Saturne, dont le nom vient de serere, satum, semera, était dit venu par mer en Italie dans les temps fort anciens où régnait Janus. Celui-ci fit bon accueil à l’étranger, reçut de lui maintes instructions, qui contribuèrent à améliorer beaucoup le genre de vie du peuple, et il finit par associer Saturne à la royauté.
a – Selon Varron, de ling. lat. V, 10 (Ruperti, p. 487). Tiele, Manuel, p. 321 : « Saturne, le dieu des semailles (Saëturnus) ou bien du rassasiement (Satur). » « Une inscription trouvée sur un vase antique, dit Preller (Mythol. rom., trad., p. 283), nous donne le nom de Saturne sous la forme Saeturnus, qui est très probablement la forme primitive. »
Comme Saturne avait le premier fait frapper de la monnaie en Italie, Janus reconnaissant adopta pour effigie monétaire d’un côté, sa propre image, de l’autre, celle d’un navire. Même au temps de Macrobe, les enfants, dans leurs jeux, criaient encore en jetant en l’air leurs deniers : Tête ou navire.
Janus et Saturne régnèrent d’un commun accord et fondèrent en commun des villes voisines de leur résidence. Virgile rapporte à ces deux rois le nom du Janicule et celui du mont Saturnien, donné d’abord au Capitole. La même union se perpétua dans le Calendrier romain, puisque dès le temps de Numa, le mois de décembre consacré particulièrement à Saturne, précédait immédiatement le mois de Janus (Januarius, janvier).
Le règne de Janus et de Saturne fut remarquable non seulement par l’adoucissement des mœurs, le développement de l’agriculture et l’abondance qui s’en suivit, mais encore par la paix, l’ordre et la liberté dont on jouissait alors.
Saturne ayant subitement disparu, Janus, pour honorer sa mémoire, donna le nom de Saturnia à tout le pays soumis à sa domination. Il fit même considérer son ancien associé comme un dieu, lui éleva un autel et institua en son honneur des cérémonies religieuses, qu’il nomma Saturnales.
On attribuait à Saturne l’invention de la greffe, celle de la culture des arbres fruitiers et tout l’art de fertiliser le sol. Ayant pour insigne la faucille, il était appelé Falcifer, Vitisator, et aussi, pour avoir fait comprendre l’importance de l’engrais, Sterculius ou Stercilinus.
Le roi Tullus Hostilius, ayant triomphé deux fois des Albains et trois fois des Sabins, est dit avoir, à la suite d’un vœu, élevé le temple de Saturne, situé au pied du Capitole. Selon Varron, ce fut Tarquin qui acheta le terrain pour le temple et le dictateur Titus Largius qui l’inaugura. D’autre part, Aulu-Gelle parle de la construction de ce temple comme ayant été décrétée par le Sénat, qui en aurait chargé le tribun militaire J. Furius ; et d’après Tite-Live, le temple fut inauguré par les consuls A. Sempronius et M. Minucius, qui auraient aussi institué les Saturnales. — Au fond ces diverses données ne sont pas aussi inconciliables qu’elles pourraient d’abord le paraître.
Il y avait dans le temple un autel et devant le temple, une salle à manger. On sacrifiait dans les Saturnales la tête découverte, « selon la coutume grecque », dit Macrobe, parce qu’en ce jour de joie on ne craignait aucun mauvais présage, dit Ruperti. — Le temple renfermait le trésor public des Romains. — Au faîte, se trouvaient des Tritons avec des trompes de bergers, et la queue des Tritons plongeait en terre. — La statue de Saturne qui était dans le temple, était creuse et remplie d’huile. C’était un vieillard portant une grande barbe. Les pieds du dieu étaient retenus dans des entraves de laine, dont il n’était délivré qu’au grand jour des Saturnales. « La plus simple explication de cet usage, dit Preller, se tire de l’opinion qu’avaient les anciens, qu’en liant la statue du dieu, ils retiendraient sa protection et s’assureraient sa présence. »
Ops, épouse de Saturne, dispensatrice de la plénitude des provisions et du bien-être, était adorée dans le même temple que son époux. Elle représentait la fécondité de la terre, de qui venait toute prospérité. De là les expressions de opulenti, gens vivant dans l’opulence ; hostiæ opimæ, grasses victimes ; opima spolia, dépouilles opimes, c’est-à-dire riche et abondant butin. Ops était aussi appelée Consiva ou Opeconsiva et, comme telle, elle avait sa fête spéciale (Opiconsivia), le VIII des calendes de septembre. — Ops personnifiait quelquefois la terre, et Saturne, le ciel. — Pour Virgile, Saturne était venu du ciel en Italie
