Or il arriva qu’à Iconium ils entrèrent de même dans la synagogue des Juifs, et ils parlèrent de telle sorte qu’une grande multitude de Juifs et de Grecs crurent.
Saint Luc a montré au chapitre précédent, comment saint Paul et Barnabas commencèrent à exécuter leur ambassade envers les Gentils. Au reste, ce commencement pouvait sembler malheureux, de ce qu’ils furent chassés d’Antioche, et non seulement cela, mais aussi par la malice obstinée d’aucuns, furent contraints de secouer la poudre de leurs pieds. Toutefois combien qu’ils eussent été rudement traités en un lieu, si ne laissent-ils point de poursuivre ; car ils considèrent que le Seigneur les avait appelés à cette condition, que quelque résistance que le monde et le diable fissent, néanmoins ils exerçassent leur office. Nous voyons donc qu’ils vinrent non seulement prêts pour enseigner, mais aussi armés pour combattre, afin qu’au milieu des assauts et des coups, ils poursuivissent néanmoins de courageusement publier l’Evangile. Et de fait, ce qui a été dit en Jérémie 1.19, est ordinaire et commun à tous les Prophètes et Ministres de Dieu : Ils batailleront contre toi, mais ils ne te surmonteront point. Or en quelque lieu ou ville qu’ils fuient, ils apportent toujours avec eux une même hardiesse de courage. Dont il apparaît qu’ils étaient préparés non seulement pour soutenir un combat, mais pour endurer une guerre continuelle. Ce que saint Luc poursuit maintenant. Or il explique en premier lieu, qu’ils vinrent en Iconie ; et en même temps il ajoute qu’ils ne cherchèrent point là un lieu de repos pour se reposer sans dire mot, mais qu’ils entrèrent en la congrégation, comme s’ils n’eussent souffert aucune fâcherie. Il y a ici un mot Grec, qui signifie Ensemble, ou en un même temps ; et pourtant il me semble que ceci doit être rapporté plutôt aux Juifs qu’à saint Paul et Barnabas. Je l’expose donc, non pas qu’ils y soient entrés tous deux ensemble, mais qu’ils ont suivi la troupe au temps prévu pour faire assemblée solennelle. Dont nous pouvons recueillir qu’ils n’ont point parlé en cachette avec peu de gens, mais en grande assemblée de peuple. En quoi ils témoignent leur confiance et zèle prompt et joyeux ; tant s’en faut qu’ils craignent d’encourir quelque envie et péril des Juifs.
Grande multitude de Juifs, etc. Tout ainsi que saint Luc a montré ci-dessus la vertu de l’Esprit qui était en Paul et Barnabas ; aussi loue-t-il maintenant une autre grâce de Dieu, en l’heureuse issue laquelle ils ont expérimentée. Car une seule prédication faite par eux n’a point été sans fruit ; mais plutôt engendra beaucoup d’enfants à Dieu, tant des Juifs que des Gentils. S’il n’y en eût eu qu’un, ou deux, ou bien peu qui eussent cru, c’eut été déjà un profit, duquel on ne se devait mécontenter ; mais le Seigneur les confirme beaucoup mieux, en leur faisant recueillir un si excellent fruit de leur doctrine en si peu de temps. Car de fait ils savaient bien, que les cœurs de tant d’hommes avaient été convertis à la foi, non tant par leur voix que par la vertu du Saint Esprit. Dont aussi ils se pouvaient bien résoudre et assurer que la main de Dieu était étendue pour les défendre ; ce qui servait grandement à les encourager et enhardir.
Mais les Juifs qui étaient restés incrédules excitèrent et irritèrent les âmes des païens contre les frères.
Voici derechef une nouvelle persécution qui leur est advenue, voire par les Juifs. Car ils étaient comme des boute-feux pour enflammer les courages des Gentils. Car il est facile à croire que les Gentils ne se souciaient pas beaucoup si l’Evangile était prêché, sinon qu’ils eussent été allumés par ces soufflets a résister. J’expose le mot Grec qui est ici mis, pour Infecter d’une affection maligne, ou bien émouvoir et induire à nuire. S. Luc comprend par ce mot de Frères, selon mon jugement, tous les fidèles, à savoir que tous ceux qui s’étaient adjoints à l’Evangile ont été tourmentés, comme si quelque secte pernicieuse se fut levée pour semer des dissensions pour troubler la paix de la ville, et pour renverser l’état public. Toutefois si on aime mieux le restreindre spécialement à saint Paul et Barnabas, je n’y répugne pas grandement.
Ils passèrent donc là un assez long temps, parlant avec une pleine assurance dans le Seigneur, qui rendait témoignage à la parole de sa grâce, permettant qu’il se fît, par leurs mains, des miracles et des prodiges.
Saint Luc explique ici, que saint Paul et Barnabas ne sortirent point incontinent hors de la ville, ayant vu que certains leur étaient contraires. Car quand il dit qu’ils se portèrent hardiment, il signifie qu’ils avaient bien matière de craindre. Dont nous recueillons qu’ils demeurèrent fermes et constants, et ont même méprisé par une grandeur de courage singulière, tous périls et dangers, jusques à ce qu’ils ont été contraints par force de s’en aller ailleurs. Quant à cette particule au Seigneur, on la peut exposer en diverses sortes ; ou qu’ils se sont portés vaillamment en l’affaire du Seigneur, ou bien qu’étant assurés et appuyés sur la grâce de celui-ci, ils ont pris courage par cela. J’ai suivi ce qui était le plus reçu ; à savoir qu’ils se sont portés franchement et d’un courage hardi au Seigneur ; c’est-à-dire, non point étant aidés de leurs forces propres, mais par la grâce du Seigneur. Il exprime bientôt après comment ils ont été hardis et courageux au Seigneur ; à savoir d’autant qu’il approuvait leur doctrine, et la montrait être véritable par signes et miracles. Car comme ainsi soit que par là ils connussent que Dieu les assistait, et que sa main leur était prochaine pour leur aider, ils avaient suffisante occasion de se porter vaillamment. Toutefois en dénotant une espèce, il n’exclut point les autres. Car le Seigneur leur donne hardiesse et confiance par autres manières ; mais il semble que saint Luc a parlé nommément des miracles, pour ce qu’en ceux-ci Dieu montrait manifestement sa vertu devant les yeux de tout le peuple. Saint Paul donc et son compagnon Barnabas furent grandement fortifiés, quand le Seigneur maintenait ainsi leur doctrine qu’elle ne fut méprisée.
Au reste, il faut noter cette façon de parler, que le Seigneur a rendu témoignage à l’Evangile dans les miracles. Car par cela est montré quel est le vrai usage des miracles. Il est vrai que la principale fin de ceux-ci est, qu’ils nous démontrent la puissance de Dieu, et nous déclarent sa grâce ; mais pour ce que nous avons accoutumé de les tourner tout au rebours, il advient presque toujours que Dieu ne permet point qu’ils soient séparés de sa parole, afin qu’ils ne soient tirés en abus et corruption. Car si quelque fois quelques miracles ont été faits sans sa parole, premièrement cela n’est guère souvent advenu ; secondement, on n’a point aperçu grand fruit de cela. Mais le plus souvent Dieu a fait des miracles, par lesquels le monde le connut, non point simplement ou en sa majesté nue, mais en sa parole. Ainsi saint Luc dit en ce passage, que l’Evangile a été confirmé par miracles, non seulement afin que les esprits des hommes fussent frappés de confusion, mais afin que par la conduite de la doctrine de saint Paul ils fussent amenés au pur service de Dieu. Et de ceci on peut facilement recueillir quelle folie c’est aux Papistes, quand ils tâchent par la simple démonstration de miracles de détourner le monde du service et révérence de Dieu et de son Evangile. Car il faut retenir ce principe, que tous les miracles qui sont procédés de Dieu, ne tendent à autre but, sinon afin que l’Evangile ait sa pleine et ferme autorité. Or il faut voir maintenant si l’Evangile nous commande de faire des prières aux morts, de donner encens aux idoles, de transférer la grâce de Christ à des saints par fantaisie, d’entreprendre des pèlerinages, de forger des services profanes, desquels n’est faite aucune mention en la parole de Dieu ; or au contraire, il n’y a rien qui soit moins d’accord avec l’Evangile, que de dire que ces superstitions aient lieu. Dont il s’ensuit que c’est une grande folie aux Papistes, de prendre des appuis de l’Evangile, pour en faire des engins pour le combattre. A ce but même tend ce que dit saint Luc, que le Seigneur donna que miracles fussent faits par les mains de ses serviteurs. Par lesquelles paroles il remontre qu’ils ont été seulement ministres, qui ont en cela rendu obéissance au Seigneur, puis qu’il en a été l’auteur, qui s’est servi de leur main et œuvre. Par quoi à proprement parler, nous ne dirons point que ç’aient été les miracles de saint Paul ni de Barnabas, mais de Dieu seul, lequel travaille en telle sorte par les hommes, que cependant il ne veut point que sa gloire soit obscurcie par leur ministère et service. D’avantage, il nous faut bien noter le titre qui est ici donné à l’Evangile, afin qu’il nous le rende tant plus aimable. Car le nommant Parole de grâce, il nous fait goûter une douce liqueur, pourtant qu’en celui-ci le salut est offert au monde par Christ. Et faut suppléer une opposition avec la Loi en laquelle est seulement proposée malédiction. Souvenons-nous donc que Dieu parle à nous en l’Evangile à cette fin qu’il nous reçoive en grâce, et qu’il nous assure qu’il est apaisé. Et à cela n’est point contraire ce qu’il est odeur de mort à mort aux réprouvés, 2 Corinthiens 2.16 : car ils ne changent point sa nature par leur vice. Si on veut voir plus plus amplement des signes et miracles, il faut lire ce que nous en avons traité au second chapitre.
