Il y a, dans les paroles qui introduisent ce récit, une apparente contradiction. Il y est dit que Jésus « se rendit en Galilée, car il avait déclaré lui-même qu’un prophète n’est pas honoré dans sa propre patrie, » et cependant la Galilée était sa patrie ; immédiatement après, nous lisons que les Galiléens le reçurent bien, l’accueillirent très favorablement. Il est facile d’expliquer ce fait ; il ne faudrait pas dire pourtant, comme Tittmann et d’autres, que le Seigneur alla en Galilée quoiqu’il eût déclaré qu’un prophète n’est pas honoré dans sa patrie, car on ne doit pas changer le sens des paroles. Origène dit que les mots « sa propre patrie » désignent la Judée : c’est pourquoi Jésus l’aurait quittée pour la Galilée ; mais il faut plutôt entendre le mot « patrie » comme désignant Nazareth, le lieu où Jésus fut élevé ; on comprend alors qu’il n’y soit pas retourné ; il allait plus volontiers à Cana et dans les autres villes de la Galilée ; les Galiléens le « reçurent bien, » tandis que les habitants de Nazareth l’eussent repoussé. On pourrait dire aussi que saint Jean, racontant le retour de Christ en Galilée (v. 43), explique pourquoi il l’aurait tout d’abord délaissée (v. 44) et pourquoi il y retourne maintenant (v. 45). Il avait quitté la Galilée, par ce que, comme il l’avait déclaré lui-même, un prophète n’est pas honoré dans sa propre patrie, mais il y revint, parce que ses compatriotes, les Galiléens, ayant vu ses œuvres à Jérusalem, étaient disposés à l’accueillir avec plus de bienveillance ; c’est là l’explication de Néander et de Jacobi.
A propos de ce miracle, la première question qui se présente est celle-ci : cette guérison est-elle la même que celle du serviteur du centenier, racontée par Matthieu 8.5, en sorte que nous n’aurions ici que quelques différences dans les détails ? Irénée paraît vouloir identifier les deux récits ; Chrysostome et d’autres admettent deux récits différents, et avec raison ; les circonstances extérieures sont très différentes ; le centenier était un païen, tandis que le seigneur, dans notre récit, est probablement juifa ; celui-là intercède pour son serviteur, celui-ci pour son fils ; le serviteur est paralysé, le fils a la fièvre. Mais il y a des différences plus essentielles. Le centenier est un exemple de grande foi, le seigneur a une foi faible ; le centenier pense que, si Jésus dit seulement une parole, son serviteur sera guéri ; le seigneur veut que Jésus descende auprès de son fils, limitant ainsi sa puissance ; sa présence, croit-il, est nécessaire pour que le malade soit guéri ; le premier reçoit des éloges, celui-ci un reproche de la part de Jésus. Saint Augustin établit un parallèle entre la foi du centenier et l’incrédulité du seigneur. Lightfoot et d’autres ont supposé que ce seigneur devait être Chuza, l’intendant d’Hérode, dont la femme avait contribué à l’assistance du Sauveur (Luc 8.3). Ce n’est pas impossible ; il semble qu’il fallait bien un miracle pour attirer à l’Évangile un intendant d’Hérode avec sa famille ; quoi qu’il en soit, ce seigneur, laissant son fils très malade à Capernaüm, vint auprès de Jésus, qui était revenu à Cana, « et le pria de descendre et de guérir son fils, qui était près de mourir. » A en juger par la sévérité de la réponse du Seigneur : « Si vous ne voyez des miracles et des prodiges, vous ne croyez point, » il est évident que ce seigneur se voyait forcé par les circonstances de recourir à Jésus, comme à Celui qui seul pouvait lui venir en aide, plutôt qu’il n’y fut amené par des besoins plus profondsb. Il ne serait pas venu sans la maladie de son fils ; il participait, sans doute, aux idées charnelles de la plupart de ses compatriotes, qui avaient besoin des miracles pour croire, bien différents en cela de ces Samaritains qui avaient cru en Jésus à cause de sa seule parole (Jean 4.41). Augustin croit que le père, d’après la réponse de Christ, n’était pas convaincu que la guérison de son fils fût possible ; il aurait fait une tentative en laquelle il n’avait pas grande confiance ; mais cette opinion d’Augustin ne nous paraît pas juste. « Les Juifs demandent des miracles ; » celui-ci, avec sa petite foi, limite la puissance du Seigneur, pensant qu’il était nécessaire qu’il « descendît » pour guérir son fils ; il ne concevait pas qu’une guérison fût possible autrement. Jésus, par sa réponse, n’a pas voulu déprécier la valeur du miracle, comme moyen d’amener à la vérité ; seulement, tel n’est pas le but du miracle ; comme moyen d’amener à la vérité ; seulement, tel n’est pas le but du miracle ; il doit confirmer la mission de l’ambassadeur divin aux yeux de ceux qui possèdent déjà la vérité.
