Elle se définit d’elle-même. Elle consiste à vérifier les faits qui constituent l’histoire biblique, et en particulier l’histoire évangélique, et à tirer de cette vérification un argument en faveur de la vérité chrétienne elle-même. (La vérité historique de la partie historique du christianisme garantit sa vérité morale et religieuse. ) — Elle a été largement pratiquée par des apologistes de tous ordres, et, employée d’ordinaire, concurremment aux deux méthodes précédentes, a constitué jusqu’au xviiie et même au xixe siècle, la méthode essentielle de l’apologétique chrétienne.
Elle a sur les précédentes un avantage sérieux : celui d’être plus conforme que la méthode d’autorité et que la méthode rationnelle, à la nature du christianisme, dont il est indéniable qu’il est intimement tissé dans la trame de l’histoire humaine. Incontestablement une partie de la vérité chrétienne est une vérité de fait, et donc une vérité historiquec. Il est par conséquent légitime, utile et même nécessaire de la vérifier comme telle ; et, si l’on réussit à fonder en certitude les faits capitaux de l’histoire évangélique, on aura certainement travaillé en faveur de l’Evangile lui-même. Nous admettons donc l’apologétique historique comme une forme possible et nécessaire de l’apologétique chrétienne. A une condition cependant, c’est qu’elle réponde à son titre, qu’elle ne dépasse pas ses limites et ses droits et qu’elle se contente de la certitude et du genre de certitude que comporte l’histoire. Qu’elle s’en tienne à ce qu’elle peut fournir !
c – Il serait facile de le prouver par la négative.
Il y a, en effet, une apologétique historique, ou soi-disant historique, qui a été fort en honneur, à laquelle nous ne pouvons donner notre approbation. C’est celle qui, sous prétexte d’histoire, se sert de l’historicité des faits bibliques pour confirmer les miracles bibliques, et du miracle biblique pour confirmer l’histoire biblique et son caractère divin. Heureux encore quand on s’en tenait à cette pétition de principe et se bornait à ce cercle vicieux. Souvent on allait plus loin : on partait du dogme de l’inspiration attesté par les Écritures ; puis, au nom du dogme et par le dogme, on prouvait la véracité de l’histoire. L’histoire, ainsi confirmée, attestait les miracles ; et les miracles à leur tour confirmaient et l’histoire et le dogme de l’inspiration. — L’histoire, dans ce cas, noyée par les arguments rationnels et d’autorité, n’était plus qu’un prétexte ; et la preuve, mélange bâtard d’a priori dogmatique et de haute spéculation, n’avait plus rien d’historique.
Non. Il est évident que pour valoir et se légitimer, l’apologétique historique doit être historique. Elle doit prendre l’histoire pour ce qu’elle est, les documents de l’histoire pour ce qu’ils sont ; les analyser, les apprécier sans autre parti pris que de rester fidèle à la vérité, c’est-à-dire à la nature des sources et à la valeur des témoignages, et conclure en conséquence sans intervention d’idées toutes faites et de préconceptions philosophiques (favorables ou défavorables, il n’importe) de nature à préjuger du travail de l’historien.
Dans ces limites et pratiquée de la sorte, l’apologétique historique a sa raison d’être. Elle a plus que sa raison d’être : elle a une grande part de nécessité. On ne la négligerait pas impunément à la longue, précisément parce que le christianisme est une religion qualifiée par l’histoire — comme nous l’avons déjà dit — et qui perdrait son caractère en perdant son histoire. (Des exemples nombreux à toutes les périodes de l’Eglise, particulièrement dans la période actuelle, le prouvent abondamment.)
