Le Christ est le Médiateur venu en ce monde pour le sauver et le compléter par une nouvelle et définitive création. Il n’a donc pas voulu seulement instituer un rapport nouveau, une nouvelle alliance entre l’homme et Dieu, une nouvelle conception de Dieu, mais une nouvelle vie en Dieu qui, interrompant le développement contre nature de l’humanité, lui substitue un développement nouveau par la suppression toujours continue du péché. Il est donc le véritable Médiateur ; à ce titre, nous devons l’envisager successivement comme prophète, sacrificateur et roi. Si dans l’ancienne alliance le prophète intervenait pour rendre témoignage à la vérité, le sacrificateur pour offrir le sacrifice en faveur des péchés du peuple, le roi pour le protéger et le glorifier, le Christ, rassemblant en sa personne ces trois fonctions primordiales, les élève à leur plus haute puissance. Il consomme son œuvre de Médiateur par son témoignage, son sacrifice et la fondation d’un nouveau royaume dont il est éternellement la tête, le chef et le roi.
Ce n’est que par l’intermédiaire de la parole que Dieu se révèle aux hommes. Jésus-Christ doit donc apparaître au milieu du peuple comme un prophète. Le prophète est plus qu’un docteur de la parole divine. Le docteur ne sait qu’exposer, expliquer et prouver le contenu de la parole ; le prophète, au contraire, apporte une parole nouvelle ; son apparition coïncide toujours avec des temps nouveaux pour l’histoire. La parole prophétique aux jours mauvais est elle-même un fait historique, un jugement qui s’exerce, un sacrifice qui s’accomplit, une réconciliation qui se prépare, avec l’intention hautement annoncée de transformer et de purifier les temps. Le prophète, debout, sur le bord de cette mer mouvante et agitée qui représente la grande assemblée des peuples, annonce l’accomplissement progressif du dessein éternel de Dieu. Se tenant entre le passé et l’avenir, il fait voir à ses contemporains comment le présent, héritier du passé, prépare et annonce l’avenir.
Les anciens prophètes n’annonçaient que les événements contenus dans le plan d’une économie en voie d’accomplissement. Le Christ, lui, annonce une économie toute nouvelle, dont il est lui-même le chef. Son apparition prophétique marque le milieu véritable de tous les siècles, et, dans la plénitude des temps, exprime la plénitude de la prophétie. La prophétie du Christ est donc la fin de la prophétie, et tous les prophètes qui viendront après lui ne seront que ses témoins, ses continuateurs, mais ne pourront plus annoncer de prophéties nouvelles.
Le Christ apparaît parmi le peuple et prêche la Loi et l’Évangile. Les anciens prophètes, en opposition aux idées charnelles de leur temps, s’efforçaient de faire revivre la signification spirituelle de la loi, faisant sans cesse appel de la lettre extérieure aux exigences de l’esprit. De même Jésus-Christ, en opposition à la justice des pharisiens et des scribes, proclame la véritable justice spirituelle et vivante, commentant la loi mosaïque, non point pour l’abolir, mais pour l’accomplir. Tandis que les anciens prophètes ajoutent à la loi les prophéties de la grâce divine, le Christ, non seulement se présente comme la fin de la loi, mais comme la fin de la prophétie. Mais la différence essentielle entre le Christ et les anciens prophètes, c’est qu’il est le seul prophète se donnant lui-même comme l’objet immédiat de son témoignage et s’affirmant le seul médiateur entre Dieu et les hommes. Il s’atteste la plénitude de toutes les grâces : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et vous trouverez le repos de vos âmes. » Il s’affirme lui-même comme la plénitude de la loi : « Qui de vous me convaincra de péché ? » En opposition avec le monde entier, il représente le royaume du ciel comme n’étant pas de ce monde, et l’entrée dans ce royaume, il la subordonne de la manière la plus absolue à une seule condition, la foi en sa personne. L’entrée dans ce royaume étant la seule chose nécessaire, tous les intérêts et toutes les affections restent subordonnés à ce but suprême, et quand il le faut, doivent lui être sacrifiés. Aussi compare-t-il le royaume du ciel à une perle de grand prix pour laquelle un marchand sacrifie tout ce qu’il ag. Car, que servirait-il à un homme de gagner tout le monde s’il venait à perdre son âme ? C’est pourquoi il déclare que quiconque aime mieux son père ou sa mère que lui, n’est pas digne de lui, et que celui qui met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n’est pas propre au royaume de Dieu. Il dit à un homme qui veut le suivre, mais qui réclame la permission d’aller auparavant ensevelir son père : « Laisse les morts ensevelir leurs morts ; toi, viens, suis-moi et annonce le royaume de Dieuh. »
g – Matthieu 13.45-46.
h – Luc 9.60.
Le Christ, comme les anciens prophètes, annonce l’avenir, mais entre eux et lui il est une différence ; toujours il retient sa propre personne pour en faire le centre et le point culminant de l’avenir qu’il proclame. Il se donne comme Celui qui doit venir pour juger les vivants et les morts. Les discours prophétiques du Sauveur nous donnent la conception et l’épanouissement du monde nouveau dans leurs traits essentiels. De ces hauteurs prophétiques, il dénonce au temps et à l’histoire leur vraie et dernière signification. A son regard divinateur, l’histoire ne se déroule pas sur elle-même dans un cercle infranchissable, et ne poursuit pas non plus un progrès indéfini. Le cours des siècles a un but déterminé ; lorsqu’il sera réalisé, le monde deviendra le ciel nouveau et la terre nouvelle. Les destinées de l’Église se déroulent dans le grand intervalle qui sépare le présent et l’avenir, ce qui est et ce qui sera. La conception si attrayante pour le cœur naturel d’un royaume de Dieu progressant harmoniquement et paisiblement sur la terre, n’a pas de place dans le plan prophétique de Jésus. Le royaume de Dieu doit, il est vrai, progresser mystérieusement sur la terre, et, comme le levain, pénétrer toute la pâte ; mais si le monde, pour le Christ, est le monde, la nature qu’il veut ennoblir, éclairer, purifier, il est aussi le monde qui gît dans le mal, opposant à l’Évangile une résistance hostile et satanique. L’histoire vient donc aboutir à une lutte entre les deux principes, entre le Christ et le prince de ce monde, entre le royaume de la sainteté et le royaume de la fausse gloire. A cette lutte doivent prendre part toutes les âmes. Car quiconque n’est pas pour le Christ est contre lui. Toutes les puissances et tous les esprits créés sont également obligés d’entrer dans cette grande et confuse mêlée. Plus l’histoire se rapprochera du terme qui lui est assigné, et plus nous verrons la lutte s’affirmer et se faire toujours plus décisive. Bien loin donc de pouvoir rêver le rêve de la paix éternelle, s’établissant sur la terre comme une conséquence nécessaire de la diffusion des lumières, de l’adoucissement des mœurs, nous sommes au contraire forcés, aux termes de l’Évangile, de concevoir les dernières heures de l’histoire au travers du cataclysme que racontent les mythologies du Nord, dans leur mythe de Ragnarock. Au dernier temps, il doit y avoir sur la terre des luttes, des déchirements et des guerres comme jamais il n’y en a eu encore depuis que le monde existe. Ce ne sera qu’au travers des flammes et des déchirements d’une crise dernière qu’apparaîtront enfin la paix et la lumière.
Remarque. — Le Seigneur concevant l’histoire comme une lutte entre le royaume du ciel et les royaumes de ce monde, il ne fait jamais allusion, dans ses discours prophétiques, aux progrès de l’humanité par les arts et les lumières de la civilisation. Pour la prophétie chrétienne, la lutte n’est pas entre le spiritualisme et le matérialisme, ainsi que le croient les sages de ce monde, mais entre l’esprit du monde et l’Esprit saint. L’humanisme, qui ne conçoit l’histoire que comme un développement constant de la civilisation, une victoire continuelle de l’esprit et de la raison sur la nature et la matière, et tout ce qui, dépourvu d’esprit et de raison, pourrait lui faire obstacle, ne dépasse pas, en réalité, l’hellénisme, puisqu’il ne connaît pas l’opposition décisive qui existe entre l’esprit du monde et le Saint Esprit, et puisqu’il ne voit pas que la raison la plus puissante et la culture la plus raffinée pourraient être au service du principe qui combat contre le royaume de Dieu. Telle est, en effet, la fausse prophétie qui, pour être puissance spirituelle, n’en est pas moins puissance satanique. Les puissances de la civilisation et de la science sont des puissances neutres qui n’ont de valeur qu’en vertu des rapports qu’elles soutiennent avec l’un ou l’autre des deux principes, et qui se partagent, qu’elles en aient ou non conscience, toutes les âmes vivantes.
