L’histoire de la Bible

UN TRÉSOR DANS UNE CORBEILLE À PAPIER

17. LE CODEX SINAÏTICUS

« Je me réjouis de Ta Parole
Comme celui qui trouve un grand butin » 1

1 Psaume 119.162.



Fragment du Codex Alexandrinus (British Museum, Londres).

D’une part la Bible se propageait, d’autre part la connaissance de la Parole divine augmentait. Alors qu’à Genève des serviteurs de Dieu de la trempe de Haldane, Darby, Gaussen ou Merle d’Aubigné remettaient à l’honneur des vérités scripturaires négligées jusqu’alors, des érudits disséminés dans toute l’Europe se penchaient sur d’antiques manuscrits bibliques, tentant d’y découvrir de nouveaux secrets.



Rome, vue de la coupole de la Basilique Saint-Pierre.



La Basilique Saint-Pierre, à Rome.

Déjà en 1628, le patriarche Cyril Lucar de Constantinople avait offert à Charles 1er d’Angleterre un document de haute valeur : le Codex Alexandrinus, une Bible presque complète en grec, originaire d’Alexandrie, datant du 5e siècle. En guise de préface, on y trouve une inscription bien significative : « Ecrit par Thékla, le martyr ». Ce témoin dont on ignore tout avait, lui aussi, donné sa vie pour la cause de la Parole divine. Cette Bible, miraculeusement préservée au travers des siècles, se trouve actuellement au British Museum à Londres.



Le Codex Vaticanus : fac-similé à Londres.



Le Codex Vaticanus : feuillet exposé à la Bibliothèque du Vatican.

Début du 19e siècle. Le bruit court que la Bibliothèque du Vatican détient un trésor semblable, jalousement gardé. Un profond mystère règne au sujet de ce document que nul n’ose consulter. Ce n’est que vers 1850 qu’un helléniste, le Dr. S.P. Tregelles, obtient l’autorisation d’examiner cette Bible grecque datant du 4e siècle. Toutefois, deux prêtres sont chargés de le distraire pendant sa visite aux archives vaticanes ; ils ont pris la précaution de lui ôter plume, crayon et papier, afin qu’il ne puisse relever la moindre indication du précieux manuscrit. Le Codex Vaticanus est admirablement conservé ; quelques feuillets du début de la Genèse et de la fin du Nouveau Testament en ont malheureusement été arrachés, sans doute lors de quelque persécution. On ignore tout de son origine. Peut-être a-t-il été copié en Egypte, sous l’impulsion d’Athanase ou de ses collaborateurs : où bien, était-il du nombre des cinquante Bibles transcrites par les soins d’Eusèbe, sur l’ordre de Constantin ? Ce qui est évident, c’est que le Codex Vaticanus se trouvait à Rome bien avant la fondation du Vatican en 1448. Ah ! si l’Eglise catholique avait su en tirer les directives, et considérer ce document comme l’expression exclusive de la volonté divine pour la chrétienté…



Constantin Tischendorf (1815-1874).

En ce milieu du 19e siècle, un autre manuscrit de valeur va faire parler de lui. On doit sa découverte à Constantin Tischendorf, savant allemand, qui s’est voué à la recherche d’antiquités bibliques. Passant d’une ville à l’autre, il parcourt les bibliothèques d’Europe, en quête de textes jusqu’ici ignorés des théologiens, et susceptibles d’apporter des lumières complémentaires à la connaissance des Ecritures. Bien vite, il se rend compte que seul un voyage dans les pays de la Bible pourrait encore lui permettre quelque découverte d’importance.

En 1844, il visite donc la Syrie, la Palestine et l’Egypte, sans enregistrer de trouvaille particulière. Il s’apprête à regagner l’Europe, lorsque quelqu’un l’engage à s’arrêter au couvent Sainte-Catherine, au pied du mont Sinaï : sa bibliothèque détient, paraît-il, des manuscrits bibliques très anciens.



Représentation de l’accès au monastère Sainte-Catherine.

Le monastère Sainte-Catherine fut érigé au début de l’ère chrétienne sur les flancs du Djebel Moussa, la montagne où Moïse reçut le Décalogue. Si, au cours de l’histoire, bandes armées ou pillards n’ont pu mettre la main sur les trésors conservés dans sa bibliothèque, c’est que les hautes murailles du couvent les ont tenus en respect. Seule manière d’accéder à l’intérieur : la corbeille suspendue à la corde, qu’un moine faisait coulisser sur une poulie. Ravitaillement ou visiteurs devaient emprunter ce moyen à la fois primitif et pittoresque, qui rappelle celui qu’utilisa l’apôtre Paul pour fuir Damas 2.

