Dans un sermon sur Les Découvertes de la foia, qu’il composa à l’âge de 85 ans, Wesley établit que ce n’est que par la foi que nous pouvons connaître Dieu et les choses de Dieu. Il repousse la notion d’idées innées, « qui seraient indépendantes de nos sens », et admet le bien-fondé de cette affirmation : Nihil est in intellectu quod non fuit prius in sensu. (Il n’y a rien dans l’intelligence qui n’ait été d’abord dans les sens.) Mais si étendue que soit la portée des sens, elle ne s’étend pas au domaine de l’invisible ; ils explorent le monde matériel, mais le monde spirituel n’est accessible qu’à un sens d’ordre spirituel, la foi, qui, selon le texte emprunté par Wesley à l’Épître aux Hébreux (Hébreux 11.1), est « la démonstration des choses qu’on ne voit pas ». La foi est pour lui l’organe par lequel nous percevons « les choses invisibles qui nous sont révélées dans les oracles de Dieu ». Mais il a soin d’ajouter que « la révélation ne révèle rien, et est une lettre morte pour ceux qui ne la reçoivent pas avec foi ».
a – Sermon LX, On the discoveries of faith, t. VII, p. 321.
« C’est par la foi, dit-il, que je connais l’Éternel Jéhovah, Celui qui est, qui était et qui sera, Celui qui est Dieu de toute éternité, Celui qui remplit les cieux et la terre ; Celui qui est infini en pouvoir, en sagesse, en justice, en amour, en sainteté ; Celui qui a créé toutes choses, les visibles et les invisibles, par le souffle de sa bouche, et qui les conserve par sa Parole puissante ; Celui qui gouverne toutes les choses, qui sont dans les cieux, sur la terre, ou sous la terre. »
On comprend que Wesley, faisant de la foi le seul moyen de connaître véritablement Dieu, n’ait pas senti le besoin d’insister sur les preuves philosophiques de l’existence de Dieu. D’ailleurs, l’athéisme avoué était rare de son temps. Dans l’un de ses derniers sermons (écrit en 1790), l’année avant sa mort, il déclarait n’avoir rencontré, dans sa longue vie, qu’une vingtaine d’athées, et parmi eux deux seulement dans les Îles Britanniques, et il ajoutait que ces deux derniers s’étaient convertis avant leur mort. Il se préoccupait davantage des athées, non théoriques mais pratiques, « qui sont sans Dieu dans le monde ». C’est ceux-ci qu’il s’efforçait surtout d’amener au Dieu vivant et vrai.
Le Dieu que Wesley adore est donc le Dieu transcendant, qui domine la création et ne se confond pas avec elle. Mais il est aussi le Dieu immanent, présent partout et en tout. A propos de la parole de Jésus qui désigne le ciel comme « le trône de Dieu » et la terre comme « son marchepied » (Matthieu 5.34-35), Wesley fait cette réflexion que « Dieu est en toutes choses, et que nous devons voir le Créateur en toute créature comme dans un miroir ; que nous ne devons considérer aucune chose, ni en user, comme si elle était séparée de Dieu, ce qui serait une sorte d’athéisme pratique ; mais que nous devons, selon une magnifique pensée d’un prophète, regarder le ciel et la terre, et tout ce qui y est contenu, comme renfermés dans le creux de la main de Dieu, qui, par sa présence intime, leur conserve l’existence, remplit et actionne toute la création, et est, dans le sens vrai, l’âme de l’universb. »
b – Le Sermon sur la Montagne, Sermons, vol. V., p. 283. Traduction française (1888), p. 67.
Dans son sermon sur La Toute-Puissance de Dieu (qui est de 1788), Wesley s’attache à ces hautes questions de métaphysique religieuse et les traite avec une grande élévation de pensée. « Il n’y a pas de point de l’espace, dit-il, en deçà ou au delà des limites de la création, où Dieu ne soit. En vérité, ce sujet est trop vaste pour être compris par l’intelligence humaine, renfermée dans de si étroites limites. Nous pouvons seulement affirmer que le grand Dieu, l’Esprit éternel et tout-puissant, est aussi illimité au point de vue de sa présence qu’à celui de sa durée et de sa puissance. Pour le mettre à la portée de notre faible intelligence, il est dit qu’il habite dans les cieux ; mais, strictement parlant, les cieux des cieux ne peuvent le contenir, et il est présent dans toutes les parties de son empire. Le Dieu universel habite l’espace universel… »
« Là même où il n’y a plus aucune créature, Dieu est. La présence ou l’absence des créatures n’y change rien. Il est également en tout, ou sans tout. Les philosophes ont beaucoup disputé sur la question de savoir s’il y a, dans l’univers, des espaces vides ; et l’on suppose généralement aujourd’hui que le matière remplit tout l’espace. Il serait peut-être difficile d’en fournir la preuve. Mais s’il existe un espace en dehors des bornes de la création (car la Création doit avoir des limites, Dieu seul n’en ayant pas), même cet espace ne saurait exclure Celui qui remplit les cieux et la terre. »
Wesley a consacré un sermon à la doctrine de la Trinité, et il y est revenu à diverses reprises dans ses écrits, sans jamais toutefois lui consacrer une étude systématique. Il s’est toujours refusé à tenter une explication de ce mystère. « A vrai dire, écrit-il à l’un de ses correspondants, le mystère ne gît pas dans ce fait : Les trois sont un ; mais dans le mode ou le comment de ce fait. Et de cela, je refuse de m’occuper. Je crois le fait, mais quant à son mode d’opération, ma foi n’y est pas intéressée » (Lettre du 3 août 1771).