Mais la multitude de la ville se divisa ; les uns étaient pour les Juifs, les autres pour les apôtres.
S’ensuit la fin de la procédure qu’ils ont tenue, à savoir que la ville ait été divisée en deux bandes ; et qu’à la fin saint Paul et Barnabas étant contraints par le tumulte du peuple, sortent dehors, et s’en vont ailleurs. Si on demande qui a été la source de cette dissension, il est certain qu’elle est procédée de l’Evangile ; et toutefois il n’y a rien plus contraire à celui-ci que d’engendrer des discordes. Mais la perversité et malice des hommes fait que l’Evangile qui devait être le lien d’unité, est occasion de troubles, aussitôt qu’il est mis en avant. Par quoi quand quelque schisme s’élève, il faut prudemment considérer à qui on doit imputer la faute. Nous entendons ici qu’une ville a été divisée par schisme, aussitôt qu’une partie a été amenée à Christ. Le Saint Esprit prononce ceci à la louange de saint Paul et de Barnabas, et non point à leur déshonneur. Il nous faut aussi aujourd’hui garder une même règle, afin que l’Evangile ne soit chargé de haine sans raison, s’il n’amène point également tous les hommes à Dieu, mais que les méchants élèvent tumulte à l’encontre. Il est vrai que c’est une chose misérable, de voir une partie des hommes divisée des autres ; mais tout ainsi que l’unité qui nous rassemble contre Dieu et nous sépare tous de lui, est maudite, aussi est-il beaucoup meilleur à un petit nombre de gens, de se révolter cent fois de tout le monde, et cependant retourner en grâce avec, Dieu, que d’être en perpétuel désaccord avec Dieu pour avoir paix avec le monde.
Et comme les païens et les Juifs, avec leurs magistrats, se mettaient en mouvement pour les outrager et les lapider,
Il nous faut bien noter jusque’où ces deux vaillants champions de Christ, Paul et Barnabas, ont soutenu le choc. Ils ne s’enfuient point pour le seul regard et présence de leurs ennemis, mais quand la sédition est bouillante, et quand ils se voient en danger tout prochain d’être lapidés, quoi qu’ils en eussent plusieurs qui favorisaient à leur doctrine, ils ne s’avancent point plus avant, mais se souvenant de la sentence de Christ, par laquelle il exhorte tous ses fidèles qu’ils possèdent leurs âmes en patience Luc 21.19, ils déclinent la fureur de leurs ennemis. Or déjà soit qu’ils s’enfuient à cette fin qu’ils ne se jettent follement en la mort, néanmoins leur hardiesse et constance à prêcher l’Evangile déclare assez qu’ils n’ont point craint le danger. Car saint Luc ajoute puis après, qu’ils ont annoncé l’Evangile en d’autres lieux. C’est-ci la droite et vraie façon de craindre, quand les serviteurs de Christ ne se présentent point à leurs ennemis de leur propre motif pour être mis à mort, nonobstant ils ne laissent point de faire leur office ; et la crainte ne les garde point d’obéir à Dieu les appelant, et d’exécuter leur charge, quand même il serait pertinent de passer par la mort.
eux, s’en étant aperçus, se réfugièrent dans les villes de la Lycaonie, à Lystre et à Derbe, et dans le pays d’alentour ;
et là ils annonçaient la bonne nouvelle.
Et un homme, à Lystre, impotent des pieds, se tenait assis ; perclus dès sa naissance, il n’avait jamais marché.
Saint Luc raconte seulement un miracle ; et toutefois il est vraisemblable qu’il y en eut plusieurs, et que celui-ci en fut un entre les autres ; mais à cause de l’issue mémorable, il a seulement fait mention de celui-ci. Car nous verrons tantôt après ce qui en est advenu. Saint Luc explique les circonstances par lesquelles la puissance de Dieu soit beaucoup plus clairement manifestée, quand il dit que cet homme n’avait jamais cheminé, mais qu’il avait été boiteux dès le ventre de sa mère, et que soudainement il a été guéri à la seule voix de S. Paul, et ce devant les yeux de tous, et, que ses genoux et jambes du tout mortes recouvrèrent telle agilité, qu’il sautait et cheminait sans aucune difficulté.
Cet homme écoutait parler Paul, qui, ayant arrêté son regard sur lui, et voyant qu’il avait la foi pour être guéri,
L’ouïe est mise en premier lieu, afin que nous sachions que la foi que saint Luc louera tantôt après, a été conçue de la doctrine de saint Paul. Ayant donc entendu Paul il conçut espérance qu’il serait guéri. Mais on peut faire ici une question ; à savoir si ceci lui avait été spécialement promis. Car quand Dieu nous offre le salut en l’Evangile, il ne nous commande pas pourtant d’espérer tout ce que nous en voudrions. Je réponds que ceci a été un mouvement singulier et extraordinaire en ce boiteux ; comme aussi c’a été un mouvement spécial en saint Paul, quand il connut la foi de celui-ci au regard seulement. Il se pourra bien faire qu’il y en aura plusieurs qui recevront l’Evangile, et toutefois ne seront point guéris des maladies qu’ils endureront ; mais comme ainsi soit que Dieu avait ordonné de montrer un témoignage de sa grâce en cet homme boiteux, il prépara son cœur auparavant, et le rendit capable de ce bienfait qu’il lui voulait faire. Et pourtant il n’est pas question de faire une règle commune, de ce que cet homme boiteux a cru qu’il serait guéri ; mais c’a été une préparation particulière pour recevoir la grâce et don de guérison. Et aussi cette espèce de foi est particulière, laquelle donne lieu aux miracles, et il y a plusieurs enfants de Dieu qui ne l’ont pas, lesquels toutefois ont l’Esprit d’adoption.
Et voyant qu’il avait foi d’être guéri, etc. Nous savons combien le visage de l’homme est une chose douteuse et décevante. On ne pouvait donc asseoir certain jugement par cela de la foi, laquelle a Dieu seul pour témoin. Mais, comme j’ai déjà expliqué, la foi de ce boiteux a été découverte à saint Paul par un instinct secret du Saint Esprit ; comme lui seul a été maître et guide aux apôtres pour faire les miracles.
dit d’une voix forte : Lève-toi droit sur tes pieds. Et il sauta, et il marchait.
Plusieurs vieux exemplaires et bien approuvés ont ceci ajouté : Je te dis au nom de Jésus-Christ. Et de fait, nous voyons combien soigneusement les Apôtres ont honoré et célébré le nom de Jésus-Christ en leurs miracles. Cette raison me fait penser être vraisemblable, que saint Luc a exprimé ce que toutefois nous n’avons point coutumièrement dans les livres imprimés. Or ce que saint Luc ajoute puis après, à savoir que cet homme boiteux bondit, non seulement sert à montrer et louer la vertu de Dieu, mais une si prompte et joyeux obéissance a été un témoignage, que ce boiteux avait été dûment préparé par le Seigneur ; en sorte que déjà il cheminait de cœur, lors que ses pieds étaient encore morts. Combien que ce qu’il a été léger à se lever, a tant mieux déclaré la vertu de Dieu, et pour ce regard aussi S. Paul a élevé sa voix, afin que la mutation soudaine touchât la troupe plus vivement.
