Jusques à quand, Seigneur, mon cri sera-t-il vain ?
Devrai-je encore longtemps pleurer la violence.
Sans qu’à l’iniquité tu viennes mettre un frein ?
Pourquoi me montres-tu l’outrage et l’insolence ?
Je vois l’oppression se dresser devant moi ;
Je vois partout la lutte et partout la discorde.
Le faible est méprisé ; sans vigueur est la loi ;
On agit sans justice et sans miséricorde ;
Le juste est abattu sous un joug corrupteur.
L’Éternel dit : Parmi les nations lointaines,
Voyez et regardez, tout saisis de frayeur.
D’étonnement, d’effroi je glacerai vos veines ;
Je vais faire, en vos jours, une œuvre qui jamais,
Lorsqu’on vous la dirait, ne paraîtrait croyable.
Car, voici se lever, pour punir les forfaits,
Le Chaldéen fougueux, terrible, impitoyable,
Courant, exaspéré, pour vaincre et conquérir
Ce qui n’est point à lui. Son droit, c’est sa puissance.
Mieux que les léopards, on va les voir courir
Ses chevaux plus ardents que le loup qui s’élance.
Ses cavaliers viendront et fondront plein d’orgueil,
Comme l’aigle affamé pour dévorer sa proie.
Tout ce peuple accourra pour répandre le deuil ;
Entasser des captifs, c’est là toute sa joie,
Captifs aussi nombreux que le sable des mers.
Il se moque des rois, se rit de leurs armées ;
Tout rempart croulera ; rien n’échappe à ses fers ;
Les villes tomberont, sous ses coups abîmées.
Sa fureur croît toujours, sans bornes et sans lois ;
Sa force est en son dieu, complice de ses crimes !
Éternel ! n’es-tu plus notre Dieu d’autrefois ?
Non, nous ne mourrons pas, des Chaldéens victimes !
Tu les as établis pour notre châtiment,
Pour nos iniquités, ô Rocher de justice !
Mais tes yeux sont trop purs pour voir l’égarement !
Pourquoi souffrirais-tu tous ces enfants du vice ?
Pourquoi te tairais-tu, quand tes fils sont brisés
Sous le joug des méchants ? Laisserais-tu les hommes
Aux armes du plus fort, sans défense exposés ?
Dans ses vastes filets, nous tous, tant que nous sommes,
Le Chaldéen nous prend, pêcheur rapace et dur.
Joyeux de son butin, il revient sur la plage,
En l’honneur de ses rets, brûle l’encens impur ;
Dans sa reconnaissance, il offre son hommage
A ses dieux dont la main l’a comblé de bienfaits.
Reviendra-t-il encore affronter la fortune,
Ou bien cessera-t-il, en vidant ses filets,
De poursuivre toujours la ruine commune ?
Chapitre 2
Je veillais sur un fort ; j’attendais, plein d’effroi,
Que l’Éternel parlât et dissipât ma crainte.
A la plainte, ô mon Dieu, qui s’élance vers toi,
Dois-je ajouter encore une nouvelle plainte ?
L’Éternel répondit : Ecris la vision ;
Pour que chacun la lise, inscris-la sur des tables,
Tous verront de leurs yeux, de ma décision
S’accomplir les effets, certains, inévitables.
Ce que j’ai dit finit par s’accomplir un jour.
Attends, garde en ton cœur une ferme espérance ;
Car bientôt, de mon ciel, son éternel séjour,
Descendra la justice et sa sœur, la vengeance.
Voici, dans son esprit l’orgueilleux n’est point droit ;
Mais le juste vivra parce qu’il est fidèle.
Et comme par le vin, l’arrogance s’accroît,
On voit qu’en l’homme fort, l’orgueil se renouvelle.
Il est comme l’Enfer, toujours inassouvi ;
Il est comme la Mort, ouvrant sa gueule avide.
Pour lui, le monde entier, l’univers asservi !
Mais ne voyez-vous pas cet univers livide,
Qui le poursuit d’un chant satirique et moqueur ?
A qui ne s’enrichit que par la violence,
L’oppression, le vol, il lui dira : Malheur !
Malheur à qui fléchit sous un faix de licence !
Des oppresseurs pour toi ne se lèveraient pas ?
Ils se réveilleront ; tu deviendras leur proie ;
La mort naît du pillage et te suit pas à pas.
Les sanglots et les pleurs viendront troubler ta joie ;
Car le sang répandu, c’est toi qui l’as versé,
Et ces cris déchirants, c’est toi qui les excites.
Malheur à qui jouit d’un trésor amassé
Par l’outrage, la fraude et les gains illicites !
Sur la cime des monts, c’est en vain que tu veux
Placer ton aire impure à l’abri des vengeances ;
Tu t’es couvert d’opprobre, à la face des cieux ;
Tes crimes ont détruit toutes tes espérances !
Dans les murs des maisons, la pierre criera,
Et frissonnante encore de ta fureur sanglante,
Aux noirs gémissements la poutre répondra !