A un autre correspondant, quelques années plus tard, il dit encore : « Après tout le bruit que l’on a fait relativement aux mystères, et le trouble que nous nous sommes donné à cet égard, il me paraît absolument certain qu’aucun homme n’est tenu de croire à un mystère quel qu’il soit. Par rapport à la Trinité, par exemple, que suis-je obligé de croire ? Non le mode ou la manière : c’est là qu’est le mystère, et ce mystère n’est pas l’objet de ma foi ; mais ce simple fait : Les trois sont un. C’est cela que je crois, et cela seulement. »
Dans le sermon sur la Trinité, prêché à Dublin en 1775, et écrit ensuite, Wesley insiste sur cette même pensée :
« Je n’attache aucune importance à ce qu’on croie telle ou telle explication de la Trinité. J’estime même que tout homme sensé s’abstiendra de toute explication. Je crois, avec Swift, que tous ceux qui ont essayé de l’expliquer ont fait fausse route, et ont compromis la cause qu’ils voulaient servir… J’insiste sur ce point : pas d’explication du tout ! pas même celle que donne le Symbole d’Athanase, qui est la meilleure que je connaisse. Je suis donc loin de dire, avec ce Symbole, que celui qui ne croira pas cela périra éternellement… Je n’insiste pas non plus sur l’emploi du mot Trinité, ou du mot Personne. Je m’en sers sans scrupules, parce que je n’en connais pas de meilleurs ; mais si quelqu’un ne croit pas devoir s’en servir, de quel droit essayerai-je de l’y contraindre ? Encore moins enverrais-je au bûcher un homme qui me dirait, comme Servet à Calvin : Je crois que le Père est Dieu, que le Fils est Dieu et que le Saint-Esprit est Dieu ; mais j’ai des scrupules à employer les mots Trinité et Personnes, parce que je ne les trouve pas dans la Bible. »
A ceux qui objectent qu’ils ne peuvent croire que ce qu’ils comprennent, Wesley répond :
« Vous croyez une foule de choses que vous ne pouvez pas comprendre, par exemple, le système solaire, la lumière, l’atmosphère, les rapports de l’âme et du corps, etc. La doctrine de la Trinité appartient à ces choses que Dieu nous a révélées par son Esprit. Il nous a révélé le fait, non l’explication de ce fait ; c’est au fait que nous devons nous attacher et non aux explications. »
Mais ce fait a-t-il quelque importance pour la piété ? Voici la réponse que Wesley fait à cette question :
« Loin d’être une question indifférente, je crois que c’est une vérité de la plus haute importance. Elle a sa place au cœur même du christianisme ; elle est à la racine de toute vraie religion. Comment les hommes honoreront-ils le Fils comme ils honorent le Père, si les Trois ne sont pas Un ? Socin lui-même disait : Je ne sais que répondre à mes imprudents disciples qui me disent qu’ils se refusent à adorer Jésus-Christ. Je leur dis : il est écrit : Que tous les anges de Dieu l’adorent ! mais ils me répondent : S’il n’est pas Dieu, nous n’avons pas à l’adorer.
Ce que je tiens à affirmer, c’est que la connaissance du Dieu en trois personnes (the Three-in-One God) est étroitement unie à toute foi chrétienne véritable, à toute religion vitale. Je ne prétends pas que tout vrai chrétien puisse dire avec le marquis de Renty : Je porte continuellement avec moi, comme une vérité expérimentale, la plénitude de la très sainte Trinité. C’est là sans doute l’expérience, non des enfants, mais des pères en Christ. Mais je ne vois pas comment quelqu’un peut être un croyant chrétien, s’il n’a pas, comme dit saint Jean, le témoignage en lui-même, si l’Esprit de Dieu ne rend pas témoignage à son esprit qu’il est un enfant de Dieu ; si Dieu le Saint-Esprit ne lui témoigne pas que Dieu le Père l’a accepté par les mérites de Dieu le Fils. Et, possédant ce témoignage, il honore le Fils et le Saint-Esprit comme il honore le Père.
Je ne veux pas dire, ajoute Wesley, que tout croyant chrétien s’en rende bien compte ; peut-être n’y en a-t-il pas d’abord un sur vingt. Mais, si vous les interrogez, vous découvrirez aisément que c’est là ce qu’implique leur foi.
Je ne vois donc pas, conclut-il, comment il est possible d’avoir une religion vivante en niant que les Trois sont Un. Quant à ceux qui n’ont pas cette foi, je n’ose pas espérer qu’ils seront sauvés s’ils persistent dans leur incrédulité (à moins que ce ne soit en considération de leur ignorance, comme pour les païens honnêtes), mais j’espère que Dieu, avant leur mort, les amènera à la connaissance de la vérité. »
Il convient d’ajouter que, sur ce dernier point, les vues de Wesley se modifièrent. Il publia, en 1786, dans l’Arminian Magazine, une notice sur un unitaire, Thomas Firmin, dans la préface de laquelle il déclare qu’il avait « cru longtemps que des vues erronées concernant la Trinité étaient inconciliables avec une vraie piété ; mais qu’il ne pouvait pas résister à l’évidence des faits, et qu’il devait reconnaître que Thomas Firmin était un homme pieux, malgré ses idées très erronées sur la Trinité. »
Si Wesley reconnaissait qu’un homme peut être pieux, sans être orthodoxe, il était loin de considérer comme peu importante la doctrine de la Trinité. Il ne puisait pas, il est vrai, ses motifs d’y croire dans des considérations d’ordre métaphysique ; il se refusait même, nous l’avons vu, à entrer dans ce domaine, qu’il déclarait inaccessible à la foi. Il ne cherchait pas à expliquer la Trinité, il y croyait : d’abord, parce qu’il la trouvait enseignée dans les Écritures, et ensuite parce qu’elle était la base doctrinale de tout le christianisme expérimental.
Sur le premier point, il y a une remarque à faire. Le texte du sermon de Wesley, sur la Trinité, est le fameux passage 1 Jean 5.7-8 : « Il y en a trois qui rendent témoignage dans le ciel : le Père, la Parole et le Saint-Esprit, et ces trois sont un. » Or, ce texte est inauthentique. « Ces paroles, dit L. Bonnet, ne se trouvent dans aucun manuscrit grec, excepté dans deux ou trois sans autorité, datant du seizième siècle, et elles ont été copiées de la Vulgate latine, qui elle-même ne les a point dans ses anciens manuscrits jusqu’au dixième siècle. » Au temps de Wesley, la critique du texte sacré était à peine née, et il n’y a rien d’étonnant qu’il ait cru à l’authenticité de ce texte, avec tous les théologiens de son temps. La question s’est posée pourtant devant son esprit. Son maître en exégèse, le pieux Bengel, avait eu des doutes à ce sujet, mais en avait triomphé par des arguments que Wesley mentionne (paragraphe 3 du Sermon), mais dont l’insuffisance a été rendue manifeste depuis que les anciens manuscrits du Nouveau Testament ont été étudiés avec soin.
