« Oui, Seigneur, mais pourtant les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. » C’est ainsi que l’humble Cananéenne triompha du dernier obstacle que le Seigneur avait trouvé bon de placer sur le chemin de sa foi ; et dans ces seuls mots : « Oui, Seigneur, mais pourtant, » viennent se réfléchir et la magnificence de l’Evangile et la nature intime de toute âme fidèle.
« Oui Seigneur, » dit-elle d’abord, et quel « oui » que celui-là ! « Oui, Seigneur, je suis ce que tu viens de dire, je suis une créature déchue, rebelle, pécheresse, et qui n’a pas plus de droit aux bienfaits d’un Dieu parfaitement saint, que les chiens n’en ont à la nourriture des enfants de leur maître ; » et en se condamnant ainsi elle-même, elle juge et condamne le monde entier, c’est-à-dire toute âme d’homme qui n’est pas née de nouveau.
Ce n’est cependant pas là toute la réponse de cette femme, car elle ajoute aussitôt : « mais pourtant, » et ces mots qui dans sa bouche suivent immédiatement ceux qui les précédent, en sont, dans la réalité, séparés par un profond abîme. Considérez des yeux de la foi, d’un côté, cette humiliante confession du pécheur : « Oui, Seigneur, » de l’autre, cette parole d’espérance : « mais pourtant, » et voyez ce qui est entre deux. Une croix d’abord, autour de laquelle grondent les orages de la colère divine. Un autel, rougi du sang le plus saint qui ait jamais été répandu. Un agneau de Dieu qui porte les péchés du monde. Un céleste garant qui souffre à notre place ; un Sauveur crucifié, sans lequel, ô terreur ! nous eussions dû nous écrier pleins d’angoisses : « Oui, Seigneur, nous sommes des rebelles, dignes de réprobation », sans que rien eût suivi cet aveu, non, rien, que les épouvantables échos de nos pleurs et de nos grincements de dents. Mais grâces à cette adorable victime, il en est autrement, et si, humiliés et tremblants, nous devons encore dire : « Oui, Seigneur, » la croix élevée sur Golgotha nous permet d’ajouter un bienheureux « mais pourtant. » « Oui, » nous méritons, ô Dieu, les coups terribles de ton courroux ; « mais pourtant » un trône de grâce s’élève sur une terre maudite. « Oui, » nous sommes de malheureux coupables, détenus en prison, et condamnés déjà aux plus effroyables supplices ; « mais pourtant » une main transpercée tient dans les cieux cette clef mystérieuse qui ouvre et personne ne ferme, » un Sauveur est venu « annoncer l’Evangile aux pauvres, guérir ceux qui ont le cœur brisé, publier la liberté aux captifs et le recouvrement de la vue aux aveugles. » « Oui, Seigneur, » et le cri de l’angoisse se change désormais en un chant de joie et d’espérance qui dissipe les terreurs de la conscience. Or, c’est là, chrétiens, la beauté, l’excellence de l’Evangile.
Encore quelques mots, mes frères, sur ces paroles remarquables. Là où elles sont prononcées, comme elles le furent par la Cananéenne, sincèrement et le cœur froissé, là est un enfant de Dieu ; car ce « oui Seigneur, » lorsque le Seigneur vient de parler de chiens et de leur comparer les pécheurs, est un de ces aveux humiliants qui ne viennent pas volontiers sur la langue de l’homme. Que de temps ne mit pas à le prononcer le pieux roi d’Israël lui-même, après sa chute ? « Quoi, je serais adultère ! meurtrier ! digne de mort ! Non, je ne suis pourtant pas aussi corrompu ! » Longtemps il se tait, ses os se consument, il ne fait que crier tout le jour, la main du Seigneur demeure appesantie sur lui, sa vigueur est changée en une sécheresse d’été, et ce n’est qu’après une longue résistance au Dieu qui agitait son cœur, qu’il s’écrie enfin avec larmes : « Oui, Seigneur ! » « J’ai dit, raconte-t-il lui-même, je confesserai mes transgressions au Seigneur, et tu as ôté la peine de mon péché. » — Vous le voyez, mes frères, cet aveu, tout juste qu’il soit, tient si ferme au fond de notre cœur, qu’il faut une force divine pour l’en arracher. Mais le moment où un pauvre pécheur dompté, brisé, couvert de confusion, balbutie en pleurant, son « oui, Seigneur, » devant le trône du Souverain juge, oh ! ce moment là est grand et solennel, et le ciel, la terre et l’enfer y sont intéressés. C’est le point de conversion du pécheur, et le premier pas qu’il fait hors des liens de l’ennemi.