Quoique le savoir du Christ ne soit pas la toute science, mais un savoir limité, il n’en est pas moins le savoir parfait. Car il atteste en même temps : que le Fils ne connaît ni l’heure ni le moment, le Père réservant toutes les connaissances à sa toute puissance, et que le ciel et la terre passeront, mais non ses paroles à lui. La contradiction apparente entre ce savoir tout à la fois limité et illimité se résout par la notion d’un savoir, principe premier et centre, cause et type de tous les savoirs. Pour ce savoir l’infini extensif devient l’infini intensif. De même que sa personne n’est pas l’ensemble de toutes les perfections particulières, son intelligence non plus n’est pas le trésor contenant toutes les vérités relatives, mais la vérité essentielle. Puisqu’il est le centre de la création, et qu’en lui repose dans toute sa plénitude le bon plaisir du Père, il ne peut pas se connaître lui-même sans connaître en même temps et réellement Dieu et les hommes, le monde et toutes les créatures. Il trouve dans son propre cœur, par son expérience personnelle, la connaissance des lois du royaume de Dieu et des mystères de l’âme humaine. La sympathie profonde, qui l’unit à toutes les créatures humaines lui révèle le secret de tout homme qui entre en rapport avec lui, que ce soit un Nicodème ou une Samaritaine, un Nathanael ou un Judas. Il les connaissait tous, et il n’avait pas besoin que personne lui rendît témoignage d’un autre homme, car il savait ce qui est dans l’hommei. Il sait ce qui est dans le cœur de l’homme, il sait aussi ce qui est dans le monde, car il pénètre avec le regard de son savoir infaillible les puissances célestes, terrestres et démoniaques qui dominent l’histoire et le temps, changeant sans cesse de formes et d’aspects, apparaissant toujours nouvelles, s’obstinant à la lutte qui doit amener la crise suprême, le jour du jugement du monde. La prophétie est donc la clef qui donne l’explication non seulement de l’histoire de l’Église, mais encore de l’histoire du monde et même de la nature.
i – Jean 2.24-25.
Remarque. — S’il est, lui, la Parole divine faite chair, la parole qui tombe de ses lèvres est aussi une parole divine revêtue d’une forme humaine. Il parle en paraboles et en figures ; la vérité divine qu’il énonce devient, au sens profond du mot, une parole humaine, compréhensible non seulement au sage, mais au simple. « Père, je te loue de ce que tu as révélé ces choses, non point aux sages et aux savants, mais aux simplesj. » Telle est la véritable idée de l’accommodation (συγκατάβασις), l’acte de condescendre et de s’accommoder aux imperfections et aux faiblesses de l’intelligence humaine. L’idée rationaliste de l’accommodation en vertu de laquelle le Christ aurait eu deux vérités, l’une secrète et l’autre publique, est en pleine contradiction à l’idée de révélation. « S’il avait eu un meilleur Évangile, il nous l’eût donné », dit Luther. Mais qu’il y ait eu des choses que les disciples ne pouvaient pas encore entendrek, et que pour ce motif il n’ait pas pu leur faire entendre ; qu’encore aujourd’hui, il y en ait dans ses discours que personne ne peut comprendre, c’est ce qu’implique de toute nécessité la nature d’une révélation s’accomplissant dans le temps sous une forme progressive et économique.
j – Matthieu 11.25.
k – Jean 16.12.
« Il parle avec puissance, avec autorité, et non point comme les scribes. » Cette parole s’applique à tout véritable prophète, mais dans un sens tout particulier au Fils unique de Dieu. La cause de la puissance de la parole du Christ n’est pas l’inspiration, comme pour les prophètes, mais l’incarnation. L’inspiration suppose une opposition naturelle entre l’homme et Dieu. Le prophète, naturellement un pécheur, doit être d’abord élevé par l’Esprit divin dans les sphères célestes ; il faut que ses lèvres souillées soient purifiées avec le charbon ardent que le séraphin va prendre sur l’autell. Le Christ au contraire parle comme celui qui est naturellement dans le Père et qui sent que le Père est en lui. Aussi il dit : « Nul ne connaît le Père que le Fils et celui à qui le Fils aura voulu le révéler. » Il dit encore : « Jamais personne ne vit Dieu ; le Fils unique qui est dans le sein du Père nous l’a manifesté. » Son autorité est donc au-dessus de celle de tous les prophètes : « En vérité, en vérité, je vous le dis. » Quoique revendiquant une autorité illimitée, il ne demande pas l’obéissance de l’esclave, mais la libre adhésion de l’intelligence et du cœur. « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiésm. » — « Si quelqu’un veut faire la volonté de Dieu, il se convaincra si ma doctrine est de Dieu ou si c’est de mon propre chef que je parlen. »
l – Ésaïe 6.6-7.
m – Matthieu 5.6.
n – Jean 7.17.
Le Christ est un prophète puissant en paroles et en œuvreso. Tandis que le don des miracles n’est qu’accidentel et transitoire chez les anciens prophètes, il s’identifie avec la personne du Christ et n’est que l’expression de sa signification messianique. Sa parole et ses miracles ne sont que les aspects divers sous lesquels se révèle le grand miracle de l’incarnation. « Allez et annoncez à Jean ce que vous voyez : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et l’Évangile est annoncé aux pauvres. » Sa parole et sa doctrine sont tout autant de miracles dans l’ordre de la nature ; chacun de ses actes est une parole visible, un signe de l’origine miraculeuse de l’Évangile ; il ne veut pas des miracles que demande l’orgueil de la chair, parce que ceux qui ne comprennent pas la parole n« comprendront pas non plus le miracle et se scandaliseront bientôt à cause de son humiliation. Aussi il ne renvoie pas seulement aux miracles, mais encore au témoignage de l’Esprit dans la conscience humaine, de même qu’aux signes du temps qui par l’histoire confirment la prophétie. L’impression de sa personne domine toujours celle de sa parole ; on ne peut l’accepter ou la rejeter sans avoir d’abord accepté ou rejeté sa personne.
o – Luc 24.19.
L’œuvre prophétique du Christ appelle nécessairement son œuvre sacerdotale, expression et apaisement du besoin d’expiation. C’est en effet dans ce besoin éternel de notre nature que se trouve la cause du sacerdoce et du sacrifice pour toutes les religions antérieures au christianisme. Le Christ, qui est la fin et l’accomplissement de la prophétie, est aussi par sa personne la véritable réalisation du sacerdoce et du sacrifice ; il est tout à la fois le véritable grand prêtre et le véritable sacrifice. Seul le Fils de Dieu, mais non un homme pécheur, peut être médiateur entre Dieu et les hommes et instituer la nouvelle alliancea.
a – Voir toute l’épître aux Hébreux.
La nécessité de la réconciliation s’impose par le fait même de la séparation qui, depuis la chute, existe entre Dieu et l’homme. Aussi certainement que cette séparation n’a pas seulement une réalité pour l’homme, mais pour Dieu lui-même, aussi certainement cette réconciliation est une nécessité pour l’homme et pour Dieu lui-même. Mais il ne s’ensuit nullement qu’à la suite de cette réconciliation un changement doive s’accomplir dans l’essence divine, considérée métaphysiquement. N’est-il pas en effet évident que la réconciliation ne peut avoir sa cause que dans l’être divin lui-même et dans les profondeurs de l’amour éternel, inaccessible aux variations et aux ombres qui changentb ? Nous ne voulons pas dire non plus que la réconciliation accomplie entraîne un changement dans les rapports de Dieu avec le monde. Par la présence éternelle du Logos dans le monde, Dieu n’avait pas cessé d’être en rapport virtuel avec le monde déchu, qui malgré sa déchéance restait toujours sa créature ; mais on ne doit pas moins affirmer que l’homme doit devenir le réconcilié de Dieu, et Dieu le Dieu réconciliéc. Car l’amour de Dieu effectif et vivant trouve dans le monde ; par le fait du péché, une contradiction et un obstacle, la sainteté et la justice divines, pensées irréalisées, contristent l’amour divin qui veut réellement se manifester dans le monde, et le condamnent à rester sans réalisation extérieure. Dieu lui-même est obligé de retenir la révélation de son amour dans les profondeurs de son être, au lieu de la laisser s’épandre sur le monde.
b – Éphésiens 1.5 ; 1 Pierre.1.20.
c – Confession d’Ausbourg, III : « Afin qu’il réconciliât le Père avec nous » ; XX : « Par Christ nous avons un Dieu apaisé ».
Remarque. — On doit donc concevoir la réconciliation (l’expiation) comme la suppression de l’opposition, de l’antinomie existant dans le monde des révélations divines entre la justice et l’amour de Dieu. Les attributs divins sont essentiellement unis entre eux ; à la suite du péché cependant survient pour eux une affirmation qui oppose la justice à l’amour. Dieu, il est vrai, aime éternellement le monde, et cependant le rapport réel qui l’unit au monde n’est plus un rapport d’amour, mais de sainteté et de justice, et par conséquent un rapport d’opposition, se répercutant dans l’économie divine elle-même. Entre le rapport réel de Dieu avec le monde et son rapport virtuel il y a donc contradiction, et cette contradiction ne peut être levée que si la cause qui l’a provoquée, le péché, est réellement anéanti dans l’humanité. Aussi longtemps que cette exigence ne sera pas satisfaite, le rapport réel de Dieu avec le monde ne pourra trouver sa véritable signification que dans l’idée de la colère de Dieu. Cette expression « la colère de Dieu » n’exprime pas un anthropopathisme, mais une affection divine, réelle et nécessaire, et nécessairement contenue dans l’amour de Dieu, obligé de se restreindre et de se contenir en lui-même par le fait de l’injustice des hommes. La colère de Dieu n’est donc que l’amour de Dieu méconnu, contredit par la révolte de l’être avec lequel il voulait entrer en communion. Cette contradiction subie par l’amour divin peut être envisagée comme la colère divine, mais aussi comme une émotion profonde dans l’esprit qui aime ; la colère devient alors la compassion. Il faut croire à la colère divine si l’on veut croire aux compassions divines. Si l’antiquité païenne n’a jamais cru à l’amour de Dieu c’est qu’elle n’a jamais eu, distinct et bien vif, le sentiment de la colère de Dieu qui pèse sur le monde. Platon et Aristote n’ont jamais pu s’élever au-dessus de cette incomplète et triviale conception d’un Dieu, qui n’est pas l’ennemi de la création ; et tout le verbiage moderne sur l’amour divin, inaccessible aux émotions de la terre, n’a pas en définitive beaucoup plus de signification. L’Ancien Testament, au contraire, qui, à chaque instant, dans les prophètes et dans les psaumes, évoque la colère de Dieu comme un feu consumant, sait nous dire en retour la grandeur de la bonté et de la mansuétude divines, et il sait ce que ne savent ni Platon ni Aristote, que l’amour de Dieu est l’amour d’une mère.