Or la foule, ayant vu ce que Paul avait fait, éleva la voix, disant en langue lycaonienne : Les dieux, s’étant faits semblables aux hommes, sont descendus vers nous.
Cette histoire rend bon et suffisant témoignage, combien les hommes sont enclins à vanité. Saint Paul n’avait point commencé par ce mot Lève-toi, ni proféré celui-ci sans autre préparatif ; mais ayant fait auparavant un sermon de Christ, il avait ajouté ceci pour la conclusion ; nonobstant ce peuple donne la louange du miracle à ses idoles ; comme s’il n’eut entendu un seul mot de Christ. Il est vrai que ce n’est pas de merveilles, que ces hommes barbares soient tombés en superstition au seul regard du miracle, en laquelle ils avaient été nourris dès leur enfance ; mais ce vice est par trop commun par tout, et même il nous est naturel, à savoir que nous interprétons les œuvres de Dieu du tout au rebours. Voilà d’où procèdent les rêveries de superstitions si lourdes en la Papauté, à savoir d’autant qu’ils empoignent à la volée les miracles, et ne se soucient point de la doctrine. Ce qui nous doit rendre d’autant plus attentifs et sobres, afin qu’il ne nous advienne ce à quoi nous sommes tant enclins, à savoir de corrompre par notre sens charnel la vertu de Dieu, laquelle se montre à nous en salut. Et il ne se faut point étonner si le Seigneur a voulu que bien peu de miracles fussent faits, et pour un bien peu de temps seulement, afin que par la pauvreté de l’esprit humain qui ne se peut tenir à la droite règle, ils ne fussent tirés à une fin du tout contraire. Car il n’est point raisonnable qu’il assujettisse son nom a la moquerie du monde. Ce qui advient nécessairement, quand on transfère aux idoles ce qui lui appartient proprement ; ou quand les incrédules corrompent ses œuvres, afin qu’ils forgent des services vicieux, quand laissant en arrière la Parole, ils appréhendent quelque divinité forgée a leur plaisir.
Les dieux s’étant faits semblables. C’était une opinion prise des fables anciennes, lesquelles toutefois avaient pris leur origine de la vérité. Les livres des Poètes sont remplis de telles fables, que les dieux avaient été souvent vus en terre sous forme d’hommes. Et toutefois il est croyable que cela n’a point été forgé de néant ; mais plutôt que les hommes profanes avaient fait des fables de ce que les saints Pères avaient jadis enseigné des Anges. Et il se peut bien faire que Satan ayant des hommes étourdis d’entendement, les ait déçus par diverses illusions et enchanteries. Il est bien certain que tout ce qui était de Dieu, a été corrompu par les inventions perverses des infidèles, quand il est venu entre leurs mains. Autant en est-il des sacrifices, auxquels Dieu a exercé ses fidèles dès le commencement, à ce qu’ils eussent des signes externes de la vraie religion et du service Divin. Mais depuis que les incrédules se sont forgé des dieux étrangers, ils ont abusé des sacrifices pour confirmer leurs services abominables. Les Lycaoniens voyant une vertu non accoutumée en la guérison de ce boiteux concluent que c’est une œuvre de Dieu. Il n’y a que bien en cela. Mais voici où ils font mal, quand ils se forgent des dieux nouveaux en Paul et Barnabas, selon leur erreur accoutumé. Car quelle raison ont-ils de préférer Barnabas à Paul, sinon qu’ils suivent cette fable puérile, que Mercure est le messager des dieux, de laquelle ils étaient déjà abreuvés ? Nous sommes exhortés par cet exemple, quel grand mal c’est d’avoir été accoutumé aux erreurs dès son enfance ; lesquels tant s’en faut qu’il soit facile d’arracher des cœurs, que même les œuvres de Dieu les endurcissent d’avantage, au lieu qu’ils se devaient corriger par celles-ci.
Et ils appelaient Barnabas Jupiter, et Paul Mercure, parce que c’était lui qui portait la parole.
Et le sacrificateur de Jupiter, qui est à l’entrée de la ville, ayant amené devant la porte des taureaux avec des guirlandes, voulait, ainsi que la foule, offrir un sacrifice.
Combien que saint Luc n’exprime point de quelle affection ce sacrificateur a été si diligent, toutefois il est probable que lui étant présentée espérance de grand gain, l’avarice l’a induit à cela. Car il avait espérance pour le temps advenir de gagner beaucoup, si le bruit eût été semé par tout, que le grand Jupiter fut là apparu. Car ce bruit eût tout incontinent donné opinion que Jupiter prenait plaisir au temple de Lystre beaucoup plus qu’en nul autre. Or depuis que les esprits des hommes sont une fois remplis d’une telle superstition, on n’épargne frais quelconques pour offrir des dons. Il est vrai que le monde est de son gré propre enclin à cela ; mais puis après les sacrificateurs surviennent qui servent de soufflets. Aussi il ne faut point douter que tout le peuple n’ait été poussé d’une folle ambition, qui leur a fait présenter des sacrifices d’un si grand courage à Paul sous le nom de Jupiter ; à celle fin que le bruit et la noblesse de leur ville fut plus divulguée. Voilà d’où Satan prend tant de licence de tromper, quand les sacrificateurs tendent leurs filets pour attraper quelque gain, et que le peuple se délecte à être confirmé en erreur.
Mais les apôtres Barnabas et Paul, l’ayant appris, déchirèrent leurs vêtements et s’élancèrent dans la foule, criant
Quant à ce que Barnabas et Paul en déchirant leurs vêtements, se jettent au milieu de la presse, on voit clairement par cela, de quel zèle ardent ils étaient enflammés pour maintenir la gloire et honneur de Dieu. Ne se contentant point des paroles, ils font ce qu’ils peuvent pour troubler toute cette fête, et empêcher tout ce bel appareil de sacrifice. Il adviendra bien quelque fois, que les hypocrites mêmes refuseront quelque honneur qui excédera mesure ; nonobstant en contrefaisant les modestes, ils invitent d’autant plus les simples à leur faire honneur. Or on ne voit rien de semblable en ces deux apôtres, Paul et Barnabas. Car ils montrent ouvertement tant par paroles que par les gestes de leurs corps, que tant s’en faut qu’ils prennent plaisir en cet honneur et service que les Lystriens leur présentaient, que plutôt ils l’ont en grande exécration. C’est ici un bon et saint courroux, duquel il faut que les serviteurs de Dieu brûlent, toutes les fois qu’ils voient que la gloire et honneur de celui-ci est violé et corrompu par les sacrilèges des hommes. Et de fait, nul ne servira autrement à Dieu en pure et bonne conscience, s’il n’a vêtu cette affection de jalousie, de laquelle parle saint Paul en 2 Corinthiens 11.2, que ceux auxquels le Seigneur a donné charge de son Eglise, soient aussi courageux et diligents à maintenir la gloire de leur Maître, que le mari veille soigneusement pour la chasteté et honnêteté de sa femme. Il nous faut donc bien garder de souffrir qu’on nous fasse quelque honneur qui obscurcisse la gloire de Dieu. Mais plutôt tout soudain que quelque profanation de la gloire de Dieu apparaît, que cette ferveur soit bouillante en nous, de laquelle nous avons ici exemple en Barnabas et Paul. Or combien que les Docteurs de l’Eglise doivent être sur tous autres principalement garnis d’un tel zèle, toutefois il n’y a pas un seul fidèle, qui ne se doive aigrement et à bon escient courroucer, quand il voit polluer le service de Dieu, ou le détourner ailleurs.