« Oui, Seigneur, » s’écria l’humble suppliante, mais elle n’en reste pas là, car l’aveu, même sincère de sa condamnation, n’est pas encore une marque certaine qu’on est en état de grâce, et ne peut à lui seul sauver personne de la perdition. Caïn s’écria : « Mon péché est trop grand pour que j’en puisse obtenir le pardon ; » c’était bien dire : « Oui, Seigneur, » mais ne rien y ajouter. Judas s’écria aussi : « J’ai péché, car j’ai trahi le sang innocent, » et il désespéra de la grâce ; c’était encore avouer son crime, mais sans aller plus loin, c’était un « Oui, Seigneur, » après lequel il n’y eut que… l’Enfer ; il alla en son lieu, dit l’Ecriture, quoiqu’il se fût condamné lui-même. Chez les élus, au contraire, à l’aveu que leur inspire le sentiment de leur misère, s’unit une intime confiance en la grâce de Dieu par Jésus-Christ ; et aussi disons-nous avec raison que dans ces quelques mots de la Cananéenne : « Oui, Seigneur, mais pourtant, » se réfléchissent, comme le soleil dans la goutte de rosée, et l’excellence de l’Evangile et la vraie forme de tout vrai chrétien.
Vous me demandez pourquoi j’ai commencé la méditation de l’histoire de ce jour, en vous faisant lire dans le cœur de la Cananéenne. Je l’ai fait, mes frères, pour faire descendre un rayon de lumière dans les ténèbres qui vont s’offrir à nos regards, et surtout pour vous préparer à bien comprendre ce qui se passa dans le cœur d’un roi qui avoua bien sa faute, mais qui ne recourut pas à la grâce divine.
17 Alors la Parole de l’Eternel vint à Élie le Tishbite, et dit : 18 « Lève-toi et descends au devant d’Achab, roi d’Israël à Samarie ; voici, il est dans la vigne de Naboth où il est descendu pour s’en mettre en possession. 19 Et tu lui parleras et lui diras : « Ainsi a dit l’Eternel : N’as-tu pas tué et même ne t’es tu pas mis en possession ? » Puis tu lui parleras ainsi et tu diras : « Ainsi a dit l’Eternel : Au lieu même où les chiens ont léché le sang de Naboth, les chiens lécheront aussi ton propre sang. »
20 Et Achab dit à Élie : « M’as-tu trouvé, mon ennemi ? » Mais Élie lui répondit : « Oui, je t’ai trouvé, parce que tu t’es vendu pour faire ce qui déplaît à l’Eternel. 21 Voici je vais faire venir du mal sur toi et exterminer ta postérité. »
Au temps où Élie, passant par Abel-Meholah, appela le laboureur Élisée à quitter sa charrue pour devenir prophète, une guerre sanglante éclatait en Israël. Le roi syrien Benhadad s’était avancé à l’improviste à la tête d’une armée innombrable dans laquelle on comptait trente-deux rois tributaires ; mais soutenu par le bras du Très-Haut, Israël le battit entièrement et le força à la paix. L’Ecriture ne nous dit pas quelle fut pendant cette guerre la retraite d’Élie ; ce n’est que lorsque les troubles sont passés que nous le voyons reparaître sur le théâtre de l’histoire, et messager du Souverain Juge, être appelé à se rendre à Jesreel, pour y annoncer à Achab la peine de ses crimes. Cette mission d’Élie sera aujourd’hui l’objet de nos méditations, et nous en considérerons successivement l’occasion, le but et l’effet immédiat.
