Méditations sur la Genèse

XV
Abraham Étranger dans le Pays de Canaan

Genèse 12.4-9

I

Lorsqu’Ahraham émigra de Chaldée, son père Térach partit avec lui. Ils n’arrivèrent alors que jusqu’à Hamn, en Mésopotamie, à mi-chemin entre la Chaldée et Canaan [note 17]. C’est là que mourut Térach. Abraham, accompagné des siens, de son neveu Lot, de ses serviteurs et de ses troupeaux, poursuivit son voyage vers le pays qu’il ne connaissait point encore et dont Dieu lui-même lui indiquait la route. Ils arrivèrent donc par le nord dans le pays de Canaan, et pénétrèrent jusqu’au centre de la contrée, près de Sichem. Elle était habitée par des populations belliqueuses ; les villes étaient fortifiées, et chacune avait son propre roi. Ces Cananéens étaient païens, et bien qu’il y eût parmi eux des exceptions, des exemples de crainte de Dieu et de foi, comme l’histoire d’Abraham nous l’apprend, ils étaient en général tombés très bas ; leur grossière idolâtrie et leur immoralité devaient les exposer avant d’autres aux coups du jugement. Etranger dans un pays inconnu, entouré de peuplades ennemies et idolâtres, Abraham n’avait, semble-t-il, rien gagné à changer de séjour. Le Seigneur lui apparaît pour la seconde fois et le console par une promesse inattendue. Lors de sa vocation, Dieu lui avait simplement promis de lui montrer le pays où il devrait habiter. Maintenant, il fait plus : il sanctifie lui-même, par son apparition et par sa révélation, cette terre profanée par le paganisme, et il dit à son serviteur : « Je donnerai ce pays à toi et à ta postérité ». Ce pays sera la propriété du peuple saint, eu qui doivent être bénies toutes les familles de la terre ; ce sera un lieu de bénédiction, d’où la lumière et la vérité se répandront chez tous les païens, où le culte du vrai Dieu s’établira d’abord, et où il se révélera de siècle en siècle, en un mot, le centre du royaume de Dieu ; et de la race d’Abraham, qui y aura sa patrie terrestre, l’Esprit de Dieu se communiquera à l’humanité tout entière.

Abraham et les siens ne resteront donc pas à jamais sans patrie sur la terre : déjà, il est lui-même dans le pays dont, avec les siens, il doit être à toujours le seigneur et le roi. Abraham croit à cette nouvelle promesse ; mais sa foi est de nouveau mise à l’épreuve. Dieu avait dit : « Je te donnerai ce pays ; » mais il ne le lui donnait pas. « Il ne lui donna aucune propriété en ce pays, pas même de quoi poser les pieds, » comme dit Etienne (Actes 7.5). Au lieu d’en prendre possession — de commencer du moins par en occuper une partie — il faut qu’il erre çà et là dans la terre promise, avec ses gens et ses troupeaux, au milieu des peuples païens. Ce voyage, cette école de patience, celle vie d’attente et de foi dans la promesse, sans que rien en présageât encore l’accomplissement, ne dura pas pour lui moins de cent ans ; elle dura jusqu’à sa mort. Abraham ne fit rien pour conquérir le pays, bien qu’il, ne manquât ni de courage, ni de gens capables de combattre. Il ne voulut point agir de son propre chef ; il attendit que Dieu lui donnât le signal et prit lui-même l’initiative de l’accomplissement de la promesse. C’est par la foi qu’il séjourna dans le pays promis comme dans une terre étrangère, habitant non dans une ville fermée, mais sous des tentes qu’il dressait et transportait tour à tour d’un lieu dans un autre (Hébreux 11.9).

Il n’étendit point la main pour se faire lui-même prince de Canaan. Mais il n’attendit pas dans l’inaction, sans rien entreprendre pour la cause du Seigneur : il bâtit dans le pays, à Sichem d’abord, puis à Béthel, des autels au Dieu qui lui était apparu ; il invoqua et proclama le nom de l’Eternel. Il établit de lieu en lieu des sanctuaires du vrai culte, et dressa, au milieu des idolâtres, l’étendard du Dieu vivant qui a fait les cieux et la terre. Il fut un témoin de la vérité et proclama les commandements et les droits, les menaces et les promesses du très Haut, qu’il connaissait, soit par ses pieux ancêtres, soit par une révélation directe. Il le fit sans craindre les hommes, certain d’en avoir reçu la mission et d’être approuvé de Dieu. Ce n’est pas sans surprise que les rois et les peuples de Canaan observaient la conduite de l’étranger ; peut-être quelques-uns crurent-ils à son témoignage et apprirent-ils de lui à laisser les idoles et à servir le Dieu vivant.

