M. Mercier à Lucile
En prenant la plume aujourd’hui pour vous montrer par la Bible que Dieu vous permet, qu’il vous commande de la lire, je n’éprouve d’autre embarras que celui qui naît de l’évidence même et de l’abondance des preuves. Il en est de mon sujet à peu près comme de l’existence de Dieu, que la Bible n’établit nulle part parce qu’elle la suppose partout. Pourquoi dirait-elle qu’elle veut être lue, quand elle n’a été écrite que pour cela ? Tout ce que je puis faire, c’est de choisir quelques endroits où cette tendance générale se montre, s’il est possible, plus clairement encore qu’ailleurs. Au surplus, ce n’est point à des interprétations forcées, à des conséquences péniblement déduites, que j’en vais appeler ; c’est à des déclarations toutes simples, prises dans le premier sens qu’elles présentent à l’esprit d’un homme simple ; vous en allez juger vous-même.
Commençons par l’Ancien Testament. Sous cette première économie, inférieure à la nôtre en lumière et en liberté, quel usage le peuple devait-il faire de la Parole de Dieu ?
Moïse, le plus ancien des prophètes, va nous répondre (Deutéronome 31.9-13) : « Or Moïse écrivit cette loi, la donna aux sacrificateurs, enfants de Lévi, qui portaient l’arche de l’alliance de l’Éternel, et à tous les anciens d’Israël. Et Moïse leur commanda en disant : De sept ans en sept ans, au temps précis de l’année de relâche, en la fête des tabernacles, quand tout Israël sera venu pour comparaître devant la face de l’Éternel ton Dieu, au lieu qu’il aura choisi, tu liras cette loi devant tout Israël, eux l’entendant, ayant assemblé le peuple, hommes et femmes, et leurs petits enfants, et ton étranger qui sera dans tes portes ; afin qu’ils l’entendent et qu’ils apprennent à craindre l’Éternel votre Dieu, et qu’ils prennent garde de faire toutes les paroles de cette loi : et que leurs enfants qui n’en auront point eu connaissance l’entendent et apprennent à craindre l’Éternel votre Dieu, tous les jours que vous serez vivants sur la terre pour laquelle posséder vous passez le Jourdain15. » Il faut que cette loi soit lue, de sept ans en sept ans, à tout le peuple, hommes, femmes, petits enfants ; tout simplement lue, il n’est pas question de l’interpréter ; lue tout entière et non partiellement ; lue pour que ceux qui l’entendront apprennent à craindre l’Éternel leur Dieu, tant cette lecture est salutaire !
15 – Voyez encore Josué 8.35.
Mais ce livre, vous dit M. l’Abbé, est confié à la garde des sacrificateurs ? Cela est vrai ; le livre que Moïse avait écrit de sa main leur est confié. Il fallait bien qu’il le fût à quelqu’un ; et à qui pouvait-il mieux l’être qu’à ceux que leur charge obligeait de le lire au peuple et de veiller à la conservation du texte sacré ? Mais autre chose est que l’exemplaire original de la loi fût remis aux sacrificateurs, autre chose que tous les exemplaires qui en seraient écrits à l’avenir dussent leur être remis également. Il ne faut pas oublier que les livres étaient fort rares à cette époque où ils s’écrivaient à la main avec un travail infini. Dès lors les précautions de Moïse étaient commandées par la nécessité16, et l’on ne saurait s’en autoriser pour restreindre l’usage des livres saints dans ces temps plus favorisés où ils sont devenus accessibles à tous. Rien ici n’indique un dépôt exclusif, ni un droit d’interprétation, ni surtout une garantie d’interprétation infaillible.
16 – Malgré ces précautions, le livre de la loi avait été longtemps perdu, lorsque Hilkija le retrouva en faisant réparer le temple par le commandement du roi Josias. Que serait-ce s’il n’eût pas été confié aux sacrificateurs et gardé dans le temple ? n’est-il pas à croire qu’il eût péri ?