La doctrine de la Trinité ne repose pas d’ailleurs sur un texte douteux ou interpolé. Elle est la formule ecclésiastique d’un enseignement qui remplit le Nouveau Testament. Et c’est parce que Wesley est un théologien biblique qu’il lui est impossible de la négliger.
D’ailleurs, tout le système du christianisme expérimental, dont il fut le rénovateur, suppose à sa base le dogme de la Trinité. Si on le repousse, que reste-t-il de la Personne et de l’œuvre de Jésus-Christ et de l’application au croyant de cette œuvre ? Que deviennent la régénération, le témoignage du Saint-Esprit, la sanctification ? La foi du plus humble croyant ne s’inquiète pas des disputes des théologiens sur le mystère de l’essence divine, pas plus que le locataire d’une maison ne se préoccupe de la forme et de la dimension des pierres cachées dans les fondations de l’édifice. Ce qui n’empêche pas que la foi du croyant s’appuie sur ces substructions cachées, comme la confiance de l’habitant d’une maison repose sur le bon état des fondations de sa maison.
Wesley allait plus loin encore. Il admettait que, dans l’expérience des chrétiens d’élite, pouvait se produire une manifestation distincte des trois personnes de la sainte Trinité. Il en avait trouvé le témoignage dans les expériences du marquis de Renty, dont il publia la vie en 1741, et il recherchait avec avidité, dans sa correspondance avec les membres les plus pieux de ses sociétés, des témoignages analogues.
Miss Roë (qui devint plus tard Mrs. Rogers) nous a laissé, dans son journal, le témoignage d’expériences intéressantes à ce point de vue. Un jour, elle écrit : « En prenant la Cène, j’ai joui de la communion du Père, du Fils et de l’Esprit, et j’ai goûté avec chacune des Trois Personnes divines des moments de joie ineffable. »
Dans une lettre de 1777 à Miss Roë, Wesley cite, comme « une expérience peu commune » le passage suivant d’une lettre de l’un de ses correspondants, probablement Ch. Perronet : « Peu de temps après mon union avec les Méthodistes, le Père me fut révélé pour la première fois, et, peu après la Trinité tout entière. Je contemplai les Personnes distinctes de la Divinité, et j’adorai Jéhovah dans son unité, et chacune des Personnes divines séparément. Après cela, j’eus une égale communion avec le Fils et avec l’Esprit, de même qu’avec le Père et avec le Fils. Après quelques années, j’eus surtout communion avec le Fils, quoique occasionnellement avec le Père et quelque fois avec le Saint-Esprit. Et maintenant, j’ai un égal accès aux Trois Personnes divines, et quand je m’approche de Jésus, j’entre aussi en communion avec le Père et avec l’Esprit. »
Dans deux lettres à une chrétienne éminente, lady Maxwell (1787, 1788), Wesley revient sur ce sujet qui lui tenait évidemment à cœur. « Après avoir reçu communication, dit-il, des expériences faites sur ce point par Miss Roë et Miss Ritchie, j’examinai individuellement les membres de la Société choisie (Select Society) de Londres. Un petit nombre, neuf ou dix, seulement, avaient quelque notion d’un tel état d’âme. J’en ai trouvé aussi trois ou quatre à Dublin, qui pouvaient attester clairement et scripturairement qu’ils avaient eu une manifestation des Trois Personnes de la très sainte Trinité. J’avais cru d’abord que c’était là l’expérience de tous ceux qui sont parvenus à l’amour parfait ; mais je suis maintenant convaincu que ce n’est pas le cas. Ce privilège n’est accordé qu’à quelques-unsc. »
c – Lettre du 4 juillet 1787, Works, t. XII, p. 351. Lettre à lady Maxwell.
A la même personne, il écrit le 8 août 1788 : « M. Charles Perronet fut la première personne qui, à ma connaissance, a joui du même privilège que le marquis de Renty, relativement à la sainte Trinité. Miss Ritchie fut la seconde ; Miss Roë (aujourd’hui Mrs. Rogers), fut la troisième. Je n’en ai trouvé que quelques cas ; et j’en conclus, contrairement à ce que j’avais supposé d’abord, que ce privilège n’est pas accordé à tous ceux qui sont parfaits dans l’amour. »
Les lettres de Wesley reviennent fréquemment sur ce sujet pendant les dernières années de sa vie. Que faut-il en penser ? Avons-nous le droit de rejeter son témoignage et d’accuser de mysticisme et d’exagération ces expériences au sujet desquelles ce grand serviteur de Dieu se livra à une enquête approfondie ? Nous ne le pensons pas. Si extraordinaires que ces faits spirituels nous paraissent, nous n’avons pas le droit de les repousser. Les personnes auxquelles ils se rapportent furent quelques-unes des âmes les plus saintes que le monde ait connues, et leur témoignage est digne de foi. Il nous fait entrevoir une vie chrétienne supérieure et démontre que la doctrine de la Trinité n’est pas seulement un fruit de la spéculation théologique, mais une vérité destinée à alimenter la vie intime et à enrichir l’expérience spirituelle du croyant.
Wesley a étudié le problème de la Création dans un sermon intitulé : L’approbation de Dieu sur ses œuvres, sur ce texte : « Dieu vit tout ce qu’il avait fait ; et voici, cela était très bon » (Genèse 1.31). Il ne possédait, cela va sans dire, que les connaissances physiques très imparfaites de son temps ; la géologie et la paléontologie étaient des sciences encore à naître au dix-huitième siècle. Il en résulte que les vues de Wesley sont nécessairement incomplètes et souvent erronées. Elles sont intéressantes, toutefois, parce qu’elles dénotent un esprit foncièrement religieux.
