Les Pèlerins continuèrent leur route jusqu'à ce qu'ils arrivassent aux Montagnes Délectables, appartenant au Seigneur de la colline dont nous avons déjà parlé. Ils y montèrent pour admirer les jardins et les vergers, les vignobles et les sources qu'on y rencontre. Ils se désaltérèrent et mangèrent librement du fruit de la vigne.
Il y avait, au sommet des montagnes, des bergers qui gardaient leurs troupeaux dans les prés situés à côté du chemin. Les pèlerins s'approchèrent d'eux, et s'appuyant sur leurs bâtons — car la coutume veut que les pèlerins s'appuient sur leurs bâtons quand ils causent avec ceux qu'ils rencontrent dans le chemin — ils leur demandèrent :
— A qui appartiennent ces Montagnes Délectables, et à qui sont les troupeaux qui y paissent ?
— Ces montagnes appartiennent au pays d'Emmanuel, et elles sont en vue de la cité. Ces brebis lui appartiennent aussi, car « il a donné sa vie pour elles. » (Jean 10.11-15)
Ces montagnes appartiennent au pays d'Emmanuel.
— Est-ce ici le chemin qui conduit à la Cité céleste ? demanda. Chrétien.
— Oui, vous le foulez sous vos pieds.
— La ville est-elle encore bien éloignée d'ici ?
— Très éloignée pour tous ceux qui se détourneraient à droite ou à gauche.
— La route est-elle sûre ou dangereuse ?
— Elle est sûre pour ceux qui sont capables de la suivre, mais « les rebelles y tomberont. » (Osée 4.9)
— Y a-t-il un endroit où les pèlerins fatigués et lassés puissent se reposer ? demanda Chrétien.
— Le Seigneur de ces montagnes nous a recommandé « d'exercer l'hospitalité; » (Hébreux 13.2) c'est pourquoi tous les biens de ces lieux sont à votre disposition, répondirent les bergers.
Je vis alors, dans mon rêve, que les bergers s'apercevant que ces voyageurs venaient de loin, leur posèrent des questions telles que celles-ci :
— D'où venez-vous ? Que vous est-il arrivé en chemin ? Et comment avez-vous pu persévérer jusqu'ici ? car, ajoutèrent-ils, un petit nombre de ceux qui se mettent en route arrivent jusqu'à ces montagnes.
Quand les bergers entendirent leurs réponses, ils furent très satisfaits, et les regardant avec affection, ils leur dirent :
— « Soyez les bienvenus sur les Montagnes Délectables ! » Puis ces bergers, qui se nommaient Connaissance, Expérience, Vigilance et Sincérité, les prirent par la main et les emmenèrent sous leurs tentes pour partager avec eux ce qu'ils possédaient à ce moment-là. Ils leur dirent ensuite :
— Nous désirons que vous restiez quelque temps avec nous, afin que nous puissions faire plus ample connaissance, et que nous puissions aussi vous restaurer avec les biens que l'on trouve ici.
Les Pèlerins répondirent qu'ils seraient heureux de rester, et ils allèrent se livrer au repos, parce que la nuit était là. Alors, je vis dans mon rêve, que le lendemain matin, les bergers éveillèrent Chrétien et Plein-d'Espoir, pour les emmener avec eux au sommet des montagnes. Ils partirent donc ensemble, et marchèrent pendant quelque temps, jouissant, de tous côtés, d'une vue magnifique.
Les bergers se demandèrent les uns aux autres Montrerons-nous quelques-unes de nos merveilles à ces Pèlerins ?
Quand ils eurent décidé de le faire, ils les conduisirent au sommet d'une colline, nommée Erreur, qui était très escarpée d'un côté, et ils les convièrent à regarder en bas. Chrétien et Plein-d'Espoir virent alors, au pied de la colline, plusieurs hommes complètement brisés par leur chute en bas de la colline.
— Que signifie ceci ? demanda Chrétien.
— N'avez-vous pas entendu parler, répondirent les bergers, de ceux qui tombèrent dans l'erreur pour avoir écouté Hyménée et Philète, concernant la résurrection des corps ? (2 Timothée 2.17-18)
— Oui, répondirent-ils.
— Ce sont eux que vous voyez au fond de ce précipice ; ils sont restés jusqu'à ce jour sans sépulture, afin qu'ils servent d'exemple à ceux qui voudraient monter trop haut, ou s'approcher trop près du bord de cette colline.
Je vis ensuite que les bergers conduisirent les Pèlerins sur le sommet d'une autre montagne dont le nom est Prends-garde. Ils leur dirent de regarder de tous côtés, et en le faisant les deux amis crurent apercevoir plusieurs hommes allant et venant entre des tombes qui se trouvaient là. Ils constatèrent que ces hommes étaient aveugles en les voyant souvent heurter les tombes sans pouvoir se tirer de là.