Au reste, achevons le verset ; vous verrez que Moïse a pris soin de prévenir la fausse explication que M. l’Abbé donne de sa pensée. Car ce n’est pas aux seuls sacrificateurs qu’il confie le livre de la loi ; c’est « aux sacrificateurs et à tous les anciens d’Israël. » L’Abbé a sans doute cité de mémoire, ce qui lui a fait oublier ces derniers mots. Or, les anciens, ce sont les chefs de famille, des hommes de toutes les professions et de toutes les tribus. C’est donc réellement aux représentants du peuple tout entier que la loi est remise, pour être lue au peuple tout entier. Mais on ne devait la lire que de sept en sept ans ? Cela n’est point dit. On était tenu de la lire en public une fois au moins en sept ans, afin que chaque Israélite eût plusieurs occasions de l’entendre dans le cours de sa vie. Mais cela n’empêchait ni les gardiens de la loi de la lire plus souvent au peuple, ni les particuliers de la lire dans leurs maisons s’ils en possédaient un exemplaire. Pour ce qui est de la lecture publique, nous voyons en effet qu’elle a eu lieu en bien d’autres circonstances. C’est toujours le premier moyen auquel ont recours les hommes pieux qui entreprennent de rallumer la piété dans la nation ; soit des rois, tels que Josaphat (2 Chroniques 17.9) et Josias (2 Chroniques 34.30-31) ; soit des prophètes, tels qu’Esdras et Néhémie (Néhémie 8.2, 3, 7, 8)17. Mais remarquez surtout la lecture que Jérémie fait faire de ses prophéties devant le peuple par son secrétaire Baruc. Baruc lit ce livre à toutes les classes de la société successivement : à la multitude, aux magistrats, enfin, au roi et à ses serviteurs. C’est une simple lecture ; et cette lecture est si bien comprise qu’elle remue toute la cour. Les grands s’en épouvantent, et le roi s’en irrite à tel point qu’il déchire à coups de canif le rouleau de Baruc et en jette les morceaux au feu.
17 – Cette fois, la lecture de la loi est suivie d’une explication donnée par les lévites ; il y a lecture et prédication.
Ecoutez l’usage que devaient faire en particulier du Livre saint les rois d’Israël. « Et dès qu’il sera assis sur le trône de son royaume, il écrira pour soi dans un livre un double de cette loi, laquelle il prendra des sacrificateurs qui sont de la race de Lévi. Et ce livre demeurera par-devers lui, et il y lira tous les jours de sa vie, afin qu’il apprenne à craindre l’Eternel son Dieu et à prendre garde à toutes les paroles de cette loi et à ces statuts pour les faire ; afin que son cœur ne s’élève point par-dessus ses frères, et qu’il ne se détourne point de ce commandement ni à droite ni à gauche, et afin qu’il prolonge ses jours en son règne, lui et ses fils, au milieu d’Israël. » (Deutéronome 17.18-20.) Les rois seraient-ils moins assujettis que le reste des hommes à l’autorité du tribunal infaillible, s’il y en avait un ? Ce n’est pas ainsi, Madame, qu’on a coutume de l’enseigner ; et l’on ne serait guère disposé, je crois, à les dispenser sur ce point de la loi commune. Eh bien ! voici les rois d’Israël qui sont obligés d’écrire de leur main une copie de la loi et d’y lire tous les jours de leur vie ; et pourquoi ? parce que cette lecture leur apprendra à craindre Dieu et à garder ses commandements. Si elle l’apprend aux rois, ne l’apprendra-t-elle pas aux particuliers ?
Écoutez encore cette belle exhortation de Moïse à Josué, qui n’est ni un sacrificateur ni même un membre de la tribu choisie pour le service du tabernacle : « Que ce livre de la loi ne s’éloigne point de ta bouche, mais médites-y jour et nuit, afin que tu prennes garde de faire tout ce qui y est écrit ; car alors tu rendras heureuses tes entreprises et alors tu prospéreras. » (Josué 1.8.) Un gouverneur, un général d’armée doit méditer jour et nuit dans la loi de Dieu, et c’est par là qu’il verra prospérer toutes ses entreprises : et pourquoi tout autre fidèle ne s’appliquerait-il pas et ce commandement et cette promesse ? Il n’est pas surprenant qu’il soit pourvu plus spécialement à l’instruction de ceux qui exercent les premières charges de l’État ; mais on ne saurait concevoir que ce fût à l’exclusion de tous les autres.
