Edouard Seymour, duc de Somerset, fut régent d'Angleterre Pendant la minorité d'Edouard VI. Ce fut sous son administration que la Réforme s'établit victorieusement en Angleterre. Appuyé sur le Parlement, il comprima les troubles survenus après la mort d'Henry VIII, confirma la suprématie du roi en matière ecclésiastique, abolit le culte des images et les messes privées et rétablit la Communion sous les deux espèces. Il entretint une correspondance avec Calvin, qui lui dédia son Commentaire sur la première épître à Timothée. Il offrit un asile aux persécutés du continent, notamment à Bucer, de Strasbourg. Il Périt en 1552 sur l'échafaud, victime de l'ambition de Warwick, comte de Northumberland, son parent.
Monseigneur, combien que Dieu vous ait pourvu d'une singulière prudence, magnanimité et autres vertus requises à l'état où il vous a constitué et aux affaires qu'il vous a mises en main, toutefois d'autant que vous me tenez pour serviteur de son Fils auquel vous désirez surtout d'obéir, je me tiens assuré que pour l'amour de lui vous recevrez humainement ce que je vous écris en son nom, comme de fait je ne prétends à autre fin, sinon qu'en suivant ce que vous avez commencé, de plus en plus vous avanciez son honneur jusqu'à ce que vous ayez,établi son règne en telle perfection comme il se peut voir au monde. Et aussi vous connaîtrez par la lecture que, sans avancer rien du mien, le tout sera tiré de sa pure doctrine. Si je ne regardais que la dignité et grandeur où vous êtes, il n'y aurait point accès pour un homme de ma qualité. Mais puisque vous ne refusez point d'être enseigné du Maître auquel je sers, mais que plutôt préférez à tout le reste la grâce qu'il vous a faite d'être de ses disciples, il me semble que je n'ai besoin de vous faire longue excuse ni préface, pource que je vous tiens assez disposé à recevoir tout ce qui procédera de lui.
Nous avons tous à rendre grâces à notre Dieu et Père de ce qu'il s'est voulu servir de vous en une œuvre tant excellente que de remettre au-dessus la pureté et droite règle de son service en Angleterre par votre moyen et faire que la doctrine du salut ait lieu et y soit fidèlement publiée pour tous ceux qui la voudront écouter ; de ce,qu'il vous a donné telle vertu (courage) et constance à poursuivre jusqu'ici contretant de tentations et difficultés ; de ce qu'il vous a tenu la main forte en bénissant tous vos conseils et labeurs pour les faire prospérer. Ce sont choses qui incitent tous vrais fidèles à magnifier son Nom. Mais cependant pource que Satan ne cesse d'élever toujours nouveaux combats et que c'est une chose de soi si difficile que rien plus, de faire que la vérité de Dieu domine paisiblement entre les hommes qui de leur naturel sont adonnés à mensonge ; d'autre part qu'il y a tant de circonstances qui empêchent aujourd'hui le cours d'icelle et surtout que les superstitions de l'Antéchrist, ayant pris racine de si longtemps, ne se peuvent aisément ôter des cœurs, il me semble que vous avez bon métier d'être confermé (affermi) par saintes exhortations. Et je ne doute point que l'expérience ne le vous fasse sentir, qui sera cause de m'y faire procéder plus franchement, pource que ma délibération, comme j'espère, répondra à votre désir. Quand mes exhortations seraient superflues, si (néanmoins) supporteriez-vous le zèle et sollicitude qui m'induit à les faire. Par plus forte raison je crois que la nécessité que vous en sentez fera qu'elles soient encore mieux reçues. Quoi qu'il en soit, je vous supplie, Monseigneur, qu'il vous plaise me donner audience en quelques avertissements que j'ai proposé de vous déduire (exposer) ici en bref, espérant que quand vous les aurez écoutés, pour le moins vous y trouverez goût pour en être consolé et prendre tant meilleur courage à continuer la sainte et noble entreprise où Dieu vous a voulu employer jusqu'ici.