— Que signifie ceci ? demanda Chrétien. Les bergers lui répondirent :
— Ne vois-tu pas, au pied de ces montagnes, une barrière ouverte conduisant dans une prairie située à gauche du chemin ?
— Oui, répondirent les Pèlerins.
— Eh bien, de cette barrière un sentier conduit directement au château du Doute appartenant au géant Désespoir. Ces hommes qui se promènent parmi les tombeaux étaient des pèlerins comme vous; mais arrivés à cette barrière, trouvant le chemin trop rude, ils s'engagèrent dans le sentier qui traverse la prairie, et ils furent pris par le géant Désespoir qui les jeta dans un cachot de son château. Après les avoir tenus emprisonnés pendant un certain temps, il leur creva les yeux et les plaça parmi ces tombes, où il les laissa errer jusqu'à aujourd'hui, afin que la parole du Sage soit accomplie : « L'homme qui s'écarte du chemin de la Sagesse, demeurera dans l'assemblée des morts. » (Proverbes 21.16)
Chrétien et Plein-d'Espoir se regardèrent avec des larmes dans les yeux, mais ils ne dirent rien aux bergers.
Alors je vis dans mon rêve les bergers conduire les Pèlerins dans un autre endroit, plus bas, où se trouvait une porte sur le flanc de la colline. Ils ouvrirent cette porte, et leur dirent de regarder à l'intérieur. Chrétien et Plein-d'Espoir obéirent, et ils virent un lieu sombre et enfumé ; ils crurent aussi entendre un bruit comme celui du feu quand il pétille, et des cris de détresse. Ils respirèrent aussi une odeur de soufre.
— Que signifie ceci ? demanda Chrétien.
Les bergers lui répondirent :
— C'est un chemin qui conduit à l'enfer ; là marchent les hypocrites, à savoir : ceux qui vendent leur droit d'aînesse comme Esaü, ceux qui vendent leur maître comme Judas, ou blasphèment contre l'Evangile comme Alexandre, ou encore mentent au Saint-Esprit comme Ananias et Saphira.
— Je m'aperçois que chacun de ces personnages avait commencé le même pèlerinage que nous, n'est-il pas vrai ? demanda Plein-d'Espoir.
— Oui, dirent les bergers, et ils l'ont continué assez longtemps.
Jusqu'où sont-ils parvenus dans leur pèlerinage avant d'être jetés où ils sont maintenant ?
— Quelques-uns ont même dépassé cette montagne, d'autres n'y sont pas arrivés.
Alors les Pèlerins s'écrièrent :
— Nous avons besoin de demander de la force au Tout-Puissant !
— Oui, répondirent les bergers ; et quand vous l'aurez reçue, il faudra vous en servir.
Chrétien et Plein-d'Espoir désirèrent continuer leur voyage. Les bergers y consentirent et les accompagnèrent du côté de l'endroit où finissent les montagnes.
Alors les bergers se dirent entre eux :
— Ne voulons-nous pas montrer à ces Pèlerins les portes de la Cité céleste, s'ils peuvent les distinguer à travers nos lunettes d'approche ?
Chrétien et Plein-d'Espoir essayèrent de s'en servir, mais leurs mains tremblaient parce qu'ils étaient encore émus de ce qu'ils venaient de voir, et ils ne pouvaient les tenir fermement. Cependant ils crurent apercevoir quelque chose de semblable à une porte, et même quelques rayons de la gloire de ce lieu. Alors ils se mirent à chanter :
Il faut qu'un berger qui veut paître
Les chers agneaux d'Emmanuel
Apprenne avant tout à connaître
Les vérités qui sont du ciel.
Déjà c'est un profond mystère
Que les sages, les entendus
N'aient point part dans cette affaire ;
Ils sont renvoyés confondus.
Pour en avoir la connaissance
Il faut être des plus petits,
Laisser là toute autre science,
Devenir de simples brebis.
C'est près d'un tel pasteur fidèle
Qu'une âme, en sa perplexité
Trouve des conseils pleins de zèle
Pour sortir de calamité.
Heureux bergers ! brebis heureuses !
Qui, ne craignant aucun danger,
Suivez les traces lumineuses
De votre souverain berger.
Quand ils furent prêts à partir, un des bergers leur remit une description écrite du chemin qu'ils devaient parcourir, un autre les exhorta à se méfier des flatteurs ; le troisième leur recommanda de ne pas s'endormir sur le Sol enchanté, et le quatrième leur souhaita un heureux voyage.
A ce moment, je m'éveillai de mon rêve.