Au reste, nous n’en sommes pas réduits à de simples inductions. La même recommandation qui a été faite à Josué, la voici, presque mot pour mot, adressée à tous et accompagnée de la même promesse, à l’ouverture du livre des Psaumes : « Bienheureux est l’homme qui ne vit point selon le conseil des méchants, qui ne s’arrête point dans la voie des pécheurs et qui ne s’assied point au banc des moqueurs, mais qui prend plaisir en la loi de l’Éternel, et qui médite jour et nuit en sa loi. Car il sera comme un arbre planté près des ruisseaux d’eaux, qui rend son fruit en sa saison et duquel le feuillage ne se flétrit point ; et tout ce qu’il entreprendra prospérera. » (Psaumes 1.1-3.) Vous le voyez, Madame, ce qui caractérise essentiellement l’homme pieux, ce qui le distingue d’avec le méchant, ce qui lui garantit la bénédiction de Dieu sur toutes ses entreprises, c’est précisément ce dont on cherche à vous détourner ; c’est la lecture, la méditation de la Parole de Dieu. Convenez que si M. l’Abbé eût pu vous citer un seul endroit des Écritures où l’obligation de se soumettre à un tribunal visible fût aussi clairement établie que l’est dans celui-ci le droit de les lire soi-même, cette obligation serait mieux prouvée qu’elle ne l’est par ses trois preuves réunies, même avec toutes les considérations accessoires.
Ainsi, à mesure que les temps s’avancent et à proportion que les lumières du peuple de Dieu vont croissant, nous voyons la lecture de la Bible plus recommandée et plus générale. Après ce que je viens de vous montrer, il me suffira d’indiquer rapidement quelques autres témoignages de l’Ancien Testament. Les Psaumes (et comment s’en étonner après un tel commencement ?) sont tout pleins de cette doctrine. « La loi de l’Éternel ce est parfaite, restaurant l’âme ; le témoignage de l’Éternel est assuré, donnant la sagesse au simple. Les commandements de l’Éternel sont droits, ils réjouissent le cœur ; le commandement de l’Éternel est pur, et fait que les yeux voient. » (Psaumes 19.7, 8.) Mais tous vos doutes seraient bientôt dissipés, Madame, si vous lisiez seulement le Psaume 119. Il est si rempli des louanges de la Parole de Dieu, que sur les 176 versets dont il se compose il n’y en a pas plus de quatre ou cinq où elle ne soit nommée, d’un nom ou d’un autre. Il est facile de voir que l’auteur de ce Psaume met exactement en pratique le précepte du Psaume premier. Lisez quelques-uns de ces versets où respire un si ardent amour pour la parole inspirée des prophètes ; celle des apôtres, celle du Fils de Dieu nous serait-elle moins précieuse ? « Par quel moyen le jeune homme rendra-t-il pure sa voie ? Ce sera en y prenant garde selon ta Parole. J’ai serré ta Parole dans mon cœur, afin que je ne pèche point contre toi. Dessille mes yeux, afin que je regarde aux merveilles de ta loi ! Tes témoignages sont mes plaisirs et les gens de mon conseil. Je prendrai mon plaisir en tes commandements que j’ai aimés ; même j’étendrai mes mains vers tes commandements que j’ai aimés ; je m’entretiendrai de tes statuts. La loi que tu as prononcée de ta bouche m’est plus précieuse que mille pièces d’or ou d’argent. Oh ! combien j’aime ta loi ! c’est ce dont je m’entretiens tout le jour. J’ai surpassé en prudence tous ceux qui m’avaient enseigné, parce que tes témoignages sont mon entretien ; je suis devenu plus intelligent que les anciens, parce que j’ai observé tes commandements. Oh ! que ta Parole a été douce à mon palais ! plus douce que le miel à ma bouche. Ta Parole est une, lampe à mon pied et une lumière à mon sentier. L’entrée de tes paroles illumine et donne de l’intelligence aux simples. J’ai prévenu le point du jour et j’ai crié, je me suis attendu à ta Parole. Mes yeux ont prévenu les veilles de la nuit pour méditer ta Parole. Il y a une grande paix pour ceux qui aiment ta loi, et rien ne peut les renverser. »