Je ne doute pas que les grands troubles qui vous sont advenus depuis quelque temps ne vous aient été bien durs et fâcheux et surtout pource que plusieurs en ont pu prendre occasion de scandale, d'autant qu'ils étaient émus en partie sous ombre du changement de la religion. Parquoi il ne se peut faire que ce ne vous ait été un assaut bien rude, tant pour les pensées qu'il vous en pouvait venir à l'esprit que pour les murmures des malins et ignorants et aussi pour l'étonnement des bons. Certes le bruit que j'en ai ouï de loin me cause grande angoisse en mon cœur, jusqu'à ce que j'ai su que Dieu avait commencé d'y mettre quelque remède. Toutefois pource qu'ils ne sont possible encore du tout apaisés ou que le diable les pourrait renouveler, qu'il vous souvienne de ce que l'histoire sainte récite du bon roi Ezéchias (2 Chroniques 32), à savoir quand il eut aboli les superstitions en Judée, réformé l'état de l'Eglise selon la loi de Dieu, que alors il est tellement pressé de ses ennemis qu'il semble bien qu'il soit homme perdu et désespéré. Ce n'est pas sans cause que le saint Esprit notamment exprime qu'une telle affliction lui est advenue incontinent après avoir rétabli la vraie religion en son ordre. Car il semblait bien, puisqu'il s'était efforcé de faire régner Dieu, qu'il dût avoir de son côté son royaume paisible.
Ainsi tous princes fidèles et gouverneurs de pays sont avertis par cet exemple que d'autant plus qu'ils mettront peine à chasser les idolâtries et procurer que Dieu soit vraiment adoré, comme il doit, leur foi pourra être examinée par diverses tentations. Dieu le permet et veut ainsi pour déclairer (faire connaître) la constance des siens et les exercer à ce qu'ils aient à. regarder plus haut que le monde. Cependant le diable, aussi fait son office, tâchant à ruiner la bonne doctrine par moyens obliques, comme par dessous terre, d'autant qu'il n'en peut ouvertement venir à bout. Mais suivant l'admonition de saint Jacques (Jacques 5), qui nous dit qu'en considérant la patience de Job, il nous faut regarder l'issue, il nous convient aussi, Monseigneur, jeter les yeux sur l'issue qui a été donnée à ce bon roi. C'est que Dieu lui a secouru en toutes ses perplexités et qu'il est demeuré à la fin victorieux. Sur cela, puisque sa main n'est point accourcie et qu'il a aujourd'hui en aussi grande recommandation la défense de sa vérité et le salut des siens, comme il eut jamais, ne doutez point qu'il ne vous veuille subvenir et non pas seulement pour un coup, mais en autant de tentations qu'il vous enverra.
Si la plus grand' part du monde résiste à l'Evangile et même s'efforce avec toute rage et violence d'empêcher qu'il ne vienne en avant, nous ne le devons pas trouver étrange. C'est l'ingratitude des hommes qui a toujours été et sera de reculer, quand Dieu approche d'eux et même de regimber contre lui quand il leur veut imposer son joug. Davantage pource que de nature ils sont adonnés à hypocrisie, ils ne peuvent souffrir d'être amenés à cette clarté de la parole de Dieu qui découvre leur turpitude et honte, ni d'être tirés hors des superstitions qui leur servent comme de cachette pour leur donner ombre. Ce n'est donc rien de nouveau s'il y a grande contradiction quand on tâche de réduire les hommes à la pure obéissance de Dieu. Et aussi nous avons l'avertissement de notre Seigneur Jésus, lequel nous dit qu'il apporte le glaive avec son Evangile. Mais si (néanmoins) ne faut-il pas que cela nous étonne ou nous rende lâches et craintifs, car en la fin, quand les hommes se seront bien mutinés et auront jeté tous leurs bouillons (ardeurs), ils seront confus en un moment et se rompront avec leur impétuosité. Vrai est, comme il est dit au psaume second : QUE DIEU NE SE FERA QUE RIRE DE LEUR ÉMOTION, c'est-à-dire qu'en dissimulant il les laissera tempêter comme si la chose ne lui attouchait point. Mais si est-ce qu'en la fin ils seront toujours rembarrés par sa vertu, de laquelle si nous sommes armés nous avons une bonne munition (fortification) et invincible, quelque conspiration que le diable dresse contre nous ; et en la fin connaîtrons par expérience que tout ainsi que l'Evangile est le message de paix et de réconciliation entre Dieu et nous, qu'il nous servira à pacifier aussi bien les hommes et par ce moyen sentirons que Esaïe n'a point dit en vain (Esaïe 2) que quand Jésus-Christ règnera entre nous par sa doctrine, que LES ÉPÉES SERONT CONVERTIES EN CHARRUES ET LES LANCES EN FAUX.
