l’intérêt ou la fortune étaient unis au Saint-Siège.
Sigismond, soutenu par les trois autres nations, força toutes les résistances, et fit ouvrir, le 26 mars, la troisième session générale, qui fut la première depuis la fuite de Jean XXIII. Parmi les cardinaux, deux seulement y assistèrent : ce furent Zabarelle, cardinal de Florence, et Pierre d’Ailly, cardinal de Cambray, qui, l’un et l’autre, et le dernier surtout, montrèrent un véritable zèle pour l’extinction du schisme, en réservant toutefois les privilèges de l’Église romaine.
Le cardinal de Florence lut à l’ouverture de la session un acte par lequel le concile déclarait qu’il n’était point dissous par la retraite du pape et de la plupart des cardinaux ; mais qu’il demeurait dans toute sa force et toute son autorité, quelque chose qu’on pût ordonner en sens contraire pour le présent et pour l’avenir : l’acte défendait à tout prélat ; à tout membre du concile de s’en retirer sans cause légitime ; quant à ceux qui auraient obtenu la permission de le faire, il leur était prescrit de laisser leurs pouvoirs aux membres restants ; ces clauses enfin devaient être observées sous les peines portées par les canons ou sous telles autres que le concile voudrait imposer : Ces articles furent adoptés par les députés de toutes les nations réunies.
Cependant le pape intriguait toujours, et les commissaires envoyés à Schaffouse revinrent porteurs de paroles où le concile ne vit que le désir d’échapper aux dangers du moment en l’abusant par de vaines espérances. Jean XXIII se disait disposé à nommer des procureurs pour la cession qu’il avait promise ; puis il parlait en pape : il offrait de donner une bulle pour la réformation de l’Église ; il demandait qu’on lui laissât une cour, et surtout qu’on n’entreprît rien contre Frédéric d’Autriche, qui seul protégeait son indépendance.
Irrité de ces réponses évasives, Sigismond redoubla de vigueur pour réduire le pape par les décrets du concile et par les armes de ses soldats. Il fit préparer, pour être lus dans une nouvelle session générale, des articles plus fermes, plus précis encore que ceux qui avaient été adoptés dans la session précédente. Il y était dit qu’on aurait recours à toutes les voies permises par le droit canon pour contraindre et punir ceux qui refuseraient opiniâtrement d’obéir aux décrets du concile ou de tout autre concile général légitimement assemblé ; il y était dit encore que le pape et tous les membres du concile avaient joui d’une entière liberté. Gerson fit joindre à ces articles une énergique déclaration présentée par l’évêque de Tolentino, qui déclarait que la fuite du pape était violemment suspecte de schisme et d’hérésie, et qu’il ne pouvait alléguer aucune crainte pour son excuse, étant tenu de donner sa vie pour son troupeau.
La quatrième session générale fut annoncée pour le 30 mars, et ses redoutables préliminaires remplirent Jean XXIII d’épouvante ; il ne voyait pas avec moins de terreur s’ébranler les troupes impériales, et il ne se sentait plus en sûreté à Schaffouse, à si peu de distance du concile et de l’empereur, il quitta donc cette résidence lorsque déjà beaucoup de princes et de cités, effrayés de l’orage qui menaçait l’archiduc, son protecteur, avaient rompu le lien féodal qui les attachait à lui. De toutes parts arrivaient des messagers porteurs de bruits fâcheux, et les rapports de toutes ces défections, dit un auteur contemporain, furent à Jean XXIII dans sa fuite autant de coups d’aile ou d’éperon. Il se dirigea vers le château de Lauffenbourg, situé sur le bord du Rhin, qu’il atteignit dans la soirée. Mais à peine fut-il hors des murs de Schaffouse que faisant appeler un notaire et des témoins, il leur dicta une rétractation de tout ce qu’il avait fait à Constance, protestant n’avoir rien promis ou juré dans le concile qu’en cédant à la violence et à la crainte, et déclarant en conséquence qu’il n’était point tenu à l’accomplissement de semblables promesses. Il répéta, dit son secrétaire, cette protestation en divers lieux, et cependant, réglant ses paroles non sur la vérité, mais sur les dispositions de ceux auxquels il adressait ses lettres, il en écrivit plusieurs d’un style tout différent, se donnant ainsi à lui-même de perpétuels et honteux démentis.