Car il est écrit de tous fidèles : Le zèle de ta maison m’a rongé, et les vitupères et opprobres de ceux qui te blâmaient sont tombés sur moi, Psaumes 69.9. Que si les bons et saints personnages étant encore environnés de leur chair, ont eu l’idolâtrie en si grande abomination, pensons un peu de quel zèle ils sont menés aujourd’hui étant dépouillés de toute affection humaine et charnelle. Quand le monde abuse de leurs noms et personnes pour établir sa superstition, il se persuade qu’il leur offre un service agréable, et auquel ils prennent plaisir ; mais ils s’abusent grandement. Car ils s’élèveront les premiers contre ceux qui les honorent ainsi ; et montreront par effet qu’ils n’ont jamais rien eu en plus grande recommandation que ceci, que l’honneur et service dû à Dieu lui fut réservé entier, sans que quelque portion en fut transférée ailleurs. Joint qu’on ne leur saurait faire plus grande injure et outrage, que quand l’honneur qui est dû à Dieu lui est ravi pour leur donner. Ce que vraiment on fait quand on leur attribue quelque Divinité. Quant à ce que saint Luc explique que Paul et Barnabas ont déchiré leurs vêtements, on peut bien facilement connaître par d’autres passages de l’Écriture, que les Orientaux usaient coutumièrement de cette façon, toutes les fois qu’ils voulaient exprimer par gestes extérieurs, ou une fort grande tristesse, ou une détestation. Quand saint Luc appelle Barnabas Apôtre aussi bien que saint Paul, il étend la signification du mot plus loin qu’à l’ordre premier que Jésus-Christ a institué en son Eglise. Saint Paul en fait autant, quand il nomme apôtres excellents Andronique et Junie, Romains 16.7. Car, à proprement parler, ils étaient Evangélistes, et non point apôtres ; sinon que par aventure pour ce que Barnabas fut adjoint pour compagnon à S. Paul, nous les mettons tous deux en office et degré pareil. Ainsi le titre d’apôtre revient vraiment à Barnabas.
et disant : Hommes, pourquoi faites-vous cela ? Nous aussi, nous sommes des hommes sujets aux mêmes infirmités que vous. Et nous vous prêchons l’Evangile, qui vous dit de vous détourner de ces choses vaines pour vous tourner vers le Dieu vivant, qui a fait le ciel et la terre et la mer et toutes les choses qui y sont.
Ils commencent par répréhension et courroux, comme à la vérité le fait le requérait ; puis après ils montrent à quelle fin ils ont été envoyés. Conséquemment ils prêchent du vrai et seul Dieu, et remontrent qu’il a été inconnu au monde. Finalement, pour tant mieux arracher de leurs cœurs les mensonges de Satan, ils enseignent que cette ignorance est inexcusable. La première partie donc de leur prédication est une répréhension véhémente, par laquelle les habitants de Lystre sont condamnés, de ce qu’ils font tout au rebours en adorant des hommes mortels au lieu de Dieu. Combien que la raison qu’ils amènent semble être maigre. Car on pourrait facilement recueillir de celle-ci, que le service rendu à ceux qui ont été délivrés par mort des misères présentes et calamités humaines, n’est point illicite. Par ce moyen les superstitions de tous les Gentils et Païens demeureraient en leur entier ; lesquels ne comptaient point au nombre de leurs dieux, sinon ceux qui étaient passés hors de ce monde. Les Papistes aussi ont fardé leur idolâtrie de cette belle même couleur, quand ils adorent plutôt les vêtements et os des morts, le bois et les pierres et choses mortes, que les hommes vivants et respirant. Je réponds à cela, que Paul et Barnabas ont pris cet argument du fait présent : Nous sommes hommes et pauvres créatures ; vous faites donc faussement et follement de forger que nous sommes dieux, et faites mal de nous adorer et honorer pour dieux. Si on voulait traiter de l’idolâtrie en général, la raison perpétuelle pour la condamner, et qui sera seule assez suffisante, est, que le service et honneur de religion est dû à Dieu seul ; et pourtant il est profané aussitôt que les hommes en attribuent tant petite portion que ce soit aux créatures, soient aux Anges, ou hommes, ou étoiles. Mais bien souvent l’occasion s’adonnera, que plusieurs choses seront expliquées contre une seule espèce d’idolâtrie, qui ne conviendront point aux autres, et toutefois serviront grandement à la circonstance présente ; comme Paul et Barnabas en confessant qu’ils sont hommes, sujets à infirmités et misères, avaient raison propre pour réprimer la fureur du peuple.
Vous annonçant que de telles choses vaines vous vous convertissiez, etc. C’est un argument pris des choses répugnantes. Car ils montrent ici que leur venue tendait à une fin toute contraire ; à savoir à ce qu’ils ôtent les superstitions qui avaient eu la vogue jusqu’à cette heure-là. Car c’est autant comme s’ils eussent dit : Le miracle vous rend, tout ébahis et émus ; ajoutez donc foi à nos paroles. Or la somme de notre ambassade est, que toutes divinités fausses et feintes, par lesquelles le monde a été abusé par ci-devant, soient abolies et anéanties entièrement. Or c’est une doctrine générale, par laquelle non seulement ils répriment cette présente fureur, mais aussi reprennent toutes sortes de superstitions, et généralement tout ce qui était contraire à la vraie règle de piété. Car il est certain qu’ils appellent chose vaine, tout ce que les hommes s’étaient forgé de leur propre sens. Et il faut bien que nous retenions cette définition, que toute religion qui détourne les hommes, et les fait dévier de la pure et simple parole de Dieu, est fausse et vaine. Il est vrai qu’il n’est pas ici fait mention de la parole expressément, d’autant que leur propos s’adressait à des Païens et Gentils. Mais pour ce que Dieu n’est point dûment adoré ni honoré, sinon que ce soit selon son commandement et sa sainte ordonnance ; il s’ensuit des paroles de S. Paul, qu’aussitôt que les hommes se détournent du service que Dieu commande et approuve, ils ne font que se travailler en vain. Car la religion n’a nulle vérité ni fermeté, sinon qu’en celle-ci Dieu soit seul éminent. Et de là est advenu que la pure et entière piété n’a jamais eu sa vigueur en la plus grande partie du monde. Car on a seulement travaillé à ce que la vieille idolâtrie fut ôtée ; mais cependant on n’a tenu compte de l’autre point ; à savoir que les hommes se retirassent vers un seul Dieu, après avoir laissé les idoles. Il est bien vrai que quelque fois ils ont changé le nom d’idole au nom de Dieu ; cependant toutefois ils entretenaient sous cette couverture les erreurs anciennes, au lieu qu’ils devaient travailler et mettre ordre qu’ils fussent corrigés. Ainsi en la Gaule les Sacrificateurs de la grande Cybèle ont introduit la superstition de vivre sans se marier ; les nonnains ou moinesses ont été substituées en la place des Vestales ; le temple, ou la fête de Toussaint a succédé au temple de tous les dieux ; en lieu des cérémonies anciennes on en a introduit d’autres bien fort approchantes des premières ; finalement, on a introduit une grande troupe de dieux, et a-t-on pensé qu’ils seraient légitimes, s’ils étaient masqués de ces beaux titres de sains. Par ce moyen les corruptions ne sont point repurgées, et les étables profanes pleines de vilenies et d’ordures, ne sont pas par cela converties en temples de Dieu ; mais on mêle le nom de Dieu avec des souillures profanes, et loge-t-on Dieu même en une étable puante. Par quoi souvenons-nous que les apôtres Paul et Barnabas non seulement ont tendu à ce but, de renverser l’idolâtrie qui avait eu cours aux temps précédents, mais que en même temps en déchassant tous vices, ils mettaient ordre pour l’advenir, à ce que la vraie religion eût son règne et empire.
Qui a fait le ciel et la terre. Nous savons que l’ordre d’enseigner porte cela, qu’on commence par les choses qui sont plus connues. Comme ainsi soit que S. Paul et Barnabas adressassent leur parole à des hommes Païens et Gentils, ils n’eussent rien profité de les amener du premier coup à Jésus-Christ. Il fallait donc qu’ils commençassent par un autre point, qui ne fut point trop éloigné du sens commun, afin qu’après avoir tiré la confession de celui-ci, ils vinssent puis après à Jésus-Christ. Or les esprits des Lystriens étaient préoccupés de cet erreur, qu’il y avait plusieurs dieux. Au contraire, voici S. Paul et Barnabas, qui montrent qu’il n’y a qu’un seul Créateur du monde. Après avoir ôté cette multitude fausse et grand nombre controuvé de dieux, ils avaient déjà entrée et ouverture au second membre ; à savoir qu’ils pouvaient enseigner et remontrer qui était ce Dieu Créateur du ciel et de la terre. C’est aujourd’hui autre chose entre nous et les Papistes. Ils confessent qu’il n’y a qu’un Dieu, et admettent l’Ecriture. Il reste donc que nous leur prouvions par l’Écriture, qui est Dieu, et comment il veut être servi et adoré des hommes.