Ah ! Madame, vienne bientôt le jour où la Parole de Dieu sera pour vous tout ce qu’elle était pour le Psalmiste ! Sont-ils bien animés du même esprit que lui, ceux qui vous donnent des scrupules sur la lecture de la Bible ? Des scrupules sur la lecture de la Bible, quelle étrange association d’idées ! Eh ! que ne vous donne-t-on aussi bien des scrupules sur la prière ? Non, cette distance respectueuse où l’on prétend vous tenir de la Parole de Dieu, les saints prophètes ne la connaissent point. Vous ne sauriez, à leur gré, vous en approcher de trop près ; les expressions semblent leur manquer pour peindre cette étroite intimité qui doit exister entre elle et vous. « Il faut la lier à vos doigts, il faut la graver sur la table de votre cœur. Il faut en attacher les maximes comme un signe sur vos mains et comme un fronteau entre vos yeux ; il faut les écrire sur les poteaux de votre maison et sur vos portes. Il faut les inculquer à vos enfants, et vous en entretenir quand vous demeurez dans votre maison, quand vous vous mettez en chemin, quand vous vous couchez et quand vous vous levez. » (Proverbes 7.3 ; Deutéronome 6.6-8.)
Obéissez à Dieu plutôt qu’aux hommes. Au lieu de laisser la Bible pour écouter une Église, quelle qu’elle soit, laissez tout le reste pour aller à la Bible. « A la loi et au témoignage ! » cette belle exclamation est d’Ésaïe (8.20). Oui, Madame, à la loi et au témoignage ! c’est la voix qui sort de tout l’Ancien Testament. Évidemment, les fidèles de l’Ancien Testament devaient lire et méditer par eux-mêmes la Parole de Dieu ; évidemment, il n’y avait point de tribunal infaillible chargé de la leur expliquer. Eh ! si ce tribunal eût existé, où le chercher ailleurs que dans l’assemblée solennelle des scribes et des prêtres de Jérusalem ! dans cette assemblée si peu infaillible, qu’après avoir commencé par persécuter les prophètes, elle a fini par crucifier le Fils de Dieu !
Après cela, devons-nous nous attendre à trouver la lecture de la Bible restreinte sous le Nouveau Testament ? est-il plus obscur que l’Ancien ? ou le disciple de Jésus-Christ a-t-il moins de liberté que celui de Moïse ? Mais laissons le Nouveau Testament nous en instruire lui-même.
J’ouvre le Nouveau Testament, et au quatrième chapitre du premier Évangile, je lis que le Seigneur Jésus-Christ, tenté trois fois au désert par le diable, n’oppose à chacune de ces tentations qu’une simple citation de la Parole de Dieu, précédée de ces mots solennels : « Il est écrit. » Ne pensez-vous pas, Madame, que dans toutes les circonstances de sa vie, mais surtout dans cette occasion, « Jésus nous a laissé un exemple afin que nous suivions ses traces, » et que nous ne saurions trouver d’arme plus puissante pour vaincre la tentation que ce même « il est écrit » par lequel Jésus en a triomphé ? Mais comment trouveriez-vous comme lui un texte spécial à invoquer contre chaque tentation spéciale, si vous n’avez cette connaissance exacte des Écritures qu’une étude personnelle peut seule vous donner ? Plus loin, Jésus, interrogé par un docteur de la loi sur ce qu’il faut faire pour avoir la vie éternelle, lui propose à son tour cette question : « Qu’est-il écrit dans la loi ? comment lis-tu ? » Supposez, Madame, que ce fût à vous qu’elle eût été adressée, le moyen d’y répondre, si vous ne savez pas ce qui est écrit, si vous ne lisez pas ? Rapprochez ces deux traits de l’Évangile : « Il est écrit, » voilà l’arme que Jésus-Christ vous met dans les mains ;« qu’est-il écrit ? » voilà la question que Jésus-Christ vous présente ; et vous ne devriez pas lire !
