Les questions de doctrine dans les premières conférences. — Relations des sociétés avec l’Église anglicane. — Progrès des idées de Wesley sur ce sujet. — Tentatives de rapprochement. — Les sociétés réclament les sacrements. — Décision de la conférence de 1755. — Avortement d’une nouvelle tentative de rapprochement. — Conduite de Wesley dans ces transactions. — Règles pour l’admission des prédicateurs. — Soins donnés à leur développement intellectuel. — Conseils que leur donne Wesley sur leurs études et sur l’activité pastorale. — Itinérance. — Leur esprit de renoncement. — Leur position matérielle. — Décisions prises à ce sujet. — Utilité de ces agents. — Projets d’organisation pour l’avenir. — Etat des sociétés. — Développements successifs de leur organisation. — Pouvoir de Wesley. — Fin de la période.
Plus de trente ans s’étaient écoulés depuis l’apparition en Angleterre du Réveil méthodiste, et un quart de siècle avait passé depuis le jour où, dans sa première conférence, il avait affirmé son unité et posé les bases de son organisation. Cette organisation s’était développée depuis lors sans secousses et avec une sage lenteur, en suivant ces indications providentielles auxquelles Wesley prêtait tant d’attention. Ce sont ces développements successifs qui se produisirent pendant cette deuxième période de l’existence du méthodisme que nous avons maintenant à retracer à grands traits.
Le réveil dont Wesley et ses amis furent les ouvriers était, à leurs yeux, un retour aux doctrines et à la pratique de l’Évangile, beaucoup plutôt qu’une réforme ecclésiastique. Les questions d’organisation n’y apparurent qu’en seconde ligne, et dans la mesure où elles intéressaient le salut des âmes et les progrès de la vie chrétienne. De là le caractère des premières conférences. Composées des prédicateurs de Wesley, auxquels s’adjoignaient des pasteurs anglicans favorables au Réveil, des amis de Whitefield, et quelquefois aussi de simples laïques, elles s’occupèrent d’abord de préciser les doctrines qui formaient le fond de l’enseignement. La justification, la sanctification et le témoignage du Saint-Esprit firent le sujet de discussions dont les résultats sont consignés dans les Minutes que Wesley en publia par la suite. La position prise par lui à l’égard de quelques doctrines, qu’il entendait un peu autrement que certains chrétiens de son temps, nécessitait ces expositions destinées à faire la lumière sur ces sujets. Nous n’avons pas à nous étendre ici sur ces exposés ; les vues de Wesley sur les grandes questions de la foi et de la vie chrétiennes n’avaient fait d’ailleurs que se préciser et se fortifier pendant cette deuxième période de son œuvre ; elles n’avaient subi aucune modification importante depuis la première conférence où elles s’étaient affirmées.
Ses vues sur l’organisation de ses sociétés et sur leurs rapports avec l’Église anglicane durent, au contraire, sous la pression des événements, subir de profondes modifications. Nous avons vu Wesley débuter avec l’espérance qu’une entente cordiale ne tarderait pas à s’établir entre le clergé et lui. Tout le portait à la désirer ardemment, ses traditions de famille, sa tournure d’esprit, ses sympathies naturelles, l’intérêt même de son œuvre ; et il fallut les plus dures leçons de l’expérience pour le guérir de ses généreuses illusions. Il est intéressant d’indiquer rapidement l’évolution, qui s’accomplit peu à peu dans ses idées ecclésiastiques.
