Le mot réveil, entendu au sens religieux, s’applique à une crise spirituelle, qui amène un soudain et profond changement dans la vie et dans l’activité d’une Église. De telles crises sont rendues nécessaires par l’état d’assoupissement dans lequel tombent si facilement les chrétiens. Le sommeil est l’état de l’âme qui, tout en ayant en elle les germes de la vie nouvelle, demeure engourdie et impuissante. Cet état se concilie fort bien avec le formalisme et même avec l’orthodoxie. On ne dort jamais plus paisiblement qu’au bruit des périodes oratoires d’un bon sermon et dans la tiède atmosphère d’une église confortable.
Quand un réveil se produit dans une Église, il pose avant tout, devant chaque âme, la question de la conversion. Car ils sont nombreux dans nos Églises, ceux qui n’ont pas passé par la nouvelle naissance. En temps ordinaire, on vit sur des apparences et des fictions. Le « mes frères », qui tombe du haut de la chaire, semble reconnaître à tous la qualité de chrétien. La prédication, en parlant des devoirs et des privilèges de la vie chrétienne à des inconvertis, encourage leurs illusions. La première tâche du réveil, c’est de détruire la fiction qui confond le pratiquant avec le chrétien, c’est de dire aux Nicodèmes- : « Il faut que vous naissiez de nouveau ! »
Tout réveil, quelles qu’en soient les formes extérieures, doit amener les âmes au sentiment du péché et arracher à leur angoisse la question suprême des multitudes de la Pentecôte et du geôlier de Philippes : « Que ferons-nous ? … Que faut-il que je fasse ? » A cette question, la réponse est toujours la même : « Repentez-vous ! … Crois au Seigneur Jésus et tu seras sauvé. »
Les conversions produites par les réveils sont en général instantanées. Celles que raconte le Nouveau Testament appartiennent, presque toutes, à ce type. Et il n’y a rien là qui doive nous étonner. Si la conversion n’était qu’une amélioration accomplie par l’homme sur lui-même, elle serait nécessairement amenée avec lenteur et au moyen de progrès imperceptibles. Mais si elle est l’œuvre de l’Esprit de Dieu, il n’y a pas de raison pour qu’elle ne soit pas soudaine, comme celle du brigand, de l’eunuque, du geôlier et de tant d’autres. La conversion, qu’est-ce, après tout, sinon l’acte par lequel on change de voie, et un tel acte s’accomplit à un moment donné. C’est le premier vagissement de l’enfant qui naît à la vie ; avant, il ne vivait pas ; depuis lors, il vit.
L’histoire des réveils est pleine de conversions extraordinaires. Des débauchés, des ivrognes, des joueurs, entrés dans une salle de réunion pour rire et se moquer, ont été soudainement saisis par l’Esprit de Dieu et contraints de se convertir, séance tenante. Et, à côté d’eux, ce qui est encore plus merveilleux, d’honnêtes gens, qui croyaient n’avoir pas besoin de conversion, ont été subitement convaincus de la vanité de leurs prétentions et se sont donnés à Dieu. Le péager Zachée et le pharisien Saul fraternisent dans la même joie du salut.
Un des résultats des réveils est aussi de renouveler la piété des croyants assoupis. Nos églises sont trop souvent des dortoirs, où l’on dort bercé par le chant des cantiques et par la parole solennelle des prédicateurs. La plupart des chrétiens vivent sur les souvenirs du passé : ils ont traversé autrefois une crise religieuse plus ou moins prononcée, qui leur donna un élan depuis longtemps épuisé. Ils ressemblent à ces vieilles barques, couchées sur le flanc, à quelque endroit du rivage où le flot ne monte pas. Vienne une grande marée, elles seront remises à flot et entraînées en pleine mer. Ainsi en est-il de ces chrétiens endormis. Le réveil les secoue, les trouble et les porte à se demander s’ils ne sont pas de ceux qui ont le bruit de vivre et qui sont morts. Un réveil de sanctification est l’accompagnement nécessaire d’un réveil de conversion.
Parmi les symptômes du réveil, il faut mentionner la remise en honneur de l’étude de la Bible et de la prière. Ce ne sont plus là des actes ecclésiastiques respectables, ou de simples pratiques de dévotion. En temps de réveil, notre vieille Bible reprend une fraîcheur et une puissance nouvelles. On ne se borne plus à la posséder chez soi et à l’entendre servir de texte aux prédicateurs : on la sonde, et en la sondant on y trouve de nouveaux filons d’or pur et des richesses inexplorées. Aux promesses de Dieu répond la prière du peuple de Dieu. Aucun symptôme de réveil n’est plus significatif que le besoin de la prière et que la reprise des réunions de prière. Là où elles n’existent pas, là où elles sont languissantes et désertées, il est à craindre que la vie spirituelle ne fasse défaut ; mais dès qu’elles renaissent, on peut être sûr que l’hiver va cesser et que le printemps arrive.
Une Église réveillée a l’esprit conquérant. Tandis que les chrétiens tièdes disent : « Dormons et laissons dormir les autres », — les chrétiens qui veulent être fidèles à leur Maître disent : « Réveillons-nous et sonnons la diane pour appeler les autres au combat ! » Leur ambition est grande, sauver le monde ! C’est là, aux yeux des sages, une étrange folie, un fanatisme intolérable. Mais cette folie est la sagesse de Dieu. Aux onze, Jésus a dit : « Allez par tout le monde », et ils sont allés et ils ont vaincu. Mais d’abord, ils passèrent par le creuset de la Pentecôte : ils furent baptisés du Saint-Esprit et de feu.
C’est ce qu’il nous faut à nous aussi. Nous ne sommes qu’une minorité infime dans la nation. Mais, si tous ces protestants étaient réveillés, que dis-je ? si un centième étaient « pleins de foi et du Saint-Esprit », ils feraient ce qu’ont fait les premiers chrétiens. On les persécuterait sans doute ; mais ils seraient le sel de la terre, comme nos pères le furent jadis. Cependant, pour que le sel agisse, il faut qu’il ait conservé sa saveur. Nos Églises ne l’ont-elles pas perdue ? Le réveil nous la rendra.
C’est ici l’heure de nous réveiller du sommeil.