Cependant jaçoit (combien) que la malice et rébellion des hommes soit cause des séditions et mutineries qui s'élèvent contre l'Evangile, si est-ce qu'il nous faut regarder à nous et connaître que Dieu châtie nos fautes par ceux qui autrement ne veulent servir que Satan. Ca été une complainte ancienne que l'Evangile était cause de tous les maux et calamités qui adviennent aux hommes. De fait nous voyons par les histoires que quelque temps après que la chrétienté (christianisme) fût épandue partout, il n'y eut quasi angle de la terre qui ne fût horriblement affligé. L'émotion des guerres était comme un feu universel allumé en tous pays. Les déluges d'un côté, les pestes et famines de l'autre, une confusion,énorme d'ordre et de police, en sorte qu'il semblait que le monde se dût pleinement renverser. Nous avons pareillement vu de notre temps, depuis que l'Evangile a commencé d'être remis au-dessus, beaucoup de pauvretés, tellement que chacun se plaint que nous sommes en un siècle malheureux et y en a bien peu qui ne gémissent sous le fardeau. Or en sentant les coups nous devons regarder à la main de celui qui nous frappe et devons aussi penser pourquoi. La cause qui le meut à nous faire ainsi sentir ses verges n'est pas trop obscure ni difficile à entendre. Nous savons que sa Parole, par laquelle il nous veut guider à salut, est un trésor inestimable ; en quelle révérence est-il reçu de nous quand il le nous présente ? Puis donc que nous ne tenons pas grand compte de ce qui est tant précieux, à Dieu est bien raison qu'il se venge de notre ingratitude. Nous oyons (entendons) aussi ce que Jésus-Christ prononce (Luc 12.47) que LE SERVITEUR SACHANT LA VOLONTÉ DE SON MAÎTRE ET NE LA FAISANT POINT EST DIGNE DE DOUBLE CHÂTIMENT. Puisque nous sommes si lâches à obéir à la volonté de notre Dieu qui nous a été déclarée plus que cent fois ci-devant, ne trouvons point étrange s'il se courrouce plus âprement contre nous, vu que nous sommes plus inexcusables. Quand nous ne faisons point profiter la bonne semence, c'est bien raison que les chardons et épines de Satan croissent pour nous poindre et piquer. Puisque nous ne rendons point à notre Créateur la subjection (obéissance) qui lui est due, ce n'est point merveille que les hommes s'élèvent contre nous.
A ce que j'entends, Monseigneur, vous avez deux espèces de mutins qui se sont élevés contre le roi et l'état du royaume : Les uns sont gens fantastiques, qui sous couleur de l'Evangile voudraient mettre tout en confusion. Les autres sont gens obstinés aux superstitions de l'Antéchrist de Rome. Tous ensemble méritent bien d'être réprimés par le glaive qui vous est commis, vu qu'ils s'attachent (s'en prennent) non seulement au roi, mais à Dieu qui l'a assis au siège royal et vous a commis la protection tant de sa personne comme de sa majesté. Mais le principal moyen est de faire tant qu'il sera possible que ceux qui prennent goût à la doctrine de l'Evangile pour y adhérer la reçoivent avec telle humilité et crainte qu'ils renoncent à eux-mêmes pour servir à Dieu. Car ils doivent penser que Dieu les veut tous réveiller à ce qu'ils profitent mieux à bon escient à sa Parole qu'ils n'ont pas fait. Ces forcenés qui voudraient que tout le monde se revirât (tournât) en une licence confuse sont subornés par Satan pour diffamer l'Evangile, comme s'il n'engendrait que révolte contre les princes et toute dissipation en la vie humaine. Parquoi tous fidèles en doivent soupirer. Les papistes voulant soutenir les ordures et abominations de leur idole romain se montrent ennemis manifestes de la grâce de Jésus-Christ et de toutes ses ordonnances. Cela aussi doit faire grand mal au cœur à tous ceux qui ont quelque goût de bon zèle. Parquoi ils doivent penser tous ensemble que ce sont verges de Dieu s'adressant à eux. Et pourquoi, sinon d'autant qu'ils ne font point valoir la doctrine de salut comme il appartient ?
