Ce premier miracle est une introduction aux autres miracles de Christ, comme la parabole du semeur aux autres paraboles (Marc 4.13). Aucun autre n’aurait pu inaugurer aussi bien l’œuvre future du Fils de Dieu ; ce qui caractérise cette œuvre, c’est qu’elle ennoblit ce qui est vulgaire, elle transforme l’eau terrestre en vin céleste. Le miracle de Cana eut lieu trois jours après que Philippe et Nathanaël furent venus auprès de Jésus pour s’attacher à lui ; Jésus et ses nouveaux disciples auraient passé facilement en deux jours des rives du Jourdain à Cana ; ils pouvaient ainsi très bien assister aux noces le troisième joura. La mère de Jésus s’y trouvait aussi ; il est probable que Joseph était mort ; il n’est plus fait mention de lui depuis la visite de Jésus enfant au temple ; il mourut sans doute entre cette époque et le commencement du ministère de Christ. Les disciples présents aux noces étaient André et Pierre, Philippe, Nathanaël ou Barthélémy et Jean ; ce dernier a donc été témoin du miracle qu’il raconte. Une tradition fait de saint Jean non seulement le témoin, mais encore le fiancé des noces de Cana ; voyant le miracle, il aurait abandonné sa fiancée pour suivre Jésus.
a – D’après Robinson, il y a dans le voisinage de Nazareth, deux villages ; l’un porte le nom de Kefr-Kenna, il se trouve à une heure et demie environ de Nazareth, au nord-est ; l’autre, Kâna-el-Jelil, est à trois heures de distance, vers le nord. Le Cana de l’Écriture est aujourd’hui Kâna-el-Jelil.
Il ne faut pas nous étonner de rencontrer ici le Maître de la vie ; il est venu pour sanctifier la vie tout entière, ses joies comme ses souffrances ; l’expérience nous enseigne que ce sont surtout les jours de joie qui risquent de ne pas être sanctifiés par la présence du Seigneur ; dans les jours de tristesse, on sent plus facilement la présence de Dieu. Jésus était aux noces, et, par sa présence, il indiqua la note fondamentale de son ministère tout entier ; il ne devait pas se contenter, comme Jean-Baptiste, de quitter les chemins battus pour prêcher dans le désert ; sa tâche est plus élevée et plus difficile : il doit participer à la vie générale de l’humanité pour la purifier. Jésus a voulu embellir de sa présence une fête nuptiale prévoyant que, plus tard, quelques-uns dans l’Église mépriseraient le mariage et ne mettraient pas en honneur la famille chrétienne.
La présence de Jésus et de ses disciples aux noces avait augmenté le nombre des convives, en sorte que les provisions furent insuffisantes. Le verset 5 nous montre que la mère du Seigneur avait le droit de donner des ordres dans cette maison ; elle était peut-être parente de l’époux ou de l’épouseb. Quand le vin manqua, elle fut dans un grand embarras et désirait en sortir ; cependant, il est difficile de dire exactement ce qu’elle attendait de son divin Fils, lorsqu’elle lui fit connaître que le vin manquait ; Jésus n’ayant pas encore fait de miracles, elle ne pouvait penser qu’il en accomplirait un. Quelques interprètes estiment que Jésus pouvait bien avoir opéré des œuvres merveilleuses dans sa famille ; mais, sans recourir à cette explication, nous pouvons admettre que Marie connaissait la gloire jusqu’alors cachée de son fils, instruite à cet égard par la prophétie ; elle pouvait penser, par conséquent, que Jésus avait le pouvoir de remédier à la difficulté présente ; d’autres prétendent qu’elle n’avait pas de but spécial en s’exprimant comme elle le fait au verset 3, mais qu’elle voulait simplement consulter Jésusc.
b – Lightfoot suppose que les noces avaient lieu dans la maison de Marie, femme de Cléophas.
c – Bengel avance une étrange explication : par cette remarque Marie aurait voulu suggérer à Jésus qu’il était temps de partir avec tous les siens, avant que leur hôte ne se retrouve dans l’embarras.