Dès les premières conférences, composées en partie de ministres officiels, il revendique hautement les droits de la liberté chrétienne en face des prétentions exorbitantes de l’épiscopat. « La volonté d’un chef peut-elle avoir force de loi ? » demande-t-il dans la deuxième conférence, et il répond catégoriquement : « Non, dans aucun cas, que ce chef soit temporel ou spirituel. Donc, si un évêque m’interdit de prêcher l’Évangile, je dois passer outre ; il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommesa. » Cette indépendance si nettement affirmée, ’Wesley la pratiquait alors depuis plusieurs années : elle avait été une nécessité pratique avant de devenir un système. Ce libéralisme s’alliait toutefois alors chez lui à certains préjugés, fruits de l’éducation ; il croyait encore à la succession apostolique du clergé de l’Église et à son caractère sacerdotal, et il défendait très vivement l’épiscopalisme anglican. Toutefois ses opinions vacillaient déjà sur tous ces points. La lecture du livre de lord King sur l’Église primitive paraît avoir exercé une grande influence sur le développement de ses convictions. « En dépit des préjugés enracinés de mon éducation, écrit-il après l’avoir lu, je me sens porté à croire que c’est là un tableau juste et impartial ; mais, si c’est le cas, il en résulte que les évêques et les anciens sont essentiellement de même rang, et qu’à l’origine chaque congrégation chrétienne formait une Église indépendante de toutes les autresb. »
a – G. Smith, History of Wesleyan Methodism, 1859, t. I, p. 224.
b – Journal de Wesley, 20 janvier 1746
Ces principes acceptés ici dubitativement le furent de la façon la plus positive dans la conférence de 1747. Wesley y déclara qu’une Église nationale est « une institution purement politique », et que « le droit divin des évêques n’a été inventé que sous le règne d’Elisabethc » ; il revendique d’ailleurs fort sagement pour l’Église le droit de modifier son organisation, suivant les temps et les circonstances, sans chercher dans l’Église apostolique un patron tout fait. Il essayait néanmoins encore de concilier ces principes avec le respect de l’autorité épiscopale. Son désir d’amener une conciliation était si grand, qu’il le portait à faire des concessions qui auraient pu compromettre le succès de l’œuvre que Dieu lui avait confiée. C’est ainsi que cette même année il tenta de limiter les développements du ministère laïque, qui faisait ombrage au clergé anglican, et il travailla à calmer quelques susceptibilités, en recommandant à ses auxiliaires d’essayer, pendant une année, de prêcher sans organiser de nouvelles sociétés. Il dut bientôt renoncer à ces concessions périlleuses qui paraissaient insuffisantes à ses adversaires, tout en menaçant de dissoudre son œuvre. Le clergé d’ailleurs, par son opposition inintelligente, semblait prendre à tâche de lever les derniers scrupules de Wesley et de perdre, à ses yeux, tout le prestige de cette autorité qu’il avait appris à révérer.
c – Smith, Hist., t. I, p. 236.
Du sein même des sociétés, qui commençaient à avoir conscience de leur force, s’élevaient déjà des réclamations d’une énergie croissante ; dès 1751, des plaintes assez vives se firent entendre. Une grosse question se posait, qui devait créer d’énormes embarras jusqu’au jour encore bien éloigné où elle serait tranchée dans un sens libéral. Les sociétés, qui trouvaient dans le ministère de leurs prédicateurs la satisfaction de leurs besoins religieux, souffraient d’être obligées de recourir, pour les sacrements, aux ministres anglicans. Ceux-ci, généralement opposés au méthodisme, étaient souvent aussi des hommes sans piété et même d’une moralité douteuse ; on conçoit que les personnes pieuses éprouvassent quelques scrupules à recevoir les symboles sacrés de la main qui soudoyait l’émeute destinée à troubler leurs réunions. Souvent aussi, ils étaient exclus de la table sainte, où prenaient place sans opposition les pécheurs scandaleux. Wesley, comme nous l’avons vu, avait lui-même enduré ce traitement.
En présence de telles vexations, les sociétés en arrivèrent à réclamer de leurs prédicateurs l’administration des sacrements ; ceux-ci refusèrent longtemps ; mais finalement, dès 1754, quelques-uns d’entre eux, Thomas Walsh, Edouard et Charles Perronet, cédèrent aux instances de leurs troupeaux et prirent sur eux-mêmes de leur donner la Cène. Ce fait eut un grand retentissement et souleva de vives controverses au sein des sociétés. La conférence de 1755, qui ne comptait pas moins de soixante-trois prédicateurs, eut à prendre une décision sur ce grave sujet. La question se posa dans toute sa largeur, et l’on se demanda s’il fallait se séparer de l’Église établie ; tous sentaient que telle était, après tout, la portée de cet incident. Après une discussion calme et approfondie qui dura trois jours entiers, il fut arrêté que la conférence, « sans décider si la séparation était légitime ou non, jugeait qu’elle n’était pas utile. » Walsh et ses amis consentirent, pour l’amour de la paix, à cesser d’administrer les sacrements. Wesley loua beaucoup leur esprit de conciliation, mais il avoua « qu’il n’avait rien trouvé à répondre à leurs arguments ». Dans une lettre à son frère Charles, qui s’était montré très hostile à ces innovations, Wesley s’écrie : « Cette Église établie est véritablement une Babel. Qu’elle subsiste tant qu’elle pourra ; quant à moi, je ne ferai rien pour la faire tomber ; mais je ne ferai rien non plus, pour l’en empêcher. Occupons-nous plutôt, vous et moi, à édifier la cité de Dieud. »
d – Œuvres, t. XII, p. 118.
