Quelques-uns de vous ont rêvé que notre Dieu était une tête d’âne. Tacite est l’auteur de cette ridicule invention. Dans le cinquième livre de son histoire, où il parle de la guerre des Juifs, il remonte à l’origine de ce peuple. Après avoir dit sur leur origine, sur leur nom et leur religion tout ce qu’il lui plaît d’imaginer, il raconte que les Juifs, libres du joug de l’Égypte, ou, comme il le pense, chassés de ce pays, et traversant les vastes et arides déserts de l’Arabie, étaient près de mourir de soif lorsqu’ils aperçurent des ânes sauvages qui allaient boire, et qui leur découvrirent une source. Il ajoute que, par reconnaissance, ils consacrèrent une statue représentant un âne. De là on a conclu, j’imagine, que les Chrétiens, rapprochés par leur religion du culte judaïque, adoraient la même idole. Cependant ce même historien, si fertile en mensonges, rapporte dans la même histoire que Pompée, après s’être rendu maître de Jérusalem, entra dans le temple pour y surprendre ce qu’il y avait de plus secret dans la religion des Juifs, et qu’il n’y trouva aucun simulacre. Assurément, si celui-ci eût été un objet d’adoration pour les Juifs, il l’eussent placé dans le sanctuaire plutôt que partout ailleurs, puisqu’ils n’auraient point eu à redouter les regards des étrangers dans ce culte, vain et superstitieux. Il n’était permis qu’aux prêtres d’entrer dans le sanctuaire ; le voile qui le séparait du reste du temple en dérobait la vue aux spectateurs. Pour vous, vous ne le nierez pas, vous adorez les chevaux et les bêtes de charge, avec leur déesse Epone. Voilà peut-être ce que vous trouvez à reprocher aux Chrétiens, c’est que parmi ces adorateurs de toutes sortes d’animaux, ils se bornent à adorer l’âne.
Quant à ceux qui prétendent que nous adorons une croix, nous ne faisons que les imiter, s’il est vrai que nous invoquions du bois. Qu’importe ici la forme, si la matière est la même, et si cette matière est censée le corps d’un Dieu ? Y a-t-il grande différence d’une croix à la Pallas athénienne, à la Cérès du Phare, qui s’élève comme une pièce de bois grossière, informe, sans figure ? Tout poteau dressé en l’air est la moitié d’une croix ; ainsi nous adorerions, nous, le Dieu tout entier. Nous avons dit plus haut que les ouvriers font prendre à vos dieux leur forme sur une croix ; d’ailleurs, en adorant les Victoires, vous adorez les croix qui sont au milieu des trophées. Vos armées révèrent leurs enseignes, jurent par elles, les préfèrent même à tous les dieux. Ces images superbes sont la parure des croix, ces voiles, ces étoffes précieuses de vos drapeaux et de vos étendards servent à les enrichir. J’approuve votre délicatesse, vous n’avez pas voulu les adorer nues et sans ornement !
D’autres, avec plus de vraisemblance et de raison, s’imaginent que le soleil est notre Dieu. Ainsi, nous voilà rangés parmi les Perses, quoique nous n’adorions pas comme eux l’image du soleil peinte sur une toile ou représentée sur nos boucliers. Ce qui a fait naître ce soupçon, c’est sans doute parce que nous nous tournons vers l’orient pour prier. Mais ne voit-on pas la plupart d’entre vous tournés vers le soleil levant, affecter d’adorer le ciel et de remuer les lèvres ? Si nous donnons à la joie le jour du soleil, c’est pour une raison tout autre que l’adoration du soleil. Nous célébrons le jour qui suit immédiatement celui de Saturne, que vous passez dans l’oisiveté et les festins, bien différemment des Juifs, dont vous ignorez les usages.
Mais depuis peu on a représenté notre Dieu dans cette cité sous une forme nouvelle. Un de ces hommes qui louent leur sang pour combattre contre les bêtes, a exposé un tableau avec cette inscription : Le dieu des Chrétiens, Onochœtès (race d’âne). Il y était représenté avec des oreilles d’âne, un pied de corne, un livre à la main, et vêtu de la toge. Nous avons ri du nom et du travestissement ; mais dans le vrai, ce monstre à double forme était le dieu qui convenait merveilleusement à ceux qui adorent des divinités avec des têtes de lion et de chien, des cornes de chèvre et de bélier, boucs depuis les reins, serpents depuis les cuisses, portant des ailes au dos ou bien aux pieds. Ces détails étaient superflus ; je n’ai pas voulu qu’on me reprochât d’avoir omis à dessein rien de ce que nous impute la rumeur publique. L’exposé de notre croyance achèvera de répondre à toutes ces imputations.