Malheur à qui de sang et de fange cimente
La ville qu’il bâtit, comme une insulte à Dieu !
Mais Jehovah l’a dit, l’Éternel des armées :
Les peuples et les rois travaillent pour le feu,
Leurs œuvres, avec eux, périront consumées !
Car, autant que les eaux couvrent le fond des mers,
Le nom de l’Éternel recouvre l’étendue.
Malheur à toi, trompeur, qui, dans un but pervers,
Offres à ton prochain une coupe inconnue,
Pour l’accabler d’ivresse et voir sa nudité !
Tu verras se changer ta gloire en infamie ;
A ton tour tu boiras ce vin de volupté ;
Dieu sur toi versera des flots d’ignominie,
Son aveugle fureur retombera sur toi.
Tu foules le Liban dans ton élan sauvage ;
Comme un lion cruel, sans connaître de loi,
Tu portes en tous lieux le meurtre et le carnage ;
Mais à ton tour aussi, la frayeur t’atteindra.
A quoi sert au sculpteur l’image qu’il façonne ?
Que sert à l’ouvrier, l’idole qu’il fondra,
Qu’à tous ces dieux menteurs sa raison s’abandonne ?
Réveille-toi, dit-il, au bois inanimé ;
Réveille-toi, dit-il, à la pierre muette.
Malheur à lui, malheur ! ce que l’art a formé,
Plaqué d’argent et d’or, tu crois donc qu’il transmette
A ses adorateurs, la loi, la vérité ?
Non, ces blocs n’ont en eux aucun souffle de vie.
L’Éternel, le seul Dieu, règne en sa sainteté,
Que la terre se taise, écoute et soit ravie !
Chapitre 3
A ta voix, Éternel, mon cœur a tressailli.
Que, dans des jours prochains, ton œuvre s’accomplisse !
Que le méchant, par toi, bientôt soit assailli !
Mais souviens-toi de nous, à travers ta justice !
Sur Théman et Paran, apparaît le Dieu saint.
Le monde tout entier répète ses louanges,
Et son nom glorieux dans l’univers empreint.
Comme un soleil ardent, rayonnements étranges,
Il resplendit. Sa foudre, au loin retentissant,
En ses sourds grondements révèle sa puissance.
La peste, devant lui, s’avance en détruisant,
Pour laisser après lui le deuil et la souffrance.
Puis l’Éternel s’arrête, et d’un regard profond,
Mesurant l’univers, fait trembler d’épouvante
Les peuples d’ici-bas que son pouvoir confond.
L’antique mont s’écroule, à sa voix menaçante ;
Les collines bientôt s’abîment sous ses pas.
Rien ne peut l’arrêter dans sa marche éternelle,
Sous les tentes de Cusch habite le trépas ;
De Madian troublé, le pavillon chancelle.
O Dieu ! contre la mer voudrais-tu t’irriter ?
Voudrais-tu déchaîner ton courroux sur les ondes ?
Car tes chevaux de feu viennent de t’emporter,
Et ton char de victoire erre parmi les mondes !
Ton arc est dans ta main ; comme tu l’as juré,
Tu viens pour châtier et frapper d’anathème !
La terre par les flots voit son sein déchiré ;
En te voyant, les monts, dans leur effroi suprême,
Tremblent ; la trombe passe, et l’abîme des mers
Fait entendre sa voix, se dressant jusqu’aux nues.
La lune et le soleil s’arrêtent dans les airs ;
Tes flèches font pâlir, dans les cieux répandues,
Ces astres éblouis ; ta lance a des rayons ;
Tu parcours les pays brisés par ta colère ;
Tu vas avec fureur, broyant les nations ;
Tu viens pour délivrer du joug de la misère
Ton peuple, ton élu. La maison du méchant,
De la base au sommet, s’écroule renversée.
De leurs glaives cruels, tu tournes le tranchant
Contre ces chefs vainqueurs, dont la horde insensée
Sur nous s’est abattue, avec un bruit de mort,
Pour engloutir en paix le fruit de ses ravages,
Et voir le faible en butte aux assauts du plus fort.
Monté sur tes chevaux, prompts comme les orages,
Tu marches sur les mers et les flots en courroux.
Ta voix a retenti jusque dans mes entrailles.
Ma poitrine frémit ; et sous moi mes genoux
Chancellent frissonnants ; ô mon cœur, tu tressailles !
Mes lèvres ont tremblé ; mes os sont consumés !
Mais quand finiront-ils ces jours de la détresse,
Ces jours où tes élus se verront opprimés ?
Car le figuier, sans fleurs, n’aura plus d’ombre épaisse,
L’olivier plus de fruit, le cep plus de raisin.
Les champs ne seront plus qu’un océan de sable ;
Et l’on verra partout, dispersés par la faim,
La brebis et le bœuf, arrachés à l’étable.
Mais, pour moi, je mettrai ma joie en l’Éternel !
Toi seul es mon secours, Dieu de ma délivrance !
Comme le daim léger, qui fuit le trait cruel,
Vers les lieux élevés, sans crainte je m’élance !