En 1758, Wesley publia ses Douze raisons contre une rupture avec l’Église anglicane, brochure remarquable par sa modération et son sens pratique, dans laquelle il justifiait son attachement à l’Église établie, attachement bien désintéressé, à coup sûr, et qui n’était guère payé de retour. Il s’en aperçut en 1764, lorsque, renouvelant une tentative déjà faite précédemment, il adressa une lettre circulaire aux pasteurs évangéliques de l’Angleterre pour réclamer d’eux. « non quelques concessions sur quelque point de doctrine, » mais un concours plus actif dans l’œuvre du réveil de la piété pratique. Le silence le plus dédaigneux accueillit ce manifeste ; trois pasteurs seulement prirent la peine de lui répondre. Quelques-uns eurent une conférence avec lui et se contentèrent de lui proposer un plan qui n’eût abouti qu’à absorber purement et simplement le méthodisme dans l’anglicanisme et à l’étouffer, sous prétexte de l’embrasser. Wesley eut la douleur de voir, dans ces débats, son frère faire cause commune avec ceux qui lui conseillaient de sacrifier l’organisation qui avait fait le succès de son œuvre. Il comprit qu’il ne fallait plus se bercer de l’espoir d’avoir l’appui du clergé officiel, et il se décida à poursuivre sans son concours l’œuvre de sa vie.
La question de l’administration des sacrements demeurait pendante, et il fallait essayer de répondre de quelque manière aux vœux des sociétés. Outre le concours direct de quelques pasteurs anglicans peu nombreux, Wesley avait obtenu l’ordination épiscopale pour un petit nombre de ses collaborateurs. L’évêque de Londonderry, en Irlande, qui encourageait les travaux des méthodistes dans ce pays, avait imposé les mains à Maxfield, en lui disant : « Monsieur, je vous confère l’ordination pour que vous veniez en aide à ce saint homme, afin qu’il ne se tue pas par une surcharge de travail. » La défection de Maxfield, que nous avons racontée, enleva cet auxiliaire à Wesley. Un prélat de l’Église grecque, l’évêque Erasme, visita l’Angleterre en 1761 et s’intéressa tellement au mouvement méthodiste, qu’il consentit à imposer les mains à quelques-uns des prédicateurs. Ce fait eut un grand retentissement et attira à Wesley de vives critiques.
On a jugé très sévèrement l’apparente indécision dont il fit preuve dans ses rapports avec l’Église établie ; on lui a reproché d’étranges hésitations dans le choix d’une position ecclésiastique ; on l’a accusé d’avoir placé dans une situation fausse la société qu’il fonda, et cela par un respect exagéré pour l’Église anglicane. Il est certain que, jusqu’à une période avancée de sa vie, Wesley ne put pas se faire à l’idée de rompre avec l’Église, à laquelle il était attaché par tant de liens ; elle a beau le malmener et le répudier, il lui conserve un attachement très vif ; et, même sur ses vieux jours, il a pour elle de subits retours d’affection et des tendresses qui étonnent. Il y a là chez ce serviteur de Dieu l’indication d’une délicatesse de sentiments qui jette une vive lumière sur son caractère. Il fut l’un de ces hommes qui ont le respect des choses vieilles ; en face de l’Église décrépite, il ressentit cette noble pudeur de l’enfant qui respecte la majesté paternelle, même chez un père indigne. Il eût mieux servi peut-être ses intérêts et ceux de sa communauté en arborant, dès l’abord, le drapeau de l’indépendance ; il eût eu par là l’avantage d’une position nette et se serait épargné bien des luttes ; il serait devenu peut-être un chef d’école plus renommé ; mais il est douteux qu’il eût été plus utile ici-bas. Nous serions en présence d’une personnalité plus marquante, nous n’aurions pas un caractère aussi pur.