La parole du Seigneur fut adressée à Élie, et lui dit : « Lève-toi et descends au devant d’Achab, le roi d’Israël qui règne à Samarie ; tu le trouveras dans la vigne de Naboth, car il y est descendu pour en prendre possession. » C’était donc à cause du crime commis sur la personne de Naboth que Dieu envoyait son prophète à la résidence royale. L’histoire de ce pieux israélite vous est bien connue, et nous ne ferons que vous la rappeler brièvement. Nous connaissons le roi Achab, pour avoir eu plusieurs fois déjà affaire avec lui, et nous savons dans quelle classe d’hommes il doit être rangé. Il n’avait point cette énergie de caractère et ce froid calcul qui constituent la méchanceté. C’était un homme faible qui n’agissait que par des impulsions extérieures, selon les circonstances ou les personnes au milieu desquelles il se trouvait. Il pouvait être par fois d’une bonté et d’une générosité tout extraordinaire, comme par exemple, à l’égard du roi Benhadad qu’il laissa vivre contre l’ordre de l’Eternel ; mais il aurait un instant après commis les cruautés les plus abominables, s’il y eût été encouragé, et qu’il eût pu le faire sans risques. Mieux dirigé, il aurait vraisemblablement été un meilleur roi, et nous l’avons vu accessible à de salutaires impressions ; mais sous l’influence d’une Jésabel et d’une cour composée de vils flatteurs, cet homme sans caractère dut devenir un grand criminel ; aussi, ne nous étonnerons-nous point de voir sa vie n’être qu’une succession non interrompue d’injustices et d’actions honteuses.
Achab abandonnait à la reine le sceptre et la direction des affaires, et n’aimait rien tant que de se livrer à sa voluptueuse indolence. Après la guerre, il s’était retiré dans son château de plaisance, à Jesreel, et l’idée lui était venue, pour passer le temps, d’agrandir les jardins du palais. Ces jardins touchaient à une vigne, qui était l’héritage de l’israélite Naboth, et dont Achab désirait vivement l’acquisition. Il fait, en conséquence, venir Naboth auprès de lui, et lui propose un échange, ou un prix avantageux, mais celui-ci refuse ; car la loi lui défendait de vendre son héritage. Les Israélites devaient considérer le pays de Canaan comme la propriété de l’Eternel, dont ils n’étaient que les administrateurs ; et s’il leur était permis de faire des échanges, l’année du jubilé devait rendre toutes les terres échangées aux familles dont elles avaient formé primitivement l’héritage. Naboth, qui donc ne pouvait pas vendre, et qui, en consentant à l’échange, prévoyait bien que le prochain jubilé ne lui rendrait pas sa vigne, répondit à Achab : « Que l’Eternel me garde de te donner l’héritage de mes pères. » Il n’eut point honte de se présenter au monarque idolâtre comme un adorateur du Dieu d’Abraham, et nous pouvons nous réjouir de retrouver en lui un de ces sept mille qui n’avaient point fléchi le genou devant Bahal.