En disant que la réconciliation est nécessaire non seulement pour l’homme, mais pour Dieu lui-même, nous ne contredisons qu’à l’idée morte et non point à l’idée vivante de l’immutabilité divine. Cette immutabilité divine, en effet, ne peut pas être une idée vague et abstraite, sans réalité et sans vie, excluant de la pensée divine tout concours du Créateur avec la créature pour l’exécution du même dessein. D’autre part, on doit envisager l’union des attributs divins entre eux, non comme une pure négation, mais surtout comme une action entraînant des moments différents dans la vie divine, et subordonnant leur révélation dans le monde moral aux conditions de la liberté, par conséquent à la lutte et à la contradiction. Si l’on conçoit la justice comme exprimant les rapports de Dieu avec l’homme, et si on laisse au péché toute sa réelle signification, il faut bien reconnaître que, par suite de son intervention, ces rapports doivent constituer un point d’arrêt pour le libre développement de l’unité divine. Précisément à cause de l’immutabilité de son essence, Dieu doit donc demander que ce rapport d’union soit rétabli dans l’économie divine. Une simple déclaration du pardon des péchés, sans abolition réelle du péché, ne serait qu’une réconciliation apparente, et il vaudrait mieux que le monde entier fût anéanti que si les lois de la sainteté et de la justice éternelles restaient méconnues. L’amour saint qui contre tout homme peut réclamer le paiement d’une dette infinie, doit être reconnu par la conscience comme un créancier qui frappe et a le droit de frapper au nom de l’imprescriptible justice. Il faut que la dette soit payée ; l’homme n’ayant aucun moyen pour s’acquitter, il faut que l’amour divin le trouve lui-même. Une expiation réelle, bien loin donc de contredire à l’immutabilité divine, n’en est au contraire que la vivante conséquence.
Que la réconciliation s’accomplisse non seulement sur la terre, mais encore dans le ciel, non seulement dans le cœur de l’homme, mais dans le cœur de Dieu, telle est la pensée fondamentale de la doctrine ecclésiastique de l’expiation développée scientifiquement au moyen âge par Anselme de Cantorbéry, dans son écrit « Cur Deus homo », et revendiquée solennellement par la dogmatique des réformateurs. En opposition à cette doctrine d’une expiation objective et réelle, par laquelle le Christ apaise la colère divine et réconcilie le ciel et la terre, déjà Abélard développait la pensée d’une expiation subjective et purement psychologique. Au temps de la Réforme, les sociniens, et de nos jours les rationalistes représentent ce même point de vue. D’après eux, Dieu ne peut pas être réconcilié et n’a pas besoin d’expiation, car il est l’amour éternel, sans changements ni vicissitudes. Les hommes seuls ont besoin de réconciliation, parce qu’ils ne veulent pas croire à l’amour éternel. Adonnés au péché, ils sont dominés par l’esprit de la peur. Par conséquent ils ont besoin d’un signe, d’un gage visible de la grâce divine, et ce gage, c’est le Christ. Le Christ n’est pas venu pour apaiser la colère de Dieu, conception indigne de Dieu et de la conscience humaine, mais pour bannir la crainte de la terre. Sa vie toute de dévouement, son sacrifice sublime font naître la foi et la confiance dans le cœur des hommes et les ramènent au Père céleste. La réconciliation ne peut donc s’accomplir que dans le cœur des hommes et non point en Dieu, trop élevé pour avoir besoin de sacrifice et d’expiation.
Nous enseignons, nous, que l’amour immuable est l’essence divine, et nous affirmons hautement que la manifestation de l’amour divin doit pouvoir être niée dans le monde par le péché ; dès lors, nous le croyons, il ne serait plus l’amour si ses saintes exigences pouvaient être méconnues sans qu’il se sentît atteint. Cette doctrine d’un Dieu trop élevé pour avoir besoin d’expiation est donc inséparable de la doctrine d’un Dieu trop grand pour être offensé par le péché. Car si l’expiation n’existe pas pour Dieu, le péché non plus ne saurait exister pour lui. Reconnaissons par conséquent que, puisque le péché est l’interruption d’un rapport entre Dieu et nous, nous ne pouvons pas par conséquent nous contenter d’une expiation apparente, ne s’accomplissant que sur la terre et non point dans le ciel. Pour s’en contenter, il faut ne connaître le péché qu’extérieurement et bien superficiellement. Quelle que soit l’énergie morale que l’on puisse accorder à un Abélard et aux caractères pélagiens, l’expérience nous apprend cependant toute la supériorité de ces hommes qui, dans le trouble d’une conscience effrayée, ont le plus ressenti l’aiguillon du péché et la pesanteur de leur dette, confessant le péché non point comme l’interruption d’un rapport avec une loi impersonnelle, mais comme l’interruption d’un rapport avec le Dieu vivant. Un Paul, un Augustin, un Anselme, un Luther, un Calvin, un Pascal, n’ont pu trouver la paix que dans la foi en un Dieu réconcilié ; et ce n’est qu’après avoir compris par la foi en l’Évangile que la colère de Dieu était apaisée, que l’amour a pu bannir la crainte de leur cœur.
L’opposition entre Dieu et le monde, le péché par conséquent, négation de la majesté divine, cesserait si l’humanité pouvait elle-même accomplir le véritable sacrifice, non point celui des religions de l’antiquité, offrande de choses mortes, mais le sacrifice véritable, l’immolation du principe mauvais, mourant au moi du péché pour renaître à Dieu dans une obéissance absolue. Ce sacrifice défie le pouvoir de tout homme. Car ce n’est que dans la communion avec Dieu et sous l’impulsion de la grâce que la liberté humaine peut réaliser le vrai bien. Mais le péché consiste précisément à supprimer la communion divine et à faire de la liberté humaine une liberté sans grâce, n’accomplissant le bien, alors même qu’elle l’accomplit, que comme une œuvre légale, pour lui la seule possible, sans l’affection qui, procédant seule de l’amour divin lui-même, peut inspirer l’œuvre véritable. Aussi tous les sacrifices anciens étaient insuffisants et sans efficace pour purifier la conscience humaine. Le cœur ne pouvait se donner, car, séparé de Dieu, il ne pouvait retrouver ni reconquérir sa liberté. Pour que le véritable sacrifice soit accompli, il faut une double condition dont l’humanité reste à toujours incapable. L’homme, par un acte de sa liberté, doit d’abord interrompre le développement du péché en lui, et recommencer un développement nouveau dans la charité, l’obéissance et la justice. Cet acte de la liberté humaine doit donc être un acte de la grâce, l’acte propre de Dieu dans l’histoire du pécheur. Cette condition n’est nulle part réalisée, si ce n’est dans l’Evangile. « Dieu était en Christ réconciliant le monde avec lui. »
L’amour divin qui de toute éternité connaissait la possibilité de la chute, de toute éternité avait trouvé la voie de la réconciliation. Par pur amour et par pure grâce, le Père envoie son Fils dans l’abaissement, l’obéissance et la douleur. Second Adam, par sa libre obéissance, le Fils réalise les exigences de l’amour juste et saint ; il accomplit les sacrifices que devait mais que ne pouvait pas accomplir l’humanité ; il épuise la coupe des douleurs du péché, qui devait être épuisée pour que fût interrompu le développement dans le mal et initié un développement nouveau. L’acte du Christ est le propre acte de l’amour divin et de la grâce divine dans l’humanité ; mais, dans un sens profond, le propre acte de l’humanité, car il est Dieu fait homme, il est le second Adam, qui satisfait aux saintes exigences de la justice pour l’humanité. Sur la terre est donc abattue la paroi qui séparait Dieu de l’homme, et dans le sein de l’humanité pécheresse se trouve établi un principe de vie dans la sainteté et la pureté, renouant les relations interrompues entre Dieu et l’homme, et répandant à nouveau sur la terre toutes les influences de l’amour divin. Dieu donc considérant toute l’humanité dans le nouvel Adam, il en résulte que si un est juste, tous sont justes ; que si un est mort, tous sont morts ; que si tous meurent en Adam, tous doivent revivre en Christd.