Cette seconde fuite du pape donna une nouvelle force au concile et à l’empereur. Les cardinauxa, ne trouvant plus aucun appui dans un chef sans courage, et incapable de toute résistance, comprirent qu’en s’isolant ils achèveraient de se perdre, et reconnurent qu’ils seraient plus forts en résistant dans le sein du concile qu’en intriguant au loin ; ils se voyaient vaincus et ne songeaient plus qu’à rendre leur défaite moins désastreuse.
a – Il faut toujours excepter les cardinaux de Cambrai et de Saint-Marc de ceux qui étaient exclusivement dévoués aux intérêts de l’Église romaine.
On vit alors tout ce que peut l’adresse contre la force, l’inertie persévérante contre la persévérance active. Si, d’une part, il importait au parti romain que les cardinaux fussent présents dans le concile pour le défendre, d’autre part il n’importait pas moins à l’empereur et au parti qui voulait des réformes d’associer les cardinaux à leurs entreprises, de les lier à leurs actes : sollicitations, caresses, menaces, tout fut mis en œuvre dans ce but par Sigismond, et sa fermeté triompha.
D’orageux débats eurent lieu dans les réunions préparatoires qui se tinrent entre l’empereur, les cardinaux et les députés des nations, et qui précédèrent la quatrième session générale. Dans ces réunions, où l’on discutait les articles qui devaient ensuite être soumis au concile, les cardinaux obtinrent que le pape ne serait point encore accusé de schisme et d’hérésie pour le fait de sa fuite ; ils demandèrent beaucoup plus sans succès, et la plupart prirent envers l’empereur l’engagement de se trouver à la session prochaine.
Les esprits étaient dans l’attente d’un de ces événements qui ont du retentissement dans la suite des âges. D’un côté, l’empereur et l’immense majorité des prélats de trois nations, persuadés qu’il fallait que le pape fût abattu pour que l’Église fût sauvée, se disposaient à porter à la papauté un de ces coups terribles dont on relève, mais dont on ne guérit pas ; d’autre part, les Italiens sans chef paraissaient partagés ; ils n’osaient se rallier ouvertement à celui qui s’abandonnait lui-même ; et pourtant il leur répugnait de délaisser une cause qu’ils avaient si longtemps regardée comme la leur : la plupart inclinaient vers les cardinaux. Ceux-ci, à l’exception des membres français de leur collège, d’Ailly et Filastreb, ne faisaient qu’un seul corps et n’avaient qu’une volonté. Leurs intérêts étaient étroitement unis à la grandeur de ce siège papal qu’on allait rabaisser ; là se rattachait aussi une grande question religieuse, et plusieurs sans doute se préoccupaient de hautes pensées dans leur résistance à l’empereur et aux trois nations ; ils frémissaient des dangers dont l’Église était menacée, si ce trône de saint Pierre, qui, à leurs yeux, en était le plus ferme appui, venait à être ébranlé. Un petit nombre, et parmi eux le cardinal de Viviers, Jean de Brogni, président habituel du concilec, se dirent malades et se tinrent à l’écart, évitant de donner, par leur présence, une plus grande autorité à des mesures qu’ils condamnaient et qu’ils croyaient ne pouvoir conjurer. Les autres espérèrent davantage ; ils assistèrent à la séance dans l’intention de protester contre des actes trop violents, de les affaiblir ou de les faire ajourner. Leur calcul n’était pas dénué de fondement.
b – Le premier, cardinal de Cambrai, le second de Saint-Marc.
c – Voyez la Note K.
La quatrième session générale s’ouvrit enfin le 30 mars 1415. Le cardinal Jordan des Ursins présidait ; l’empereur était présent, et avec lui tous les princes et les ambassadeurs des rois. La messe fut dite par le patriarche d’Antioche ; puis, Zabarelle, cardinal de Florence, se leva et donna lecture des articles adoptés dans l’assemblée préparatoire des nations.