Ne comptant plus guère sur une fusion avec l’Église anglicane, Wesley mit tous ses soins à resserrer les liens qui unissaient ses sociétés à leurs prédicateurs et ceux-ci entre eux. Si la grosse question des sacrements n’était pas encore résolue, elle avait une solution anticipée dans l’existence même de ce clergé populaire, auquel on pouvait bien refuser momentanément quelques droits, au nom d’un respect excessif pour l’ordre établi, niais qui devait les conquérir tôt ou tard par la force même des choses. La période dont nous résumons le travail rendit ce corps de prédicateurs si compact et si homogène, qu’il fut en mesure d’attendre patiemment l’avenir.
Nous avons entendu Wesley déclarer à sa première conférence qu’il n’employait des prédicateurs laïques « qu’en cas de nécessité », et longtemps encore il vit dans leur vocation quelque chose d’essentiellement provisoire. Les événements lui apprirent à en juger autrement, et il dut travailler de toutes ses forces à donner à cette institution un caractère permanent et définitif. Dès la troisième conférence se posa une grave question : « Comment saurons-nous qu’un homme est appelé par Dieu et poussé par le Saint-Esprit à prêcher l’Évangile ? » La conférence jugea qu’il y avait trois sortes de questions à se poser pour s’assurer de la vocation des prédicateurs. « D’abord, connaissent-ils Dieu comme un Dieu qui pardonne ? L’amour de Dieu habite-t-il en eux ? Ne désirent-ils et ne poursuivent-ils d’autre but que Dieu ? Sont-ils saints dans toute leur conduite ? — Deuxièmement : Possèdent-ils les dons nécessaires pour l’œuvre ? Ont-ils, dans une mesure passable, l’intelligence claire et forte ? Jouissent-ils d’un jugement sain sur les choses de Dieu ? Ont-ils une conception juste du salut par la foi ? Dieu leur a-t-il donné le talent d’exprimer leurs idées ? Parlent-ils avec exactitude, avec facilité, avec clarté ? — Troisièmement : Ont-ils des fruits ? Ont-ils vu des âmes convaincues de péché et converties par leur prédicatione ?
e – Smith, Hist. of Wesleyan Methodism, t. I, p. 229.
Ces questions étaient le point de départ d’une sérieuse enquête à laquelle Wesley se livrait sur le compte de ceux qui demandaient à entrer dans les rangs du ministère itinérant. Ils n’étaient admis par la conférence qu’à la suite d’un examen approfondi et après des prières solennelles accompagnées de jeûne. Pendant l’année qui suivait leur réception, ils étaient soumis à un noviciat, et la conférence suivante avait à statuer définitivement sur leur compte. L’admission finale s’accomplissait sans aucun cérémonial ; le candidat était mis à part pour son œuvre, simplement au moyen des prières de ses frères. A cet égard cependant, Wesley réservait l’avenir, et il déclare qu’il ne repousse que pour le moment un mode plus solennel de consécration. « Nous ne voulons rien précipiter, dit-il ; nous désirons simplement suivre la Providence, à mesure qu’elle nous ouvre la voie. »
S’il faisait passer avant tout la vie religieuse de ses auxiliaires, il n’entendait pas négliger leur développement intellectuel. Dès ses premières conférences, il leur prépara un plan d’études et de lectures régulières, et il ne cessa de les aiguillonner au travail, leur recommandant de se lever à quatre heures du matin, comme il le faisait lui-même, pour trouver le temps de mener de front l’étude et la vie missionnaire.