2 Actes 9.25 ; cp. 2 Corinthiens 11.33.

Tischendorf se laisse donc hisser dans la corbeille. Il constatera bien vite que le voyage au Sinaï en vaut la peine. La bibliothèque recèle toutes sortes de trésors, manuscrits anciens, rouleaux de parchemin ou codex reposant là depuis des temps immémoriaux.

Un jour que le savant arpente l’un des couloirs du monastère, il remarque des feuillets jaunis par les âges, jetés pêle-mêle dans une corbeille à papier : un texte biblique grec, d’une écriture plus ancienne que tout ce qu’il a vu jusqu’ici. D’emblée Tischendorf reconnaît la Version des Septante. Cette liasse de parchemins est manifestement destinée au rebut ; aux dires des prêtres, d’autres antiques documents remplissant deux baquets sont déjà devenus la proie des flammes. Mais Dieu veille sur Sa Parole, permettant qu’un érudit arrive juste à temps pour rendre les moines attentifs à la valeur de ce document et en empêcher ainsi la destruction. Ils permettent à Tischendorf de l’emporter en sa cellule, où le savant peut l’examiner à son aise. Ces pages appartiennent à une Bible copiée au 4e siècle.

Mais lorsque le voyageur parle d’acquérir ce manuscrit, les moines se sont ressaisis. Soudain conscients de la valeur de ce trésor négligé, ils ne cèdent à Tischendorf que 43 feuillets, soit le tiers du document. Le théologien ne ramène donc à Leipzig que des fragments de la plus ancienne Bible du monde — le premier livre des Chroniques, Jérémie, Néhémie et Esther — qui sont présentés au roi de Saxe sous le nom de Codex Frédéric-Auguste ; ils sont alors déposés à la bibliothèque de l’Université de Leipzig, où ils se trouvent encore.

Mais Tischendorf ne peut oublier les précieuses pages entrevues au couvent Sainte-Catherine lors de sa visite. L’intervention d’un personnage important à la cour d’Egypte ne parvient pas à fléchir la détermination des moines. Aussi, en 1853, le savant allemand entreprend-il un nouveau voyage au Sinaï. Peine perdue : nul ne sait ce qu’est devenue la fameuse liasse de manuscrits. Tischendorf n’en découvre qu’une toute petite partie — quelques versets de la Genèse — suffisante toutefois pour prouver que le Codex comprenait autrefois tout l’Ancien Testament.

Cependant, avec la détermination caractéristique d’un ressortissant germanique, Tischendorf ne veut S’avouer vaincu : au contraire, tous ces déboires stimulent son opiniâtreté. En 1858, il convainc le Tsar d’organiser et de financer une expédition au Moyen-Orient, dont les objectifs essentiels seront la recherche et l’acquisition de manuscrits bibliques.



Galerie du monastère Sainte-Catherine.

Ainsi, en janvier 1859, le théologien de Leipzig se retrouve pour la troisième fois au couvent Sainte- Catherine. Après douze jours de vaine recherche, il décide de regagner l’Egypte. Nul n’a plus entendu parler des 86 feuillets. jaunis que Tischendorf avait aperçus quinze ans plus tôt. Probablement que cet irremplaçable trésor a été brûlé à son tour. Tischendorf songe mélancoliquement aux documents analogues, peut-être fort nombreux, qui ont subi le même sort. Si l’on était arrivé assez tôt pour les arracher à la destruction, ils auraient sans doute élucidé plusieurs mystères et rempli certains espaces demeurés vides en ce passionnant puzzle, à peine ébauché, de l’histoire des livres bibliques durant les quatre premiers siècles de l’ère chrétienne.



Fragment du Codex Sinaïticus.

Très déçu, Tischendorf se prépare à quitter le Sinaï. Les chameliers sont convoqués pour le surlendemain. Et voici qu’un simple incident bouleverse ses projets. et sa carrière. Dans sa promenade quotidienne, il rencontre l’économe de l’établissement, qui l’invite dans sa cellule pour prendre un rafraîchissement. La conversation s’engage :

— Moi aussi, je lis la Version des Septante.

— Ah ! et dans quelle édition ?