Ainsi le principal remède pour amortir telles séditions est que ceux qui font profession de l'Evangile soient vraiment réparés à l'image de Dieu pour montrer que notre chrétienté (christianisme) ne cause nulle dissipation en la vie humaine, de donner bonne approbation (preuve) par leur modestie et attrempance (modération), qu'étant gouvernés par la Parole de Dieu nous ne sommes point gens débordés ni sans brides ; et, par leur bonne sainte vie, clore la bouche à tous médisants. Car, par ce moyen, Dieu étant apaisé, retirera sa main et au lieu qu'aujourd'hui il punit le mépris qu'ils ont fait à sa Parole, il bénira leur obéissance en toute prospérité. Même que toute la noblesse et gens de justice se rangent droitement et en toute humilité à la sujétion de ce grand Roi Jésus-Christ, lui faisant entier hommage et sans feintise d'âme, de corps et de tout, afin qu'il corrige et abatte l'arrogance et témérité de ceux qui se voudraient élever contre eux. Voilà comment les princes terriens doivent régner, servant à Jésus-Christ et faisant qu'il ait son autorité souveraine sur tous, tant petits que grands. Parquoi, Monseigneur, en tant que vous avez l'état du roi votre neveu cher et en recommandation, comme vous le montrez bien, je vous supplie au nom de Dieu d'appliquer ici votre principal soin et vigilance, que la doctrine de Dieu soit prêchée en efficace et vertu (puissance) pour produire son fruit et ne vous lasser point, quoi qu'il en soit, à poursuivre une pleine et entière réformation de l'Eglise. Pour vous mieux exprimer mon intention, je distinguerai le tout en trois points.
Le premier sera de la façon de bien endoctriner (enseigner) le peuple. Le second sera de l'extirpation des abus qui ont régné par ci-devant. Le troisième de corriger soigneusement les vices et tenir la main à ce que les scandales et dissolutions n'aient point la vogue, tellement que le Nom de Dieu en soit blasphémé.
Quant au premier point, je n'entends point vous déclarer quelle doctrine doit avoir lieu. Plutôt je rends grâces à notre bon Dieu qu'après vous avoir illuminé en sa pure connaissance, il vous a donné conseil et discrétion (discernement) pour faire que sa pure vérité soit prêchée. Ainsi, loué soit Dieu, vous n'êtes pas à enseigner quelle est la vraie foi des chrétiens et la doctrine qu'ils doivent tenir, vu que par votre moyen la vraie pureté de la foi est restituée : C'est que nous tenions Dieu pour le seul gouverneur de nos âmes, que nous tenions sa loi pour la seule règle et régime spirituel de nos consciences, pour ne le point servir selon les folles inventions des hommes. Item que selon sa nature il veut être servi en esprit et en pureté de cœur. D'autre part que, connaissant qu'il n'y a que toute malheureté en nous et que nous sommes corrompus en tous nos sens et affections, tellement que c'est un abîme d'iniquité que nos âmes, étant désespérés en nous, ayant anéanti toute présomption de notre sagesse, dignité ou pouvoir de bien faire, nous recourions à la fontaine de tous biens qui est Jésus-Christ, recevant ce qu'il nous donne, à savoir le mérite de sa mort et passion, afin que par ce moyen nous soyons réconciliés à Dieu ; qu'étant lavés de son sang, nous ne craignions point que nos macules (souillures) nous empêchent de trouver grâce au trône céleste ; qu'étant certains que nos péchés nous sont pardonnés gratuitement en la vertu de son sacrifice, nous mettions là notre repos et appui pour être assurés de notre salut ; que nous soyons sanctifiés par son Esprit pour nous consacrer à l'obéissance de la justice de Dieu ; qu'étant fortifiés par sa grâce nous soyons vainqueurs de Satan, du monde et de la chair ; finalement, qu'étant membres de son corps, nous ne doutions pas que Dieu ne nous repute (estime) de ses enfants, et que nous ayons la confiance de l'invoquer comme notre père ; que nous soyons avertis de réduire à ce but tout ce qui se dit et fait en l'Eglise ; c'est qu'étant retirés du monde, nous soyons élevés au ciel avec notre Chef et Sauveur. Puis donc que Dieu vous a fait la grâce de rétablir la connaissance de cette doctrine qui avait été si longtemps ensevelie par l'Antéchrist, je me déporte de vous en tenir propos.
