Seigneur, je m’effraye parfois de l’abondance de mes bonnes paroles, de la facilité avec laquelle naissent et s’épanouissent mes bons sentiments. Il y a si loin de mes pensées à mes actes, que je me demande s’il existe le moindre rapport entre eux. Mes paroles évangéliques sont sincères ; mes sentiments chrétiens sont réels ; comment donc ma vie est-elle si pécheresse ? La piété est-elle donc pour moi un vain parlage, un exercice de sensibilité ? mes lèvres et mon cœur l’ont-ils épuisée avant qu’elle arrive dans ma conduite ? En ai-je fait un savoureux plaisir pour mon âme, un moyen de tromper ma conscience et de me dispenser d’agir et de me dévouer ? Mon Dieu, je n’ose pas répondre, tant cette idée m’épouvante, et si près elle me paraît de la vérité ! Oh ! si j’avais fait la millième partie de tout ce que j’ai dit de bon, si j’avais réalisé, dans ma vie, une sur dix mille de mes bonnes intentions, comme je serais saint, et dès lors comme aujourd’hui je suis coupable d’avoir si bien pensé et si mal agi ! Je suis mon propre juge, ma bouche me condamne, en attendant que j’entende sortir de la tienne la même condamnation. — Mais non, Seigneur, je ne puis soutenir cette pensée ! Je veux, à l’avenir, être plus sobre de discours, me repaître moins de ma propre contemplation ; je veux, Seigneur, soutenu par ta force, ne rien dire sans le faire ; ou du moins, veiller sur tant d’occasions de bien agir que je laisse échapper. Ne permets plus que je me paye moi-même du vain bruit de ma voix, de la stérile fécondité de mes sentiments, mais que j’imite Jésus, qui fait ce qu’il dit, et ne descend de la montagne où il est en prière, que pour venir instruire le peuple dans le temple, guérir des malades dans la rue, et multiplier le pain aux pauvres. Que j’aille de lieu en lieu faisant du bien, que chacun de mes pas soit marqué par un bienfait, et si ma pauvreté s’oppose à des largesses, que je sois généreux en exemples de patience, de support, d’humilité et d’amour. Que je vive constamment occupé, non fatigué, mais occupé d’une bonne œuvre, sans jamais la renvoyer au lendemain, sachant que le lendemain aura sa tâche. Oh ! mon Dieu, quelle n’est pas ma paresse ! je sens, à l’énumération seule de mes devoirs, mon courage fléchir, et il me semble déjà me voir ne faisant rien demain, après avoir beaucoup parlé et prié aujourd’hui. Seigneur, aie pitié de moi, et qu’il n’en soit pas ainsi !