Le roi ne s’attendait pas à cette réponse. Voir ses plans échouer contre l’opiniâtreté d’un homme de l’ancienne loi, qui avait osé, malgré l’ordre et l’exemple de son roi, refuser d’adorer le Dieu des Sidoniens, c’était pour lui chose intolérable. Irrité de ce refus, il rentre en hâte dans son palais, se conduit comme un enfant mal élevé dont on ne satisfait pas le caprice, se jette sur son lit, tourne son visage contre la muraille et refuse toute nourriture. Jésabel vient à lui, le questionne avec étonnement, et s’écrie : « Quoi, ce n’est que cela ; n’es-tu donc pas roi sur Israël, et on te désobéirait ainsi ? Lève-toi, mange quelque viande, et que ton cœur se réjouisse ; je te donnerai la vigne de Naboth Jesréelite. » Et aussitôt, tant pour venger l’outrage fait à la dignité royale, que pour s’attacher son mari par quelque nouvelle complaisance, elle prend les mesures nécessaires pour se procurer à tout prix la vigne de Naboth. Ecrire des lettres sous le nom d’Achab, et apposer le sceau royal à des ordres dont le roi n’a pas même connaissance ; publier par les principaux et les anciens de Jesréel un jeûne dans cette ville, comme on le faisait lors de quelque calamité, ou à la suite d’un grand crime ; assembler le peuple et amener devant lui le malheureux Naboth ; engager deux faux témoins qui se présenteront contre lui et l’accuseront d’avoir blasphémé contre Dieu et mal parlé du roi ; tout cela n’est rien pour Jésabel, et tout s’exécute ainsi qu’elle l’a commandé. Naboth est condamné sans procès, livré au peuple, traîné aux portes de la ville et lapidé. Alors, Jésabel vient triomphante à Achab, et lui dit : « Lève-toi, mets toi en possession de la vigne de Naboth Jesréelite, qui avait refusé de te la donner pour de l’argent, car Naboth n’est plus en vie, mais il est mort. » Et dès qu’Achab eut entendu que Naboth était mort, les sombres nuages qui obscurcissaient son front se dissipèrent, et les yeux tout brillants de joie, il se leva de son lit et descendit promptement pour s’emparer de la vigne. Misérable Achab ! Il n’était certes point étranger au crime que Jésabel avait commis la première, il n’en était point innocent devant Dieu, puisqu’il l’approuvait et s’en réjouissait dans son cœur ; il l’aurait lui-même commis, s’il eût eu la résolution et la ruse que sa femme possédait à un si haut degré. Tous deux étaient les meurtriers de Naboth, tous deux étaient souillés de son sang, tous deux étaient également coupables et dignes de châtiment.
Le crime commis sur la personne de Naboth était d’autant plus abominable que son refus provenait, non point d’une opiniâtreté déplacée, mais d’un attachement inviolable au Dieu de ses pères. Ce fut précisément là, nous n’en pouvons douter, ce qui irrita le plus les deux meurtriers. Il n’y a rien que le monde supporte moins que les refus dont la piété est le motif, et l’on en voit tous les jours des exemples. Plus d’un maître irréligieux a mis à la porte des serviteurs chrétiens qui ont refusé d’obéir en une chose injuste ou frauduleuse, et qui auraient facilement obtenu leur pardon, s’ils avaient allégué pour excuse tout autre chose que leur conscience. Sans lapidation, il y a de nos jours encore beaucoup d’Achab et de Jésabel, et beaucoup de Naboth.
La joie d’Achab fut de courte durée. Avec quelque secret que les meurtriers eussent forgé leur plan, un Etre invisible, auquel ils ne songeaient point, avait assisté dans leur conseil ; il avait connu les pensées de la reine, et s’était tenu derrière elle lorsqu’elle écrivait les fausses lettres ; il avait entendu son entretien avec les faux témoins ; et le crime n’était pas encore commis, qu’il avait déjà terminé la procédure et prononcé la sentence. Ce témoin caché, c’était Celui dont les yeux sont semblables à des flammes ; c’était le Gardien qui ne dort ni ne sommeille, qui lit dans les cœurs, qui pénètre à travers les murailles et pour lequel il n’est point de voile ; c’était Celui qui voit de loin les pensées les plus secrètes du méchant. Le Saint d’Israël l’avait vu, et sa colère s’était enflammée.
