Prière pour le retour de M. Grand-Cœur. – Exposition sur divers sujets. – Départ des pèlerins. – Le chant des oiseaux. – Un présent de Piété. – Vallée d’Humiliation.
Maintenant, le mois étant à peu près écoulé ils jugèrent convenable de se remettre en route et ils en manifestèrent leur intention à ceux de la maison. Ici, Joseph fit une réflexion qu’il s’empressa de communiquer à sa mère : – N’oubliez pas, dit-il, d’envoyer chez M. l’Interprète afin de le prier de nous donner M. Grand-Cœur pour nous conduire le restant du chemin. – Tu es un bon garçon, lui répondit-elle ; je l’avais presque oublié. Elle se hâta donc de rédiger une pétition, et pria M. Vigilant, le portier, de choisir un homme de confiance pour la faire parvenir à son fidèle ami, M. l’Interprète. Dès que celui-ci eut lu et examiné le contenu de cette pétition, il dit au messager : Retourne-t’en, et dis-leur que je vais l’envoyer.
Dès qu’il fut connu dans la famille que Christiana était résolue de continuer son voyage avec les siens, on convoqua une réunion pour remercier tous ensemble leur Roi de les avoir favorisés par la visite si agréable de leurs amis. Prenant ensuite Christiana en particulier : Nous serions bien aise, lui dirent-ils, selon une coutume qui est observée ici, de te montrer quelque chose qui puisse servir à ta méditation pendant le voyage. Ils l’amenèrent donc, elle, ses enfants et Miséricorde dans un cabinet, et leur montrèrent un fruit. Il faut vous dire que c’est à l’occasion de ce fruit qu’Adam et Ève, après en avoir mangé, furent chassés du paradis. Alors on voulut savoir ce que Christiana en pensait. Sa réponse fut celle-ci : J’ignore si c’est quelque chose de bon à manger ou du poison. C’est alors qu’à sa grande satisfaction, ils lui expliquèrent le secret, de telle façon qu’elle témoigna sa surprise par un mouvement de ses mains. (Gen. 3.1,16 : Or le serpent était le plus fin des animaux des champs que l’Eternel Dieu avait faits. Et il dit à la femme : Est-ce que Dieu aurait dit : Vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin ?) ; (Rom. 8.24 : Car c’est en espérance que nous avons été sauvés ; or, quand on voit ce qu’on espère, ce n’est pas de l’espérance ; car ce que l’on voit, pourquoi l’espérerait-on ?)
Après cela, ils la menèrent dans un autre endroit où ils lui firent voir l’échelle de Jacob. Il y avait dans ce moment des anges qui y montaient. Ainsi, Christiana eut plusieurs fois occasion de voir ce spectacle, de même que ses compagnons. (Gen. 28.12 : Et il eut un songe ; et voici, une échelle posée sur la terre, dont le sommet touchait au ciel ; et voici des anges de Dieu montaient et descendaient par cette échelle.) Comme ils allaient passer dans un autre lieu pour y voir quelque autre prodige, Jacques dit à sa mère : Je te prie, dis-leur d’attendre encore un peu, car il fait bon ici. Eux, étant donc revenus sur leurs pas, trouvèrent de quoi repaître leurs yeux par les choses glorieuses qu’ils avaient en perspective. (Jean. 1.15 : Jean rend témoignage de lui et s’écrie, disant : C’est celui dont j’ai dit : Celui qui vient après moi m’a précédé, car il était avant moi.) Un peu plus loin ils virent suspendue une ancre d’or que Christiana dut s’approprier sur l’invitation qui lui en fut faite ; car, disaient les serviteurs, elle vous est absolument nécessaire pour pénétrer jusqu’au dedans du voile, et demeurer ferme au cas que vous auriez à lutter contre des temps orageux. (Joël. 3.16 : Et l’Eternel rugira de Sion, et de Jérusalem il fera entendre sa voix. Les cieux et la terre trembleront. Mais l’Eternel est un refuge pour son peuple et une retraite pour les enfants d’Israël.) ; (Hébr. 6.19 : Laquelle nous avons, comme une ancre de l’âme, sûre et solide, et qui pénètre dans le sanctuaire, au delà du voile,) Ils furent tous enchantés d’une pareille acquisition. On les mena aussi sur la montagne où