Les commentateurs catholiques ont cherché à dégager la réponse du Seigneur : « Femme, qu’y a-t-il entre moi et toi ? » de toute apparence de reproche ou de blâme ; il est vrai que dans cette interpellation : « Femme, » il n’y a aucun blâme. Lorsque Jésus recommande sa mère à son disciple bien-aimé, il dit aussi : « Femme, voilà ton fils ; » cette interpellation a plutôt quelque chose de solennel, qui fait ressortir la dignité de la femme ; mais il en est autrement des mots : « Qu’y a-t-il entre moi et toi ? » Ces Paroles ne peuvent signifier que ceci : « Laisse-moi ; qu’y a-t-il de commun entre nous ? nous sommes sur un terrain différent. » Tous les interprètes de l’Église primitive admettent qu’il y a un reproche dans ces paroles, mais ils disent que Jésus-Christ a parlé de la sorte pour notre instruction, plutôt que pour sa mère ; il avait des motifs plus élevés que de simples considérations filiales, à savoir les intérêts du royaume de Dieu, qui l’engageaient à choisir le moment actuel pour la première manifestation de son pouvoir divin. Cela est vrai, et sa mère avait sans doute besoin de cet avertissement, à cause de sa position exceptionnelled. Nous pouvons être sûrs que le reproche fut adouci par l’accent qu’y mit le Seigneur, comme aussi par la manière dont il parut accéder à la demande de sa mère ; car lorsqu’elle dit aux serviteurs : « Faites ce qu’il vous dira, elle comptait évidemment sur la satisfaction de son désir, malgré le refus apparent. Il y a une certaine obscurité dans cet ordre suivant immédiatement les Paroles de Christ : « Mon heure n’est pas encore venue ; » ces mots, surtout quand on les rattache à ce qui précède, semblent renvoyer la manifestation de sa gloire comme Messie à quelque période future de son ministère. Par le terme « heure, » il faut entendre en général, et surtout dans le langage de Jean, l’heure de la mort de Christ, de son départ de ce monde (Jean 7.30 ; 8.20 ; 12.23, 27 ; 17.1) ; dans un seul passage (Jean 7.6), ce mot peut avoir un sens plus immédiat ; mais il est évident que Marie le comprit autrement et bien, comme la suite le prouve. « Mon heure n’est pas encore venue ; » il faut attendre que le vin manque complètement, qu’il n’y en ait plus ; ce sera le moment d’agir, car alors le miracle sera plus évident ; autrement, dit saint Augustin, Jésus aurait paru augmenter le vin par une forte addition d’eau, c’est-à-dire mélanger les éléments, plutôt que les changer.
d – Voir Matthieu 12.46-50.
Quand tout secours fait défaut, alors vient l’heure de Christ ; Luther nous donne en exemple la foi de Marie : malgré le refus apparent, elle conserve l’assurance que sa demande sera satisfaite dans le temps convenable ; dans cette confiance, elle dit aux serviteurs : « Faites ce qu’il vous dira, » devinant ainsi et indiquant même de quelle manière Jésus exaucera son désir. Il est bien remarquable que notre Seigneur condescende volontiers à donner même le superflu ; toutefois, il n’a pas seulement en vue les convives, mais les époux, dont le repas de noces pouvait être exposé aux railleries, à cause du manque de vin ; le Sauveur compatissant sympathise avec tous les besoins, ordinaires et extraordinaires. On doit remarquer le contraste entre la promptitude avec laquelle il vient au secours des autres, et la pauvreté volontaire dans laquelle il vécut lui-même ; Celui qui changea l’eau en vin aurait pu changer les pierres en pain. Mais il ne cédera à aucune des suggestions de Satan, tandis qu’il écoutera toutes les inspirations de l’amour.