Le second Adam prend donc la place de l’humanité tout entière, et son sacrifice expiatoire doit être considéré comme le sacrifice de l’humanité tout entière (satisfactio vicaria). Cependant notre conscience intime demande que la justice et l’obéissance ne soient pas seulement au dehors de nous et dans un autre, mais qu’elles deviennent notre justice personnelle. Le Christ satisfait à cette exigence, car il n’est pas seulement la victime qui souffre pour le péché, il est le Rédempteur qui abolit le péché en établissant entre nous et lui un lien qui devient une vie nouvelle. La superstitieuse et grossière confiance dont la doctrine de l’expiation a été parfois l’occasion a surtout pour cause un Christ conçu exclusivement comme celui qui expie et non plus comme celui qui sanctifie et relève. Dieu en Christ réconciliant le monde avec lui peut seul nous faire entendre l’exhortation : « Réconciliez-vous avec Dieu ! » c’est-à-dire : appropriez-vous l’expiation accomplie par Jésus-Christ, par la vertu rédemptrice, sanctificatrice et purificatrice qui émane du Christ. Le Christ devenant nôtre par la foi, il n’est pas seulement Rédempteur au dehors, mais au dedans de l’homme. Avec la foi, c’est-à-dire avec la nouvelle volonté qui réalise le sacrifice du cœur, s’ouvre pour l’homme une nouvelle source de vie et se fait le commencement du salut. Nous disons : Dieu voit en Christ la réconciliation du monde, pour dire : Dieu accepte le sacrifice et les perfections du Christ comme appartenant en propre à l’humanité, ce sacrifice et ces perfections réalisant déjà pour lui la suppression du péché dans l’humanité tout entière. La rédemption, fondement de la foi dans le cœur de l’homme, est essentiellement une œuvre de grâce, mais elle n’en est pas moins l’œuvre de l’homme, qui toujours retient le pouvoir de résister à la grâce. Aussi faut-il que l’Évangile de la rédemption, destiné au monde entier, soit pour les uns une occasion de chute, pour les autres de relèvement, et une odeur de mort pour ceux qui périssent, une odeur de vie pour ceux qui se laissent sauver. Ce fait au reste, trouvera son développement naturel lorsque, nous serons appelés à traiter la doctrine de la grâce et de l’élection.
La Dogmatique évangélique conçoit l’œuvre rédemptrice du Christ au double point de vue de l’obéissance active et de l’obéissance passive (obedientia activa et passiva) du Christ, mais ne réclame pour cette conception qu’une valeur toute relative. On ne peut se représenter, en effet, aucune action du Sauveur qui ne soit en même temps une souffrance à cause du péché du monde. L’histoire de la passion ne commence pas en Gethsémané, elle se retrouve dans sa vie tout entière qui n’est qu’une passion sans cesse grandissante. D’un autre côté, il n’y a aucune souffrance en Christ qui ne soit une action libre et volontaire, quand on l’étudié dans sa signification intime et vraie, car toute sa vie n’est que l’histoire de l’obéissance toujours libre et volontaire, ne souffrant que pour triompher. Cette distinction étant admise comme relative, nous disons que le Christ est notre justice puisque par les actes de sa vie il accomplit la loi (obedientia activa), et par ses souffrances et sa mort il se livre pour nos péchés (obedientia passiva).
e – Calvin est le premier des théologiens de la Réformation qui ait développé cette grande et belle idée : « La passion comprend la vie tout entière du Sauveur ; elle ne se termine sur le calvaire que parce qu’elle commence à Bethléem. » (Trad.)
Devant Dieu, Christ est notre justice, car dans une perfection absolue il a vaincu le monde, accomplissant la loi malgré toutes les tentationsf et réalisant l’idéal de la nature humaine. Dès lors qu’en accomplissant la loi il agissait, non point individualité isolée et perdue dans la suite des générations, mais chef et représentant de l’humanité tout entière, réalisant dans son propre idéal celui de l’humanité tout entière. C’est donc bien à notre place et pour nous qu’il a accompli la loi, et c’est à bon droit qu’il peut dire à ses disciples que, « quoiqu’ils aient des tribulations en ce monde, ils auront cependant la paix en lui, parce qu’il a vaincu le mondeg. » En lui, le chef, se trouve contenue la justice du corps tout entier ; le Père contemplant en lui l’humanité tout entière, la contemple comme une humanité bien-aimée. Pour objecter que l’imputation d’une justice étrangère constitue une injustice, il faut concevoir l’humanité comme un ensemble purement accidentel d’individualités sans lien entre elles, et nier la dépendance et l’union du chef avec le corps dans la même solidarité. Pour être conséquente, cette conception atomistique et individualiste doit nier l’idée même d’un corps spirituel et refuser à un peuple une âme et la conscience de lui-même. A ce point de vue, on ne peut pas non plus admettre que nous puissions bénéficier de l’influence des grandes actions qui se commettent hors de nous et sans nous. Au même point de vue, il faut encore interdire à un peuple le droit de prendre pour modèle les faits héroïques de ses grands hommes et de se les approprier comme sa gloire et sa justice propre. Ce sont là tout autant de faits qui attestent la réalité de l’indissoluble union qui, dans la diversité, nous rattache au corps spirituel dont nous sommes les membres. Ces réalités indéniables, nos meilleurs titres de noblesse, le christianisme n’a fait que les consacrer et leur donner leur expression la plus sainte et la plus élevée.
f – Matthieu 3.15 ; 5.17.
g – Jean 16.33.
Le Christ, en se faisant notre justice expiatoire devant Dieu, se fait notre rédemption à nous pour notre véritable affranchissement du péchéh.. Par sa vie, véritable incarnation de la loi, il éveille en nous la conscience du péché et le désir d’une vie sainte et bienheureuse.
h – 1 Corinthiens 1.30.
A ceux qui le reçoivent, il donne le pouvoir d’être faits enfants de Dieui. La force rédemptrice qu’il nous communique n’émane pas seulement de la puissance de ses discours, mais de l’impression directe et personnelle qu’il exerce sur nous et dont il fait l’âme de tous ceux que Dieu lui adonnés. Déjà Platon a dit que nous n’arrivons pas à la vertu par l’enseignement ou par notre propre nature, mais par l’influence des dieux, et que la fréquentation ou le simple contact d’un homme inspiré de Dieu nous donne de la force pour le bien, de même qu’aux côtés d’un vaillant soldat on devient vaillant soi-même. L’apôtre saint Paul ne fait que traduire cette vérité lorsqu’il dit : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moij. » Tous ceux que le Seigneur reçoit dans l’intimité de sa communion, il les rend participants de la communauté de ses souffrances et de sa mort. Car ce n’est que dans la mort du Sauveur que se révèle le péché, et ce n’est que par cette mort que le péché est complètement expié. Car si la loi doit être complètement accomplie, il faut que la dette soit complètement acquittée.
i – Jean 1.12.
j – Galates 2.20.
La mort du Sauveur nous révèle dans toute sa réalité le péché du monde. Dans cette mort, ce n’est pas une cause relativement bonne qui succombe, un parti qui rencontre la défaite sous les coups d’un autre parti. Celui qui meurt de la mort d’un malfaiteur, c’est la justice faite homme, celui qui est au-dessus de tous les partis et les domine tous. Cette mort atteste donc la souveraine injustice de ce monde. Elle n’est pas l’œuvre de quelques hommes isolés, mais la conséquence de tous les péchés commis antérieurement dans le monde, rencontrant ici leur plus redoutable et dernière expression. L’humanité est descendue à un tel degré d’abaissement que les puissances qui pour le juif et le païen représentent la loi et la religion, l’autorité religieuse et l’autorité civile, s’entendent ensemble et crucifient le Saint et le Juste ; ce sont bien les principautés et les puissances de ce monde, et non Caïphe et Pilate, qui attachent le Sauveur sur la croix. Au pied de la croix apparaissent et le judaïsme incrédule, l’esprit pharisaïque se divinisant lui-même dans la lettre de la loi, et le paganisme sensuel s’adorant lui-même comme un dieu terrestre dans la personne de l’empereur romain. Caïphe, Pilate et Judas pouvaient ne pas exister, les puissances mondaines n’en crucifiaient pas moins le Sauveur. La mort du Sauveur est donc la révélation complète du péché et de la culpabilité du monde. Mais cette mort qui, grâce à l’ineffable mystère de l’amour rédempteur, si hautement condamne l’humanité, expie le péché de l’humanité, et la croix du Golgotha, ce signe de malédiction dans l’histoire, devient pour cette même histoire le signe du salut, l’arbre de la liberté sainte.
L’explication de ce mystère ne peut être recherchée que dans le rapport mystérieux qui existe entre le Christ et l’humanité. L’humanité n’est pas seulement au pied de la croix, elle est aussi sur la croix ; si le vieil Adam est au pied de la croix, sur cette même croix le nouvel Adam expire. Il est vrai que le second Adam ne participe pas au péché de l’humanité, mais, dans sa conscience, il se sent indissolublement uni à l’humanité pécheresse. La souffrance et la mort qu’il endure de la part de l’humanité, il les fait la souffrance et la mort pour l’humanité. Dans le sentiment de son infinie compassion, il accepte la dette de ses frères comme la sienne propre, et la porte devant Dieu sur son cœur sacerdotal. Par son incarnation, il est si intimement uni à l’humanité pécheresse que, d’après l’expression de Luther, il peut dire : « Je suis ce pécheur, son péché et sa dette m’appartiennent » ; et que le pécheur peut dire, par la foi : « Je suis le Christ, c’est-à-dire : sa mort et sa justice m’appartiennent ». A ce point de vue seulement, l’on peut comprendre que celui qui n’a jamais connu le péché ait pu être traité comme pécheur, qu’il ait été navré pour nos transgressions et battu pour nos forfaits, et que la plaie lui ait été faite afin que nous eussions la paixk.
k – 2 Corinthiens 5.21 ; 1 Pierre 2.24 ; Ésaïe 53.5.