Il voit avec raison, dans le premier verset de la Genèse, la création de la matière et, dans l’œuvre des six jours, l’organisation de la matière. Il affirme que la terre, au sortir des mains du Créateur, était « suprêmement belle. Elle était de plus fertile dans toutes ses parties. Elle n’était pas gâtée par des rochers arides et pelés ; elle n’attristait pas les regards par d’horribles précipices, des abîmes béants, de tristes cavernes, des marécages infranchissables ou des déserts arides de sable. » Il y avait sans doute des montagnes, « qui ajoutaient à la beauté de la création, par la variété de leurs aspects ; mais nous pouvons supposer que leurs pentes n’étaient pas abruptes et que leur accès était facile. » La terre ne connaissait alors ni tremblements de terre, ni commotions, ni éruptions volcaniques. Wesley conjecture que, puisqu’il n’y aura plus de mer dans le monde renouvelé (Apocalypse 21.1), il n’y en avait pas non plus dans le monde primitif ; mais comme il y avait cependant des fleuves (Genèse 2.8-14), il oublie de nous dire où ces fleuves pouvaient bien se déverser. L’homme primitif devait posséder, comme les anges, la faculté de se transporter rapidement d’un lieu à un autre. L’air était « toujours serein ; il n’y avait pas de tempêtes, mais seulement des brises douces et rafraîchissantes. » Le globe terrestre ne s’offrait pas alors aux rayons du soleil dans cette position oblique, qui y produit les alternatives de chaleurs et de froid excessifs que nous connaissons. Il y régnait un printemps perpétuel. Il ne devait y avoir ni ronces ni épines croissant du sol, ni plantes vénéneuses ; mais uniquement des plantes destinées à l’alimentation et à l’agrément de l’homme et des animaux.
Quant à ces derniers, ils devaient, dans l’état primitif du monde, avoir des mœurs douces. « C’est, dit Wesley, par suite de la misérable condition et de l’affreux désordre de ce monde, que d’innombrables créatures ne puissent maintenant préserver leur vie qu’en détruisant la vie des autres. Il n’en était pas ainsi au commencement. La terre paradisiaque fournissait une alimentation suffisante à tous ses habitants, de telle sorte qu’aucun d’eux n’avait ni le besoin ni la tentation de se jeter sur d’autres créatures pour en faire sa proie. L’araignée était alors aussi inoffensive que la mouche, et ne se tenait pas en embuscade pour se nourrir de sang. »
Dans un autre sermon, sur La Grande Délivrance, Wesley donne de nouveaux développements à ses vues sur l’état primitif des animaux. Il leur attribue plusieurs des facultés de l’homme : intelligence, volonté, liberté, mais à un degré inférieur. La grande différence entre eux était celle-ci : l’homme était capable de connaître Dieu, de l’aimer et de lui obéir ; les créatures inférieures ne l’étaient pas. Leur perfection consistait à aimer l’homme et à lui obéir, comme la perfection de l’homme consistait à aimer Dieu et à lui obéir. Dans cette voie de subordination confiante à l’homme, elles étaient heureuses. Elles n’étaient pas d’ailleurs absolument étrangères à toute qualité morale. Elles éprouvaient de la gratitude envers l’homme pour les bienfaits reçus, et de la bienveillance les unes envers les autres, sans mélange de mauvais sentiments. « Elles ignoraient la douleur, qui n’existait pas encore, dit Wesley, et n’avait pas fait son entrée dans le paradis. Elles étaient immortelles ; car Dieu n’avait pas créé la mort. »
« Toutes les bénédictions de Dieu dans le paradis terrestre parvenaient, par le moyen de l’homme, aux créatures inférieures. L’homme étant le canal de communication entre le Créateur et toute la création animale, il est arrivé que lorsque l’homme s’est rendu incapable de transmettre ces bénédictions, la communication a été forcément interrompue. Et il en est résulté que toutes les créatures sont assujetties à la vanité, à toutes sortes de maux et de souffrances, non volontairement, et de leur libre choix, mais à cause de celui qui les y a assujetties, par la sage permission de Dieu, qui a voulu faire sortir un bien éternel d’un mal temporaire. »
Wesley admet donc une déchéance des animaux comme l’un des résultats de la chute de l’homme, et il affirme la supériorité de l’animal primitif, qu’il suppose exempt de mauvais instincts et inaccessible à la souffrance et à la mort. Cette hypothèse ne peut plus se défendre. Il est démontré aujourd’hui que, bien avant l’apparition de l’homme sur la terre, les animaux s’entre-dévoraient et, par conséquent, souffraient et mouraient. En effet, plusieurs des animaux fossiles, découverts par nos géologues, étaient des carnassiers puissamment armés pour la lutte.
Quant à l’homme, quel était son état, au sortir des mains du Créateur ? Il fut fait « à l’image de Dieu ». Dieu est esprit : l’homme fut aussi un esprit ; mais cet esprit, appelé à habiter la terre, fut logé dans un corps tiré de la terre. Conformément à l’image de son Créateur, il fut doué d’intelligence, de la faculté de comprendre et de juger. Il fut doué de volonté, se manifestant par des affections diverses, et enfin, il fut doué de liberté, c’est-à-dire de la faculté de choisir, sans laquelle tout le reste eût été vain, et sans laquelle il eût été aussi incapable de vice ou de vertu qu’une motte de terre ou un bloc de marbre.
Wesley pense que l’homme primitif avait des forces physiques et des facultés de locomotion bien supérieures à celles que nous possédons ; que son intelligence était parfaite dans ses limites, capable de tout comprendre avec clarté et de juger de toutes choses avec vérité, et sans mélange d’erreur ; que sa volonté n’avait aucune propension au mal, mais que toutes ses passions et ses affections étaient fermement et uniformément guidées par les inspirations de sa saine raison, et que sa liberté s’exerçait, elle aussi, sous l’action et le contrôle d’une intelligence supérieure. Créature capable de posséder Dieu, l’homme connaissait, aimait et servait son Créateur. C’était là sa suprême perfection. Sa félicité découlait du jeu normal de toutes ses facultés ; mais elle était accrue par le spectacle du monde extérieur qui l’entourait, par l’ordre, la beauté, l’harmonie de toute la création animée ou inanimée, la sérénité des cieux, l’éclat du soleil, la parure variée de la terre, avec ses arbres, ses fruits et ses fleurs. Son bonheur n’était interrompu par rien de mauvais, ni souffrance, ni chagrin. Tant qu’il fut innocent, il fut incapable de souffrir, et rien ne pouvait troubler ses pures joies. Et, pour couronner le tout, il était immortel.