Mais, direz-vous peut-être, pourquoi, voyant germer ce crime, le Tout-Puissant ne l’empêcha-t-il pas ? Pourquoi ne sauva-t-il pas l’innocent Naboth, qui était son serviteur et son enfant, et que sa foi avait seule exposé à un si grand péril ? L’Ecriture nous renvoie, pour de telles questions, à l’éternité. Jusques là, nous devons passer en silence à travers les milliers d’énigmes que nous offrent les voies de la Providence, tourner le dos à notre raison pervertie, marcher d’un pas ferme en avant, à rencontre des promesses, donner gloire à Dieu par notre foi, et reconnaître enfin que la folie de Dieu est une adorable sagesse, et que les apparentes contradictions que nous offrent ses voies, font partie d’une économie qu’un jour nous admirerons d’autant plus, qu’elle aura scandalisé ici-bas notre intelligence obscurcie. Les pensées de Dieu ne sont pas nos pensées, et ses voies sont aussi élevées au-dessus de nos voies que les cieux sont élevés au dessus de la terre. « Nous ne comprenons pas les principes de son gouvernement, dit un homme pieux, et nous devrions nous garder de le louer comme de le blâmer. Il se complaît lui-même dans ses desseins, et s’inquiète peu de nos jugements. Quand les gens du peuple applaudissent des mains et des pieds à la sagesse de ses conseils, et lui font des compliments sur l’excellence de ses œuvres, il pourrait en être humilié comme Phocion, et demander au petit nombre de ses amis qui l’entourent en se couvrant la face de leurs ailes, s’il a dit ou fait quelque chose d’insensé pour être admiré par la multitude. » Que cette terre soit ou non le meilleur des mondes, pourvu que Dieu y règne, ou plutôt, qu’il règne dans nos cœurs, ses voies seront toujours bonnes à nos yeux.
Il est très vrai qu’un drame sanglant, tel que celui de Naboth, peut occuper beaucoup notre foi et ébranler pour un moment les colonnes de notre théologie. Mais quelque discordant que soit pour l’oreille de l’homme naturel le cri d’un tel meurtre, cette dissonance même se résoudra pour l’oreille céleste en une ravissante harmonie. Laissons seulement faire au Seigneur. Il dénouera à sa gloire et pour leur plus grand bien, tout nœud qui se sera formé dans la vie de ceux qu’il aime. Ce ne fut certainement avec aucun retour douloureux sur la sombre issue de sa vie terrestre, que notre Naboth r’ouvrit dans le ciel ses yeux qu’il avait fermés sous les coups de ses meurtriers ; sa fin sanglante est pour lui maintenant un sujet d’actions de grâce, et s’il était au milieu de nous, il s’affligerait de voir notre étonnement sur sa destinée, et nous exhorterait à adorer avec lui la main sage et bonne qui l’a dirigée. — Oui, me direz-vous, il se peut qu’il en soit ainsi, mais où sont alors les promesses que Dieu a faites à des justes tels que Naboth ? — Les promesses de Dieu ? Elles sont et demeurent Oui et Amen en Lui. Dieu a juré à ceux qui l’aiment, que toutes choses concourraient à leur bien, et il en arrive ainsi ; Dieu leur a promis de les accompagner dans le feu, dans l’eau, et partout il est avec eux. Mais il ne leur a point promis que ni feu, ni eau n’arriverait jamais jusqu’à eux, qu’aucune douleur ne les toucherait ; car il leur a dit, au contraire, de la manière la plus positive, que « c’est par beaucoup d’afflictions qu’il faut entrer dans le Royaume des Cieux », et le Sauveur ne cache point à ses amis qu’il veut leur donner le Royaume comme son Père le lui a donné. — S’il en est ainsi, direz-vous encore, nous devons être continuellement dans l’angoisse, et nous ne pouvons jamais, dans le danger, compter que nous n’y périrons pas. Nous ne pouvons pas nous dire en traversant un bois : « tu es sous la main de Dieu, les voleurs ne te tueront pas ; » en traversant un torrent rien ne nous garantit que nous ne trouverons pas notre tombeau dans les ondes écumantes, et si nous nous voyons sans