Le sacrifice expiatoire que ne peut offrir l’humanité, c’est un cœur brisé, acceptant volontairement la souffrance méritée par le péché, mourant au péché, dans la douleur et la confession du péché et la repentance. La repentance est une lutte à mort contre le péché. Dans cette lutte, l’homme pécheur meurt non seulement à ses actions pécheresses, mais encore au principe du péché. Quoique le Christ sans péché n’ait pas à se repentir, cependant la sainte douleur sur le péché de l’humanité est l’âme de toute sa passion. C’est le nouvel Adam, la vraie nature humaine, laissant éclater son sanglot sur l’humanité déchue. C’est le péché de toute l’humanité qu’au moment de sa mort confesse le Seigneur. A l’heure voulue, au moment marqué comme devant être à jamais le centre de tous les temps, il y eut donc un cœur pour ressentir la douleur morale qui contredit le péché et l’arrête dans son développement. Le nouvel Adam sacrifie sur la croix, le moi, le principe cosmique et mondain, créateur des royaumes de ce monde et de leurs gloires, qui se retrouve partout et qui s’est attaqué au Sauveur lui-même, quoique jamais en lui il ne soit devenu le péché. Et si le second Adam, qui était la perfection dans toute sa réalité, meurt à la possibilité du péché, il ne meurt point pour lui-même, mais pour l’humanité pécheresse, « car si un est mort, tous aussi sont mortsl. »
Le moment expiatoire dans la mort du Sauveur ne consiste donc point dans les souffrances corporelles considérées comme telles, ni dans le sang et les blessures envisagées en elles-mêmes, mais dans l’amour infini que manifeste le sacrifice. Mais le sacrifice de l’amour ne serait pas complet si le Sauveur mourait spirituellement et non corporellement à la place de l’humanité. Le véritable sacrifice expiatoire ne contient pas seulement la confession des péchés, la douleur du péché, mais l’acceptation volontaire de la souffrance, châtiment du péché, toutes les conséquences du péché, toutes les douleurs pour l’homme se réunissant dans la mort, le salaire du péché. Quoique le Christ innocent n’ait pas à souffrir pour ses propres péchés, il souffre cependant ce que les pécheurs ont mérité de souffrir, l’anéantissement dans la mort, la mort qui porte en elle l’aiguillon du péché. Que le Seigneur meure la mort, qui est le salaire du péché, c’est ce qu’affirme sa mort sur la croix des malfaiteurs. Mais cette mort trouve son aiguillon dans le péché, le péché du monde que le Sauveur porte sur son cœur sacerdotal, et dans les jugements de Dieu qui pèsent sur son âme. En acceptant volontairement le châtiment, il livre toute sa personne à la mort ; mais il cloue sur sa croix la dette de nos péchés. Le châtiment étant complètement accompli, la justice est satisfaite et le sacrifice est consommé pour la rémission des péchés. Aussi certainement que le sacrifice est un acte du nouvel Adam, aussi certainement il est la propre et véritable action de la nature et de la liberté humaines. Mais le sacrifice, pour être un acte de la liberté humaine, doit être d’abord un acte de la grâce miséricordieuse de Dieu ; ainsi donc, le second Adam qui souffre, c’est Dieu qui souffre, Dieu lui-même dans l’abaissement humain le plus profond, le Dieu homme mourant. Depuis lors, pour les croyants, la mort a perdu son aiguillon. En Christ ils ont un Dieu réconcilié, qui leur apprend à mourir à la crainte de la mort, à la mort elle-même qui a pour aiguillon le péché et le juste jugement de Dieu.
Dans le Sauveur souffrant et mourant, l’humanité par conséquent meurt à la mort en mourant au péché. L’humanité meurt au péché, dans le nouvel Adam, parce qu’en lui elle meurt non seulement à la volonté de la chair, mais à toutes ses ambitions mondaines ; car, au sens réel du mot, ce qui fait le monde, ce monde, c’est l’instinct auquel l’humanité ne veut pas renoncer, qui toujours l’entraîne à chercher le bonheur, l’idéal et la perfection dans le royaume qui glorifie toutes ses ambitions terrestres. L’esprit humain cherchant son idéal dans un Messie terrestre et juif, dans ce royaume des joies de la chair que l’espérance se complatt à parer des plus séduisantes couleurs de l’imagination, il le contemple dans l’idéal esthétique de l’hellénisme, dans le royaume de la beauté plastique, dans le monde enchanteur de l’art ; ou bien encore, prosterné au pied de la Rome des Césars, il croit ne voir la réalisation de ses rêves que dans l’empire de la réalité, qui seul dispense les grandeurs, les gloires et les jouissances terrestres. Mais il faut nous hâter de dire que toutes ces formes de l’idéal humain passent, meurent, et bientôt ne se retrouvent plus que dans le panthéon de l’histoire. La loi inexorable qui préside aux destinées du monde veut que toutes ces gloires se fanent et soient emportées, ainsi qu’il en est de la couronne de nos grands arbres aux premiers souffles de l’automne. Mais cette loi maîtresse de ce monde doit enfin trouver dans l’histoire l’inconcussum, le roc contre lequel elle vient briser sa force et confesser son néant, quand apparaîtra la liberté humaine sacrifiant toutes les gloires de ce monde pour le royaume de l’invisible et du réel. Ce roc, c’est la montagne du Calvaire ; ce sacrifice, la liberté humaine s’immolant, parce qu’elle est d’abord la grâce divine immolée pour nous. Par cette parfaite union du divin et de l’humain, la mort du Christ devient la libre révélation de la Providence dans l’histoire, tandis que le judaïsme reste assujetti au joug de la loi et le paganisme à celui de l’aveugle fatalité.
Lorsque le Sauveur s’écrie sur la croix : « Tout est accompli », alors se déchire le voile du temple ; le culte lévitique prend fin et laisse la place à la réalité dont il n’était que l’ombre. Le vrai sacrifice expiatoire est accompli, et vers le ciel fait monter le parfum d’agréable odeur. Le ciel se penche et le recueille, parce qu’il monte du cœur de l’humanité sanctifiée. Lorsque ce cœur se brisa pour revivre éternellement, alors le monde et le prince de ce monde furent vaincus. La mort du Sauveur est expiatoire, elle est donc aussi rédemptrice. Pour le monde, le Sauveur crucifié devient le principe de la repentance et de la conversion. Ce sacrifice devient le mot d’ordre et le résumé de la prédication apostolique : « Je ne veux savoir autre chose que Jésus et Jésus crucifié », car ce n’est que par la rémission des péchés que nous pouvons être rendus participants de la vie éternelle. C’est donc avec raison que l’article de la rémission des péchés et de la justification par la foi est devenu le fondement de la croyance de l’Église évangélique. De ce fait procède la nouvelle naissance ou l’imitation du Christ dans la communion de ses souffrances, car ce n’est qu’en mourant avec le Seigneur que nous pouvons vivre avec lui. Le signe qui nous permettra de dire si nous sommes dans nos souffrances en communion avec le Christ, c’est lorsque les acceptant librement, nous saurons faire de notre mortelle-même une action volontaire sur le modèle de celle du Christ et par conséquent une victoire sur le monde. Plus les croyants pénètrent dans la communion des souffrances du Christ, plus leurs souffrances deviennent rédemptrices pour le monde, ainsi que l’atteste d’une manière visible l’histoire des héros et des martyrs chrétiens.
Remarque. — Souverain pontife, le Christ intercède aussi pour nous auprès de son Père. Cette intercession représente la valeur éternelle de son sacrifice expiatoire. Par conséquent, cet article trouvera sa véritable place lorsque nous dirons sa royauté, l’activité du Christ se poursuivant au sein de l’Église.
Dans son abaissement le Christ réalise sa vraie grandeur morale. La mort devient pour lui la toute puissance ; par elle, sa personne et son œuvre revêtent leur véritable et souveraine signification. Dans les jours de sa chair, l’intime union de sa puissance morale et de sa puissance cosmique ne pouvait se révéler que d’une manière incomplète ; renfermée dans les limites du temps, sous le voile du mystère, elle n’apparaissait que pour disparaître aussitôt. Mais par son libre sacrifice et par sa mort, il consomme l’union de sa nature humaine et de sa nature divine, il meurt à tout ce qui est imparfait, afin que la perfection apparaisse dans toute sa réalité, lui-même se révélant dans tout son éclat comme le Seigneur de gloire, reconnu par le Père à ce titre, et possédant la toute-puissance. Élevé au-dessus des étroites limites de l’espace et du temps, il apparaît le chef éternel du royaume de la grâce. Il fait de ce royaume le centre non seulement de l’humanité, mais du monde universel des esprits, en attendant que, conquérant celui de la nature, il en fasse le royaume de la sainteté et de la gloire. La royauté du Christ se trouve constatée dans les dogmes de sa descente aux enfers (hadès), de sa résurrection et de sa séance à la droite de Dieu le Père. L’exaltation du Christ réalise le type du roi théocratique idéal et les anciennes prophéties concernant le Messie glorieux, contre-partie de celles qui prophétisent un Christ abaissé et souffrant.
Remarque. — Déjà dans son état d’abaissement, le Christ est roi et vaque à ses fonctions royales ; il choisit les apôtres, il institue l’apostolat et les sacrements, il donne aux apôtres le pouvoir de lier et de délier ; mais ce n’est qu’après sa mort qu’il entre avec éclat dans son règne.
