Histoire de l’Église vaudoise Histoire de l’Église vaudoise

CHAPITRE XV.

Les Vaudois refoulés dans les Alpes fondent des colonies.

Effet des persécutions précédentes. — Dans leur fuite, les Vaudois se dirigent vers les Vallées. — Les Églises vaudoises encombrées. — Colonies dans la Pouille et la Calabre. — Preuves et documents. — Situation des colonies. — Prospérité. — Agrandissement. — A quelle occasion. — Leurs relations avec les Vallées. — Vaudois répandus en Italie visités. — Nouvelles colonies en Provence. — Les Vaudois encore nombreux, — menacés dans les Vallées.

Les Vaudois, persécutés dans le midi de la France avec une violence sans égale et incessante, soupiraient après quelque repos. Plusieurs d’entre eux avaient trouvé un refuge temporaire dans les états du roi d’Aragon ; d’autres avait passé dans différentes contrées de la France, en Picardie, en Bourgogne, en Lorraine, en Alsace, en divers lieux de l’Allemagne, en Bohème surtout et jusqu’en Pologne ; d’autres s’étaient enfuis en Lombardie et dans les villes italiennes, soumises plus particulièrement à l’influence gibeline, où par conséquent le pouvoir papal avait moins de force, et où les dissentions intestines comme aussi les luttes extérieures ne laissaient pas au clergé le loisir d’être persécuteur. (V. Perrin, Histoire des Vaudois, p. 233 à 246. — Histoire de l’Inquisition en France, par de La Mothe-Langon,… t. II, 587…)

Un grand nombre se replia dans cette partie des Alpes, qui est frontière de France et d’Italie, dans ces mêmes Vallées Vaudoises, où s’était conservée la pure doctrine de l’Evangile, depuis avant l’époque de Constantin, et d’où elle s’était répandue à pleins flots, par ses missionnaires, durant les siècles précédents. Ils remplirent de leurs familles éplorées les vallées de Luserne, d’Angrogne et de Saint-Martin, celle de Pragela ou du Cluson, la haute vallée du Pô, celles de Suse, de Fraissinière et de l’Argentière, le val Loyse (ou Louise) ou val Pute, où leurs coreligionnaires étaient déjà établis depuis des siècles, et où nous les retrouverons bientôt.

L’affluence des réfugiés y devint si considérable que le territoire ne pouvait plus les nourrir. Il fallut songer à de nouvelles migrations, préparer des débouchés à cette surabondance de population. Diverses causes, que la distance où nous sommes de cette époque et le manque de documents ne nous permettent plus d’apprécier, dirigèrent de nombreux Vaudois vers l’extrémité de l’Italie, dans la Pouille et dans la Calabre, dans le royaume de Naples. (V. Hist. de l’Inquisition en France, t. II, p. 613… — Gilles, Hist. Ecclésiastique, etc., p. 18.)

Cet établissement de Vaudois dans la Pouille est mentionné dans le rapport assez récent (1489) du légat de Capitaneis à l’archevêque d’Embrun, dans lequel il en indique encore d’autres en Ligurie et en Italie, en ajoutant ce fait particulier que, lorsque les Vaudois (que faussement il fait sortir de Lyon) se décidèrent à former ces établissements, ils étaient au nombre de plus de cinquante mille, dans les Alpes, aux confins du Dauphiné, dans les diocèses d’Embrun et de Turin. (Tiré de Léger, Hist. Générale, IIe partie, p. 22.)

Une ordonnance de l’empereur Frédéric II, datée de Padoue, l’an 1244, appuie, notre récit : « Nous devons les poursuivre, y est-il dit des Vaudois, avec d’autant plus de vigueur, qu’ils mettent eux-mêmes plus d’audace à combattre, par leurs superstitions, le christianisme et l’Eglise romaine, aux confins de l’Italie et de la Lombardie, où nous savons de science certaine, que leur malice a exercé les plus grands ravages : ils se sont déjà répandus jusque dans notre royaume de Sicile. » (Hist. de l’Inquisition en France,… t. II, p. 538.)

La contrée de la Calabre, au royaume de Naples, où les Vaudois fondèrent une première colonie, est adossée aux montagnes, contrée délicieuse, formée de riants vallons et de plaines fertiles. Les orangers et les oliviers y étalaient leurs fruits non loin des châtaigniers et des mélèses. Les personnes envoyées pour explorer les lieux étaient revenues aussi satisfaites de la richesse du sol que des conditions d’établissement que les seigneurs du pays leur avaient faites. Un traité avantageux aux colons ayant été bientôt conclu, un nombre considérable de Vaudois se disposèrent au départ ; les jeunes gens se marièrent avant d’émigrer.

A leur arrivée, ils fondèrent, dans le voisinage de Montalto, un bourg qui prit le nom de Borgo d’Oltramontani, ou Oltromontani ; en français, Bourg des Ultramontains, parce que les nouveaux venus étaient originaires d’au-delà des monts Apennins. L’émigration, continuant à s’effectuer de temps à autre vers les mêmes lieux, les Vaudois bâtirent, à peu de distance du premier, un autre bourg qui fut appelé Saint-Sixte, où fut dans la suite une de leurs plus célèbres Eglises. Ils fondèrent de même Argentine, La Rocca, Vacarisso et Saint-Vincent. Enfin, le marquis Spinello leur permit de bâtir Guardia, ville close, qui a conservé l’épithète de Guardia-Lombarda, située sur une éminence près de la mer, et accorda des privilèges importants à ceux qui s’y fixèrent, tellement qu’elle devint avec le temps riche et considérable. Les Vaudois, ou Ultramontains, comme les appelaient les indigènes, s’accrurent extrêmement et prospérèrent de longues années dans leur heureuse colonie.