a – βασιλικός ne désigne pas une fonction militaire. On ne connaît pas exactement le sens de ce terme. C’est plutôt : gentilhomme, seigneur.
b – La parole sévère de Jésus ici, ainsi que celle de Matthieu 12.38-40, ont été mises à profit par ceux qui prétendent que Jésus n’accordait aucune valeur spéciale à ses miracles comme preuve de sa divinité. Mais les paroles du Seigneur ont une toute autre portée ; il ne fait de miracles que pour certaines personnes bien préparées et auxquelles ils peuvent être utiles.
Comme Bengel le fait observer, il y a, dans cette réponse du Sauveur, un admirable mélange de reproche et d’encouragement, une promesse implicite de miracle ; le seigneur l’envisage ainsi ; en effet, il ne se laisse pas décourager par cette parole sévère en apparence et en réalité, mais il continue à supplier Jésus d’une manière plus pressante : « Descends avant que mon enfant meure. » (Capernaüm était situé plus bas que Cana.) Toutefois, il pense que la présence du Seigneur est nécessaire ; il est bien éloigné de la foi et de l’humilité de ce centenier qui disait : « Je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit, mais dis seulement une parole, et mon serviteur sera guéri. » L’homme pense que le secours doit être obtenu avant que son enfant meure ; Jésus éprouve sa foi et la fortifie en même temps ; il le renvoie avec la simple assurance que son enfant sera guéri : « Va, ton fils vit. » Le père se contenta de cette assurance ; il « crut à la parole que Jésus lui avait dite, et il s’en alla, » s’attendant à la réalisation de cette parole. — On peut, encore ici, établir une comparaison entre la manière d’agir du Seigneur à l’égard de cet homme et le récit relatif au centenier ; il ne va pas chez le premier, mais guérit son fils à distance. Au centenier, il propose d’aller. La faible foi du père est fortifiée, rendue plus profonde ; la grande foi du centenier est récompensée ; nous voyons que Jésus ne fait pas d’acception de personnes : il ne va pas chez le seigneur de cour, mais il ira volontiers lui-même auprès du serviteur du centenier.
Il semblerait que la foi de cet homme en la parole de Christ fut si grande qu’il retourna tranquillement chez lui, puisqu’il n’arriva que le lendemain, quoique la distance entre les deux villes ne fût pas considérable ; en arrivant, il demande à ses serviteurs « à quelle heure l’enfant s’est trouvé mieux ; » il s’était attendu à une guérison progressive ; mais les serviteurs répondent qu’à la septième heure, à l’heure même où Jésus prononça la parole libératrice, la fièvre l’avait quitté. « Le père reconnut que c’était à cette heure-là que Jésus lui avait dit : Ton fils vit. Et il crut, lui et toute sa maison. » Il crut à cause de tous les bienfaits qu’il avait reçus du Seigneur, il accepta le bienfait suprême, celui du salut, ainsi que toute sa maison ; il croyait déjà avant d’obtenir la guérison de son fils, mais ensuite il se donne à Christ comme au Messie promis ; sa foi fut augmentée, affermie (Marc 9.24 ; Jean 2.11 ; Exode 14.31 ; 1 Rois 17.24).