C’est un des faits essentiels de la tradition apostolique et de l’enseignement des Églises primitives, que le Seigneur, tandis que son corps était au tombeau, en esprit visita le royaume des morts et prêcha aux âmes qui étaient détenues en prisona. Quelle que soit l’obscurité qui enveloppe cette doctrine, elle n’en exprime pas moins la puissance cosmique et universelle du Christ, la réalité de son œuvre expiatoire en faveur des générations antérieures, mortes sans le connaître ou l’attendant par la foi. Les âmes d’au delà de la tombe et qui sont encore membres de l’humanité peuvent ainsi participer à la rédemption accomplie sur cette terre. Par sa descente aux enfers, Jésus se révèle le Sauveur de toutes les âmes. La descente aux enfers exprime encore que, pour Jésus-Christ et son royaume, il n’y a pas de différence essentielle entre le « ici » et le « là-bas ». A ce point de vue, nous rattachons ce dogme à la doctrine de l’exaltation du Sauveur. Aucune puissance de la nature, aucune barrière, soit dans le temps, soit dans l’espace, ne peut empêcher le Sauveur de trouver le chemin des âmes. Puisque son royaume s’étend jusqu’aux morts et peut aller vers eux, la différence entre les vivants et les morts, entre les générations antérieures et les générations actuelles, entre les temps d’ignorance et les temps de lumière, n’est plus que relative et toute transitoire. Le fatalisme perd ainsi sa toute puissance sur les âmes. A l’individu lui-même de faire sa destinée. Les différences qui peuvent naître du temps sont en définitive supprimées en faveur de la seule qui, pour le Seigneur, retienne une réelle valeur, la différence dans l’emploi de la liberté, seule faisant les incrédules et les croyants, ceux qui choisissent le salut et ceux qui le méprisent.
a – 1 Pierre 3.19. ; Éphésiens 4.9. ; Philippiens 2.10.
Remarque. — Nous avons rattaché la descente aux enfers à l’état d’exaltation du Christ. Cependant, à un autre point de vue, on pourrait également la faire rentrer dans son état d’abaissement, puisqu’elle peut représenter la complète soumission du Christ à la loi de la mort, à la destinée humaine, et nous le montre descendant dans cette sombre vallée où l’âme séparée de son corps ne retient plus qu’une existence incomplète, dans l’attente d’être de nouveau réunie à ce corps. Si l’on veut considérer l’abaissement et l’élévation comme des états successifs, la descente aux enfers représenterait la transition, le plus bas degré de l’abaissement, le commencement de l’exaltation.
Si la descente aux enfers avait toujours retenu la signification et la place que lui reconnaît l’antiquité chrétienne, on eût épargné à l’Église l’erreur fataliste, d’origine récente et nullement évangélique, de la damnation des païens. L’orthodoxie luthérienne, par crainte du purgatoire catholique, s’est toujours refusé à reconnaître l’existence d’un état intermédiaire pour les âmes ; aussi, officiellement, ne connaît-elle que la grande alternative : ou le feu éternel, ou la vie éternelle. A ce dogme elle substitue une descente aux enfers, dont le seul but est de constater le triomphe de Jésus sur le Diable et les damnés. Mais il est évident que si le triomphe est susceptible d’une réelle signification, nous devons nous représenter Jésus ravissant à Satan toutes ses victimes et emmenant captifs tous ses captifs, et parmi eux il est impossible de ne pas comprendre les générations païennes antérieures au christianisme. Le mot enfer, susceptible d’un double sens dans l’antiquité, signifiant ou le séjour des morts, ou la demeure des damnés, a provoqué une grande confusion quand on a voulu fixer le dogme de la descente aux enfers. Ce dogme en effet n’a de sens que si l’on retient la première signification du mot enfer ; cependant c’est cette première signification qui de plus en plus s’est effacée dans la langue religieuse de l’Église luthérienne et de l’Église réformée. Pour ces Églises, au reste, le dogme tend à devenir une métaphore faisant de la descente aux enfers le synonyme des souffrances endurées sur la croix. Pour les deux confessions, ce dogme a besoin d’être ramené aux données de l’Écriture et de l’Église primitive.
Au troisième jour, le Sauveur sort de la tombe, et par sa résurrection nous fait entrevoir la gloire de son règne futur (regnum gloriæ). La résurrection n’est, en effet, qu’une vision anticipée de la gloire de ce monde parvenu à sa définitive réalisation. La palingénésie, ce monde et cette humanité renouvelés dans la gloire, évoquent pour la pensée le temps où l’esprit et le corps, la nature et l’histoire, complètement réconciliés, ennoblis et purifiés, définitivement rendus à leur vraie destination, resteront pour toujours les temples du Saint-Esprit, dans la bienheureuse et glorieuse liberté qu’attendent tous les enfants de Dieu. La pensée, qui croit à la palingénésie, à la nécessité de la réconciliation entre le physique et le moral, entre le royaume de la nature et celui de la grâce, rencontre sa réalisation, sous une forme anticipée, dans la résurrection du Sauveur. Cette résurrection n’est pas seulement le signe de cette palingénésie, elle est cette palingénésie elle-même dans son commencement vivant, au moment où la mort se trouve vaincue dans la création de Dieu. De ce moment procèdent la résurrection des âmes et la résurrection des corps pour l’humanité tout entière. Ce n’est que comme Sauveur ressuscité que Jésus-Christ peut réellement devenir le chef et le maître de l’Église. Il faut en effet que la création se trouve réalisée en sa personne d’une manière essentielle, pour qu’il puisse devenir lui-même le consommateur de la création, remplissant le monde présent des forces du monde à venir.
Remarque. — Il y a donc un indissoluble lien entre la résurrection du Sauveur et le dernier et définitif triomphe de l’Église. L’avenir de l’Église, l’idéal glorieux qu’elle poursuit, elle peut le contempler déjà pleinement réalisé dans le Sauveur ressuscité. Aussi la fête de Pâques est-elle la première fête chrétienne, et le dimanche, jour de la résurrection, la fête ordinaire des chrétiens. L’Église date de ce fait historique ; il reste pour elle le gage de son avenir et le terme glorieux qui toujours préside à ses aspirations et à ses luttes. A ce moment plus qu’à tout autre, on peut constater le merveilleux enchaînement qui toujours dans l’histoire de la révélation unit ensemble le fait et la prophétie. La prophétie concernant l’avenir du royaume de Dieu doit être étudiée à la lumière de la résurrection du Sauveur, et la résurrection à son tour doit être mise en regard de la prophétie. Sans la résurrection, l’attente et l’espérance de l’Église, et même sa conception prophétique du monde, n’auraient plus de raison d’être au milieu des réalités présentes, et la vie éternelle ne serait plus la vie à venirb. Sans la prophétie, la résurrection à son tour ne serait plus qu’un fait sans idée, un miracle isolé, oscillant dans le vide, et ne répondant à aucune réalité dans la nature ou dans l’histoire. Dans la joie de l’Église célébrant la résurrection, se confondent ensemble l’histoire et la prophétie, la réalisation et la promesse, et cette sainte joie n’a pas pour objet un fait particulier, mais le Christ et son royaume, le royaume qui est en même temps un et tout.
b – 1 Corinthiens 15.11.
La négation du miracle de la résurrection n’est pas par conséquent la négation d’un fait historique particulier, mais de la conception prophétique et biblique du monde, conception dont la résurrection n’est que l’énoncé et la cause vivante. Une conception qui immortalise le monde actuel, n’admettant l’éternité que comme un présent continuel, ne saurait naturellement concevoir le fait de la résurrection, car il introduit tout à coup au milieu de l’ordre de choses actuel la pensée d’une création nouvelle et future, et certifie la réalité de la vie à venir et cette vie à venir elle-même dans la réalité vivante du présent, instituant de plus un ordre de choses, prélude des choses dernières. Aussi les apôtres attestent-ils après la résurrection que nous sommes aux derniers tempsc, et que nous n’avons plus qu’à attendre le Ressuscité qui doit venir juger les vivants et les morts. La conception de l’éternité du présent dans la nature actuelle est donc la base de l’interprétation mythique de la résurrection du Sauveur, et sert en même temps de point de départ à la critique biblique, son arme de prédilection. Toute pensée eschatologique étant impossible dans la philosophie hégélienne, elle ne conçoit la résurrection que comme un fait réfractaire et inassimilable à la réalité. Quant à Schleiermacher, par respect pour l’évidence du témoignage apostolique, il ne peut se résoudre à nier la réalité de la résurrection, mais il ne parvient pas non plus à lui assigner une place dans sa dogmatique. La cause d’une pareille contradiction ne saurait être cherchée ailleurs que dans l’insuffisance manifeste des données eschatologiques de cette théologie. Parmi les théosophes modernes, Steffens a su exprimer la valeur prophétique de la résurrection en la rattachant à une conception grandiose de la création.
c – 1 Pierre 1.20.
La critique insiste tout particulièrement sur les contradictions à l’aide desquelles on oppose entre eux les divers récits qui constatent la résurrection, cherchant à démontrer qu’un fait si diversement exposé ne peut être un fait historique. Mais, nous le demandons à toute critique impartiale, étant admise la réalité de la résurrection, ne doit-on pas attendre que l’extraordinaire grandeur de l’impression produite sur les témoins oculaires ait immédiatement pour résultat de les empêcher d’étudier microscopiquement les détails particuliers du miracle, qui, par son évidence même, les terrasse et les aveugle, l’impression première de la présence du Ressuscité restant pour tous la pensée absorbante ? En d’autres termes, étant donné le fait de la résurrection, pouvons-nous attendre d’autres documents que ceux que nous possédons ? Si, au contraire, la résurrection n’a pas eu lieu, nous venons nous heurter contre une impossibilité psychologique. Est-il en effet admissible que les disciples, encore atterrés par la mort de leur maître, découragés et épouvantés, aient pu tout à coup se relever, rêvant (personne ne peut dire pourquoi ni comment) tous à la fois, et en même temps le même rêve ? La critique est bien forcée de confesser son impuissance absolue quand il s’agit d’expliquer comment les disciples, l’imposture étant écartée, ont pu être saisis par le même rêve, leur montrant à tous l’apparence d’une résurrection.