Ce que j'ai touché de la façon d'enseigner est seulement que le peuple soit instruit pour être touché au vif et qu'on sente ce que dit l'apôtre (Hébr. 4), que LA PAROLE DE DIEU EST UN GLAIVE TRANCHANT DES DEUX CÔTÉS TRANSPERÇANT LES PENSÉES ET AFFECTIONS JUSQU'A LA MOELLE DES OS. Je dis ceci, Monseigneur, pource qu'il me semble qu'il y a bien peu de prédication vive au royaume, mais que la plupart se récite comme par lecture. Je vois bien les nécessités qui vous contraignent à cela : car en premier lieu vous n'avez pas, comme je crois, bons pasteurs et idoines (appropriés), comme vous le souhaitez. Parquoi il vous est besoin de suppléer à ce défaut. Secondement il y pourrait avoir beaucoup d'esprits volages qui sortiraient hors des gonds, semant des folles fantaisies, comme souvent il se fait en nouveautés. Mais toutes ces considérations n'empêchent point que l'ordonnance de Jésus-Christ ne doive avoir son cours, quant à prêcher l'Evangile. Or cette prédication ne doit point être morte, mais vive, pour enseigner, exhorter et rédarguer (reprendre) comme dit saint Paul à Timothée (2 Tim. 3). Voire tellement que si un infidèle entre, qu'il soit navré (transpercé) et convaincu pour donner gloire à Dieu, comme il dit en un autre passage (1 Cor. 14). Vous savez aussi, Monseigneur, comment il parle de la vivacité qui doit être en la bouche de ceux qui se veulent approuver bons et fidèles ministres de Dieu, qui ne doivent point avoir une parade de rhétorique pour se faire seulement valoir ; mais que l'Esprit de Dieu doit résonner en leur voix pour besogner en vertu. Tous les dangers qu'on peut craindre ne doivent empêcher que l'Esprit de Dieu n'ait sa liberté et son cours en ceux auxquels il a distribué ses grâces pour édifier l'Eglise.
Vrai est cependant qu'il est bon et expédient d'obvier à la légèreté des esprits fantastiques qui se permettent trop de licence, de fermer aussi la porte à toutes curiosités et doctrines nouvelles ; mais le moyen y est bon et propre tel que Dieu nous l'a montré. C'est premièrement qu'il y ait une somme (résumé) résolue de la doctrine que tous doivent prêcher, laquelle tous prélats et curés jurent de suivre et que nul ne soit reçu à charge ecclésiastique qui ne promette de garder telle union. Après, qu'il y ait un formulaire commun d'instruction pour les petits enfants et les rudes du peuple, qui soit pour leur rendre la bonne doctrine familière, en sorte qu'ils la puissent discerner d'avec les mensonges et corruptions qu'on pourrait introduire au contraire. Croyez, Monseigneur, que jamais l'Eglise de Dieu ne se conservera sans catéchisme, car c'est comme la semence pour garder que le bon grain ne périsse, mais qu'il se multiplie d'âge en âge. Et pourtant si vous désirez de bâtir un édifice de longue durée et qui ne s'en aille point tôt en décadence, faites que les enfants soient introduits en un bon catéchisme qui leur montre brièvement et selon leur petitesse où gît la vraie chrétienté.
Ce catéchisme servira à deux usages, à savoir d'introduction à tout le peuple pour bien profiter à ce qu'on prêchera et aussi pour discerner si quelque présomptueux avançait doctrine étrange. Cependant je ne dis pas qu'il ne soit bon et même nécessaire d'astreindre les pasteurs et curés à certaine forme écrite, tant pour suppléer à l'ignorance et simplesse d'aucuns que pour mieux montrer la conformité et concorde entre toutes les églises ; tiercement pour couper la broche (couper court) à toute curiosité et invention nouvelle de ceux qui ne demandent qu'à extravaguer, comme j'ai déjà dit que le catéchisme doit servir de bride à telles gens. Autant en est-il de la façon et manière d'administrer les sacrements ; item des prières publiques. Mais cependant, quoi qu'il en soit, que telle police (ordre) ne soit point pour amortir l'efficace qui doit être à la prédication de l'Evangile. Et que vous mettiez peine, tant qu'il vous sera possible, qu'on ait des bonnes trompettes qui entrent jusqu'au profond des cœurs. Car il y a danger que vous ne voyez pas grand profit de toute la réformation que vous aurez faite, quelque bonne et sainte qu'elle soit, sinon que cette vertu de prédication soit déployée quant et quant. Ce n'est pas sans cause qu'il est dit que Jésus-Christ FRAPPERA LA TERRE PAR LE SCEPTRE DE SA BOUCHE ET OCCIRA LE MÉCHANT PAR L'ESPRIT DE SES LÈVRES (Esaïe 11.4). C'est le moyen par lequel il nous veut dompter en détruisant tout ce qui lui est contraire. Et voilà pourquoi aussi l'Evangile est appelé le Règne de Dieu. Ainsi combien que les édits et statuts des princes soient bonnes aides pour avancer et maintenir l'état de la chrétienté, si est-ce toutefois que Dieu veut déclarer sa vertu souveraine en ce glaive spirituel de sa Parole, quand elle est annoncée par les pasteurs.