« Or, il y avait là six vases de pierre destinés aux purifications des Juifs, et contenant chacun deux ou trois mesures. » Nous avons ici tous les détails ; ces vases ne contenaient que de l’eau, et ne servaient pas pour le vin, en sorte que toute fraude était impossible ; ils étaient là pour les ablutions des Juifs, leurs purifications légales. La contenance de ces vases était énorme ; ils étaient vides, en sorte que les serviteurs qui les remplissaient d’eau témoignaient en faveur de la réalité du miracle ; autrement on aurait pu croire que le vin provenait de quelque source inconnue. « L’ordonnateur du repas ne savait d’où venait ce vin, tandis que les serviteurs qui avaient puisé l’eau le savaient bien. » De même que beaucoup d’autres actes créateurs, le changement de l’eau en vin échappe à la vue ; l’eau versée dans les vases en sort sous forme de vin ; nous ne comprenons pas comment cette transformation s’accomplit ; cependant elle n’est pas plus étrange, sauf dans sa rapidité, que celle dont nous sommes chaque jour les témoins, mais à laquelle nous sommes accoutumés. Celui qui prépare chaque année le vin dans la grappe de raisin, par un long développement de l’humidité du sol, a concentré tout ce travail, toute cette élaboration en un seul instant : cette analogie ne nous aide pas à comprendre ce que le Seigneur fit à Cana, toutefois nous voyons qu’ici encore il agit comme il le fait ordinairement dans la nature.
On s’est demandé quelquefois si « l’ordonnateur du repas » faisait partie des convives, ou s’il était simplement un serviteur, chargé de surveiller l’ordre du repas, et le dirigeant ; c’est ce que pensent Chrysostome et d’autres, mais les analogies fournies par les coutumes grecques et romaines semblent indiquer que l’ordonnateur faisait partie des conviés et était investi de son office pour la durée du repase ; les juifs avaient les mêmes usages. La liberté avec laquelle il parle à l’époux nous renseigne aussi à cet égard, un serviteur n’aurait pas osé s’exprimer avec cette familiarité ; c’est à lui que le Seigneur s’adresse pour qu’il goûte le vin, voulant se soumettre ainsi à l’ordre établi, rendant à chacun ce qui lui est dû. « Quand l’ordonnateur du repas eut goûté l’eau changée en vin, ne sachant d’où venait ce vin, il appela l’époux. » Il ne le fit pas venir auprès de lui, ce qui eût été peu poli, mais il l’interpella par une exclamation bien naturelle : « Tout homme sert d’abord le bon vin, puis le moins bon après qu’on a beaucoup bu ; toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à présent. » Plusieurs interprètes ont cherché à faire disparaître de ce dernier passage toute idée d’excès dans la boisson, car alors Jésus-Christ, en augmentant la provision de vin, aurait paru favoriser et approuver un tel excès. Mais l’ordonnateur du repas fait ici simplement allusion aux usages qui ont généralement cours parmi les hommes, sans vouloir parler de ce qu’il avait sous les yeux ; nous pouvons bien penser qu’aucun excès n’avait lieu à Cana, car le Seigneur ne l’aurait pas sanctionné par sa présence, ni surtout par un acte de sa puissance.
e – Comme notre major de table. (Note du trad.)