Poursuivons, Jésus-Christ dit aux Juifs : « Vous sondez les Écritures18 parce que vous estimez avoir par elles la vie éternelle ; elles rendent témoignage de moi, et cependant vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie ! » (Jean 5.39) Jésus en appelle ici à la Bible comme à un livre qui est lu de tout le monde ; il approuve ceux qui le lisent, et ne blâme les Juifs que de ce qu’ils n’y ont pas appris à le reconnaître.
18 – On a suivi une interprétation qui s’écarte de la plupart des versions reçues, mais qui est tout à fait permise par l’original et qui entre mieux que l’autre dans le raisonnement que fait ici le Sauveur. Si l’on préfère suivre la version ordinaire : « Sondez les Écritures, » elle fournira à M. Mercier un argument encore plus fort, un commandement positif de lire soigneusement les Écritures.
Savez-vous, Madame, quel est, d’après le Sauveur, le fondement de toute l’instruction religieuse, et un fondement qui peut suffirez lui seul ? Le voici : « Ils ont Moïse et les prophètes ; qu’ils les écoutent » (Luc 16.29). C’est Abraham qui répond en ces termes au mauvais riche dans la parabole. Le riche a proposé pour ses frères un nouveau moyen d’avertissement, une mission d’un mort ressuscité. C’est inutile, répond Abraham : « Ils ont Moïse et les prophètes, qu’ils les écoutent. Que s’ils n’écoutent pas Moïse et les prophètes, ils ne seront pas non plus persuadés quand quelqu’un des morts ressusciterait. » Vous figurez-vous M. l’Abbé résumant en ce seul trait tout l’enseignement de la religion : Ils ont Moïse et les prophètes, ou mieux : Ils ont l’Évangile et les Épîtres ; qu’ils les écoutent ?
Voulez-vous savoir encore d’où viennent les erreurs des Sadducéens ? Vous errez, leur dit le Seigneur, vous errez, ne connaissant pas les Écritures ni la puissance de Dieu19. » Ainsi, Madame, si c’est la lecture des Écritures qui engendre les hérésies selon M. l’Abbé, c’est au contraire pour ne les pas connaître qu’on tombe dans l’erreur d’après Jésus-Christ. Comment douter qu’il ne vous les eût mises dans les mains, si vous eussiez pu le consulter lui-même ?
19 – Matthieu 22.29.
Passons aux Actes des Apôtres et à leurs Épîtres.
Il ne faut que lire la suscription des Épîtres. La première est adressée « à tous les bien-aimés de Dieu qui sont à Rome ; » la seconde, « à l’Église qui est à Corinthe ; » une troisième, « aux saints qui sont à Philippes, aux évêques et aux diacres. » Assurément les Épîtres devaient bien être lues de tous ceux à qui elles étaient écrites ; et c’était, vous venez, de le voir, aux Eglises entières, à tous les saints, c’est-à-dire à tous les chrétiens, et non aux pasteurs seulement. Mais cela ne suffit pas aux Apôtres : ils insistent encore, en finissant quelques-unes de leurs lettres, pour qu’elles soient lues de tout le monde : « Quand cette lettre aura été lue entre vous, faites qu’elle soit aussi lue dans l’Église des Laodicéens, et vous aussi lisez celle qui est venue de Laodicée » (Colossiens 4.16). – « Je vous conjure par le Seigneur que cette épître soit lue à tous les saints frères » (1 Thessaloniciens 5.27).