Les Saturnales étaient pour les Romains une représentation des heureux temps de la domination de Saturne et en même temps une fête de réjouissance et d’actions de grâces après les récoltes de l’année. Au commencement du grand jour de la fête, on allumait dans le temple un grand nombre de cierges. Puis on offrait un sacrifice au dieu et on déliait ses pieds. Alors éclatait la joie générale, image des temps fortunés où il n’y avait ni maîtres ni esclaves. Toutes les affaires étaient suspendues, même dans la maison. Un banquet avait lieu près du temple de Saturne. — Les esclaves pouvaient alors porter la toge et se couvrir la tête en signe de liberté. Les maîtres ne leur imposaient aucun service. Il y avait même des repas où, revêtus non de la toge, mais de la synthesis, vêtement des festins, ils servaient leurs esclaves, qui pouvaient se permettre les plus libres propos (protervi sales). Les prisonniers eux-mêmes jouissaient à ce moment d’une certaine liberté. De toute part on se faisait des cadeaux. Les clients en particulier offraient à leurs patrons des cierges consacrés à Saturne. Les cadeaux étaient souvent des sigilla ou petites images des dieux, également consacrées, ou des oscilla petites figurines avec lesquelles on aimait à réjouir les enfants. Ceux qui se rencontraient, s’abordaient en disant : lo, bona Saturnalia, ce qui s’appelait Saturnalia clamare.
Comme le donnerait à entendre une des traditions sur l’origine des Saturnales, comme le confirmerait une autre tradition rapportée par Macrobe, relative à l’histoire des Compitales, et selon la propre opinion de cet auteur, il est probable que ces sigilla et ces oscilla rappellent de vrais sacrifices humains, qui auraient eu lieu dans des temps plus anciens. Bien alors ne saurait mieux faire sentir l’immense différence qu’il y avait entre le Saturne oriental et le Saturne romain et, si l’on doit admettre entre eux une filiation, l’énorme transformation qu’aurait subie celui-là en devenant celui-ci. — D’autre part, comme le dit Preller, le Saturne romain a fini par se confondre avec le Kronos grec, émigré en Italie. « A partir d’Ennius, dit-il ailleurs, Saturne se confondit avec le Kronos grec, Ops avec Rhéa ; Saturne devint peu à peu le symbole de l’éternité, tandis qu’Ops, adorée au Capitole comme la mère de Jupiter, était regardée comme une des plus puissantes déités. » — L’histoire du dieu Saturne semble fort complexe. Il faudrait y distinguer : 1° le Saturne chaldéen ou Adar, avec ses phases diverses ; 2° le Saturne grec, désigné d’abord par le nom de Κρόνος, qui viendrait peut-être de κραίνω signifiant accomplir, achever, commander, gouverner, et de la même racine que le latin creo, le sanscrit kri, faire (d’après le Greek-english Lexicon, Oxford, 1883) ; puis par le nom de Χρόνος temps ; 3° le Saturne romain ; et enfin le Saturne gréco-romain.
Macrobe dit qu’à l’origine la fête ne durait qu’un jour, et il appuie fortement cette opinion, tout en reconnaissant que d’anciens auteurs alléguaient qu’elle durait 7 jours, chiffre qui peut s’expliquer, si l’on rattache au grand jour des Saturnales soit deux jours de préparation qui l’auraient précédéb, soit plusieurs autres fêtes qui, comme nous allons le voir, suivaient les Saturnales proprement dites, s’y reliaient plus ou moins étroitement et, en partie, étaient aussi fort anciennes.
b – C’était particulièrement dans ces deux jours que l’on se donnait les sigilla et les oscilla.
Avant Jules César, le grand jour des Saturnales était en tout cas le XIV avant les calendes de janvier, soit le 19 décembre. Mais César, dans sa célèbre réforme du calendrier, ajouta deux jours au mois de décembre, ce qui fit que le 19 de ce mois devint le XVI des calendes de janvier. Il en résulta de la confusion dans la célébration du grand jour, les uns maintenant le XIV et les autres faisant la fête un autre quantième. Aussi l’empereur Auguste décida-t-il que dorénavant les Saturnales dureraient 3 jours, du XVI au XIV, le grand jour étant le XIV et étant appelé, du nom de Ops, le jour des Opales.