Ils commençaient ainsi : Le sacré Synode de Constance, légalement assemblé au nom du Saint-Esprit, faisant un concile général qui représente l’Église catholique militante, a reçu immédiatement de Jésus-Christ une puissance à laquelle toute personne, de quelque état ou dignité qu’elle soit, même papale, est obligée d’obéir, dans ce qui appartient à la foi, à l’extirpation du schisme et à la réformation de l’église dans son chef et dans ses membres.
Zabarelle passa sous silence les derniers mots où il était parlé de réformer l’Église dans son chef et dans ses membres. L’article fut adopté tel qu’il avait été lu et, malgré cette omission, il était encore d’une importance extrême, puisqu’il mettait le concile au-dessus du pape. Zabarelle omit aussi de lire deux articles, dont le premier constatait la liberté dont le pape avait joui à Constance, et dont le second déclarait punissable sa résistance obstinée au concile.
Deux autres articles furent adoptés dans cette session quatrième : l’un déclarait nulle toute décision du pape Jean XXIII, qui aurait pour objet de transférer la cour de Rome et ses officiers hors de la ville de Constance sans l’assentiment du concile ; l’autre annulait et cassait toutes les translations de prélats, censures ou actes quelconques faits par ledit pape, depuis sa retraite, au préjudice de l’assemblée.
Les historiens ne sont point d’accord sur tout ce qui fut dit à cette occasion ; on n’a jamais su si Zabarelle agit ainsi volontairement et de son propre mouvement, ou s’il n’exécuta que ce qui avait été résolu d’avance dans le conseil secret des cardinaux. La manière dont ils cherchèrent ensuite à tirer avantage de sa conduite rend cette dernière opinion probable ; ils demandèrent que ces articles fussent remis en délibération dans l’assemblée particulière des nations avant d’être présentés en session générale. Ils ne songeaient qu’à temporiser, oubliant que la temporisation irrite plus qu’elle ne lasse un pouvoir sans contrôle. Ils le reconnurent bientôt ; on rejeta leur demande, et il fut résolu que, dans la session suivante, les mêmes articles seraient reproduits avec plus de précision et de vigueur.
Tels furent les préludes de la cinquième et mémorable session du concile. Le cardinal des Ursins la présida comme la précédente. Huit cardinaux étaient présents ; l’empereur et les princes assistaient à la séance. Après la messe, qui fut célébrée par l’archevêque de Reims, l’évêque de Posnanie lut les articles suivants :
Premier article. — Le concile de Constance, légitimement assemblé au nom du Saint-Esprit, et faisant un concile général qui représente l’Église catholique militante, a reçu immédiatement de Jésus-Christ une puissance à laquelle toute personne, de quelque état et dignité qu’elle soit, même papale, est obligée d’obéir en ce qui regarde la foi, l’extirpation du présent schisme et la réformation générale de l’Église de Dieu, dans son chef et dans ses membres.
Second article. — Tout homme, de quelque condition et dignité qu’il puisse être, fût-ce papale, qui refusera opiniâtrement d’obéir aux décrets que ce concile et tout autre concile général légitimement assemblé a déjà faits ou pourra faire à l’avenir sur les matières ci-dessus indiquées, s’il ne revient à résipiscence, sera sujet à une pénitence proportionnée, et puni comme il le mérite, en recourant, s’il est nécessaire, aux autres voies du droit.
Troisième article. — Le concile défend à Jean XXIII de transférer ailleurs la cour de Rome, ses offices et ses officiers publics, ou de les contraindre, soit directement, soit indirectement, de le suivre sans le consentement du concile ; ordonnant que, s’il l’a déjà entrepris ou s’il l’entreprend à l’avenir, ses censures, ses menaces et ses bulles fulminatoires seront absolument nulles, et que lesdits officiers pourront exercer leurs fonctions à Constance avec une entière liberté tant que le concile durera.