Pour ne vous point ennuyer, Monseigneur, je viendrai au second point que j'ai proposé de vous toucher : c'est d'abolir et extirper pleinement les abus et corruptions que Satan a mêlés ci-devant parmi les ordonnances de Dieu. Nous savons que sous le pape il y a une chrétienté bâtarde et que Dieu la désavouera au dernier jour puisqu'aujourd'hui il la condamne par sa Parole. Si nous désirons de retirer le monde d'un tel abîme, il n'y a rien meilleur que de venir à l'exemple de saint Paul, lequel, voulant corriger ce que les Corinthiens avaient mal ajouté à la Cène de notre Seigneur, leur dit (1 Cor. 11) : J'AI REÇU DU SEIGNEUR CE QUE JE VOUS AI BAILLÉ. De là il nous faut recueillir un enseignement général de retourner au vrai commandement de Dieu et naturel, si nous voulons avoir une bonne réformation et approuvée de lui. Car tant de mélanges que les hommes ont avancés de leur esprit, autant sont-ce de pollutions (souillures) qui nous détournent du saint usage de ce que Dieu nous a donné pour notre salut. Ainsi d'ébrancher à demi tels abus ne sera point réduire les choses en pur état, car nous aurons toujours une chrétienté déguisée. Je dis ceci pource qu'aucuns, sous ombre de modération, sont d'avis qu'on épargne beaucoup d'abus sans y toucher, et leur semble que c'est assez d'avoir déraciné le principal. Mais au contraire nous voyons combien la semence des mensonges est fertile et qu'il n'en faut qu'un grain pour remplir le monde au bout de trois jours, selon que les hommes y sont enclins et adonnés. Notre Seigneur nous enseigne bien une autre façon, car quand David parle des idoles, il dit (Psaume 16) : QUE LEUR NOM NE PASSERA POINT PAR SA BOUCHE, pour signifier en quelle détestation nous les devons avoir. Surtout si nous regardons comment nous avons offensé Dieu du temps de notre ignorance, nous devons être doublement touchés pour fuir les inventions de Satan qui nous ont induits à mal faire, comme de macquerellages (prostitutions) qui ne servent qu'à séduire les âmes. D'autre côté nous voyons, encore qu'on remontre aux hommes leurs fautes et erreurs, qu'on les avertisse des objets tant qu'on peut, que néanmoins ils sont si endurcis qu'on n'en peut venir à bout. Quand donc on leur laissera quelques reliques (restes), ce sera une nourriture de tant plus grande obstination et un voile pour leur obscurcir toute la doctrine qu'on leur pourra proposer.
Je confesse bien qu'il faut tenir modération et que trop grande extrémité n'est pas bonne ni utile, même qu'il faut accommoder les cérémonies à la rudesse du peuple. Mais il ne faut point que ce qui est de Satan et de l'Antéchrist passe sous cette couleur-là (prétexte-là). C'est pourquoi l'Ecriture sainte, louant les rois qui avaient abattu les idolâtries, n'ayant point raclé tout entièrement, leur donne une note que toutefois ils n'ont point abattu les chapelles et lieux de folle dévotion. Parquoi, Monseigneur, puisque Dieu vous a amené si avant, faites, je vous prie, que sans exception il vous approuve pour réparateur de son temple, en sorte que le temps du Roi votre neveu puisse être comparé à celui de Josias et que vous lui mettiez les choses en tel état qu'il n'ait qu'à maintenir le bon ordre que Dieu lui aura préparé par votre moyen. Je vous alléguerai un exemple de telles corruptions qui pourraient rester, pour être comme un peu de levain qui en la fin aigrira la pâte : Il se fait de par delà quelque oraison pour les trépassés, quand on communique à la Cène de notre Seigneur. Je sais bien que ce n'est pas pour avouer le purgatoire du pape. Je sais aussi qu'on peut alléguer la coutume ancienne de faire quelque mémoire des trépassés, afin d'unir ensemble tous les membres du corps. Mais il y a un argument péremptoire contraire : que la Cène de Jésus-Christ est un acte si sacré qui ne doit être souillé par nulles inventions humaines. Davantage qu'en priant Dieu, il ne faut point lâcher la bride à nos dévotions, mais tenir la règle que saint Paul nous donne (Romains 10) : C'est que nous soyons fondés en la parole de Dieu.
