Un homme dans la tour

DERNIER MESSAGE

Jean-Paul et ses parents viennent d’arriver aux Oumbras. Quoique seule, Francine a accepté de les héberger pour le mois d’août. D’abord, elle avait dit non à leur demande, puis, à cause de leur insistance, elle avait répondu affirmativement à la grande joie du petit.

Francine est vêtue de noir et semble avoir vieilli d’au moins dix ans. Elle a perdu son sourire et demeure d’une gravité qui désempare Popol. Que la ferme lui paraît vide et triste depuis que grand-père n’est plus là !

Jean-Paul inspecte les lieux qu’il n’a pas revus depuis un an. Il fait d’abord le tour de la maison : rien n’a changé depuis son départ. La grande roue est toujours derrière la ferme, le pigeonnier au sommet de la tour et les mêmes fleurs devant la porte. A cent mètres, le grand chêne. Plus loin, le rocher qui domine la vallée. A gauche, le sentier qui descend et conduit aux Olivettes. Il a déjà rencontré son ami Etienne qui n’est plus un gamin maintenant. Il est occupé à la ferme et travaille du matin au soir, aussi Jean-Paul ne le voit-il guère.

En levant les yeux, le jeune Parisien vient d’apercevoir les volets bleus de la tour. Son cœur se serre à la pensée qu’ils ne s’ouvriront plus.

— Je voudrais bien monter là-haut ! se dit-il. Il faut que je demande à Francine la permission d’y aller.

Justement, très occupée, la jeune fille traverse la cour.

— Dites, Francine, me permettriez-vous d’aller dans la chambre bleue de la tour ?

— La chambre bleue ! Que veux-tu dire ?

— Oui, celle qui à les volets bleus, celle où grand-père se rendait tous les matins. Je voudrais tellement la revoir et me pencher sur la grosse Bible.

Francine n’y voit pas d’inconvénient. Certes c’est un lieu sacré pour elle, mais Jean-Paul peut le fouler car c’était un grand ami du cher disparu.

Le gamin ne se le fait pas dire deux fois. Il grimpe quatre à quatre l’escalier central, s’engouffre dans le couloir sombre du deuxième étage et arrive tout essoufflé devant la porte qu’il connaît bien. La clé est là, suspendue au même clou. Il ouvre, entre et pousse les volets. Tout est en place, comme la première fois qu’il y vint. Rien n’a changé ! Ce spectacle bouleverse Jean-Paul qui évoque sa première rencontre avec le vieillard, là dans cette chambre haute. Les larmes ne tardent pas à jaillir.

La Bible est sur la table, couverte de poussière. C’est une vieille Bible jaunie, à la couverture épaisse et au papier grossier. Elle doit être centenaire ! Il la feuillette ne sachant trop où lire : il retrouve l’Evangile de Jean qu’il a lu et relu. Un beau verset, souligné de rouge, tomte sous ses yeux :

« Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en Lui ne périsse point mais qu’il ait la vie éternelle. »

Quelques pages plus loin, il découvre une enveloppe non cachetée, écrite de la main de grand-père. Machinalement, Jean-Paul en lit l’adresse. Il sursaute et pâlit :

— Tiens ! Une lettre pour moi : Jean-Paul Carlos. Que c’est curieux ! Alors je peux l’ouvrir.

Sur une grande feuille couverte d’une écriture large mais malhabile, il lit ces mots :

Cher Jean-Paul,

Je t’écris parce que je sens la fin de mes jours approcher…

Certainement, grand-père est mort avant de pouvoir m’adresser cette lettre, pense le garçon qui poursuit sa lecture.

…et c’est pour cela que je t’écris ces lignes. Je voudrais te dire que j’ai prié tous les jours pour ton salut. Je t’ai parlé — t’en souviens-tu ? — du Sauveur. Oh ! deviens la brebis du Bon Berger. Viens à lui et il te prendra. Combien je désire que tu viennes me rejoindre au ciel…

La lettre s’arrête là et paraît inachevée. La dernière phrase surtout arrache un sanglot à Jean-Paul qui se souvient, comme si c’était hier, des exhortations du vieillard.

— Oh oui ! Je veux le rejoindre au ciel, mais comment faire ?

Evoquant sa première rencontre dans la tour, le jeune adolescent se met à genoux, les mains jointes sur la chaise – comme faisait grand-père Adolphe – puis ferme les yeux. Tremblant, ému jusqu’aux larmes, maladroitement il balbutie :

— Seigneur, viens à mon secours. Je veux aller rejoindre grand-père dans ton beau ciel. Je veux être toujours avec toi.

Il pleure abondamment, répétant par moments : Aie pitié ! Prends-moi.

Alors, comme le père de l’enfant prodigue accueillant son fils indigne, le Père céleste ouvre tout grand Ses bras à Jean-Paul qui, le cœur rempli de la joie d’En-Haut, s’écrie :

— Mon Dieu… Merci !

chapitre précédent retour à la page d'index