Abraham, notre père, offrit, en sacrifice, son fils Isaac. Ils y virent l’autel, le bois, le feu et le couteau ; car ces choses sont restées là jusqu’à ce jour pour servir de témoignage. Ils étaient remplis d’admiration à la vue de tant de merveilles, et s’écriaient en élevant leurs mains : O quel amour cet homme avait pour son maître, et quelle preuve il donna du renoncement à lui-même ! Quand ils eurent examiné tous ces prodiges, Prudence les fit entrer dans une salle à manger ; elle joua sur des instruments de musique que l’on y avait placés à dessein. Puis, prenant pour sujet les choses intéressantes que les pèlerins venaient de voir, elle composa cet excellent cantique :
Chantons de notre Dieu les œuvres magnifiques,
Nos regards éblouis sont pleins de leur splendeur ;
L’homme en sa vanité méprise nos cantiques,
Il méprise aussi le Seigneur.
O Dieu, parle à son âme, et fais qu’il t’obéisse,
Montre lui le bonheur, et la paix des élus ;
Comme Abraham enfin, qu’il t’offre en sacrifice
Ce que son cœur aime le plus.
Sur ces entrefaites quelqu’un frappe à la porte. Le Portier va aussitôt ouvrir, et voici, c’est M. Grand-Cœur qui entre ! Or, l’arrivée de leur ami dévoué causa à tous une joie indicible. Car, par sa présence, il vint rappeler à leur souvenir que, peu de temps auparavant, il avait tué le vieux Rechigné, géant sanguinaire, et qu’il les avait délivrés de la gueule des lions.
Alors M. Grand-Cœur prenant la parole, dit en s’adressant à Christiana et à Miséricorde : « Mon Souverain vous envoie à chacune une provision de vin, un peu de grain rôti, et une paire de pommes de Grenade. Il envoie aussi aux jeunes garçons quelques figues et des raisins pour les soutenir en chemin. »
Sur cela ils se mirent en marche accompagnés de Prudence et de Piété. Comme ils avaient à passer par la porte de la loge, Christiana demanda au Portier s’il n’avait pas vu passer quelqu’un par-là dernièrement. – Non, lui répondit-il ; depuis longtemps je n’ai vu personne, sauf un individu, lequel m’a même assuré qu’un grand vol venait d’être commis sur le chemin royal qui est précisément celui que vous devez parcourir. Toutefois il m’apprit en même temps que les voleurs avaient été arrêtés, et que sous peu ils auraient à subir une condamnation à perpétuité. À l’ouïe d’une pareille nouvelle, Christiana et Miséricorde furent d’abord saisies de frayeur ; mais Matthieu rassura sa mère en disant : Il n’y a rien à craindre tant que Grand-Cœur voudra être notre compagnon et notre guide.
Monsieur, reprit Christiana, je vous suis obligée de toute la bonté que vous m’avez témoignée depuis que je suis venue ici, et de tous les égards bienveillants que vous avez eus pour mes enfants. Je ne sais comment répondre à tant de marques de votre bonne amitié ; je vous prierai cependant de recevoir cette faible pite comme souvenir de mon respect. Ainsi, elle lui mit une pièce d’or dans la main, le Portier fit alors une révérence et lui dit : « Que tes vêtements soient blancs en tout temps, et que le parfum ne manque point sur ta tête. » (Eccl. 9.8 : Qu’en tout temps tes vêtements soient blancs et que l’huile ne manque point sur ta tête.) « Que Miséricorde vive et ne meure point, et que ses œuvres ne soient pas en petit nombre. » (Psa. 103.17 : Mais la grâce de l’Eternel est d’éternité en éternité Sur ceux qui le craignent ; Et sa justice sur les enfants de leurs enfants,) Il dit aussi aux enfants : « Fuyez les désirs de la jeunesse, et recherchez la justice, la foi, la charité, et la paix avec ceux qui invoquent d’un cœur pur le Seigneur. » (2Tim. 2.22 : Fuis aussi les désirs de la jeunesse, et recherche la justice, la foi, la charité, la paix avec ceux qui invoquent le Seigneur d’un cœur pur.) C’est ainsi que vous réjouirez le cœur de votre mère, et obtiendrez l’approbation des gens sérieux. Là-dessus ils remercièrent le Portier et s’en allèrent.