On a donné aux paroles du verset 10, qui renferment donc une simple allusion aux usages grossiers de ce monde, un sens plus élevé ; ces paroles montrent la différence entre la libéralité du monde et celle de Christ ; le monde donne d’abord ce qu’il a de meilleur, son « bon vin, » puis ce qu’il a de moindre. « Quand les hommes ont bien bu, » quand leur sens moral est blasé, qu’ils ont perdu la distinction entre le bien et le mal, alors le monde leur offre ce qu’il n’aurait pas osé leur présenter auparavant : des plaisirs plus grossiers, des jouissances plus vides, les gousses des pourceaux ; le monde est pour ceux qui l’adorent comme cette grande statue que vit le roi Babylone (Daniel 2.31) ; sa tête est d’or, mais ses pieds sont d’argile. — Il en est autrement pour les amis de Christ, l’Époux céleste ; il leur réserve toujours le « bon vin » jusqu’à la fin. Un chrétien éminent a dit : « Le monde nous offre un beau langage, de belles espérances, la fortune, les honneurs ; ce sont les dehors de la coupe ; mais lorsqu’on l’a bue, tout cela se dissipe, il reste l’amertume et le poison de la coloquinte. Tout péché nous sourit au premier abord, nous offre lumière et miel, mais quand nous avons « beaucoup bu, » alors vient le pire, un fouet à six cordes, les terreurs de la conscience, la honte, la tristesse, un esprit servile, la défiance. Lorsque nous remplissons d’eau nos urnes, mouillant notre couche de nos pleurs, notre visage des larmes de la repentance, alors Christ change notre eau en vin, d’abord la repentance, puis la communion, d’abord les eaux de l’affliction, puis le vin du calice ; car Jésus garde le meilleur vin pour la finf. »
f – Taylor : Vie de Christ.
L’évangéliste saint Jean exclut absolument de son livre les miracles de l’enfance de Christ, qui nous sont abondamment racontés dans les évangiles apocryphes ; il dit que le miracle de Cana fut le premier. Ce fait a son importance ; il est dans une étroite relation avec l’un des buts principaux de l’évangile de Jean, à savoir d’écarter les notions fausses au sujet de la personne de Christ, notions qui auraient été entretenues par les miracles fantastiques des apocryphes.
Par le miracle de Cana, Jésus « manifesta sa gloire, » ce que le Fils de Dieu seul pouvait faire ; le mot « gloire » signifie ici sa divinité ; le Logos, la Parole éternelle, est la lumière absolue ; les rayons de cette lumière forment « sa gloire » (Jean 1.14 ; Matthieu 16.27 ; Marc 8.38). Pendant que le Fils de Dieu était sur la terre, cette « gloire » fut en grande partie cachée, elle était voilée par la chair ; mais, dans le miracle de Cana, dans cette œuvre de puissance, elle perça l’enveloppe charnelle et se manifesta aux regards spirituels des disciples ; ils « virent sa gloire, la gloire du Fils unique du Père. » Comme conséquence inévitable, « ses disciples crurent en lui. » Le miracle, outre son but immédiat, devait donc servir à fortifier leur foi ; ils devaient marcher de foi en foi, et reconnaître en Jésus un docteur céleste.
On a dit que ce premier miracle du Seigneur avait un sens mystique. Le premier miracle de Moïse fut de changer l’eau en sang (Exode 7.20) ; la loi était, en effet, un ministère de mort et de colère ; mais le premier miracle de Christ fut une transformation de l’eau en vin, car son ministère est celui de la vie ; Celui qui donne le bon vin qui réjouit le cœur de l’homme est venu pour apporter la joie et le contentement. On a aussi envisagé le miracle de Cana sous un aspect prophétique : Christ devait remplacer l’économie inférieure, les « éléments misérables » de la religion juive, par une économie plus glorieuse, par le vin réconfortant d’une vie supérieure. On peut, en effet, considérer ce miracle comme le symbole de toute l’œuvre de Christ dans le monde ; il ennoblit tout ce qu’il touche, il fait des pécheurs des saints, des hommes des anges, de la terre un ciel. Il y a, dans ce miracle, une prophétie de la régénération du monde, du jour où les disciples boiront le « vin nouveau » dans le royaume céleste ; la fête nuptiale de Cana peut bien représenter les noces de l’Époux céleste et de son Église. Irénée rapproche notre miracle de celui des pains ; il les considère comme une prophétie de l’eucharistie.