travail, nous n’aurons aucune assurance que Dieu gardera de la famine nos enfants. En un mot, malgré notre adoption, nous devons, dans le danger, ouvrir nos cœurs à toutes les inquiétudes qui agitent les autres hommes. — Oh non ! mes amis, de telles conclusions ne sont certainement pas selon la vérité. Il ne nous est sans doute point promis d’une manière absolue que nous échapperons à tous les dangers et à tous les malheurs ; mais « celui qui croit verra la gloire de Dieu, et toutes choses lui sont possibles. » Vous le savez, de grandes assurances nous sont données, des promesses d’une étendue illimitée et qui ne nous laissent rien à désirer. De quelque espèce que puisse être l’affliction qui nous menace, il suffit, l’Ecriture nous le déclare expressément, « d’invoquer le nom de Dieu » pour être délivré. Oui, le Seigneur nous est garant (voyez Jean 15.5), qu’en tant « que nous demeurons en Lui, nous pouvons demander ce que nous voulons et il nous sera accordé. » Mais que signifie « demeurer en Christ ? » C’est un sublime état de l’âme, c’est une douce et précieuse position. Si je demeure en Christ, je m’oublie pour Christ, je me regarde en Christ, et la conscience de mes péchés se perd dans celle de ses mérites. Je me tiens pour mort avec lui, ressuscité avec lui, élevé avec Lui dans les Cieux au dessus du monde, du péché, de la mort et du diable. Je me réjouis dans sa justice comme si elle était la mienne, et elle l’est en effet. Ainsi revêtu, je ne me connais plus selon la chair ; paré de cette robe de noces, je me sens aimé du même amour dont Jésus est aimé du Père, et comme ce sentiment ne me laisse pas d’ajouter un instant que Dieu ne soit prêt à m’accorder, à moi son bien-aimé en Christ, tout ce que je lui demanderai, rien ne m’empêche plus de me jeter, plein d’une joyeuse confiance et avec tout ce qui m’appartient, dans ses bras paternels ; je vais ainsi à la demeure de Dieu, j’en reviens, comme si c’était ma demeure terrestre. C’est là ce que veut dire cette expression : s’approcher de Dieu au nom de Jésus ou à la place de Jésus. Et tout, tout sans exception, est promis à une telle foi ; notre âme ne connaît plus ni soucis ni frayeurs, même au milieu de mille dangers ; nous possédons les clefs de tous les trésors divins, nous avons un bouclier impénétrable à tous les traits qui menacent notre corps ou notre âme. Apprenons donc à être en Christ et à prier en son nom ; alors nous ne voudrons que ce que Dieu veut, et nous écarterons de nous ou attirerons sur nous tout ce que nous voudrons.
Mais revenons à noire histoire. L’œuvre de sang est accomplie à Jesréel. Le corps mutilé de Naboth est couché dans la terre, mais la voix de son sang pénètre à travers le tertre qui recouvre sa tombe, et crie vengeance jusqu’au ciel. Le souverain Juge, le vengeur du sang de son Eglise, l’a entendu, et il se prépare pour le jugement. Il se tourne vers son messager, vers le Tishbite, et l’envoie vers le roi Achab : « Lève-toi, » tel est l’ordre divin, « et descends au devant d’Achab, le roi d’Israël qui règne à Samarie. Voici, il est dans la vigne de Naboth, dans laquelle il est descendu pour en prendre possession. Tu parleras avec lui et tu lui diras : Ainsi a dit l’Eternel : « N’as-tu pas tué et même ne t’es-tu pas mis en possession ? » Puis tu lui parleras ainsi et tu lui diras : Ainsi a dit l’Eternel : « Comme les chiens ont léché le sang de Naboth, les chiens lécheront aussi ton propre sang ! » — Mes frères, que la colère de Dieu est terrible ! et comment se fait-il qu’Élie, qui était constamment entouré des foudres du jugement, ne craignit point de les voir le frapper à son tour ? C’est qu’il se savait garanti par une autre justice que la sienne propre ; c’est qu’il avait compris le mystère du serpent d’airain ; il avait vu la douce lumière de l’évangile, et il connaissait la croix de Christ.