Mais il est une contradiction plus grande encore que celles que l’on peut signaler entre les différents évangiles ; elle ne se trouve pas dans un évangile seul, mais chez tous les évangélistes. Tous en effet nous donnent deux notions opposées de la nature du corps de Jésus-Christ ressuscité. Tantôt Jésus ressuscité nous apparaît ayant un corps naturel, tel que celui qu’il avait avant sa mort : il est chair et os, il mange et il boit ; tantôt son corps se fait d’une nature spirituelle et inaccessible aux sens, l’espace et le temps n’existant plus pour lui. Il se présente au milieu de ses disciples, les portes étant fermées ; il apparaît et tout à coup il redevient invisible. Cette contradiction qui se retrouve dans les apparitions qui eurent lieu pendant les quarante jours d’après sa résurrection, il n’est qu’une seule manière de l’expliquer : reconnaître qu’à cette époque le Sauveur ressuscité se trouve dans un état de transition et de transformation. Il est sur les limites de deux mondes, et par conséquent il porte l’empreinte de l’un et de l’autre. Ce n’est qu’à l’heure de l’ascension, que nous pouvons concevoir son corps comme entièrement transformé et glorifié, comme le corps spirituel (σῶμα πνευματικόν) dont parle saint Pauld.
d – 1 Corinthiens 15.44.
L’ascension du Sauveur est la conséquence de sa résurrection, le moment le plus élevé de son exaltation. Nous ne pouvons pas nous représenter sous le ciel un lieu sensible, un monde des corps, un quelque part conforme aux conceptions de notre expérience actuelle, car le ciel est partout où se trouve Dieu. Cependant nous pouvons concevoir un milieu où la vie cosmique, la vie créée, soit complètement pleine de Dieu, où Dieu lui-même soit tout en tout, où le partiel, l’incomplet, conséquence de l’être dans le temps, soit complètement absorbé dans la plénitude de l’éternité. Que le Christ soit monté au ciel, cela veut donc dire qu’il est monté dans une sphère où sa vie et son être concordent pleinement avec sa nature. Il pouvait déjà dire pendant sa carrière terrestre qu’il était dans le ciele, mais il disait aussi qu’il devait laisser le monde pour aller auprès de son Pèref, car il était encore soumis à l’incomplet et au devenir dans le temps. Maintenant sa vie céleste exprime d’une manière complète son être dans le Père : « Je suis dans mon Père et mon Père est en moi », et il se sert de la même expression pour affirmer son être dans l’humanité rachetée : « Je suis en eux, le Père est en moig ». Déjà pendant sa carrière terrestre il pouvait dire qu’il était le cep et que les croyants étaient les sarments, tout en disant : « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moih. » Car ce n’est que quand il est élevé par dessus les limites de l’espace et du temps, qu’il peut réaliser son véritable et vivant rapport avec l’humanité, par le moyen de son Esprit et de sa Parole, toujours puissant pour pénétrer et dominer toutes choses.
e – Jean 3.12.
f – Jean 16.28.
g – Jean 17.12.
h – Jean 12.32.
La gloire céleste du Christ est représentée dans l’Ecriture par la séance à la droite du Pèrei. La droite du Père exprime la puissance du Père et, par conséquent, traduit exactement l’idée contenue dans ces paroles : « Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre ». La puissance royale du Christ ne doit pas se confondre avec la toute-puissance divine qu’a reçue et que possède le Fils dès les premiers jours de la création, alors que Logos il créait le monde. La puissance du Christ dans l’exaltation n’est pas celle qui crée, mais qui consomme la création, et dans toutes les sphères spirituelles et physiques achève l’œuvre du premier et tout-puissant Créateur. Mais ce n’est qu’après son exaltation que le Christ peut revêtir, dans toute son étendue et sa vraie réalité, la puissance royale qui doit lui soumettre toutes choses.
i – Marc 16.19.
Nous ne devons pas nous représenter la séance du Christ à la droite de Dieu le Père se réalisant dans une glorieuse oisiveté : « Mon Père agit jusqu’à maintenant et j’agis aussi. » Cette parole trouve dans l’exaltation du Christ sa première et toute naturelle application. La séance à la droite du Père est donc inséparable d’une activité éternelle, qui a pour but de révéler sa puissance royale. Cette activité se présente à nous sous le double aspect d’un rapport avec Dieu le Père et d’un rapport avec le monde. Le premier rapport se réalise dans l’intercession du Christ plaidant pour nous auprès du Père (intercessio Christi)j. Le second rapport, nous pouvons nous le représenter comme s’identifiant avec le retour du Christ. Ce retour continuel et incessant a d’abord pour objet la fondation de l’Église, en attendant que, s’effectuant d’une manière définitive, il vienne se consommer dans le jugement des vivants et des morts. Ces deux conceptions ne font qu’exprimer les divers rapports de l’exaltation du Seigneur.
j – Romains 8.31 ; 1 Jean 2.1 ; Hébreux 9.24.
Quand nous disons que le Christ plaide pour nous auprès du Père, nous voulons dire qu’en sa qualité de Médiateur et Sacrificateur éternel, il représente à son Père l’humanité comme une humanité réconciliée et qui désormais peut être l’objet de son amour. Mais cette action du Christ dans le sein de Dieu, ce mouvement ad intra, a pour condition un mouvement ad extra, un retour du Christ dans l’humanité qu’il pénètre de sa puissance et de ses influences saintes et personnelles. La rédemption de l’humanité ne peut pas s’effectuer dans un progrès nécessaire et naturel ; elle demande au contraire, de la part de l’homme, qu’il fasse acte de liberté et de conscience. Le retour continuel du Christ dans son Église ne peut donc s’effectuer que dans un milieu historique et économique, prédisposant l’humanité à vouloir et à comprendre ses saintes influences. Le Christ vient en esprit, par la parole et les sacrements, et, dans un continuel devenir, conquiert sur l’humanité un pouvoir sans cesse grandissant et à l’aide duquel il peut établir devant son Père la réalité de son œuvre rédemptrice. Les rapports du Sauveur avec l’humanité sont donc soumis à la loi du progrès. Nous sommes ainsi obligés d’admettre un agrandissement successif dans la gloire céleste du Seigneur. De Jésus élevé au ciel on peut dire : « Il grandit et croit, non point en sagesse, mais en grâce, en plénitude de vie et en rassasiement de joie, devant Dieu et devant les hommes ». Cet accroissement atteindra son degré le plus élevé, toute son efflorescence, son ἀκμή, quand l’Église, son corps spirituel, étant pour toujours glorifiée, toutes choses lui seront soumises comme au chef spirituel.
Remarque. — Le Christ, après son départ de cette terre, reste toujours le chef personnel de l’humanité ; il ne peut donc pas être confondu avec les personnalités historiques ordinaires, même les plus grandes. Car, ou l’influence de ces personnalités se confond avec celle d’une idée, et la personne alors, important de moins en moins, tend de plus en plus à disparaître ; ou bien leur influence est exclusivement personnelle, et la personne alors ne peut qu’exercer une action restreinte et éphémère sur un point bien circonscrit de l’espace. Bientôt on la voit s’évanouir pour ne revivre qu’au milieu des ombres, dans le royaume de l’impuissance et de l’oubli. Mais Celui qui est monté au ciel est non seulement une personne historique mais surhumaine, puisque, quoique absent, il continue éternellement présent à dominer et à diriger l’histoire. Car il n’est pas une âme naissant à la vie véritable, combattant le combat de la foi, pas une influence de l’Esprit saint s’exerçant dans l’Église, qui ne soient obligées de regarder à lui comme à leur cause toujours présente et toujours vivante. A cette doctrine la raison expérimentale oppose les lois de la matière comme une barrière infranchissable entre le Christ qui est au ciel et nous qui sommes sur la terre. Elle ne veut admettre d’autre rapport avec le Christ que celui qui résulte de l’influence du souvenir ; à son apparition sur la terre elle rapporte exclusivement toutes les influences qu’il peut encore exercer au milieu de nous. Elle nie donc résolument toute présence actuelle et vivante du Christ dans les âmes. Mais le croyant ne peut réellement concevoir la personne de Jésus qu’à la condition de se rappeler que si le milieu de l’espace et du temps, seule patrie de l’homme, n’a qu’une signification transitoire et ne vaut que pour être absorbé dans une sphère supérieure, pour elle il doit toujours rester accessible, et qu’en conséquence il ne saurait être impénétrable à Celui qui est le centre de tous les temps, de toutes les sphères et surtout de l’humanité tout entière. Un rapport toujours vivant et toujours permanent entre l’Église et son divin chef, tel est le mystère sur lequel elle repose, et dont tous les autres mystères dont elle fait sa vie ne sont que la conséquence et la constatation. Tel est en particulier le secret de la puissance mystérieuse qui agit sur l’Église assemblée pour le culte : « Je suis toujours avec vous ; là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis avec eux. » Telle est encore la source d’où procède la vertu du sacrement chrétien, et cette mystique chrétienne qui permet à toute âme de constater par sa propre expérience la réalité de la communion avec le Sauveur (unio mystica), réalité si saintement attestée par l’apôtre saint Jean et par la conscience chrétienne.