Ainsi telle mémoire qui emporte recommandation n'est convenable à la forme de bien et dûment prier et est une addition mauvaise à la sainte Cène de notre Seigneur. Il y a d'autres choses qui possible seraient moins à reprendre, qui toutefois ne sont à excuser comme la cérémonie du chresme (huile sainte) et onction. Le chresme a été inventé d'une fantaisie frivole par ceux qui ne se contentaient point de l'institution de Jésus-Christ et qui ont voulu contrefaire le saint Esprit par un signe nouveau, comme si l'eau n'eût point suffi à cela. L'extrême-onction, qu'on appelle, a été retenue par un zèle inconsidéré de ceux qui ont voulu ensuivre les apôtres, n'ayant pas le même don qu'iceux avaient. Car quand les apôtres ont usé d'huile sur les malades, c'était pour les guérir miraculeusement. Quand le miracle est cessé, la figure ne doit plus être en usage. Parquoi il serait beaucoup meilleur que ces choses fussent retranchées, tellement que vous n'eussiez rien qui ne fût conforme à la parole de Dieu et qui ne servît à l'édification de l'Eglise.
Vrai est qu'on doit supporter (soutenir) les infirmes, mais c'est pour les fortifier et les amener à plus grande perfection. Cela n'est pas à dire cependant qu'il faille complaire aux fols qui appètent (recherchent) ceci ou cela ne sachant pourquoi. je sais la considération dont plusieurs sont retenus, c'est qu'ils craignent qu'un trop grand changement ne se puisse porter (supporter). Même quand on a égard aux voisins avec lesquels on désire de nourrir amitié, on leur veut bien gratifier (être agréable) en callant (concédant) beaucoup de choses. Cela serait à supporter en affaires mondaines où il est licite de concéder l'un à l'autre et de quitter de son droit pour racheter paix ; mais ce n'est pas tout un du régime spirituel de l'Eglise, lequel doit être ordonné selon la parole de Dieu. Ici il n'est point à notre liberté de rien octroyer aux hommes, ni de fléchir en leur faveur. Même il n'y a rien qui déplaise plus à Dieu que quand nous voulons, par notre prudence humaine, modérer ou retrancher ou avancer ou reculer outre sa volonté. Parquoi si nous ne voulons lui déplaire, il nous faut fermer les yeux au regard des hommes. Quant aux dangers qui peuvent advenir, nous les devons bien éviter en tant qu'en nous est, mais non pas en déclinant (nous écartant) du droit chemin. Nous avons sa promesse qu'il nous assistera quand nous irons droit. Ainsi il ne nous reste sinon de faire notre office, en lui recommandant ce qui en adviendra. Et voilà pourquoi les sages de ce monde sont souventefois frustrés de leur espérance pource que Dieu n'est point avec eux, quand, en se défiant de lui et de son secours, ils cherchent des moyens obliques et lesquels il condamne. Voulons-nous donc sentir la puissance de Dieu de notre côté ? Suivons simplement ce qu'il nous dit. Surtout il nous faut tenir cette maxime que la réformation de son Eglise est œuvre de sa main. Parquoi il faut qu'en cet endroit les hommes se laissent conduire par lui. Qui plus est, soit en restaurant son Eglise, soit en la gardant, il y veut le plus souvent procéder d'une façon admirable et inconnue aux hommes. Parquoi de restreindre cette réformation qui doit être divine à la mesure de notre sens et assujettir ce qui est céleste à la terre et au monde, il n'y a point de propos.
Par cela je n'exclus point la prudence qui est fort requise à tenir tous bons moyens et propres à ne point excéder ni çà ni là en quelque extrémité, à gagner tout le monde à Dieu si possible était. Mais il faut que la prudence de l'Esprit domine, non point de la chair, et qu'ayant interrogé la bouche du Seigneur, nous lui demandions qu'il nous guide et conduise plutôt que de suivre notre sens. Quand nous en ferons ainsi, il nous sera aisé de couper broche (couper court) à beaucoup de tentations qui nous pourraient arrêter au milieu du chemin. Parquoi, Monseigneur, comme vous avez commencé à réduire la chrétienté en son état par les pays d'Angleterre, non point en confiance de vous-même mais d'être soutenu par la main de Dieu, comme jusqu'ici vous avez senti cette main puissante, ne doutez point qu'elle vous sera telle jusqu'au bout. Si Dieu maintient les royaumes et principautés des infidèles qui lui sont ennemis, par plus forte raison il aura en sa sauvegarde ceux qui se rangent à lui et le cherchent pour leur supérieur.