Le roi de Samarie se promène dans la vigne de Naboth. Il se réjouit de sa belle acquisition, et combine le meilleur emploi de ce champ du sang qu’il va réunir aux jardins de son palais. Tout-à-coup, il croit entendre des pas qui s’approchent. Il regarde, et quel est son étonnement, lorsqu’il voit s’avancer un homme dont l’aspect le trouble plus que toute une armée ennemie, un homme dont la visite ne pouvait en aucun moment lui être plus inopportune ! C’était Élie le Tishbite. Il vient semblable à un sombre nuage, tout chargé de mort et de ruine. Il ne se fait point annoncer ; il prend lui-même audience au nom de l’Eternel, et n’a aucun scrupule de surprendre le monarque au milieu de ses jardins, et d’interrompre un instant ses plaisirs. Achab s’était flatté de l’espoir d’être pour toujours délivré de cet hôte incommode, qu’il avait cru mort, ou du moins retiré dans quelque solitude, et voilà que tout-à-coup, il est là, devant lui, telle qu’une apparition du monde invisible, telle que l’ombre du malheureux Naboth. Pâle comme la mort, tremblant de colère et d’effroi, avant même que le prophète ait ouvert la bouche, il pressent, il sait, il entend déjà tout ce qu’il va lui dire. Sa conscience lui annonce l’arrêt de malédiction qui va le frapper. Mais en même temps elle le trouble, il se trahit et s’accuse lui-même, et jette au prophète le venin qui remplit son cœur en lui criant : « M’as-tu trouvé, mon ennemi ? » C’est-à-dire : « Toi qui ne viens jamais à moi que pour mon malheur, combien ton cœur méchant va se réjouir de m’avoir surpris en flagrant délit ! »
Combien souvent il arrive à vos prédicateurs, mes frères, quand ils « trouvent » le pécheur dans leur paroisse, ou plutôt lorsque Dieu l’a trouvé par leur moyen, d’être accueillis par lui comme Élie le fut par Achab. Quels amers sentiments de haine bouillonnent dans les cœurs des méchants, lorsque l’éclair de nos paroles vient à frapper, que nos traits atteignent le but, et que nos auditeurs se reconnaissent aux signalements des condamnations spirituelles que nous jetons du haut de la chaire au milieu de l’assemblée ! Aussitôt, ils nous disent dans leur cœur : « M’as-tu trouvé, mon ennemi ? » et notre proie, que nous avons saisie pour la sauver de la ruine, nous mord comme un serpent. A les en croire, nous nous plaisons à contredire l’humanité entière, et mettons notre joie à tourmenter les gens sans nécessité. Nous ne savons ce que c’est que la charité et la douceur chrétienne, et la piété à laquelle nous voulons initier nos paroisses, est la sombre dévotion des couvents. Nos prédications fourmillent d’exagérations et marchent constamment à côté de la vérité. Au lieu d’élever l’âme et de lui inspirer une douce gaieté, elles révoltent tous les sentiments délicats et excitent chez les auditeurs un mécontentement involontaire. Et parfois, on ne se borne pas à nous critiquer de paroles, on quitte nos temples et court après d’autres prédicateurs. Ames blessées de la main de Dieu, fuyez, fuyez partout où il vous plaira ! Dieu vous a trouvées, il vous suivra partout. La flèche qu’il vous a lancée, nul ne la retirera de la plaie que lui-même. S’il veut vous amener à vous convertir, il est le Dieu Fort ! qui lui résisterait ? et n’est-ce pas en vain que vous regimbez contre l’aiguillon ? Nul remède ne guérira votre blessure, et le feu qui vous ronge s’étendra de plus en plus dans tous vos membres, jusqu’à ce qu’il s’éteigne… dans le sang de l’agneau, au pied de la croix. Oh qu’il nous soit donné de vous « trouver ! » nous consentirons volontiers à être nommés pour un temps vos ennemis.
