Virtuellement, l’Église a été fondée par le Christ pendant sa vie terrestre, mais en réalité elle ne l’a été qu’au jour de la Pentecôte, par l’effusion, l’inspiration du Saint Esprit. L’inspiration est l’acte par lequel l’Esprit de Dieu pénètre l’esprit de l’homme pour établir entre Dieu et lui une union permanente. L’inspiration est donc le miracle qui correspond à celui de l’incarnation. C’est évidemment la destination de l’Église de convertir le monde et de le régénérer, en lemettanten contact avec la force rédemptrice qui est en Christ. Aussi il’est impossible de se représenter l’Église entreprenant cette œuvre à l’aide seulement de généreuses et sympathiques pensées, de pieux souvenirs, ou même d’un esprit divin agissant à de rares intervalles et se traduisant au dehors dans de vagues et confuses impressions. Désarmée et vaincue à l’avance, l’Église eût fait son entrée dans le monde, cherchant sa voie, comme un vaisseau sans gouvernail et sans boussole, n’évitant un écueil que pour aller se heurter contre un autre plus dangereux encore. Au travers de ces orageux débuts, de ces douloureuses incertitudes, nous aurions vu se produire une foule de sectes et d’écoles gnostiques, mais vainement nous eussions attendu l’Église, cette puissance organisatrice qui met en évidence la rédemption et la lumière, s’étend sur tous les siècles et sur toutes les nations, traversant l’histoire comme un fleuve de grâce et de vie. On ne peut donc se représenter l’Église qu’apparaissant tout à coup et en souveraine dans le monde, s’imposant comme la nouvelle création qui est en Christ, soumise il est vrai à un développement continu et séculaire, vivant dans la dépendance du Christ son chef et son modèle, et trouvant en lui la force de sa divine origine et de sa glorieuse immortalité. L’œuvre première que l’Église doit accomplir dans le monde l’appelle à déposer au sein de l’humanité le principe générateur d’une histoire nouvelle ; elle doit donc initier son action avec la plénitude de l’Esprit, et dans la possession intensive et virtuelle de toutes les grâces de la sainteté. L’Église apostolique, le premier chaînon dans le développement de l’Église, n’est pas le plus imparfait, mais au contraire le plus intensivement parfait. Christ, le nouvel Adam, est le premier-né entre plusieurs frères, non parce qu’il est le premier dans l’histoire et dans la série du développement, mais parce qu’il s’élève entre tous comme le type que tous doivent imiter. On peut dire aussi que, relativement aux époques religieuses et aux différentes formes ecclésiastiques subséquentes, l’Église apostolique est l’aînée entre plusieurs sœurs, parce que toutes trouvent en elle la raison de leur développement.
Remarque. — Une nouvelle création spirituelle ne peut apparaître que dans la plénitude et la conscience entière de sa force. On ne se la représente pas débutant par des tâtonnements, des hésitations et des à peu près. Les analogies que constate le développement du génie naturel peuvent à cet égard nous servir de règle, en tenant compte il est vrai des difficultés et des différences qui embarrassent et parfois compromettent sa marche. Ne sait-on pas, en effet, que l’heure, grâce à laquelle le génie conquiert la conscience de lui-même et le sentiment de sa force, reste pour toujours le modèle de tous ses progrès futurs, obligés, si grands soient-ils, à produire et à développer ce que contient l’inspiration première ? Ne sait-on pas encore que, pour atteindre à son développement véritable, le génie doit demeurer fidèle à cette première inspiration, en retenant pour toujours, au milieu des luttes de la pensée, ses formes premières, ses grandes visions qui marquèrent son appel et son entrée dans la carrière ? Ce qu’est l’inspiration première dans le développement de l’homme de génie, l’effusion du Saint Esprit l’est pour l’Église considérée comme une grande individualité religieuse. Pour elle aussi, l’époque de l’inspiration doit servir de loi à toutes celles qui seront appelées à concourir à son développement. Ce n’est qu’en agissant et en vivant de la pensée qui directement la rattache aux jours de la première inspiration, qu’elle peut réaliser sa véritable destinée ; dès l’instant qu’elle abandonne cette voie, elle devient infidèle à sa vocation véritable et tombe sous la domination des esprits mauvais.
Remarque. — Un homme d’esprit disait : « Il y a des auteurs qui n’ont pas encore fait leur Pentecôte. » Il voulait dire qu’en bien des cas il peut se faire que le génie existe, mais sans pouvoir se manifester au dehors, n’ayant pas encore la conscience de sa force. L’Esprit, cet invisible artiste, la puissance qui crée les formes et les caractères vivants, ne les a pas encore visités. Ces considérations sont nécessaires pour nous faire comprendre la situation des apôtres avant l’effusion du Saint Esprit. Virtuellement, ils possédaient déjà l’Esprit du Christ dans son enseignement et par le fait de leur élection comme apôtres, mais en réalité ils ne l’avaient pas encore reçu, puisqu’ils n’avaient encore rien fait. Mais, privés de la présence de leur Maître et obligés de rester à Jérusalem, dans le silence et le recueillement, ils devinrent bientôt capables de recevoir l’Esprit Saint.