II

Dans cette nouvelle phase de sa vie, Abraham a donc laissé des traces de sa foi, que les croyants sont appelés à suivre. Jésus aussi a été sur la terre étranger et voyageur ; il est allé de lieu en lieu, faisant du bien, rendant témoignage à la vérité ; il a marché lui-même sur les traces de la foi d’Abraham. Il en doit être de même de l’Eglise. Comme Abraham, elle a reçu une promesse : « Heureux les débonnaires, car ils hériteront la terre » (Matthieu 5.5). « Si nous mourons avec lui, nous vivrons aussi avec lui ; si nous souffrons avec lui, nous régnerons aussi avec lui » (2 Timothée 2.12 ; comp. Apocalypse 20.6 ; 5.10). Quand les royaumes de ce monde seront soumis à Dieu et à son Christ, l’Eglise glorifiée et élevée à la droite du Rédempteur aura part, elle aussi, à son règne universel ; elle possédera ce monde où elle vit maintenant en étrangère. Mais ce temps n’est pas encore venu. Présentement, elle ne doit pas encore prendre possession de la terre ; elle ne doit pas aspirer à la puissance et vouloir s’emparer des biens de ce monde. Elle doit suivre l’exemple d’Abraham et attendre humblement que le Seigneur l’élève quand il en sera temps. Il faut qu’elle soit étrangère, sans patrie et sans foyer, sur cette terre même qu’elle doit un jour posséder comme reine. Sans doute, le chrétien peut individuellement avoir des biens terrestres, pourvu qu’il n’y donne point son cœur et qu’il les administre sagement et fidèlement, comme un capital confié par son Maître. Mais l’Eglise de Christ, la société qu’il a fondée et qui doit être le corps de ce Chef céleste, est destinée à autre chose. Ses conducteurs ont, comme serviteurs de Christ, une mission céleste. Les clergés ne doivent point, comme tels, posséder de biens terrestres. L’Eglise doit, comme Abraham, habiter sous des tentes ; il ne faut pas qu’elle s’enracine ici-bas et cherche sa patrie dans ce siècle mauvais ; elle ne doit pas mettre au service du règne de Dieu les moyens d’action de ce monde, la ruse et la violence ; et si on lui offre une couronne terrestre, elle ne doit pas l’accepter ; il faut qu’elle demeure dans la bassesse et sache attendre la couronne céleste que son Seigneur lui a réservée dans le siècle à venir. C’est ainsi qu’elle doit persévérer, se préparer pour la patrie d’en-haut, et, comme Abraham et les patriarches croyants, attendre la cité qui a des fondements inébranlables et dont Dieu est l’architecte et le fondateur (Hébreux 11.10).

Mais cette attente ne sera pas de l’inaction ; comme Abraham, elle bâtira dans le lieu de son pèlerinage l’autel du Seigneur ; elle invoquera et proclamera son nom. Elle dressera sur la terre, non un trône, mais un autel. Les rois et les peuples de ce monde entendront le témoignage qu’elle rend à Dieu et à sa vérité ; ils verront comment elle pratique l’adoration véritable, et ils apprendront d’elle à invoquer Dieu en esprit et en vérité. Elle remplira cette tâche sans crainte ni complaisance à l’égard des hommes. La terre est encore maudite, le monde est plongé dans le mal ; mais sur cette terre et au sein de ce monde, on entendra proclamer Celui qui vient pour juger avec justice, pour donner la victoire au royaume des cieux et pour délivrer la créature de la malédiction. C’est ainsi que l’Eglise déploiera son étendard au nom de son Dieu.

La chrétienté de notre temps est mondanisée et corrompue. Les ténèbres de l’incrédulité et de la démoralisation s’épaississent de plus en plus, comme au temps d’Abraham dans les peuples qui avaient abandonné la révélation primitive et la religion patriarcale. Mais ce que le Seigneur fit alors en appelant Abraham, il le fait encore aujourd’hui : il a entrepris une œuvre de salut parmi les peuples chrétiens. La parole : « Tu seras en bénédiction, » s’adresse à tous ceux qu’il a choisis pour ses ministres et à tous les croyants qu’il a mis en rapport avec eux. Aussi, quiconque a entendu son appel, a le devoir de marcher fidèlement sur les traces de la foi d’Abraham. Les serviteurs de Christ dans les siècles passés ont commis une faute grave en se montrant avides de richesses, de gloire et de puissance mondaines ; et voilà pourquoi aujourd’hui toutes les Eglises sont tellement mêlées au monde et enlacées dans les affaires de cette terre. Il est d’autant plus nécessaire que les serviteurs de Dieu dans le temps actuel soient libres de tous ces liens, ne songeant à s’assurer ni des trésors, ni la faveur des princes, ni les applaudissements de la multitude, mais mettant tout leur espoir dans l’avènement du Seigneur, ne recherchant que son approbation et trouvant leur consolation dans la pensée de la récompense qu’il leur apportera. Les serviteurs de Christ qui ont reçu la mission de rassembler en divers lieux de la chrétienté des communautés fidèles, ne doivent pas réclamer pour elles l’appui des princes de ce monde ; ils doivent se contenter de les voir tolérées. Ils agiront ainsi comme Abraham, lorsqu’il bâtissait ici ou là un autel. Chacune de ces Eglises sera un sanctuaire où le nom du Seigneur sera invoqué d’un cœur pur, où ses merveilles seront proclamées et où tous ceux qui le voudront, pourront apprendre à connaître ses commandements, ses droits, ses desseins, et recevoir une impression vivante et durable de sa sévérité aussi bien que de son amour. Quels ne devrions-nous donc pas être, nous qui possédons un pareil sanctuaire et qui entourons l’autel du Seigneur, — irréprochables dans notre conduite, riches de foi, d’espérance et d’amour, pleins de sagesse et du Saint-Esprit, témoins vivants de la vérité ! Une chose entre toutes devrait nous distinguer : ce sens céleste qui était en Abraham, rattachement aux biens d’en-haut, le détachement du monde et de ses plaisirs, le regard de nos cœurs joyeusement tourné vers la vraie patrie que le Seigneur nous ouvrira quand il viendra !

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