Dans l’impuissance où se trouvent les Marcionites de nous montrer leur second monde aussi bien que le dieu dont il émane, que font-ils ? Ils partagent l’univers en deux substances, les visibles et les invisibles, assignent chacune de ces créations à des dieux différents, et revendiquent pour leur dieu le domaine des invisibles. Fort bien ! Mais qui pourra se persuader, à moins de porter un cœur hérétique, que les substances invisibles appartiennent au dieu qui n’a envoyé devant lui aucune œuvre visible, plutôt qu’à celui qui s’étant manifesté par des témoignages palpables, fait présumer qu’il est aussi l’auteur des invisibles ? Une foi qui repose sur quelques autorités, n’est-elle pas plus légitime qu’une foi dépourvue de tout témoignage ? Nous verrons en son lieu à quelle puissance l’apôtre attribue les choses invisibles.
Sans réclamer maintenant l’autorité des saintes Ecritures, qui viendra plus tard, d’accord avec la voix de l’univers et l’autorité du sens commun, nous restituons les substances visibles et invisibles au Créateur dont l’œuvre se compose de diversités, créatures corporelles et incorporelles, animées et inanimées, parlantes et muettes, mobiles et inertes, fécondes et stériles, arides et humides, chaudes et froides. Ainsi l’homme lui-même, considéré dans sa double existence, est un mélange de diversités et d’oppositions. Ici des organes vigoureux, honnêtes, doubles, semblables ; là des organes débiles, déshonnêtes, uniques, dissemblables. Examinez son âme ! Tantôt la joie, tantôt l’anxiété, tantôt l’amour, tantôt la haine, tantôt la colère, tantôt la douceur. S’il est vrai que dans l’ensemble de la création, à chaque substance réponde une substance contraire, les invisibles aussi devront contraster avec les visibles, et remonter au créateur d’où émanent les choses palpables, ne fût-ce que pour désigner un Créateur fantasque, opposé à lui-même, ordonnant ce qu’il a prohibé, prohibant ce qu’il a ordonné, frappant et guérissant tour à tour. Pourquoi les Marcionites veulent-ils l’enchaîner à l’uniformité dans cette seule conjoncture ? Pourquoi lui dire : Tu créeras les choses visibles uniquement, tandis qu’il a dû, conformément à leur système, créer les unes et les autres, comme ils lui attribuent et la vie et la mort, et les calamités de la guerre, et les douceurs de la paix ?
Poursuivons. Si les substances invisibles sont d’un ordre plus relevé que les substances visibles, déjà admirables elles-mêmes par leur enchaînement et leur harmonie, ne convient-il pas d’attribuer ces magnifiques merveilles à celui qui en a créé de grandes, puisque les grandes choses, et encore moins les substances d’un ordre plus relevé, ne sauraient convenir à un dieu qui n’a pas même su en produire de médiocres ?