Quatrième article. — Toutes les translations de prélats, les révocations, sentences et actes faits ou à faire par ledit pape, au préjudice du concile et de ses membres, depuis le commencement du concile, seront nuls et sont cassés actuellement.
Cinquième article. — Jean XXIII, aussi bien que les prélats et tous les autres membres du concile, ont joui et jouissent encore d’une entière liberté, et le contraire n’est point venu à la connaissance du concile, ce qu’il peut témoigner devant Dieu et devant les hommes.
Tous ces articles furent unanimement adoptés ; puis l’empereur annonça que ses troupes marchaient contre Frédéric d’Autriche ; il offrit même, si tel était le désir du concile, d’aller en personne à Lauffenbourg, et de ramener le pape malgré l’archiduc. L’assemblée applaudit et rendit grâces à Sigismond.
Les actes de la cinquième session du concile de Constance ont divisé le monde catholique en deux parts : l’Église gallicane les a constamment défendus, les considérant, à juste titre, comme les bases de ses libertés ; l’Église, proprement appelée romaine, les a décriés avec une égale opiniâtreté, comme injurieux, attentatoires à l’autorité du successeur de saint Pierre, entachés de vice et de nullité. Les hommes les plus ardents de cette Église tentèrent plus tard d’invalider l’autorité dont ces actes émanaient ; ils refusèrent de reconnaître le concile de Constance pour œcuménique, quoiqu’il le fût à meilleur droit que celui de Pise, qu’ils étaient obligés d’admettre comme teld. A tous les caractères œcuméniques de celui-ci, le concile de Constance joignait une convocation canonique, et un pape légitime en confirma toutes les décisions. Pour conclure enfin, quoique cette controverse ait enfanté d’innombrables volumes et ne soit point encore épuisée, il faut reconnaître que toute la chrétienté admit les décrets célèbres de la cinquième session à l’époque où ils furent rendus, et que, parmi toutes les décisions des conciles généraux, il en est peu qui ne fussent contestées si celles-ci pouvaient l’êtree.
d – Attaquer l’autorité du concile du Pise, c’était invalider l’élection de Jean XXIII, successeur d’Alexandre V, élu dans ce concile.
e – Voyez la Note I.
Le concile, assuré de sa force, poussa ses avantages avec vigueur dans la session suivante, qu’il tint le 15 avril, et qui fut la sixième. Il venait de décider que le pape lui devait obéissance ; il s’agissait maintenant de le réduire, et il montra autant de fermeté dans l’exécution que dans la menace.
Il adopta d’abord une formule pour la cession du pontificat ; il décida qu’elle serait présentée à Jean XXIII, et nomma des députés de chaque nation, qui, avec les cardinaux de Saint-Marc et de Florence, furent chargés de porter au pape les décrets du concile. Enfin, dans la septième session, le pape fut cité à comparaître sous neuf jours pour tenir son serment relativement à l’extinction du schisme, à la réformation de l’Église dans son chef et dans ses membres, et pour se justifier de l’accusation d’hérésie, de schisme, de simonie, de mauvaise administration des biens de l’Église, et d’autres crimes énormes ; il fut dit qu’un sauf-conduit était accordé à lui et à ses adhérents, par lequel ils demeureraient en sûreté au concile, sauf la justice.
Le pontife n’était déjà plus à Lauffenbourg ; dans sa terreur il avait quitté précipitamment ce refuge pour s’abriter sous les remparts de Fribourg. Mais les décrets du concile avaient glacé d’effroi ses partisans ; les troupes impériales trouvaient peu d’obstacles ; l’archiduc s’effrayait lui-même de son audace et se montrait disposé à la soumission ; enfin les députés porteurs des ordres du concile s’approchaient de Fribourg. Jean XXIII, qui les redoutait plus encore que les soldats de l’empereur, recula devant eux, traînant partout avec lui, dans sa course incertaine et vagabonde, les mortelles disgrâces de la papauté, emporté de lieu en lieu par l’esprit de vertige, cherchant le repos et la sûreté jusque dans la solitude des forêts, et ne trouvant nulle part ni la paix ni un asile.