L’ecclésiastique se lève et, dans l’angle de la pièce, découvre un drap rouge enveloppant une liasse de manuscrits. Il ne faut pas longtemps à Tischendorf pour reconnaître le fameux document auquel il a déjà consacré tant d’années. Mais cette fois, il sait contrôler son émotion, se bornant à solliciter l’autorisation d’emporter ces textes dans sa chambre pour les examiner plus tranquillement. Alors il donne libre cours à sa joie. Il a devant lui non seulement le solde des 129 feuillets découverts quinze ans auparavant dans la corbeille à papier, mais d’autres parties de l’Ancien Testament dont il n’avait pas soupçonné l’existence en 1844, puis le Nouveau Testament en entier, ainsi que deux écrits apocryphes, le Berger d’Hermas et l’Epître de Barnabas. Avec les 43 feuillets déjà déposés à Leipzig, l’ouvrage entier comprendra donc 390 pages, admirablement calligraphiées et conservées : trouvaille sensationnelle, qu’il s’agit maintenant de ramener en Europe.

Mais Tischendorf n’est pas au bout de ses peines. Le prieur du couvent vient de partir pour le Caire, d’où il se rendra à Constantinople pour l’élection du nouvel archevêque. Le savant allemand se précipite à sa poursuite. Il voudrait l’engager à proposer le document au Tsar ; comme protecteur de la foi orthodoxe, il ne manquera pas de s’y intéresser et en offrira une somme importante. Cependant, le nouvel archevêque a seul la compétence d’accorder cette permission. Or, son élection sera contestée pendant plusieurs mois. Tischendorf s’arme de patience. Il tente bien d’entreprendre sur place la copie du document, mais comment s’acquitter d’une tâche si importante dans des conditions sommaires, dans l’inconfort et par des températures très élevées ? Ses démarches, se heurtent à des difficultés insurmontables, et il finit par se résoudre à faire lui-même le voyage jusqu’à Constantinople, où enfin il obtiendra satisfaction. Bref, le 19 novembre 1859, Tischendorf est reçu en audience par Alexandre II, à la cour de Saint-Petersbourg — actuellement Leningrad. Le monastère du Sinaï recevra 9000 roubles du trésor impérial en échange du Codex Sinaïticus. Le Tsar financera également l’impression des fac-similés du précieux document ; TiSchendorf est chargé de mener à bien cette délicate entreprise. Puis le Codex est déposé à la Bibliothèque Impériale, où il demeurera jusqu’en 1933.



Le Codex Sinaïticus.

Les reproductions du Codex Sinaïticus de Saint-Petersbourg complétées de celles du Codex Frédéric-Auguste de Leipzig se répandent partout, apportant des lumières nouvelles sur le traditionnel texte biblique reçu. La trouvaille de Tischendorf permettra à la science des Ecritures de faire d’importants progrès. Les trois Codex — Sinaïticus, Vaticanus, Alexandrinus — et les manuscrits bibliques découverts au 19e siècle exigent une réauthentification des documents antérieurs, puis la préparation de nouvelles traductions de l’Ecriture sainte dans les principales langues européennes. C’est pourquoi, entre les années 1850 et 1910, fleurira une gerbe d’éditions nouvelles de la Bible ; les principales sont : en anglais, la Revised Version, les travaux de Alford, de Conybeare & Howson et de Darby ; en allemand, les versions Menge, Elberfeld et Schlachter ; en italien, les versions Luzzi et Reviduta ; en français, les versions Darby, Oltramare, Segond et Synodale.



Leningrad : la Bibliothèque Impériale du Tsar, où le Codex Sinaïticus fut conservé de 1859 à 1933.

Mais le Codex Sinaïticus n’est pas au bout de ses aventures. La révolution de 1917 éclate en Russie. Or le régime bolchévique n’apprécie guère le plus précieux document biblique connu ; l’idéologie athée pourrait bien lui prêter le rôle maléfique d’entretenir la superstition religieuse, et en décréter la destruction. Aussi les chrétiens anglais s’en inquiètent-ils. Le British Museum ouvre une souscription et, le jour de Noël 1933, acquiert du gouvernement soviétique le Codex Sinaïticus pour la somme rondelette de 100 000 livres sterling, soit 2,5 millions de francs de l’époque. Seule la Parole de Dieu est digne d’une transaction de cet ordre…



Londres : Le British Museum, où se trouve actuellement le Codex Sinaïticus.

Le Codex Sinaïticus a donc trouvé sa place d’honneur aux côtés du Codex Alexandrinus dans l’une des salles du Musée Britannique. Doyen des manuscrits bibliques, il s’érige là comme un monument qui domine l’histoire pour attester l’invulnérabilité du texte sacré, sur lequel des millions de croyants ont fondé et fonderont encore leur foi.

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