Ce Dieu, dans les générations passées, a laissé toutes les nations marcher dans leurs voies,
Pour ce que les habitants de Lystre pouvaient faire une objection, que ce Dieu-là avait été inconnu jusque alors ; voici saint Paul et Barnabas préviennent, et confessent que tout le monde a erré en ténèbres, et que tout le genre humain a été frappé d’aveuglement ; ils nient toutefois que la perverse ignorance des hommes doive faire aucun préjudice. Il y avait deux grands empêchements qui tenaient la main forte aux incrédules ; à savoir la longue ancienneté du temps, et le consentement presque de toutes nations. Saint Paul et Barnabas renversent ici ces deux empêchements : Si on s’est trompé depuis de de longues et nombreuses années (disent-ils), si le monde s’est fourvoyé sans raison et jugement, n’estimez point moins pour cela la vérité de Dieu, quand elle se présente à vous. Car vu qu’elle est éternelle, et qu’elle ne change point, il n’est point raisonnable qu’on lui oppose une longue prescription de temps. Ils débattent qu’il n’y a non plus grande défense en la multitude et grand nombre des hommes ; il ne faut point (disent-ils) que la conspiration ou complot de tout le monde vous détourne du droit chemin. L’aveuglement a demeuré sur tous peuples ; mais maintenant Dieu vous éclaire, et pourtant il faut que vous ouvriez les yeux, et ne croupissiez plus en ténèbres, quoi que tous peuples aient été par ci-devant plongés en celles-ci.
Cheminer en leurs voies, etc. S’il eût dit que les hommes avaient erré jusques à ce temps-là par la permission de Dieu, on eût peu déjà facilement recueillir de cela, que les hommes ne peuvent rien que faillir et errer, tandis que Dieu ne les conduit et ne les gouverne point. Mais encore parle-t-il beaucoup plus expressément, quand il appelle les erreurs, voies des hommes. Car nous sommes clairement enseignés par cela, que vaut la prudence mondaine et le sens de l’entendement et raison humaine à tenir le chemin de salut.
Toutes nations, dit-il, ont cheminé en leurs voies ; c’est-à-dire, ils ont erré en ténèbres et en la mort. C’est autant comme s’il était dit, qu’il ne reste une seule étincelle de vraie raison en tout le monde. Il n’y a donc qu’une seule règle de vraie piété ; c’est que les fidèles rejettent toute confiance de leur entendement humain, et s’assujettissent totalement à Dieu. Car les voies des hommes ne sont point autres maintenant qu’elles étaient jadis ; et les exemples de tous temps montrent combien misérablement sont aveuglés ceux qui ne sont point éclairés par la parole de Dieu, quoi qu’ils estiment qu’ils voient plus clair que tous les autres. Déjà dès le commencement du monde, la plus grande partie est tombée en diverses superstitions et services faux et corrompus. Dont est advenu cela, sinon qu’il leur a semblé bon de suivre leurs propres imaginations ? Il pouvait sembler qu’avec le déluge le monde eût été guéri ; mais tout incontinent il est retombé en mêmes vices. Il n’y a rien donc plus pernicieux, que de nous appuyer sur notre propre prudence. Au surplus, Paul et Barnabas ne rendent point ici la raison pourquoi Dieu a souffert le monde errer si longuement. Et certes nous ne devons pas autrement prendre la seule volonté de Dieu, que comme la Loi souveraine de toute équité. Il est vrai que Dieu a toujours bonne raison de faire ce qu’il fait ; mais pour ce que la cause de ses faits nous est bien souvent cachée, c’est à nous d’avoir en admiration et révérence ses conseils secrets. Il faut bien confesser que le monde était digne d’une telle perdition ; mais pour montrer la raison pourquoi il a plutôt eu pitié d’un siècle que des autres, on n’en pourrait amener, sinon qu’il lui a semblé bon de faire ainsi. Pour cette cause S. Paul appelle le temps que Dieu avait déterminé à prêcher l’Evangile, Temps de plénitude (Galates 4.4), afin qu’on ne pense point qu’il y ait eu temps plus opportun de ce faire. Aussi il nous doit souvenir de ce qui a été dit au premier chapitre, v. 7, que ce n’est point à nous de connaître les temps ou les saisons que le Père a mises en sa puissance. Ainsi pouvons-nous repousser la cavillation frivole des Papistes, quand ils insistent qu’il ne se peut faire que Dieu ait souffert que son Eglise errât si longuement. Car je vous prie, d’où sont sortis les Païens sinon de l’arche de Noé, où il y avait une pureté singulière d’Eglise ? même la postérité du saint Personnage Sem s’est abâtardie ensemble avec les autres ; et qui plus est, Israël qui était le peuple élu, et particulier héritage de Dieu, a été même délaissé pour longtemps. Il ne se faut donc étonner si Dieu a pris vengeance, et puni d’un même aveuglement le mépris de sa Parole, sous le règne de son Fils, qu’il a fait anciennement.
quoiqu’il ne se soit point laissé lui-même sans témoignage, lui qui faisait du bien, qui vous envoyait du ciel les pluies et les saisons fertiles, qui vous donnait la nourriture avec abondance et remplissait vos cœurs de joie...
Paul et Barnabas ôtent ici toute excuse d’ignorance aux Gentils. Car quoi que les hommes se plaisent en ce qu’ils ont controuvé, si est-ce toutefois que finalement se sentant convaincus d’erreur, ils viennent à ce refuge, qu’il ne leur faut imputer aucune coulpe ; mais plutôt que Dieu a été cruel, qui n’a point daigné seulement siffler pour retirer de péril et ruine ceux qu’il voyait périr. Paul et Barnabas préviennent cette objection frivole, quand ils montrent que Dieu s’est tellement caché, que cependant il a rendu témoignage de soi et de sa divinité. Or toutefois il nous faut voir comment ces deux choses s’accordent ensemble. Car si Dieu a donné témoignage de soi, il n’a point laissé le monde errer, pour sa part. A cela je réponds que cette espèce de témoignage, de laquelle mention est ici faite, a été telle, qu’elle ôtait toute couverture d’excuse aux hommes, et non pas qu’elle fut suffisante à salut. Car ce qui est dit Hébreux 11.3, est véritable, que par foi on entend que les siècles ont été ordonnés par la parole de Dieu. Or est-il ainsi, que la foi ne se conçoit pas du seul regard du ciel et de la terre et de leur ornement, mais par l’ouïe de la Parole. Dont il s’ensuit que les hommes ne peuvent être amenés à une salutaire connaissance de Dieu, sinon par la conduite de la Parole. Et toutefois cela n’empêche point que même sans la Parole ils ne soient rendus inexcusables, vu que combien que naturellement ils soient privés de lumière, toutefois c’est par leur propre malice qu’ils sont aveugles, comme saint Paul enseigne en Romains 1.20.
Et nous donnant pluies du ciel, etc. C’est une chose bien certaine, que Dieu s’est manifesté dès le commencement à tout le genre humain par sa Parole ; mais ici saint Paul et Barnabas démontrent qu’il n’y a eu âge, à qui Dieu n’ait fait sentir ses bénéfices, qui pouvaient témoigner que le monde est gouverné par son commandement et sous son bon plaisir. Or pour ce que la lumière de la doctrine avait été obscurcie, voire ensevelie par plusieurs siècles, à cette cause ils disent seulement que Dieu a été montré par arguments naturels. Au reste, il est vraisemblable qu’ils ont orné la magnificence des œuvres de Dieu de tels titres qu’il fallait ; mais saint Luc s’est contenté de toucher les choses en bref. Toutefois je n’entends point qu’ils aient disputé d’une façon subtile et philosophique des secrets de nature ; car ils parlaient à un peuple ignorant ; et pourtant ils n’avaient besoin que de proposer simplement ce qu’un chacun ignorant et rude eût peu connaître. Toutefois ils prennent ce principe, qu’il y a une certaine et claire manifestation de Dieu en cet ordre de nature ; que la terre est arrosée de pluies ; qu’elle reçoit vigueur par la chaleur du soleil ; que si grande abondance de blés et de fruits naissent tous les ans. De là peut-on certainement recueillir, qu’il y a quelque Dieu qui gouverne toutes choses. Car le ciel et la terre ne sont point conduits de leur propre mouvement, encore moins à l’aventure ou par cas fortuit. Il reste donc que cet ouvrage admirable de nature, montre ouvertement la providence de Dieu. Et faut bien dire que ceux qui ont dit que le monde est éternel, n’ont point parlé selon qu’ils le sentaient en leur cœur ; mais ils ont tâché par une ingratitude barbare et maligne d’ensevelir la gloire de Dieu ; en quoi ils ont découvert leur impudence.