La doctrine de la séance du Christ à la droite du Père a pour corollaire la doctrine de l’ubiquité du Christ. Cette doctrine nous enseigne que le Christ remplit toutes choses de sa présence invisible (τὰ πάντα ἐν πᾶσιν πληρουμένου). Puisque le Christ est à la droite du Père, la droite du Père étant partout (dextem Dei ubique est), toujours identique avec la toute-puissance, remplissant toutes choses, le Christ monté au ciel doit donc être partout. Telle est la présupposition profonde de la dogmatique luthérienne ; mais dans le développement de cette vérité, elle a oublié que la toute-puissance rédemptrice du Christ n’est pas la toute puissance créatrice, et que s’il consomme l’œuvre de la création, il ne l’a pas commencée. Confondant la toute-puissance royale du Christ avec celle du Père, elle ne sait pas l’affirmer comme la manifestation de la souveraineté du sein de laquelle découlent pour elle les forces de la rédemption et de la vie nouvelle. Par l’effet de cette confusion, elle en vient à prendre la première création pour la création qui est en Christ, quoiqu’elle ne soit cependant que sa présupposition. Prêtant de plus au Christ les attributs du Logos, elle finit par aboutir à la doctrine qui confond les attributs divins et les attributs humains en Christ (communicatio idiomatum), affirmant pour le Christ monté au ciel tout ce qu’on affirme pour le Logos, dont les activités créatrices, conservatrices, s’étendent sur le monde de l’histoire et de la nature. Aux termes de cette doctrine, non seulement le Christ qui est dans le ciel remplit de ses énergies sanctifiantes et rédemptrices le monde de la nature, mais partout où règne la toute-puissance divine règne également la sienne, tout à la fois divine et humaine, cause et effet, remplissant le ciel et la terre, le brin d’herbe et le grain de sable, d’une manière mystérieuse et insondable. Pour croire à cette présence illimitée du Christ au ciel et sur la terre, il faut évidemment renoncer à concevoir son individualité sous une forme distincte, personnelle, car même une individualité glorifiée dans un corps spirituel ne peut apparaître à la pensée que sous une forme réellement limitée. Cette erreur touche de bien près à celle qui souvent se rencontre chez les mystiques et les théosophes, anéantissant le Christ personnel dans la vie générale de la divinité, transformant le Christ de la grâce et de la sainteté dans un Christ de la nature, Christ panthéistique qui remplit le ciel et la terre, l’air et la mer, chaque brin d’herbe, chaque épi, chaque sarment, la nature devenant un grand sacrement pour ceux qui savent la comprendre et la servir. Rien n’est plus étranger à la foi luthérienne et à la doctrine de cette Église qu’un pareil Christ, qui pour être la nature divinisée et allégorisée n’est plus le Christ réel. On ne peut pas méconnaître cependant que ces bizarres conceptions sont au type luthérien ce que l’ombre est au corps ; comme l’ombre elles constatent la présence du corps, mais en l’exagérant. Il faut savoir également le confesser : les formes que l’école se complaît à donner à la doctrine ubiquitaire ont souvent provoqué les malsaines effusions panthéistes que si souvent ont encore exagérées les poètes de la philosophie de la nature, à l’exemple des mystiques et des théosophes luthériens, leurs légitimes prédécesseurs.
L’Église réformée n’admet qu’une présence du Christ relative et limitée, s’exerçant sur les âmes par l’influence du Saint Esprit, et se restreignant par conséquent aux fidèles, à l’Église. La dogmatique luthérienne affirme surtout la signification cosmique du Christ, l’Église réformée insiste sur la valeur éternelle de son influence morale et religieuse. La conception luthérienne s’efforce de voir le Christ dans toute la nature, et lui attribue une signification si absolue, qu’elle court le risque de transformer le Christ de la grâce et de la sanctification en un Christ panthéistique. La conception réformée s’attache avec une si particulière prédilection au Christ de la grâce et de la sanctification, qu’elle ne s’aperçoit pas qu’elle restreint sa puissance au seul royaume des âmes et court le danger de lui ravir sa signification cosmique. Si la dogmatique luthérienne enseigne une présence du Christ qui est le plus profond mystère de la nature, l’Église réformée ne lui reconnaît que l’influence morale et religieuse que du ciel il exerce sur les âmes. Le monde de la nature et des corps est impénétrable pour ce Christ toujours soumis, à son dire, aux lois générales des sens et de la matière. Dès lors il n’y a plus là de mystère naturel, mais un mysticisme subjectif et individualiste, qui lie l’Église et les fidèles au Christ que contient le ciel jusqu’au rétablissement de toutes choses. D’une manière visible il est monté au ciel et s’est séparé de son Église ; d’une manière visible encore il siège bien haut, par delà ce monde, à la droite de son Père, dans un ciel qui ne peut être par conséquent qu’un lieu spécial et limité ; dépendant de son corps, il ne peut pas pénétrer dans la sphère matérielle de l’espace et du temps, et ne gouverne les âmes et l’Église qu’à l’aide des effets mystérieux de sa grâce. Cette différence entre les deux Églises s’accuse surtout dans la théorie des réformés sur le sacrement qui, pour eux, retient exclusivement une valeur psychologique, mais méconnaît complètement l’influence du Christ sur la nature. La conception de l’Église réformée, en supposant le monde des corps et de la nature complètement impénétrable pour le Christ, ne reconnaît plus le Christ comme celui qui doit achever la création ; à ce titre, il ne saurait être le Rédempteur des âmes et des esprits sans être celui de la nature et du corps. La conception chrétienne demande par conséquent que, si le monde des esprits est accessible à l’Esprit du Christ, le monde des corps le soit également à son corps glorifié.
Pour affranchir la doctrine ubiquitaire des exagérations qui la compromettent, nous n’avons qu’une seule voie, conformément aux développements qui précèdent : affirmer nettement le pouvoir royal du Christ, non point comme la toute-puissance divine, mais comme la force qui développe la création et pénètre toutes les sphères, celles de l’histoire et de la nature, dans un développement continu. La toute présence du Christ dans l’univers ne se conçoit plus alors comme un fait immédiat, mais comme un devenir se réalisant dans un avènement successif, se faisant le centre de l’univers répandant autour de lui dans une force toujours plus grande les dons de sa plénitude, tandis que cet univers lui-même se prépare par une suite ininterrompue de transformations à se faire le temple du Christ. Le milieu où la présence du Christ se fait le plus immédiatement sentir est sans doute le royaume des âmes, l’Église, que, par le moyen du Saint-Esprit, il remplit de son énergie, de sa force et de ses dons. Dans tous ses dons, il se donne lui-même à ses fidèles. « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moik. » Ce n’est pas dans l’Église seule, mais encore dans ce monde que se développe sous une forme progressive et toujours plus sensible la présence du Christ. Son avènement s’opère dans l’histoire d’une manière ininterrompue, d’abord comme la puissance qui juge et sépare le vrai du faux et se fait reconnaître par les signes du temps, ensuite comme la grâce qui rachète le monde et rassemble en Christ, comme sous son chef naturel, tout ce qui est vraiment spirituel, pour l’agrandir et le pénétrer par sa force sanctifiante. Ce n’est pas seulement dans l’histoire d’ici bas, mais dans le monde d’au-delà de la tombe, que se poursuit son avènement victorieux ; l’espace et le temps ne peuvent lui opposer aucune barrière.
k – Galates 2.20.
L’opposition entre l’âme et le corps une fois supprimée par le Christ ressuscité et monté au ciel, le monde des corps et de la nature tout aussi bien que celui des esprits se fait accessible à son influence. Dans les sacrements, ces signes visibles de la présence sanctifiante du Christ ressuscité dans son Église, il se sert de la nature et de la matière ; il en fait ses organes et les moyens à l’aide desquels il communique à ses fidèles, avec l’élément spirituel qui procède de son âme, l’aliment matériel émanant de son corps glorieux, formant et fortifiant en eux l’homme de la résurrection et de l’avenir. La complète manifestation de son corps glorieux s’accomplira dans la plénitude des temps, aux dernières transformations de ce monde, alors que les âmes et les corps se confondront ensemble dans une même gloire, dans un même royaume (regnum gloriœ). Alors la création deviendra le grand temple du Christ et tout entière sera pénétrée et transformée par sa gloire. Le Christ sera tout en tous. Il en est de la présence du Christ comme en général de la présence divine qui détermine le mode et la portée de sa présence d’après le degré particulier de réceptivité des différentes sphères de la création.
Nous conclurons en affirmant qu’on ne saurait avoir une connaissance vraie du Fils de Dieu si l’on ne maintient pas avec soin une différence essentielle entre la médiation du Logos et celle du Christ, entre la puissance qui a créé le monde et celle qui doit compléter l’œuvre de la création. Cette distinction retiendra encore toute sa valeur quand le royaume de la gloire sera parvenu à sa complète réalisation. On ne peut pas en effet concevoir la vie bienheureuse sans la distinction très nettement maintenue entre le Créateur et la création, car telle est l’essentielle condition de la communion des saints. Mais alors on est également obligé de maintenir une différence entre l’action de Dieu s’affirmant au dehors, produisant la vie hors de son sein, la voulant et la conservant, et son action qui ramène à lui en la complétant la création commencée, supprimant toutes les différences au profit de l’union. Or la première action est celle du Logos qui crée, qui supporte, qui conserve toutes choses, et la seconde celle du Christ Rédempteur. Ces deux puissances ne peuvent pas se concevoir comme devant jamais cesser. L’œuvre royale du Christ affirme donc en même temps un royaume éternel dans la gloire à venir, et un royaume du ciel sur la terre dont il est le chef invisible. Ces deux conceptions trouveront un plus ample développement dans la doctrine du Saint Esprit.