Au dix-septième chapitre des Actes, nous trouvons un trait auquel j’ai peine à concevoir ce que M. l’Abbé pourrait répondre. Saint Paul va prêcher à Bérée. Il s’agit pour les Béréens de savoir si la doctrine qu’il leur annonce est véritable : que font-ils ? « Ils examinent tous les jours les Écritures pour voir si les choses sont telles qu’on le leur dit20. » Vous croyez peut-être que ce ne sont que des docteurs qui font cela ? Non, Madame, c’est toute la population juive de Bérée, et des femmes dans le nombre (verset 12). Le Saint-Esprit ne les en blâmera-t-il pas ? Non, Madame, le Saint-Esprit les en loue, et les appelle « plus généreux que ceux de Thessalonique. » Mais leur foi ne va-t-elle pas se trouver en péril ? Non encore : « Beaucoup donc d’entre eux crurent, et ils reçurent la Parole avec toute promptitude. » Là-dessus, permettez-moi une question. Si vous vous fussiez trouvée alors à Bérée, avec les principes de M. l’Abbé, qu’auriez-vous fait ? Vous auriez craint de manquer à l’humilité et d’exposer votre âme en interrogeant la Bible vous-même. Vous auriez eu recours à vos directeurs naturels, c’est-à-dire sans doute aux chefs de l’Église juive de Bérée ; ou pour plus de sûreté encore, à ceux de l’Église de Jérusalem ; et, par une conséquence inévitable, vous auriez rejeté saint Paul, vous vous seriez privée de la grâce de Dieu. Quoi ! Madame, des Juifs ont bien fait d’examiner les Écritures pour savoir si elles confirmaient la doctrine de saint Paul, et nous ne devrions pas les examiner pour savoir si elles disent en effet ce que leur fait dire l’Église !
20 – Actes 17.11.
Mais que dis-je l’Église ? Quand vous auriez pour guide un apôtre, un ange du ciel, vous seriez encore tenue de vous assurer par vous-même qu’il ne vous annonce rien de contraire à ce qui est écrit. « Quand je vous évangéliserais moi-même, quand un ange du ciel vous évangéliserait outre ce que nous vous avons évangélisé21, qu’il soit anathème ! Comme nous l’avons déjà dit, je le dis encore maintenant, si quelqu’un vous évangélise outre ce que vous avez reçu, qu’il soit anathème » (Galates 1.8-9). Oui, Madame, si saint Paul ressuscité venait prêcher devant vous, vous ne devriez pas dire : C’est un apôtre de Jésus-Christ, il ne peut pas m’égarer ; et si un ange descendait en terre pour vous instruire, vous ne devriez pas dire : C’est un ange du ciel ; il ne peut pas me séduire. Non, car Satan même peut se déguiser en ange de lumière, et ses ministres en apôtres, dit le Saint-Esprit. (2 Corinthiens 11.13-14). Mais vous devriez regarder si les choses que cet apôtre, que cet ange vous dit, sont conformes à l’Évangile que vous avez reçu. Et par où en jugerez-vous, si vous ne le lisez point ? Ainsi, loin de nous obliger à chercher dans un tribunal humain une lumière infaillible pour prononcer sur le sens de sa Parole, Dieu veut que nous cherchions au contraire dans cette Parole une lumière infaillible pour juger l’enseignement d’un apôtre, d’un ange ; combien plus celui d’un prêtre, d’un évêque, d’un pape ou d’un concile !
21 – C’est-à-dire autrement que nous ne vous avons évangélisés.
Vous avez la même doctrine, en d’autres termes, dans saint Jean : « Mes bien-aimés, ne croyez point à tout esprit ; mais éprouvez les esprits pour savoir s’ils sont de Dieu ; car plusieurs faux prophètes sont venus au monde. Connaissez à cette marque l’Esprit de Dieu : « Tout esprit qui confesse Jésus-Christ venu en chair est de Dieu » (1 Jean 4.1-2). Il faut qu’avec tous les fidèles vous éprouviez les esprits des docteurs avant de les croire, et que vous les éprouviez par leur doctrine. Mais comment le pourriez-vous autrement qu’en la comparant à la Parole de Dieu par vous-même ? Si vous vous déchargiez de cet examen sur d’autres, vous retomberiez dans le péril auquel il doit vous soustraire ; ceux que vous consultez peuvent vous séduire aussi bien que ceux au sujet desquels vous les consultez. Il y a danger avec tout homme ; quand nous nous serons servis d’un homme pour éprouver tous les autres, il restera à l’éprouver lui-même, et vous ne le pourrez faire que par la Parole de Dieu.