Et remplissant nos cœurs, etc. En ceci l’impiété des hommes est d’autant plus convaincue, s’ils ne connaissent point Dieu ; à savoir que non seulement il présente devant leurs yeux des témoignages de sa gloire en ses œuvres, mais aussi il ordonne et destine toutes choses pour leurs usages. Car pourquoi est-ce que le soleil, la lune et les étoiles luisent au ciel, sinon pour faire service aux hommes ? Pourquoi est-ce que la pluie tombe du ciel ? Pourquoi est-ce que la terre produit ses fruits, sinon pour fournir des vivres aux hommes, desquels ils soient nourris ? Dieu donc n’a point mis l’homme au monde, afin qu’il soit là comme un spectateur oisif de ses œuvres sur une estrade ; mais afin que jouissant de toutes les richesses tant du ciel que de la terre, il s’exerce à magnifier la largesse de Dieu. Maintenant ne serait-ce pas une perversité plus que vilaine, s’il n’était point ému d’une si grande bonté de Dieu ?
Remplir les cœurs de viandes, n’est autre chose, sinon donner des vivres qui puissent contenter et satisfaire au désir des hommes. Par ce mot de joie, saint Paul et Barnabas signifient que Dieu selon sa clémence paternelle et bonté infinie donne plus aux hommes que leur nécessité ne requiert. Comme s’il était dit que les viandes sont données aux hommes, non seulement pour les rendre, forts et vigoureux, mais aussi pour réjouir leurs cœurs. Si quelqu’un fait une objection, qu’il advient bien souvent que les hommes sont affamés, et que pour cela ils gémissent, plutôt que de dire qu’ils soient rassasiés, et pour cela se réjouissent ; je réponds que cela se fait outre l’ordre de nature ; à savoir quand Dieu restreint sa main à cause des péchés des hommes. Car la libéralité de Dieu découlerait jusques à nous sans cesse, et aurait toujours son cours, sa libéralité, dis-je, telle que Paul et Barnabas annoncent ici, si nos péchés n’étaient comme barres pour la repousser. Et toutefois il n’y eût jamais si grande stérilité, qu’on ait vu du tout tarir la bonté de Dieu quant à nourrir les hommes. Il est vrai que le Prophète a fort bien dit (Psaumes 81.10) : Ouvre ta bouche, et je la remplirai ; afin que nous sachions que c’est par notre propre faute que nous sommes pressés de faim, à savoir que nous ne donnons point lieu à la libéralité de Dieu qui se présente à nous. Mais quoi que nous soyons resserrés en nous-mêmes par notre infidélité, tant il y a que la bonté paternelle de Dieu ne laisse pas de se faire ouverture comme par force pour se montrer à nous. Et principalement la compagnie des hommes et tout l’univers témoignent bien que jamais les bénéfices de Dieu, par lesquels il se déclare Père pour nous nourrir, ne cessent.
Et en disant cela, à peine purent-ils empêcher la foule de leur sacrifier.
Saint Luc avait dit auparavant, que non seulement Paul et Barnabas avaient usé de paroles, mais aussi s’étaient jetés au milieu de la foule compacte avec violence ; maintenant il ajoute, qu’à grand peine purent-ils par cette véhémence réprimer la fureur du peuple. Dont il apparaît de quelle forcènerie et rage le monde brûle après l’idolâtrie. Car si ces gens croient que Paul et Barnabas soient dieux, pourquoi n’ajoutent-ils pas foi à leur parole, par laquelle ils rejettent le faux honneur qu’on leur faisait ? Mais voilà la maladie des idolâtres, que toujours ils sont prêts à quitter le joug de Dieu, sinon qu’on fasse de la religion à leur appétit. Par quoi il ne se faut point s’étonner si bien souvent les Prophètes expliquent que les hommes sont bouillants en leurs affections après les superstitions, ni plus ni moins que les bêtes sont transportées après leurs appétits désordonnés.
Mais d’Antioche et d’Iconium survinrent des Juifs qui, après avoir gagné la foule, et lapidé Paul, le traînèrent hors de la ville, croyant qu’il était mort.
Il est bien difficile à Paul et Barnabas d’empêcher ce peuple, et le garder de sacrifier ; et voici des garnements au contraire, qui sans grande difficulté persuadent incontinent au peuple, que Paul, lequel ils faisaient Dieu un instant avant, soit lapidé. On voit clairement par cela, combien le monde est beaucoup plus enclin à superstition, qu’il n’est pas à rendre une vraie obéissance à Dieu, et combien est orgueilleuse et arrogante la superstition, laquelle veut toujours dominer quand il est question de dresser le service de Dieu. Les serviteurs de Dieu ne demandent qu’amener les hommes à l’obéissance de celui-ci, qui est le seul moyen de les sauver et rendre bienheureux. Ils ne s’attribuent aucune domination ; ils ne pourchassent gain quelconque, et toutefois le monde ne les peut souffrir. Car presque tous murmurent ; avec cela plusieurs tumultes s’élèvent. Ceux qui sont si rebelles contre Dieu, croient superficiellement et facilement aux abuseurs, et s’assujettissent à leur tyrannie. Ainsi a-t-on permis au Pape de tromper à son appétit, et non seulement d’opprimer les pauvres âmes d’une façon servile, mais aussi les tourmenter cruellement. Tout ce qu’il a commandé, il a été reçu en obéissance ; et aujourd’hui quelques lois dures et impossibles qu’il établisse, toutefois il n’y a personne qui soit si hardi d’ouvrir la bouche. Cependant il y en a bien peu, qui reçoivent le joug gracieux du Seigneur Jésus (Matthieu 11.30). Nous avons donc en cette présente histoire une peinture vive de la perversité du monde. Paul pouvait régner sous le titre de Mercure avec l’applaudissement de tous. Il ne veut point être dieu ; pour ce qu’il sert fidèlement au Fils de Dieu, il est lapidé. Or sa constance est louée, à cette fin que nous l’imitions. Il est vrai que le Seigneur l’a gardé et sauvé d’une façon miraculeuse ; mais quant à sa personne, il a souffert une cruelle espèce de mort. Et pourtant il faut autant estimer cette lapidation (de laquelle il fait aussi mention en 2 Corinthiens 11.25, comme si pour lors il eût été mis à mort. Au surplus, il ne faut point douter que le populaire ne se soit élevé par tumulte à l’encontre de lui. Ainsi, quelque violence que les méchants fassent aux serviteurs fidèles de Christ, on n’en fait point toutefois aucunes informations ; mais les gens de justice sont muets ; les lois ont la bouche close ; le Magistrat ne fait point son office ; tout secours et support est refusé.
Mais comme les disciples s’étaient rangés en cercle autour de lui, il se releva et entra dans la ville. Et le lendemain il s’en alla avec Barnabas à Derbe.
Combien que nul ne défendît Paul, toutefois S. Luc montre que les fidèles furent soigneux de sa vie ; mais c’a été en telle sorte, qu’ils se sont contenus et modérés, afin de ne rien attenter qui apportât quelque grand danger, et peu de profit, d’autant qu’ils ne pouvaient l’aider que secrètement. Et de fait, il nous faut toujours regarder ce que le Seigneur nous aura donné en main. S’il y a quelqu’un de nous assis sur le bord de la rivière, et qu’il voie quelque autre au milieu des vagues, qui sera prêt d’être noyé, et ne lui puisse tendre la main pour le délivrer du danger, que pourra-t-il faire lors, sinon de recommander à Dieu ce pauvre homme qui se noie ? mais s’il y a quelque espérance de lui pouvoir aider il faut à cette heure-là se mettre en danger. Nous ne dirons donc pas que les disciples aient abandonné S. Paul par lâcheté, vu qu’ils n’avaient aide ne secours entre leurs mains pour lui donner ; mais ils rendent témoignage de leur amour et sollicitude, quand ils l’environnent, le voyant traîné hors.