Et cependant nous ne ferons pas de la méthode historique la méthode de notre apologétique. Et cela pour les raisons suivantes :
1° Parce que ce que nous savons de l’histoire de l’apologétique est propre à nous en détourner. — Si nous prenons, en effet, les deux grands apologistes à nous connus qui aient encore quelque efficace, Pascal et Vinet, et que, les analysant, nous nous demandions : où sont-ils forts ? où sont-ils faibles ? — nous serons obligés de répondre qu’ils sont faibles surtout par le côté historique. Cela est très sensible chez Pascal dont les notions bibliques ne portent plus guère aujourd’hui ; cela est moins sensible chez Vinet, mais sensible encore chez Vinet, dont l’apologétique historique est plus sommaire et plus centrale. Et si, quittant les maîtres, nous allons aux apologètes historiques de second ordre, l’impression de faiblesse s’accentue encore. D’où vient cela ? De ce que les aspects de l’histoire biblique et évangélique changent avec l’étude qu’on en a faite. Dans ce domaine, la vérité, et par suite la stabilité, ne sont pas encore atteintes ; peut-être ne le seront-elles jamais complètement. — On comprend dès lors ce qu’il y a de précaire à faire de cette vérité instable l’axe et le pivot de la défense du christianisme.
2° Parce que la certitude historique n’est jamais absolue, mais toujours conjecturale. — Cela résulte de ce que nous venons de voir de la très grande révisibilité de la vérité historique. Une vérité toujours révisible, toujours à la merci de la découverte de faits, de sources, de documents, de témoignages nouveaux, ne saurait être d’une certitude absolue. Et cela résulte encore de la nature même de la science historique qui est essentiellement une science de seconde main, de conjecture et de probabilité. L’historien n’a rien vu, rien entendu lui-même des faits qu’il étudie. Il est obligé de se fier à ses sources ; ces sources sont toujours des témoignages, ces témoignages sont portés par des témoins, c’est-à-dire par des hommes ; et les hommes sont toujours faillibles. On. ne peut réviser leur témoignage que par celui d’autres témoins également faillibles ; jamais par vérification expérimentale, puisque les faits dont s’occupe l’histoire sont des faits passés, non renouvelables. En sorte que là même où les résultats historiques peuvent être considérés comme acquis, là où la vérité historique ne varie plus (et il y a des points où l’on peut croire qu’elle ne varie plus), là même où l’on parle de certitude historique, il n’y a pas, il ne saurait y avoir (de par la nature même de la science historique) certitude absolue ; mais seulement certitude conjecturale, très grande probabilité. — C’est là une seconde raison de la faiblesse de la méthode historique, et qui nous la fait écarter, non pas entièrement sans doute, mais comme méthode directrice de l’apologétique chrétienne.
3° Parce qu’il n’y a aucun lien nécessaire entre la vérité historique et la vérité religieuse du christianisme.
4° Parce que le côté historique du christianisme va ressortissant de plus en plus à d’autres disciplines théologiques. — Il convient de remarquer, en effet, qu’au temps où florissait l’apologie historique, la théologie manquait encore de cette discipline spéciale que l’on appelle la critique historique, et qui se fait jour maintenant avec un éclat et une rigueur incontestables, dans l’exégèse, dans la théologie biblique, dans l’introduction au Nouveau et à l’Ancien Testament. Dès lors, tous les points d’histoire relatifs à la vérité chrétienne étant traités là et pour eux-mêmes, il devient inutile (moins nécessaire en tous cas) de les reprendre en apologétique. Nous avons le droit de les supposer connus. — Ceci explique la nécessité où étaient les anciens apologistes d’user d’arguments d’histoire, et la plus grande liberté des apologistes modernes à cet égard. Ils avaient les mêmes raisons d’en faire usage que nous avons aujourd’hui de ne pas nous y arrêter. C’est une raison d’opportunité et de convenance qui, en sus des autres, nous met à l’aise pour écarter une méthode dont nous reconnaissons cependant le bien fondé relatif.
5° Parce que l’histoire, qui qualifie la vérité chrétienne, ne la constitue pas cependant. — C’est, à notre sens, la raison principale qui nous permet d’écarter la méthode historique comme méthode directrice d’une apologie du christianisme. Elle nous paraît évidente en soi ; nous nous y arrêterons donc d’autant moins, que nous allons la reprendre tout à l’heure et la développer sous forme positive.