C’est sous ces couleurs brillantes, empruntées à Milton (dont Wesley était un fervent admirateur), qu’il se représentait l’œuvre du Créateur avant qu’elle n’eût été souillée par le péché. Nous avons déjà fait remarquer que les sciences naturelles nous obligent à faire des réserves sur la cosmogonie de Wesley. D’autre part, il nous paraît dépasser l’enseignement biblique en attribuant la perfection à l’homme primitif. Nous croyons qu’il était dans un état d’innocence, d’où il devait s’élever, par l’effort et par la communion avec Dieu, à une sainteté consciente.
Le problème, qui ne se posait pas au temps de Wesley et qui se pose devant nous, peut se formuler ainsi : Comment expliquer la présence de la souffrance et de la mort sur la terre avant la création d’Adam, puisque la souffrance et la mort furent le châtiment de sa désobéissance ? L’hypothèse qui paraît résoudre le mieux cette difficulté est celle d’après laquelle la création des six jours aurait été une restauration survenant à la suite d’une première catastrophe morale. Il y aurait eu, sur la terre, avant l’humanité actuelle, des créatures douées de liberté, et dont la chute morale aurait entraîné dans la ruine les créatures inférieures, et, par contre-coup, le lieu de leur demeure. Cette création primitive serait résumée dans le premier verset de la Genèse : « Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre. » Le verset suivant exprimerait l’état de la terre après la catastrophe amenée par la révolte de ses premiers habitants : « La terre était informe et vide ; il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme. » On a fait remarquer que « les traits employés dans cette description du chaos désignent toujours dans l’Écriture ce qui est anormal, et non pas seulement ce qui est imparfaitd ». Le mot expressif : tohouvabohou, se retrouve dans Jér.4.23 ; Esaïe.34.11, etc. La création nouvelle, ou l’œuvre des six jours, a fait cesser cet état de chaos et a créé un ordre de choses duquel le mal physique et le mal moral eussent été éliminés, si l’homme n’eût pas péché.
d – Gretillat, Théologie systématique, t. III.
Cette hypothèse, dite restitutionniste, « résoudrait la plus grave des difficultés que soulèvent les rapports de la Genèse biblique et des sciences naturelles, en nous rendant raison de la présence de la mort dans les époques préadamites ».
La Bible nous entretient d’ailleurs, quoique fort discrètement, de créatures morales autres que l’homme et antérieures à l’homme, dont une partie s’est révoltée contre Dieu. Ce sont les anges. Parlons-en, puisque d’ailleurs Wesley n’a pas laissé ce sujet en dehors de ses préoccupations.
Wesley a consacré un sermon aux Bons anges, et un autre aux Mauvais anges. Relevons-y ses vues sur ce sujet : Quant à la place que les anges occupent au sein de la création, c’est la plus élevée. Il fait remarquer qu’« il n’y a ni lacune ni vide dans la création de Dieu, et qu’une chaîne continue d’êtres va du degré le plus bas au plus élevé, de la molécule de matière inorganique jusqu’à l’archange Michel. Et cette échelle des créatures ne s’élève pas par sauts et par bonds, mais par degrés lents et insensibles. Au bas de l’échelle, la matière non organisée, ensuite, les minéraux, puis les végétaux ; puis les insectes, les reptiles, les poissons, les quadrupèdes ; enfin, les hommes, et, au-dessus d’eux, les anges. »
On pourrait ajouter avec F. Godet, que l’existence des anges, affirmée par les enseignements bibliques, est également postulée par la raison. Nous connaissons sur la terre trois ordres d’êtres vivants : la plante, qui est l’espèce sans individu ; l’animal, qui est l’individu assujetti à l’espèce ; l’homme, qui représente l’espèce domptée par l’individu. Il reste une quatrième forme d’existence : l’individu sans l’espèce, chaque individu devant son existence, non à des parents semblables à lui, mais directement à la volonté créatrice de Dieu. L’ange est cette créature supérieure. Tandis que les hommes sont fils d’homme, les anges sont fils de Dieu. Comme dit Wesley « ils constituent l’ordre le plus élevé des êtres créés. »
Sont-ils de purs esprits ? Wesley répond : « S’ils ont des corps, il ne sont pas grossiers et terrestres, comme les nôtres, mais d’une substance bien plus raffinée, semblable au feu, plutôt qu’à tout autre élément terrestre. N’est-ce pas ce qui semble résulter de ces paroles du psalmiste : Il fait des vents ses anges et des flammes de feu ses ministres (Psaumes 104.4). Ils furent créés avant la terre, puisque l’Éternel déclare que lorsqu’il fonda la terre, tous les fils de Dieu poussèrent des cris de joie (Job 38.7). Les anges ont un organisme plus subtil que le nôtre, un corps incorruptible pareil à celui dont nous serons revêtus à la résurrection. C’est ce qu’implique la parole de Jésus, qui nous annonce que nous serons alors semblables aux anges (Luc 20.36). »
Les anges sont « doués d’intelligence, de volonté, d’affections et de liberté », à un degré supérieur. Leur regard peut « embrasser toute l’étendue de la création. Nous ne pouvons concevoir ni défaut dans leur perception, ni erreur dans leur intelligence. Nous ne devons pas nous imaginer qu’ils se traînent d’une vérité à une autre par cette lente méthode que nous appelons le raisonnement. Ils voient sans doute d’un seul coup d’œil toute vérité qui s’offre à leur intelligence, et cela avec toute la certitude et toute la clarté avec lesquelles nous concevons nous-mêmes les axiomes les plus évidents ». Doués de la faculté de pénétrer dans les pensées de ceux auprès desquels s’exerce leur ministère, ils ont dû accroître considérablement leur sagesse, « non seulement par l’observation des cœurs et de la conduite des hommes, dans leurs générations successives, mais encore par l’observation des œuvres de Dieu, des œuvres de la création, de la providence et de la grâce, et surtout « en contemplant continuellement la face de leur Père qui est dans les cieux ».