A peine cette exclamation : « M’as-tu trouvé, mon ennemi ? » est-elle sortie des lèvres du roi, qu’elle revient à lui comme renvoyée par un puissant écho : « Oui, je t’ai trouvé, » répond Élie. Vous reconnaissez à cette réponse la fermeté et le calme du prophète, et le regard dont il accompagna ces mots, ne permit pas à Achab de douter qu’Élie ne sût à qui la vigne où ils se rencontraient avait appartenu, et pourquoi le Souverain se promenait ainsi dans l’héritage de son voisin. Pauvre Achab ! tu ne trouves dans ton cœur pas une seule excuse ; ta couronne royale a perdu son éclat, ta pourpre sa splendeur ; tu n’es plus roi, tu es un coupable honteux et embarrassé, ton impuissante colère n’ose pas même s’exhaler en paroles ; et c’est Élie qui est le juge, le vrai roi, qui a la couronne et la pourpre ; regarde-le, il a pitié de toi ! C’est ainsi que le Seigneur sait renverser les orgueilleux dans la poudre, et faire tomber devant lui les puissants de ce monde, comme les épis sous la faux du moissonneur.
Que ces mots : « Oui, je t’ai trouvé, » sont saisissants dans leur glaciale froideur ! C’est bien là l’impitoyable loi, qui nous pétrifie de ses regards de Méduse ; c’est la justice nue du tribunal divin qui vient à notre rencontre dans sa sévère majesté. Souvent déjà l’on a vu le pécheur à qui Dieu disait : « Je t’ai trouvé, » tomber dans un affreux désespoir. Oh qu’il plaise à Dieu, si sa volonté est de vous « trouver » aujourd’hui ou demain dans vos sombres retraites, et de vous y faire surprendre par la loi, qu’il lui plaise d’envoyer avec la loi l’évangile, et la grâce avec la justice ! Qu’en même temps que vous entendrez gronder à vos oreilles la malédiction prononcée contre quiconque n’accomplit pas la loi, parvienne à vous la bonne nouvelle que « Christ est la fin de la loi, » et que « celui qui croit en lui, est justifié ; » et si la loi vous dit : « Retirez-vous de Dieu, maudits, allez au feu éternel, » que le Sauveur ravisse en même temps vos cœurs par ces douces paroles : « Venez à moi, vous tous qui êtes affligés et chargés, et je vous soulagerai. » Ainsi, l’effroi mortel qui s’empare de vous, se changera en cette tristesse selon Dieu, qui conduit par la repentance à la vie, et dont personne ne se repent ; et le désespoir que produit la loi chez quiconque n’a pas encore saisi les promesses, deviendra une profonde componction qui est le point de départ de la vie nouvelle. Car ce n’est pas le feu de la justice divine qui crée des hommes nouveaux ; ils ne doivent l’existence qu’à la douce et vivifiante lumière de la miséricorde. C’est dans la crèche de Bethléem, au pied de la croix de Golgotha que naissent les héritiers des cieux, et non sur les sommets fumants du Sinaï. La puissance de l’amour peut seule arracher à lui-même le fils de la poudre et le transporter loin de la terre dans le céleste royaume. Elle s’empare de lui, et le rend pour toujours le serviteur de Dieu. Mais cette servitude est la seule, la vraie liberté ; elle nous affranchit de nous-mêmes et de l’égoïsme, du monde et de sa vanité, du péché et de la chair. Nous sommes contraints, par une douce nécessité, d’aimer Celui qui nous a tant aimés ; nous vivons pour Dieu par une impulsion secrète, nous cherchons sa gloire comme par instinct, nous courrons sur le chemin de ses commandements, parce que nous y sommes irrésistiblement conduits, et nous faisons le bien, comme la plante produit sa fleur et comme la source verse son eau. C’est ainsi que la liberté et la nécessité se donnent dans notre cœur un mystérieux baiser de paix. Nous sommes les esclaves de l’amour divin, et dans cet esclavage nous sommes libres, comme Dieu lui-même est libre. Tels sont les miracles de l’Evangile ; jamais la loi n’a pu les produire. Dressez donc vos tentes à Bethléem, à Golgotha, auprès des sources de la vie et du fleuve de la sainteté ; là vous respirerez dans une divine atmosphère les puissances du monde avenir, et vous vous sentirez, comme par une main toute-puissante, soulevés de terre et transportés dans les lieux célestes. Amen.