Je viens maintenant au dernier article, qui est de châtier les vices et réprimer les scandales. je ne doute point qu'il n'y ait lois et statuts bons et louables au royaume pour tenir le peuple en honnêteté de vie. Mais les grands débauchements et énormes que je vois par le monde me contraignent de vous prier à prendre aussi cette sollicitude que les hommes soient tenus en bonne et honnête discipline. Surtout que l'honneur de Dieu vous soit recommandé pour punir les crimes dont les hommes n'ont point accoutumé de faire grand cas. je le dis pource que quelquefois les larcins, batteries (rixes) et extorsions seront âprement punis, pource que les hommes y sont offensés. Cependant en souffrira les paillardises et adultères, les ivrogneries, les blasphèmes du Nom de Dieu quasi comme choses licites ou bien de petite importance. Or nous oyons (entendons) au contraire en quelle estime Dieu les a. Il nous déclare combien son Nom lui est précieux. Cependant il est comme déchiré par pièces et foulé aux pieds. Il ne se peut donc faire qu'il laisse tels opprobres impunis. Qui plus est, l'Ecriture nous montre que par les blasphèmes tout un pays est infecté. Quant aux adultères, ce nous doit être une grande honte à nous qui nous réclamons chrétiens, que les païens y aient tenu plus grande rigueur à les punir que nous, et même quelquefois qu'on ne fait que s'en rire. Quand le saint mariage, qui doit être une image vive de l'union sacrée que nous avons avec le Fils de Dieu, est pollu (souillé), que l'alliance qui doit être la plus ferme et indissoluble de ce monde est déloyalement rompue, si nous ne prenons point cela à cœur, c'est signe que nous n'avons guère de zèle de Dieu. Touchant la paillardise, il nous doit bien suffire que saint Paul la compare à sacrilège, d'autant que par icelle les temples de Dieu, qui sont nos corps, sont profanés. Item que les paillards et ivrognes sont bannis du royaume de Dieu, tellement qu'il nous est défendu de converser (avoir commerce) avec eux, dont il s'ensuit bien qu'ils ne doivent point être endurés en l'Eglise.
Et voilà qui est cause de tant de fléaux qui sont aujourd'hui sur la terre. Car d'autant que les hommes se pardonnent telles énormités, il faut que Dieu en fasse la vengeance. Parquoi afin de prévenir son ire, je vous prie, Monseigneur, d'y tenir la bride roide et faire que ceux qui oyent (entendent) la doctrine de l'Evangile s'approuvent (se montrent) être chrétiens par sainteté de vie. Car comme la doctrine est l'âme de l'Eglise pour la vivifier, aussi la discipline et correction des vices sont comme les nerfs pour maintenir le corps en son état et vigueur. L'office des évêques et curés est de veiller sur cela, afin que la Cène de notre Seigneur ne soit point polluée par gens de vie scandaleuse. Mais en l'autorité où Dieu vous a mis, la principale charge revient sur vous, voire de mettre les autres en train afin que chacun s'acquitte de son devoir et faire que l'ordre qui aura été établi soit dûment observé.
Or, Monseigneur, suivant la protestation (déclaration) que j'ai faite ci-dessus, je ne m'excuserai point plus au long ni de la prolixité de mes lettres, ni de ce que je vous ai librement exposé ce que j'avais sur le cœur. Car je me confie que mon affection (zèle) vous est connue, selon votre prudence, et comme vous êtes exercé en l'Ecriture sainte, vous voyez de quelle fontaine j'ai puisé tout ce qui est ici contenu. Parquoi je ne crains point de vous avoir été fâcheux et importun en vous montrant, selon que je puis, le bon désir que j'ai que le Nom de Dieu soit toujours plus amplement glorifié par vous, dont je le supplie journellement, le priant qu'il lui plaise vous augmenter ses grâces, vous confermer (affermir) par son Esprit en une vraie constance invincible, vous soutenant contre tous ennemis, vous ayant avec toute votre maison en sa sainte protection, faisant que heureusement vous administriez la charge qui vous est commise, tellement que le roi ait de quoi louer ce bon Dieu d'avoir eu un tel gouverneur en son enfance, tant pour sa personne que pour son royaume. Sur quoi je ferai fin, Monseigneur, après m'être très humblement recommandé à votre bonne grâce.