Leur sainteté est éminente ; ils sont appelés « les saints anges ». Leur force est grande ; ils sont appelés les Forts (Psaumes 103.20), et « les anges de la puissance de Dieu » (2 Thessaloniciens 1.7). « Même un ange déchu est désigné comme le prince de la puissance de l’air. Nous ne saurions fixer de limites au pouvoir de ces premiers-nés de Dieu. Il n’est pas douteux que Dieu n’ait donné à ces êtres une immense sphère d’activité, quoiqu’elle ne soit pas sans limites. »
La fonction des anges auprès des hommes consiste à « exercer leur ministère auprès de ceux qui doivent hériter du salut » (Hébreux 1.14). Les méchants eux-mêmes ne sont pas sans doute privés du ministère des anges ; mais « leurs fonctions principales les font servir les héritiers du salut, les croyants et ceux qui cherchent Dieu avec sincérité. Ils peuvent nous aider dans nos recherches de la vérité ; nous mettre en garde contre le mal qui se déguise, et mettre le bien en pleine lumière. Ils peuvent agir sur notre volonté pour l’incliner au bien et la détourner du mal. Ils peuvent réveiller nos affections endormies, accroître notre pieuse espérance ou notre crainte filiale et nous aider à mieux aimer Celui qui nous a aimés le premier. »
Wesley ne doute pas que nous ne soyons redevables au ministère des anges d’une foule de délivrances matérielles, que nous avons le tort d’attribuer à notre sagesse et à notre prudence. C’est Dieu qui a « donné charge de nous à ses anges, et ils nous ont portés dans leurs mains ». Qui sait si ce n’est pas à un ange que nous devons la guérison de telle maladie, réputée incurable ? Combien de fois Dieu ne nous délivre-t-Il pas des méchants par le ministère de ses anges ? Il s’en sert aussi pour contrecarrer l’action des mauvais anges. Si nos yeux étaient ouverts, comme le furent ceux du serviteur d’Elisée, nous verrions que « le nombre de ceux qui sont pour nous est plus grand que le nombre de ceux qui sont contre nous » (2 Rois 6.16).
Wesley demande pour quelle raison Dieu donne charge de nous à ses anges, et il répond : « N’est-ce pas pour nous exciter mutuellement, eux et nous, à nous aimer, en sorte que, par l’accroissement de notre amour et de notre gratitude pour eux, nous éprouvions un jour une félicité plus grande en les retrouvant dans le royaume de notre Père ? Nous n’avons pas à les adorer, puisque l’adoration n’est due qu’à notre Père commun ; mais nous pouvons les estimer à un haut degré à cause de leurs œuvres, et nous pouvons les limiter dans leur sainteté, conformément à la prière que notre Seigneur nous a enseignée, nous efforçant de faire sa volonté sur la terre comme les anges la font dans le ciel ».
Les mauvais anges sont des anges déchus. Soumis comme tous les êtres libres à l’épreuve de la liberté, ils sont tombés dans des conditions qui nous sont inconnues. « Nous ignorons, dit Wesley, quelle fut l’occasion de leur apostasie et quels en furent les effets immédiats. On a supposé, non sans quelque probabilité, que, lorsque Dieu publia le décret (mentionné Psaumes 2.6-7), conférant à son Fils unique la royauté sur toutes les créatures, une partie des anges, ces premier-nés de la création, se comparèrent à lui par orgueil. Il se peut que Satan, qui était peut-être le premier des archanges, ait dit en son cœur : Moi aussi, j’aurai un trône ; je m’assiérai à l’extrémité du septentrion ; je serai semblable au Très-Haut (Esaïe 14.13-14). » Wesley, en appliquant à Satan ce texte d’Esaïe, adopte l’interprétation de plusieurs Pères de l’Église. Mais une saine exégèse le rapporte au roi de Babylone et à ses prétentions à être une divinité.
Quoi qu’il en soit, « les anges devinrent des démons, et les plus saintes des créatures en devinrent les plus impies. En secouant la souveraineté de Dieu, ils perdirent toute leur excellence et revêtirent tous les caractères les plus opposés à la nature de Dieu. Pleins d’orgueil et d’envie contre Dieu et contre les anges saints, ils sont pleins de cruauté et de rage contre les hommes qu’ils cherchent à entraîner dans la même révolte et la même ruine qu’eux-mêmes. Heureusement pour nous. Dieu leur a fixé des limites qu’ils ne peuvent pas franchir. »
Satan, leur chef, est appelé « le prince de ce monde », et même « le dieu de ce monde ». Son nom, Satan, signifie l’Adversaire, à la fois de Dieu et de l’homme. Les autres mauvais anges reconnaissent sa suprématie ; c’est lui sans doute qui assigne à chacun d’eux sa place et sa tâche. Il n’est pas douteux qu’ils ne soient étroitement associés à leur chef et les uns aux autres, par un lien dont nous ignorons la nature, mais qui n’est certainement pas l’amour.
Quel est l’emploi des mauvais anges ? Ils sont, dans la mesure où Dieu le permet, « les gouverneurs de ce monde » (κοσμοκράτορας). Il doit y avoir quelque vérité dans l’orgueilleux propos de leur chef, montrant au Fils de Dieu tous les royaumes du monde et leur gloire, et disant : « Elle m’a été donnée et je la donne à qui je veux » (Luc 4.6). Ils sont « les princes des ténèbres de ce siècle » (Éphésiens 6.12). Ils disposent de l’ignorance, de l’erreur, de la folie et de la perversité des hommes, pour s’opposer au régime de Dieu et faire progresser le royaume des ténèbres.
Faut-il penser, comme l’ont cru, d’anciens théologiens, que chaque homme ait un bon ange et un mauvais ange ? Wesley ne croit pas que cette opinion soit justifiée par l’Écriture. Mais ce qu’elle nous enseigne positivement, c’est que Satan et ses anges sont occupés à nous induire au mal et « rôdent autour de nous comme le lion cherchant à nous détruire ». Les fidèles eux-mêmes ne sont pas à l’abri de leurs assauts. Ils cherchent à nous faire douter de l’amour de Dieu, à jeter la division et la haine entre les hommes, et à produire en nous de mauvaises pensées et de coupables désirs.