Plus d’un siècle après, vers l’an 1400, à la suite des rigueurs de l’inquisition sévissant en Provence et en Dauphiné, sous le regard des papes à Avignon, les Vaudois de ces contrées s’étant enfuis dans les Vallées y déterminèrent une nouvelle émigration dans le royaume de Naples, où ils fondèrent, dans la Pouille, les cinq petites villes de Monlione, Montanato, Faito, La Cella et La Motta. Enfin, vers l’an 1500, les Vaudois de Fraissinière et d’autres vallées, fuyant la persécution, allèrent s’établir dans le voisinage de leurs coreligionnaires, dans la vallée de Volturata. L’on comprend que, de ces centres divers, les Vaudois purent se répandre de tous côtés dans le royaume de Naples et jusqu’en Sicile. Nous raconterons en son temps leur fin lamentable. (Gilles, Hist. Ecclésiastique,… p. 18 et suiv.)

Ces colonies soutenaient des relations directes et suivies avec les Vallées Vaudoises qui les pourvoyaient de pasteurs, selon le choix qu’en faisaient leurs synodes. D’après la coutume, c’était deux à deux que les barbes ou pasteurs entreprenaient leur lointain voyage : l’un plus âgé, connaissant déjà les lieux, les personnes, et ayant l’expérience des affaires, l’autre plus jeune pour se former. En allant et en revenant, ils visitaient les fidèles épars dans les villes et les campagnes de l’Italie, les exhortant et les consolant, ce qui n’était pas entièrement inconnu à leurs adversaires (1). Les barbes des Vallées possédaient une maison dans chacune des villes de Florence, de Gênes et de Venise (2), et probablement encore ailleurs. Mais ce n’était que par intervalle et lors du passage des pasteurs en mission, que les fidèles de ces villes et autres lieux jouissaient de la plénitude du ministère évangélique, tandis que, selon toute apparence, les colonies de la Pouille et de la Calabre conservaient à demeure, et jusqu’à leur remplacement, les pasteurs qu’un synode précédent leur avait envoyés.

(1) – Gilles raconte qu’un barbe de son nom, étant entré dans une église de Florence, entendit un moine, qui y prêchait, s’écrier : O Florence ! que veut dire Florence ? fleur d’Italie ; et tu l’as été jusqu’à ce que ces Ultramontains t’ont persuadé que l’homme est justifié par la foi, et non par les œuvres ; et ils en ont menti. (Gilles,… p 20.)

(2) – Dans le catalogue des barbes que donne Perrin, vers l’an 1602, l’on trouve au nombre de ceux dont on a conservé la mémoire depuis plus de 300 ans, Jehan, de la vallée de Luserne, lequel, pour quelque faute, fut suspendu de son office, pour sept ans, pendant lequel temps il se tint à Gênes, où les barbes avaient une maison, comme ils en avaient aussi une belle à Florence. (Perrin, p. 66.)

A une époque peu précise, vers la fin du XIIIe siècle, peut-être au commencement ou dans le courant du XIVe les Vaudois des Vallées, pour remédier aussi au malaise résultant de leur agglomération sur une minime surface, tournèrent encore leurs regards vers la Provence, que plusieurs de leurs pères avaient dû quitter, lors des croisades contre les albigeois. Des terres fertiles, mais incultes, dans des vallons inhabités, débouchant sur la Durance, à l’orient de Cavaillon, ayant été concédées à leurs députés par des seigneurs, à des conditions avantageuses, ils y envoyèrent le surplus de leur population. Leur activité, leur bonne foi et leur conduite exemplaire furent récompensées par une prospérité sans égale (3). Cabrières, Mérindol, Lormarin, Cadenet, Gordes, bourgs considérables furent successivement fondés et agrandis par eux. Leur prospérité fut telle que, lorsque François Ier les fit persécuter et massacrer par le trop fameux d’Oppède, l’an 1545, on ne ruina pas moins de vingt-deux bourgs, villages et hameaux.

(3) – L’époque de la fondation de ces colonies est incertaine. D’après Camerarius, qui leur donne une existence de 200 ans, elles remonteraient à l’an 1345. D’après de Thou, qui leur assigne une durée de 300 ans, elles remonteraient à l’an 1245, environ. (Camerarius, de Excidio, etc. ; et de Thou, t. I, p. 293.)

On a pu voir, par ce récit, que l’Eglise vaudoise, malgré les horribles persécutions par lesquelles elle avait déjà passé, surtout dans le midi de la France, était encore assez forte, assez nombreuse et répandue dans un assez grand nombre de lieux pour qu’on pût espérer que la saine doctrine et la pureté relative du culte, transmises par elle, dès les temps de Constantin-le-Grand, se conserveraient et lutteraient encore longtemps contre les efforts de la grande Babylone. Mais le moment était venu où Rome allait attaquer les Vaudois des Alpes dans leurs retraites, et menacer ainsi de frapper au cœur l’Eglise militante déjà bien affaiblie.


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