Je vis ensuite qu’après avoir marché à quelque distance, ils arrivèrent au sommet d’une montagne. Ici, Piété s’aperçut qu’elle avait fait un oubli : Hélas ! dit-elle, j’ai oublié de prendre ce que j’avais l’intention de donner à Christiana et à ses compagnons. Il faut donc que je m’en retourne pour aller le chercher : ce qu’elle fit en toute hâte. Pendant son absence, Christiana crut entendre des accents harmonieux venant d’un bosquet qui se trouvait un peu plus loin, sur la droite. C’étaient comme des voix diverses, formant un concert que l’on peut rendre par ces paroles :
Seigneur, dans le cours de ma vie
Tu m’as comblé de tes bienfaits ;
J’ai l’assurance encor, qu’à la terre ravie,
Mon âme au ciel ira demeurer à jamais.
Et une autre voix semblait lui répondre :
Le Seigneur est bon, il nous aime,
Il est miséricordieux.
Sa vérité sainte et suprême
Est éternelle, et nous conduit aux cieux.
Christiana demanda à Prudence ce qui pouvait produire des accents si merveilleux. – Ce sont les oiseaux de nos contrées, lui dit-elle ; rarement ils chantent sur ce ton, excepté dans la saison du printemps, quand les fleurs paraissent et que le soleil ranime la nature par ses rayons bienfaisants. Mais alors vous les entendriez du matin au soir. Je vais quelque fois prêter l’oreille à leur concert ; il nous arrive même souvent d’en garder à la maison pour les apprivoiser. C’est pour nous une société très agréable, quand nous sommes mélancoliques ; ils font que les bois, les bosquets et les lieux solitaires sont désirables. (Cant. 2.11-12 : Car voici, l’hiver est passé, les pluies ont cessé, elles s’en sont allées.)
Piété se trouvant de retour en ce moment, appela l’attention de Christiana : Regarde, lui dit-elle, je t’ai apporté un échantillon de tout ce que tu as vu chez nous, afin que tu le considères dans le cas où tu viendrais à tomber dans l’oubli, et que tu sois de même édifiée, consolée, par le souvenir de toutes ces choses.
Après cela, ils commencèrent à descendre la montagne qui aboutit à la vallée d’Humiliation. Il fallait passer par des lieux très escarpés, et le chemin était glissant ; mais en y prenant garde ils descendirent sans accident. Quand ils furent dans la vallée, Piété dit à Christiana : Voici l’endroit où ton mari rencontra le vilain Apollyon, et où il eut à soutenir avec lui un rude combat. Je suis persuadée que vous n’êtes pas sans en avoir entendu parler. Mais, ayez bon courage ; car aussi longtemps que vous aurez M. Grand-Cœur pour guide et pour conseiller, tout ira bien, et vous ne vous en trouverez que mieux. – Lorsque Prudence et Piété eurent remis les pèlerins à la garde de leur protecteur, notre petite caravane se remit en marche ayant M. Grand-Cœur en tête.