Wesley attribue à l’action des mauvais anges, non seulement l’inspiration de tout le mal moral, mais encore une grande partie des maux physiques, accidents et maladies, qui affligent notre humanité. On peut trouver bizarre l’idée qu’il exprime à diverses reprises, dans son journal et dans ses sermons, que c’est à une intervention diabolique qu’il dut, dans telle circonstance, une chute de cheval ou la rupture de l’essieu de sa voiture. Mais, au lieu de l’accuser de crédulité, il est plus sage de reconnaître là un trait intéressant de son caractère religieux, savoir l’intensité de sa foi aux réalités spirituelles et au monde invisible.
Il convient, sur ce sujet mystérieux, de nous en tenir à ce fait enseigné par l’Écriture que le péché est antérieur à l’homme dans l’univers et que, avant lui, des esprits créés à l’image de Dieu ont fait naufrage dans l’épreuve de la liberté imposée à toutes les créatures intelligentes.
En résumé, l’idée même de liberté implique la possibilité du mal. Cette possibilité remonte donc à Dieu, mais le passage de la possibilité au fait est l’œuvre de l’homme. Dieu eût pu faire un monde où la nécessité, et non la liberté, eût été la loi ; mais dans un tel monde, s’il n’y eût pas eu de mal, il n’y eût pas eu non plus de bien ; la vertu en eût été absente, en même temps que le vice ; l’amour, qui est le don libre de soi-même, en eût été exclu, aussi bien que la haine ; le malheur n’y aurait pas pénétré, mais la vraie félicité pas davantage.
La Providence de Dieu est le gouvernement divin du monde, ou le soin que Dieu prend de toutes ses créatures. La foi au Dieu vivant implique nécessairement la foi en son action incessante dans l’univers créé par lui. Croire à la révélation, c’est croire à l’intervention constante de Dieu dans l’histoire de ce monde. Les Saintes Écritures sont « le Livre de la Providence de Dieu » et « l’histoire de Dieu ».
Wesley a consacré l’un de ses sermons à cette importante doctrine, sur laquelle il revient ailleurs. Son esprit essentiellement religieux discernait partout l’action divine, dans son expérience et dans sa vie, comme dans la nature et dans l’histoire. Les déistes de son temps disaient volontiers : « Nous ne sommes pas des athées : nous croyons à une providence, mais à une providence générale. Quant à une providence particulière, dont on parle, nous ne saurions qu’en faire. Les petites affaires des hommes ne sauraient arrêter les regards du grand Créateur et Gouverneur de l’univers. » A ces hautaines affirmations, Wesley oppose l’enseignement biblique, qui montre la sollicitude de Dieu, constamment occupée, non seulement de l’homme, mais aussi des animaux et des plantes.
Il discerne, dans cette opposition à une providence particulière, la répugnance à accepter le surnaturel. Le poète Pope dit : « La Cause universelle agit par des lois générales, non par des lois particulières. » Wesley lui répond :
« Cela revient à dire que Dieu ne dévie jamais de ces lois générales en faveur d’un individu quelconque. C’est là une idée assez répandue, mais qui est en flagrante opposition avec tout l’enseignement des Écritures. Car si Dieu ne s’écartait jamais des lois générales qu’il a établies, il en résulterait qu’il n’y a jamais eu de miracle en ce monde, puisque le miracle est une déviation des lois générales de la nature… S’il plaisait à Dieu de conserver la vie de l’un de ses serviteurs. Il saurait suspendre telle ou telle loi de la nature : la pierre ne tomberait pas, le feu ne brûlerait pas, les flots ne couleraient pas ; ou bien il donnerait charge à ses anges de le porter dans leurs mains à travers tous les dangers.
J’admets que, dans le cours ordinaire de la nature, Dieu agit au moyen de lois générales ; mais il ne s’est jamais interdit de recourir à des exceptions, quand cela lui plaît, soit en suspendant une loi en faveur de ceux qui L’aiment, soit en employant ses anges puissants en force. Par l’un ou par l’autre de ces moyens. Il peut délivrer de tout danger ceux qui se confient en lui.
Si l’on me dit : Vous attendez donc des miracles ! je réponds : Oui, certainement, si je crois à la Bible ; car la Bible m’enseigne que Dieu entend la prière et y répond. Et toute réponse à une prière est, à proprement parler, un miracle. En effet, il ne peut pas être question de réponse si les causes naturelles suivent leur cours, et si les choses suivent leur voie naturelle. La loi de la gravitation elle-même cessera de fonctionner toutes les fois que cela plaira à son Auteur. »
On le voit, Wesley ne transigeait pas et n’équivoquait pas, sur la question du surnaturel. Pour lui, le Dieu vivant est le Dieu souverainement libre et aimant, et non un Être enchaîné par les lois qu’il a lui-même données à sa création. Ces lois sont contingentes et non nécessaires, et, par conséquent, elles peuvent et doivent plier lorsqu’un intérêt supérieur le demande.
Wesley revient sur cette distinction d’une Providence générale et d’une Providence particulière, pour montrer combien vaine elle est. « Qu’est-ce, demande-t-il, qu’une chose générale, qui ne renferme pas des choses particulières ? Pourriez-vous me montrer un genre qui ne contienne pas d’espèces ? Ce qui constitue un genre, n’est-ce pas plusieurs espèces ajoutées les unes aux autres ? Qu’est-ce qu’un tout qui ne contiendrait pas de parties ? C’est un non-sens et une absurdité. »
Il demande ensuite ce qu’on entend par une Providence générale, en opposition avec une Providence particulière.
« Est-ce que cela signifie qu’elle veille seulement sur les parties les plus volumineuses de l’univers, sur le soleil, mais non sur la terre ? Sur la terre, mais non sur ses habitants ? Mais qu’est-ce que la terre, sinon une masse de matière inanimée ? Est-ce qu’un esprit, un héritier de l’immortalité, n’a pas plus de prix que toute la terre, même en ajoutant à celle-ci le soleil, la lune et les étoiles ? plus de prix que la création inanimée tout entière ?
