Tatien était né de parents païens, probablement vers l’an 120, en Assyrie, c’est-à-dire dans le pays situé au delà du Tigre. Il reçut cependant une éducation grecque, étudia l’histoire, la rhétorique et la philosophie, et devint sophiste, allant de ville en ville débiter ses discours et ses leçons de morale. Cependant aucune des diverses religions qu’il étudia et aucun des mystères auxquels il se fit initier ne le satisfit ; mais, ayant lu les Écritures, son âme y trouva la lumière qu’elle cherchait : il se convertit au christianisme (Orat., 29).
C’est à Rome probablement qu’eut lieu cette conversion. Il y devint presque aussitôt auditeur et disciple de saint Justin, et se vit, comme lui, poursuivi par Crescens (Or., 19), vers l’an 155-160. D’autre part, Eusèbe dit qu’il ouvrit lui-même une école à Rome et y eut pour disciple Rhodon (H. E., 5.13.1, 8). On ne sait si ce fut avant ou après la mort de saint Justin.
Quoi qu’il en soit, Tatien ne resta pas fidèle aux enseignements de son maître : la douzième année de Marc Aurèle (172-173), il se sépara de l’Église. Eusèbe et saint Épiphane disent qu’il fonda la secte des encratites. D’après saint Irénée, plus précis, il aurait nié le salut d’Adam, condamné le mariage comme une fornication et admis des séries d’éons.
A ce moment, Tatien avait probablement quitté Rome. Il se retira en Mésopotamie, dans son pays d’origine et y finit ses jours. On ignore quand il mourut.
On a souvent rapproché, pour le caractère et la tournure d’esprit, Tatien de Tertullien. Ce rapprochement est justifié. Tatien — qui n’a pas le génie de Tertullien — est, comme lui, un esprit excessif, violent, aisément paradoxal. Au lieu d’attirer ses adversaires pour les gagner, il les repousse par ses invectives et ses sarcasmes. Il ne trouve rien de bon chez eux : l’art des Grecs est immoral, leur littérature est puérile, leur philosophie mensongère, leur langue même n’est ni pure ni uniforme. C’est d’un bout à l’autre l’apologie du poing fermé. Une hauteur pleine d’amertume s’y montre partout.
Au point de vue littéraire, l’apologie de Tatien — le seul de ses ouvrages conservé en entier — est extrêmement obscure et difficile à interpréter. Cette obscurité vient sans doute en partie du mauvais état du texte, mais aussi du style de l’auteur et de sa façon de composer. Tatien a été sophiste, et il a conservé du sophiste le style maniéré, qui poursuit les tournures inédites et les phrases à effet. Cela ne l’empêche pas d’être souvent négligé et trivial. Bien qu’il perde moins de vue que saint Justin le sujet précis qu’il traite, il se laisse cependant, lui aussi, entraîner à des digressions qui rompent la trame de son discours. Ce qu’on ne peut lui refuser, c’est l’éclat, le mouvement, la verve du polémiste de race qui frappe fort sur l’adversaire. « Tatien, conclut M. Puech, … pèche tantôt par négligence, tantôt par affectation… mais ce serait le prendre trop facilement au mot que de voir en lui un Barbare… c’est un écrivain prétentieux, mais habile. »
On sait, par Tatien lui-même, qu’il avait composé un ouvrage Sur les animaux ou Sur les êtres vivants (Περὶ ζῴων, Or., 15) ; peut-être un autre ouvrage qui traitait de la nature des démons (Or., 16) ; qu’il avait l’intention d’écrire Contre ceux qui ont traité des choses de Dieu, c’est-à-dire contre les théologiens païens Or., 40). Rhodon, son disciple, mentionne de lui un Livre de Problèmes (Eusèbe, H. E., 5.13.8). probablement quelque recueil des passages obscurs de l’Écriture. Clément d’Alexandrie (Strom. 3.12), à son tour, parle d’un livre de Tatien Sur la perfection d’après le Sauveur, où était soutenue la prohibition du mariage. De tous ces ouvrages il ne reste à peu près rien. Les deux seuls écrits de Tatien que l’on puisse lire sont le Discours aux Grecs (Λόγος πρὸς Ἕλληνας), entièrement conservé, et le Diatessaron qu’on a pu reconstituer en partie.
Le Discours n’a pas été composé à Rome, mais plutôt à Antioche, car l’auteur y parle à des Grecs d’origine et non pas seulement de langage Or., 35). D’autre part, il a dû être écrit après la mort de saint Justin (cf. Or., 18), mais avant l’éclat hérétique de l’auteur vers 172-173. C’est donc entre les années 165-173 qu’il en faut mettre la date. M. Puech adopte approximativement 171. L’opinion de Kukula, qui voit dans le Discours la simple reproduction d’une leçon d’ouverture de cours, n’est pas fondée ; mais nous avons bien affaire à un écrit destiné à une large diffusion.
On y peut distinguer trois parties : 1o Une sorte d’introduction (1-4), où Tatien conjure les Grecs de ne pas sévir contre les Barbares (les chrétiens) qui, en somme, leur sont supérieurs ; 2o du chapitre 5 au chapitre 30, un exposé des principaux enseignements chrétiens sur le Logos, la résurrection, les anges et les démons, l’âme, l’esprit, le monde, etc., comparés aux enseignements religieux et philosophiques des Grecs, surtout à leur mythologie : la supériorité des premiers est évidente ; 3o enfin une discussion chronologique. Non seulement la doctrine chrétienne vaut mieux que la païenne, mais elle est plus ancienne (31-41). Moïse est antérieur de 400 ans à la guerre de Troie chantée par Homère, antérieur même aux sages qui ont précédé Homère. Les chapitres 33 et 34 contiennent ce que l’on a appelé le catalogue des statues, c’est-à-dire l’énumération des statues grecques que Tatien avait vues à Rome, morceau intéressant pour l’histoire de l’art. L’ouvrage se termine sur une brève conclusion où l’apologiste réaffirme sa foi et sa volonté d’y persévérer (42).
L’autre ouvrage, en partie conservé, de Tatien est le Diatessaron. Le Diatessaron (τὸ διὰ τεσσάρων εὐαγγέλιον) était un évangile unique obtenu par l’addition bout à bout de textes pris dans les quatre évangiles, et disposés de façon à donner un exposé chronologique suivi de la vie et des enseignements de Jésus-Christ. L’ouvrage, rédigé originairement en syriaque, et, par conséquent, après le retour de Tatien en Orient (vers 172), a joui jusqu’au ve siècle de la plus grande vogue dans les églises de langue syriaque, qui l’avaient adopté pour le service liturgique. Il a été cité par Aphraate et commenté par saint Éphrem.
On n’en possède pas le texte complet ; mais on a pu, dans une certaine mesure, le reconstituer au moyen d’une traduction arménienne du commentaire de saint Éphrem que l’on vient de signaler, au moyen aussi d’une harmonie évangélique arabe et d’une harmonie évangélique latine qui en ont reproduit l’ordre et la trame.