Nous n’avons rien à craindre dans cette vallée, repartit le guide, car il ne nous arrivera aucun mal, à moins que nous l’attirions sur nous-mêmes par quelque imprudence. Il est vrai qu’ici Chrétien eut la rencontre d’Apollyon et s’engagea avec lui dans une lutte terrible, mais cette lutte était la conséquence de faux pas qu’il venait de faire en descendant la montagne ; or, ceux qui s’écartent par là, doivent s’attendre à combattre par ici. De là vient que l’on a donné à cette vallée un nom si répugnant ; c’est au point que pour les gens peu éclairés, il leur suffit d’entendre dire que quelque chose de fâcheux est arrivé en tel endroit, pour qu’ils soient aussitôt effrayés et s’imaginent que ce lieu est fréquenté par les sorciers ou de malins esprits, tandis que l’accident n’arrive, hélas ! Que par la faute de celui qui en est la victime.
Cette vallée d’Humiliation est par elle-même aussi fertile qu’aucune de ces terres labourables qui sont hantées par les corbeaux, et je suis persuadé que si nous pouvions en pénétrer les secrets, nous ne manquerions pas de trouver quelque part des indices qui nous feraient comprendre pourquoi Chrétien eut à surmonter tant de contradictions.
Jacques poussa une exclamation : oh ! dit-il, en montrant du doigt à sa mère, j’aperçois là-bas un monument portant, à ce qu’il me semble, une inscription. C’est quelque chose de significatif ; allons voir. Ils y allèrent et trouvèrent ces paroles écrites : « Que les erreurs commises par Chrétien lorsqu’il vint à descendre par ici, servent d’avertissement à tous ceux qui lui survivront. » – Eh bien ! reprit le guide, ne vous ai-je pas dit qu’il y avait par là quelque chose qui nous expliquerait la raison pour laquelle Chrétien a été si rudement ballotté. Se tournant ensuite vers Christiana, il continua ainsi : Ce ne fut pas une chose plus humiliante pour Chrétien qu’elle ne l’a été pour beaucoup d’autres qui ont eu le même sort et les mêmes aventures que lui ; car, il est plus facile de gravir cette montagne que de la descendre, ce que l’on ne pourrait dire toutefois que de quelques collines de cette partie du monde. Mais nous laisserons ce brave homme qui est maintenant dans le repos. Du reste, il remporta une grande victoire sur son ennemi. Qu’il plaise à Celui qui habite Là-Haut que nous ne soyons pas trouvés pires quand nous devrons être jugés !
Pour en revenir à cette vallée d’Humiliation, c’est une pièce de terre qui est meilleure et plus fertile qu’aucune de celles qui se trouvent dans toute cette localité. C’est un sol fécond consistant principalement en de gras pâturages, comme vous le voyez. Celui qui n’a jamais rien connu de ses magnifiques productions, mais qui tient cependant à jouir d’une telle perspective, serait enchanté de tout ce qui s’offre à nos regards, s’il arrivait ici pendant les beaux jours d’été comme nous y sommes maintenant. Voyez quelle riche verdure ! Regardez encore la beauté de ces muguets ! (Cant. 2.1 : Je suis le narcisse de Saron, le lis des vallées.) ; (Jacq. 4.6 : Mais il accorde une grâce d’autant plus grande. C’est pourquoi l’Ecriture dit : Dieu résiste aux orgueilleux, mais il fait grâce aux humbles.) ; (1Pier. 5.5 : De même, jeunes gens, soyez soumis aux anciens ; et tous, les uns à l’égard des autres, revêtez-vous d’humilité ; car Dieu résiste aux orgueilleux, mais il fait grâce aux humbles.) J’ai connu moi-même des fermiers qui ont acquis de grands biens dans cette vallée d’Humiliation ; « car Dieu résiste aux orgueilleux, mais il fait grâce aux humbles. » À coup sûr, c’est une terre très productive où chacun peut faire de superbes récoltes. Les avantages d’une telle position sont si manifestes, que plusieurs personnes se rendant à la maison de leur père, auraient désiré que le chemin qui fait suite à celui-ci eût été dans une seconde vallée d’Humiliation, afin d’éviter les écueils, et pour n’avoir plus la peine de franchir ni montagne, ni collines ; mais le chemin est toujours un chemin, et au bout se trouve le terme.