Prétendra-t-on que la Providence de Dieu ne s’étende qu’aux grands événements de l’histoire de l’humanité, tels que la naissance et la chute des empires, mais que les petits intérêts de tel ou tel individu restent en dehors de l’attention du Tout-Puissant ? Ce serait oublier que ces mots grand et petit sont des termes purement relatifs, qui n’ont d’importance qu’entre les hommes. En un sens, l’homme et ses intérêts sont moins que rien devant le Très-Haut. Mais aussi, rien n’est petit à ses yeux de ce qui affecte, en un degré quelconque, le bonheur de celui qui craint Dieu et qui pratique la justice. Que devient alors votre Providence générale, exclusive d’une Providence particulière ? Elle doit être repoussée par tout homme raisonnable comme un non-sens absurde et contradictoire. Nous pouvons donc résumer toute la doctrine scripturaire de la Providence dans cette belle parole de saint Augustin : Ita præsidet singulis sicut universis et universis sicut singulis. (Dieu veille aux intérêts individuels comme aux intérêts universels, et aux universels comme aux individuels.) »
L’existence du mal moral qui règne sur la terre, la présence et l’universalité de la souffrance et de la mort, peuvent-elles se concilier avec ce gouvernement de sagesse et d’amour que nous appelons la Providence ? Wesley ne pouvait pas ne pas s’arrêter devant ce problème redoutable, et voici comment il en parle :
L’Être qui peut tout, ne peut pas se renier lui-même et contredire son œuvre. Sans cela, il détruirait tout péché et toute souffrance sur l’heure, et ne laisserait subsister, dans toute sa création, aucune trace de méchanceté. Mais s’il le faisait, il se contredirait lui-même, il renverserait son œuvre et il déferait tout ce qu’il a fait en créant l’homme sur la terre. En effet, il a créé l’homme à son image : esprit comme lui, doué d’intelligence, de volonté, d’affections et de liberté. Sans cette liberté, ni son intelligence, ni ses affections ne lui eussent été utiles, et il n’eût été capable ni de vice ni de vertu. Il ne pourrait, pas plus qu’un arbre ou une pierre, être un agent moral. Si donc Dieu voulait appliquer à cela sa puissance, il n’y aurait plus de vice en ce monde ; mais il est tout aussi certain qu’il n’y aurait pas davantage de vertu. Avec la liberté en moins, les hommes ne seraient pas plus vertueux que les pierres. J’ose donc dire en toute révérence que le Tout-Puissant ne peut pas faire cette chose-là. Il ne peut pas détruire dans l’âme de l’homme son image qu’il y a mise ; et il faudrait qu’il fît cela pour pouvoir abolir de ce monde le péché et la souffrance. Et s’il le faisait ce serait là un coup de force, non un acte de sagesse.
Dieu déploie donc toute sa sagesse, sa puissance et sa bonté à gouverner l’homme comme homme, c’est-à-dire comme un esprit intelligent et libre, capable de choisir le bien ou le mal. Dieu conduit toutes choses, tant dans les cieux que sur la terre, pour aider l’homme à atteindre le but de son existence, en travaillant à son salut ; mais il le fait sans avoir recours à la corruption, sans contraindre sa liberté. Il suffit d’un examen attentif pour discerner que tout le plan de la divine Providence est constitué de manière à fournir à l’homme tous les secours nécessaires pour faire le bien et éviter le mal, sans faire de lui une machine qui serait incapable de vertu ou de vice, et, par conséquent, aussi de récompense et de punition. »
Dans un discours sur l’Imperfection de la connaissance humaine, Wesley aborde les problèmes que soulève l’administration du gouvernement divin dans ce monde.
« Nous admettons, dit-il, cette vérité générale, que la Providence de Dieu gouverne toutes choses ; mais que nous sommes ignorants quand il s’agit d’expliquer les détails de cette action, par rapport aux nations, aux familles ou aux individus ! Pourquoi tant de nations, après avoir prospéré sur la terre, en ont disparu, pour faire place à d’autres ? Pourquoi une si grande partie de notre terre est-elle encore vouée aux ténèbres et à la barbarie ? Pourquoi les malheureux habitants de l’Afrique ont-ils été si longtemps vendus comme esclaves ? Pourquoi les indigènes de l’Amérique ont-ils été exterminés sans pitié par les Européens ? Pourquoi le christianisme, qui pourrait relever les races déchues, est-il encore si peu répandu, après tant de siècles ? Pourquoi, dans nos pays civilisés, des inégalités sociales si choquantes, les uns nageant dans l’abondance, et les autres mourant de faim ? Pourquoi la grande majorité des hommes sont-ils privés de tout moyen de connaître le salut qui est en Jésus-Christ ? »
Ce sont là de douloureuses questions, qui arrachent à Wesley ces exclamations : « Le Père des hommes ne se soucie-t-Il donc pas de ses créatures ? Ô Père de miséricorde, ne sont-ils pas l’œuvre de tes mains, le salaire du sang de ton Fils ? » Il répond que ce sont là des mystères devant lesquels il faut s’incliner humblement, dans un sentiment profond de notre ignorance et avec une foi absolue dans la sagesse et la miséricorde de Dieu. Ce que nous ne savons pas maintenant, nous le saurons plus tard.
La foi en la Providence fut la force et la joie de Wesley, pendant son long apostolat. Ses lettres et son journal abondent en récits de délivrances qui étaient pour lui des interventions manifestes de Dieu. Pendant un voyage, qui fut particulièrement difficile, il écrivait à l’un de ses amis :
« Je suis heureux, quel que soit l’accueil que je reçois. Rien ne me trouble, ni les mauvais repas, ni les mauvais lits, ni les chambres misérables, ni les averses, ni les mauvais chemins. Par la grâce de Dieu, je ne m’impatiente de rien, je ne murmure de rien ; je ne suis mécontent de rien. Je vois Dieu assis sur un trône, et gouvernant toutes choses pour mon bien. Une chose qui me peine, c’est d’entendre les gens qui m’entourent trouver faute à la façon dont Dieu gouverne le monde, car c’est blâmer Dieu que de blâmer les choses que nous ne pouvons pas changer. Peu de personnes comprennent la doctrine d’une Providence particulière, au moins en pratique, et de manière à l’appliquer à toutes les circonstances de la vie. Mon plus vif désir est de reconnaître en toutes choses l’action de Dieu, qui dispose tout pour sa gloire et pour le bien de ses créatures. »