Et le lendemain, etc. Il apparaît clairement par ceci, que ce n’a point été sans grand miracle, que S. Paul a été préservé, en ce que le jour après qu’il avait été traîné hors, et réputé pour mort, comme s’il eût été frais, saint et bien dispos, il se met en chemin. Dont aussi nous pouvons recueillir combien son cœur était ferme et constant contre toutes fâcheries et adversités. Car il ne cherche point quelque lieu de retraite, où il soit à son aise comme un soldat blessé, mais il retourne aux mêmes lieux, auxquels il avait été maltraité et rudement recueilli un peu auparavant. Toutefois S. Luc raconte en premier lieu, qu’il y eût une Eglise plantée entre les habitant de Derbe ; puis après il ajoute, que S. Paul et Barnabas retournèrent aux Eglises qu’ils avaient instituées, à celle fin qu’ils confirmassent les disciples. Par cela il signifie que l’usage de la Parole ne consiste point en doctrine simple, mais qu’il sert aussi pour fortifier la foi en admonestant, en exhortant et en rédarguant. Et de fait, Christ n’a pas seulement ordonné à ses ministres qu’ils enseignassent, mais aussi qu’ils fissent des remontrances et exhortations. Et S. Paul dit (2 Timothée 3.16) que l’Écriture est utile, non seulement pour enseigner, mais aussi pour remontrer et exhorter. Par quoi, que les Pasteurs ne pensent point s’être acquittés, quand ils auront bien enseigné le peuple en droite science de Dieu, sinon que en même temps ils s’emploient en cet endroit. D’autre part, que les fidèles ne méprisent point la parole de Dieu, comme si la lecture ou prédication de celle-ci était une chose superflue ; car il n’y a personne qui n’ait besoin d’être continuellement confirmé.
Et après avoir annoncé l’Evangile dans cette ville-là, et y avoir fait un assez grand nombre de disciples, ils retournèrent à Lystre, à Iconium et à Antioche,
affermissant les âmes des disciples, les exhortant à persévérer dans la foi, et leur représentant que c’est par beaucoup d’afflictions qu’il nous faut entrer dans le royaume de Dieu.
Ceci a été le principal moyen de les fortifier et confirmer, qu’en exhortant ils incitent à persévérance les disciples, lesquelles avaient reçu l’Evangile, et qui en faisaient profession. Car il s’en faut beaucoup que nous soyons prompts et diligents à faire il notre devoir comme nous devrions. Et pourtant notre paresse a besoin d’aiguillons, et faut nécessairement que notre froidure soit réchauffée. Au reste, pour ce que Dieu veut que ses fidèles soient exercés par divers combats, saint Paul et Barnabas exhortent les disciples de se préparer à endurer fâcheries et oppressions. Car cette admonition est grandement nécessaire, qu’il nous faut guerroyer en ce monde, à cette fin que nous vivions purement et saintement. Si la chair ne nous faisait point de fâcherie, si Satan ne nous dressait des machinations et embûches, si les méchants ne nous mettaient point des scandales au-devant pour nous troubler, il ne nous serait point si difficile de persévérer ; car cela serait cheminer doucement par une voie plaisante et gracieuse. Mais pour ce qu’infinis assauts se lèvent de toutes parts et à toutes heures, qui nous sollicitent à quitter tout, de là vient la difficulté ; et pourtant la constance est une vertu peu commune. Si donc nous voulons persévérer jusques à la fin, il faut que, nous soyons préparés à guerroyer. Au reste, non seulement mention est ici faite des persécutions que nous dressent nos ennemis par feux allumés et glaives dégainés, mais sous ce mot d’Oppressions, saint Luc comprend toutes les fâcheries auxquelles la vie des fidèles est sujette. Non pas que les fidèles soient seuls misérables ; car cette condition est commune tant aux bons qu’aux mauvais, dont est venu ce proverbe fort renommé entre les anciens : C’est une très bonne chose, que de ne naître point ; et la meilleure après, c’est de mourir bientôt. Mais comme ainsi soit que Dieu épargne bien souvent les méchants, et qu’il les engraisse de grandes prospérités, il est plus austère et rude envers ses enfants. Car outre les fâcheries communes, ils sont particulièrement pressés de plusieurs incommodités ; et Dieu les humilie par tels exercices, tenant leur chair sous la verge, afin qu’elle ne se révolte pas outre mesure ; et les réveille afin qu’ils ne demeurent assoupis en terre et s’amollissent. Avec ce il y a les opprobres et outrages des méchants ; car il faut qu’ils soient comme les balayures du monde. On se moque de leur simplicité ; sur tout ils sont piqués extrêmement des moqueries méchantes lesquelles les contempteurs jettent contre Dieu. Finalement, l’insolence des méchants se crève, et se convertit en violence ouverte. Ainsi ils ont nécessairement à batailler contre beaucoup de tribulations ; et ne se peut faire que toute leur vie ne soit pleine de grandes inquiétudes, et environnée de beaucoup d’ennuis au milieu de tant d’adversaires. Mais voici une très bonne et singulière consolation, et assez suffisante pour confirmer les cœurs, à savoir que nous avons entrée et ouverture au Royaume de Dieu par cette voie, combien qu’elle soit fort âpre et difficile. Car nous recueillons de ceci, que les misères des fidèles sont plus heureuses que toutes les délices de ce monde. Par quoi réduisons en mémoire en premier lieu, que cette condition nous est imposée, que nous endurions beaucoup d’ennuis et fâcheries ; mais aussi il y faut ajouter ceci pour adoucir l’amertume, que par leur moyen nous sommes conduits au royaume de Dieu. Au demeurant, nous pouvons rejeter le fol babil de ceux qui recueillent de ceci, que la patience est une œuvre méritoire du salut éternel ; vu qu’il n’est point ici disputé de la cause du salut, mais comment Dieu a accoutumé de traiter les siens en ce monde. Et la consolation qui est ici ajoutée, n’est point pour magnifier ou faire valoir la dignité ou mérite des œuvres, mais seulement pour redresser les esprits des fidèles, afin qu’ils ne défaillent sous le fardeau de la croix. Comme il a déjà été dit, tout le genre humain est indifféremment sujet à plusieurs maux. Mais les afflictions ne sont autre chose aux réprouvés, sinon une entrée aux enfers ; et au contraire, elles tournent à bien et à une fin joyeuse et heureuse aux fidèles ; et même leur servent d’aides à salut ; pour ce qu’ils communiquent avec Christ. Il nous faut noter que S. Paul et S. Luc ne se contentent point de dire Oppressions au nombre pluriel ; mais ils expriment notamment ce mot de Plusieurs, afin que nous ne pensions pas être quittes, quand nous en aurons enduré une ou deux, ou en quelque autre petit nombre, et puis après que nous venions à quitter tout. Que les fidèles donc aient ceci pour résolu, qu’il faut qu’ils cheminent par continuelles fâcheries ; d’avantage, qu’ils se préparent non seulement à une sorte de persécution, mais à diverses espèces. Car combien que Dieu en traite aucuns plus doucement, nonobstant il n’y a personne de tous ses fidèles qu’il épargne tellement, qu’il soit du tout exempt de tribulations.
Et ils leur choisirent des anciens dans chaque Eglise, et après avoir prié et jeûné, ils les recommandèrent au Seigneur, en qui ils avaient cru.
Il apparaît par ceci qu’il ne suffit pas que les hommes soient une fois bien institués en la doctrine de vraie religion, et tiennent la somme de la foi Chrétienne, sinon qu’ils s’avancent continuellement. Pour cette cause Christ non seulement a envoyé des Apôtres pour semer l’Evangile, mais aussi a commandé qu’il y eût des Pasteurs ordonnés, afin, que la prédication de l’Evangile fut perpétuelle et en usage continuel. Paul et Barnabas observent cet ordre institué par Christ, quand ils assignent, des Pasteurs à chacune Eglise, à celle fin que la doctrine ne cesse point après leur départ. Par quoi ce passage nous montre que l’Eglise ne se peut passer de ministère ordinaire ; et que Dieu ne reconnaît pour Chrétiens, sinon ceux qui persistent tout le cours de leur vie à lui être disciples. J’expose ici ce mot de Prêtres, pour ceux qui avaient la charge d’enseigner ; car il apparaît par les écrits de saint Paul (1 Timothée 5.17) qu’il y en avait aucuns qui étaient seulement députés pour la correction des mœurs. Or quand saint Luc dit qu’il y eut des Ministres députés et ordonnés par chacune Eglise, on peut recueillir de ceci, quelle différence il y avait entre leur charge et la charge des Apôtres. Car les Apôtres n’avaient nul lieu assigné, mais ils allaient de lieu en lieu pour fonder des nouvelles Eglises ; mais les Pasteurs étaient députés et ordonnés à certaines Eglises, et comme attachés en garnison.