Dira-t-on que vous vous trouvez réduite ainsi, en dernière analyse, à votre esprit particulier ? Ce serait un pur sophisme. Vous ne consultez pas votre esprit, à la manière des rationalistes, comme un flambeau qui doit vous éclairer ; mais vous consultez la Parole de Dieu avec votre esprit, comme avec un œil sans lequel vous ne sauriez rien voir. Il faut bien toujours en venir là ; et M. l’Abbé, qui veut que vous consultiez l’Église, ne demande apparemment pas que vous la consultiez sans votre esprit. Tout ce que nous pouvons faire, c’est de prier Dieu de nous préserver d’erreur ; et si nous le lui demandons sincèrement, il a promis de nous exaucer22.
22 – L’Éternel est bon et droit, c’est pourquoi il enseignera aux pécheurs le chemin qu’ils doivent tenir. Je te rendrai avisé, ce je t’enseignerai le chemin dans lequel tu dois marcher, mon œil sera sur toi » (Psaumes 25.1 ; 32.8, etc.).
Après des témoignages si clairs, il serait superflu de multiplier les citations. Je me borne à vous indiquer encore trois ou quatre passages presque sans développement : « Toutes les choses qui ont été écrites auparavant ont été écrites pour notre instruction, afin que par la patience et par la consolation des Écritures nous ayons espérance » (Romains 15.4).
« Nous avons aussi la parole des prophètes à laquelle vous faites bien d’être attentifs, et qui était comme une lampe qui éclairait dans un lieu obscur, jusqu’à ce que le jour ait commencé à luire et que l’étoile du matin se soit levée dans vos cœurs » (2 Pierre 1.19). Saint Pierre loue les chrétiens qui méditent les écrits des prophètes, malgré ce qu’ils y trouvent encore d’obscurité ; ne les louera-t-il pas aussi quand ils liront les parties plus claires des Ecritures, et surtout le Nouveau Testament ?
Dès le troisième verset de son Apocalypse, saint Jean déclare bienheureux celui qui la lit : « Bienheureux est celui qui lit, et ceux qui écoutent les ; paroles de cette prophétie, et qui gardent les choses qui y sont écrites ; car le temps est proche. » Chacun conviendra pourtant que ce livre est le plus difficile de toute la Bible. L’avez-vous bien entendu, Madame ? « Bienheureux celui qui lit ! » Ah ! quand l’abbé Favien vous dit : « Ne lisez point, » et que l’Esprit de Dieu vous dit : « . Bienheureux celui qui lit, » pourriez-vous balancer ?
Je termine par un endroit de saint Paul qui explique pourquoi celui qui lit est bienheureux. « Mais toi, demeure ferme dans les choses que tu as apprises et qui t’ont été confiées, sachant de qui tu les as apprises ; vu même que dès ton enfance tu as la connaissance des saintes lettres, qui te peuvent rendre sage à salut par la foi en Jésus-Christ. Toute l’Ecriture est divinement inspirée, et utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger et pour instruire selon la justice, afin que l’homme de Dieu soit accompli et parfaitement instruit pour toute bonne œuvre » (2 Timothée 3.14-17). Ces paroles, Madame, n’ont pas besoin de commentaire ; qu’elles achèvent de vous déterminer. Votre désir n’est-il pas « d’être accomplie et instruite pour toute bonne œuvre ? » Eh bien ! le Saint-Esprit vous en indique le moyen, et vous l’indique même pour vos jeunes enfants ; c’est la « connaissance des saintes lettres. » Ce sont elles qui peuvent « vous rendre sage à salut par la foi en Jésus-Christ. » Prenez-les donc, et lisez.