L’incrédulité des ennemis du christianisme qui nie tout élément surnaturel est certainement logique, mais ses présuppositions sont absolument insoutenables. Elle a recours aux hypothèses ou de la fraude, ou de l’exaltation ou bien enfin de la fiction poétique. Ce sont là les seules possibles ; aussi lorsqu’elles sont une fois réfutées, ne reste-t-il plus rien que le scepticisme absolu qui renonce à résoudre le problème et qui finit dans le nihilisme et le désespoir, ou le retour à l’antique et vénérable foi de l’Eglise chrétienne de tous les temps !
L’hypothèse de la fraude et du mensonge, qui est celle de Reimarus, révolte à tel point tout sentiment moral et tout jugement sain, qu’il suffit de la mentionner pour la condamner. Aussi bien n’a-t-elle jamais été sérieusement exposée et soutenue ; et aucun savant de quelque valeur et de quelque estime de soi-même n’oserait aujourd’hui la professer ouvertement22. Comment un trompeur et un menteur, c’est-à-dire un homme artificieux, intéressé, corrompu, nous le demandons au nom de la logique, du bon sens et de l’expérience, pouvait-il inventer le plus noble caractère que connaisse l’histoire, et l’exposer, du commencement jusqu’à la fin, avec toutes les apparences de la vérité et de la réalité ? Comment était-il en état, nonobstant les préjugés les plus enracinés de son peuple et de son temps, de concevoir et d’exécuter un plan qui n’a point son égal en fait de bienfaisance, de grandeur et d’élévation morale, et de lui faire le sacrifice de sa vie en le scellant de son sang ?
22 – L’hypothèse de la fraude fut d’abord mise en avant par les anciens adversaires du christianisme : Celse, au second siècle, et l’empereur Justin l’Apostat, au quatrième, railleurs plutôt frivoles et superficiels, quoique habiles et sagaces, que solides scrutateurs, et qui ont été réfutés depuis longtemps, le premier par Origène, et le second par Cyrille d’Alexandrie. Nous en disons autant de Voltaire et de l’école des athées français, qui furent plus frivoles encore, et qui n’élevèrent jamais leur haine du christianisme, à la hauteur d’un argument scientifique. Le premier essai sérieux fait pour exposer et légitimer cette opinion, et même d’une façon fragmentaire seulement, est dû à un Allemand, au fragmentiste longtemps anonyme (Wolfenbüttel, et que l’on sut plus tard s’appeler Herman-Samuel Reimarus, professeur de langues orientales au collège de Hambourg où il mourut en 1786. Ses fragments n’avaient jamais été publiés ; ils n’avaient été destinés qu’à un petit nombre d’amis. Lessing les trouva dans la bibliothèque de Wolfenbüttel, et en commença l’impression, à l’insu de l’auteur, en 1774 ; non qu’il eût des opinions conformes à ces fragments, comme il disait, mais pour exciter l’esprit d’examen et de recherche. Semler, le père de la néologie allemande, a comparé spirituellement cette manière de procéder à l’action d’incendier une ville, uniquement dans le but d’éprouver les pompes à feu. De nos jours Bruno Bauer, qu’il ne faut pas confondre avec le DrF. Chr. Baur, bien autrement considérable et digne d’estime, Bruno Bauer, dis-je, girouette théologique, vagabond et apostat, a essayé de rallumer cette théorie éteinte, en présentant les Evangiles comme des écrits fabriqués de parti-pris. Mais Strauss lui-même, dans son nouvel écrit, Vie de Jésus pour le peuple, l’ignore, ne le jugeant pas digne de sa société.
Et l’on n’amoindrit point la difficulté lorsque écartant l’accusation de la tête du Christ, on la transporte sur celle des apôtres et des évangélistes ; car on peut dire d’eux qu’ils furent tout, excepté des hypocrites, des intrigants et des trompeurs. Ils font sur tout lecteur impartial l’impression irrésistible d’hommes simples, honnêtes, naturels, toutes qualités qu’on, ne trouve que rarement, et jamais à un plus haut degré, chez quelque écrivain que ce soit, savant ou non, des temps anciens et des temps modernes. Mais quels sont donc les mobiles, qui auraient pu les déterminer à s’engager dans un plan si impie, eux qui savaient qu’on les persécuterait partout jusqu’à la mort ? Comment auraient-ils pu se conjurer secrètement pour un tel but et l’exécuter avec succès, sans jamais trahir leur rôle de faussaires, ou sans jamais se trahir eux-mêmes par quelque parole ou par quelque fait contradictoires ?
Ou bien qui pourrait admettre, ne fût-ce qu’un instant, que cette Eglise chrétienne qui embrasse présentement le monde civilisé, et qu’avec elle les plus vigoureux esprits, les plus nobles cœurs, les théologiens, les philosophes, les poètes, les orateurs, les hommes d’Etat et les bienfaiteurs les plus grands de l’humanité, se soient laissés duper et tromper pendant dix-huit siècles, par un charpentier de la Galilée ou par une douzaine de pêcheurs ignorants ? Vraiment cette forme si vulgaire, sous laquelle se montre l’incrédulité, renferme la plus grossière offense à la raison, au bon sens, ainsi qu’à la dignité de la nature humaine ; et cela nous suffit pour la répudier.