Par l’avis des assemblées ils eurent créé, etc. Le mot Grec signifie décerner quelque chose en ayant les mains levées, comme on a accoutumé de faire quand il y a assemblée de peuple. Toutefois ceux qui ont écrit de notre religion, prennent en un autre sens le nom qui vient de ce mot, à savoir pour une cérémonie solennelle de mettre quelqu’un en office en l’Eglise, laquelle cérémonie est appelée en l’Écriture: Imposition des mains. Au reste, par cette forme de parler est très bien exprimée la façon légitime de créer et ordonner des Pasteurs. Il est dit que Paul et Barnabas élisent des Ministres. A savoir si eux deux seuls font cela de leur office privé ? Mais plutôt ils permettent l’affaire aux voix de tous. Ainsi donc le peuple a eu élection libre en l’élection des Ministres. Mais afin que rien ne se fît par tumulte, Paul et Barnabas y président comme conducteurs pour adresser. Ainsi doit être entendu le décret du Concile de Laodicée, lequel défend que l’élection soit permise au peuple.
Ayant prié avec jeûnes. Leur prière tendait à double fin et raison. La première, que Dieu leur donnât Esprit de prudence et discrétion, à ce qu’ils fussent conduits à élire les plus gens de bien et les plus idoines. Car ils ne connaissent point qu’ils fussent garnis de si grande prudence, qu’ils ne pussent être trompés ; et ne se fiaient pas tellement à leur diligence, qu’ils ne sachent bien que le principal résidait en la bénédiction de Dieu. Comme nous voyons ordinairement advenir, que les hommes se trompent en leurs jugements, et que tous leurs labeurs viennent à néant, quand la main de Dieu y défaut. Voilà les vraies adresses et préparatifs des fidèles, d’invoquer l’Esprit de Dieu, à ce qu’il préside comme gouverneur et conducteur de leurs conseils. Que si ainsi est qu’il faille tenir cette règle en tous affaires, toutes les fois qu’on traite du gouvernement de l’Eglise, qui dépend entièrement de la volonté de celui-ci, il nous faut soigneusement garder de ne rien attenter sinon sous la sainte conduite et heureux gouvernement. La seconde fin de leur prière était, que le Seigneur garnît de dons nécessaires ceux qui seraient élus Pasteurs. Car exercer fidèlement un tel office comme il est besoin, est une chose si haute et difficile, que toutes les forces humaines ne sont suffisantes pour y satisfaire. En cet endroit donc aussi par le conseil de Paul et Barnabas ils implorent l’aide de Dieu. Avec ce, les jeûnes y sont ajoutés comme aides, pour enflammer le zèle de prier. Car autrement nous savons combien nous y sommes froids. Non pas qu’il soit toujours nécessaire que nous jeûnions quand il nous faut prier, vu que Dieu invite aussi ceux qui sont rassasiés à lui rendre grâces ; mais quand quelque nécessité nous presse, pour nous faire prier de plus grande ardeur que nous n’avons accoutumé, cette incitation nous est bonne et grandement utile. Or nous avons déjà déclaré combien c’est une chose de grande importance que l’élection des Pasteurs et Ministres, puisqu’en celle-ci il est question de la conservation de l’Eglise. Par quoi il ne se faut étonner si saint Luc dit qu’il y eut des prières et oraisons extraordinaires. Et il est grandement besoin que nous observions cet usage, et les autres usages du jeûne, afin que nous ne forgions que ce soit une œuvre méritoire, comme font les Papistes, ; ou que nous constituions en celui-ci aucun service de Dieu, vu qu’il n’est rien de soi, et qu’il n’est de nulle importance devant Dieu, sinon en tant qu’il transporté ailleurs.
Ils les recommandèrent au Seigneur. Nous recueillons premièrement de ceci, quelle sollicitude Paul et Barnabas avaient du salut de ceux qui par leur peine et travail avaient été convertis au Seigneur. D’avantage, ils attestent que les hommes en cette infirmité charnelle sont sujets à tant et si grands dangers, que leur foi ne peut demeurer ferme par leur propre force et vertu ; et que pourtant la seule force est, que le Seigneur garde perpétuellement ceux qu’il a une fois reçus. Au surplus, quand saint Luc dit qu’ils ont été recommandés à Dieu, auquel ils avaient cru, il nous revient de cela une grande assurance, d’autant qu’il assigne ce propre office à Dieu, de garder et maintenir tous ceux qui ont reçu sa parole en vraie foi.
Et, ayant traversé la Pisidie, ils vinrent en Pamphylie.
Nous avons déjà dit que Paul et Barnabas étaient venus en Antioche de Pisidie ; maintenant voulant retourner en Antioche de Syrie, d’où ils avaient été envoyés, ils passent par la Pamphylie, qui était une région entre deux, tirant vers la montagne de Taurus. Or Perge et Attalie ce sont deux villes voisines. Mais quant à ce que saint Luc explique qu’ils annoncèrent la Parole seulement en l’une des deux, on peut conjecturer par cela, qu’occasion ne leur a été offerte d’enseigner partout, vu qu’ils n’avaient coutume de l’oublier et de ne pas la dispenser où qu’ils en trouvassent.
Et après avoir annoncé la parole à Perge, ils descendirent à Attalie,
et de là ils s’embarquèrent pour Antioche, d’où ils avaient été recommandés à la grâce de Dieu pour l’œuvre qu’ils venaient d’accomplir.
S. Luc pouvait dire que là ils avaient été ordonnés Apôtres des Gentils ; mais par circonlocutions il exprime mieux qu’ils n’ont point été envoyés par les hommes, ni aussi ont entrepris aucune chose sous confiance de leur propre vertu, mais que tout ce voyage avec l’événement a été recommandé à Dieu qui en était l’auteur. Leur prédication donc n’a point été une œuvre humaine, mais de la grâce de Dieu. Quant au mot de Grâce, il se rapporte tant à la vertu et efficace du Saint Esprit, qu’à tous les autres signes de la faveur et assistance de Dieu ; car tout les dons que le Seigneur fait aux siens sont gratuits. Or on peut ainsi résoudre cette sentence, Qu’ils avaient prié Dieu qu’il déployât sa grâce pour avancer et faire fructifier les labeurs de ses serviteurs.
Et quand ils furent arrivés et qu’ils eurent assemblé l’Eglise, ils racontèrent toutes les choses que Dieu avait faites avec eux, et comment il avait ouvert aux païens la porte de la foi.
Tout ainsi que ceux qui retournent de quelque ambassade ou commission, ont coutume de rendre compte de ce qu’ils ont fait ; aussi Paul et Bamabas racontent à l’Eglise toute la somme de leur voyage ; afin qu’on connaisse par cela comment ils ont exercé fidèlement leur office. En même temps ils exhortent les fidèles à rendre grâces à Dieu, comme le fait leur en donnait assez ample matière. Pour cette cause saint Luc ne dit pas qu’ils aient loué leurs beaux faits, mais toutes les choses que le Seigneur avait faites par eux. Il y a de mot à mot, Avec eux ; mais selon la manière de parler des Hébreux, cela signifie tout autant que s’il était dit, En eux, ou par eux ; ou simplement, A eux. Ce que je dis, afin que quelqu’un par faute d’entendre la propriété du mot, attribue une partie de la louange à Paul et Barnabas, comme s’ils avaient été compagnons à Dieu en cette œuvre ; vu que plutôt ils le font auteur seul de tout ce qu’ils avaient tant heureusement accompli. Saint Luc ajoute incontinent après, que le Seigneur avait ouvert la porte de la foi aux Gentils. Car combien qu’ils fussent envoyés aux Gentils, toutefois la nouveauté du fait n’était point sans admiration. Et non seulement la mutation soudaine rendait les Juifs étonnés, mais pour ce que ce leur était une chose monstrueuse, que des hommes immondes et étranges du Royaume de Dieu fussent mêlés avec la sainte semence d’Abraham, pour constituer ensemble une Eglise de Dieu. Maintenant ils sont enseignés par l’événement, que ce n’a point été sans cause que des apôtres leur ont été donnés. Or il est dit que la porte de la foi a été ouvert aux Gentils, non seulement pour ce que l’Evangile leur a été prêché par voix externe, mais pour ce qu’étant illuminés par le Saint Esprit, ils ont été appelés à la foi avec efficace. Il est vrai que le Royaume des cieux nous est ouvert par la prédication externe de l’Evangile ; mais nul n’y entre sinon ceux à qui Dieu tend la main ; nul n’en approche s’il n’est tiré au dedans par le Saint Esprit. Ainsi donc, Paul et Bamabas démontrent par l’effet, que leur vocation était ratifiée et approuvée de Dieu ; pour autant que la foi des Gentils était comme un seau gravé de la main de Dieu, pour la confirmation de celle-ci ; comme saint Paul parle, Romains 16.25, et 2 ;Corinthiens 3.7.
Et ils demeuraient un assez long temps avec les disciples.