A la conférence de 1766, Wesley eut une conversation sérieuse sur ce sujet avec ses prédicateurs, et il en consigna dans les Minutes un résumé, dont voici quelques extraits :
« Pourquoi ne sommes-nous pas plus instruits ? Parce que nous sommes paresseux. Nous oublions notre première règle : Soyez diligent ; ne restez jamais un moment sans emploi. Ne soyez jamais occupé à des bagatelles. Ne gaspillez pas le temps, et n’en consacrez jamais plus à une chose que le strict nécessaire. — Je crains fort que peu d’entre nous soient sans reproche à cet égard. Lequel parmi vous donne autant d’heures par jour à l’œuvre de Dieu qu’il en donnait autrefois à l’œuvre de l’homme ? Nous parlons trop, ou bien nous lisons tout ce qui nous tombe sous la main. Il faut absolument guérir ce mal. Comment s’y prendre ?
Consacrez toute la matinée, ou au moins cinq heures sur vingt-quatre, à lire les livres les plus utiles, et cela régulièrement et constamment. Mais, dites-vous, je lis seulement la Bible. — Vous devriez donc enseigner aux autres à ne lire que la Bible, et, pour la même raison, à n’entendre que la Bible. Et, dans ce cas, vous n’auriez plus besoin de prêcher. Ainsi parlait George Bell ; et quel en a été le fruit ? Aujourd’hui il ne lit plus ni la Bible ni rien d’autre. C’est là du fanatisme tout pur. Si vous n’avez pas besoin d’autre livre que la Bible, vous êtes au-dessus de saint Paul ; il en demandait d’autres. — Mais je n’ai pas de goût pour la lecture. Contractez ce goût, ou reprenez votre ancien métier. — Mais tous les hommes n’ont pas les mêmes goûts. — C’est vrai ; aussi il y en a qui ne peuvent pas lire autant que d’autres. Mais aucun ne doit lire moins que ce que j’ai dit plus haut. — Mais je n’ai pas de livres. — J’offre de donner à chacun de vous, s’il s’engage à les lire, des livres pour une valeur de cinq livres sterling, et je désire que toutes les grandes sociétés se procurent la Bibliothèque chrétienne pour l’usage des prédicateursf. »
f – Tyerman, Life of Wesley, t. II, p. 582.
Wesley exhortait ensuite ses prédicateurs à employer l’après-midi en visites pastorales et à donner une attention toute particulière aux enfants. Il leur disait que la prédication, si claire et si fidèle fût-elle, laissait souvent d’étranges confusions et d’énormes malentendus dans l’esprit des auditeurs et que des conversations particulières étaient indispensables pour compléter l’œuvre de l’enseignement public. Il leur donnait des indications pratiques très détaillées sur la façon d’accomplir ce travail pastoral, qu’il considérait comme la partie la plus importante de leur tâche. Il voulait qu’autant que possible, le prédicateur, dans ses visites, s’enquît en particulier de l’état spirituel de chaque membre de la famille, et qu’il donnât aux enfants un enseignement adapté à leur âge.
Si on lui objectait l’impossibilité de mener de front l’étude et une œuvre pastorale aussi détaillée, il répondait :
« S’instruire est une bonne chose ; sauver des âmes en est une meilleure.
En faisant cette œuvre, vous acquerrez la plus excellente de toutes les connaissances, celle de Dieu et de l’éternité.
Le temps ne vous manquera pas d’ailleurs pour vous instruire, si vous y consacrez toute votre matinée. Ne donnez à chaque chose que le temps qu’il faut ; ne causez pas plus qu’il ne faut ; ne soyez jamais ni oisif, ni occupé à des riens.
Et, s’il vous fallait absolument choisir entre poursuivre vos études ou instruire les ignorants, renoncez plutôt aux études. Je préférerais jeter bien loin toutes les bibliothèques du monde que d’être coupable de la perdition d’une seule âmeg.
g – Tyerman, Life of Wesley, t. II, p. 581.
Il est impossible, en lisant ces conseils de Wesley à ses évangélistes, de ne pas être frappé du sérieux dont ils sont empreints. Ils nous donnent une haute idée de l’énergie qu’il mettait à faire produire au ministère laïque tout ce qu’il pouvait donner.
Pour tenir ses prédicateurs constamment en haleine et les empêcher de s’user dans une même localité, il les appelait à changer fréquemment de circuits. La conférence de 1767 régularisa ces changements et les rendit obligatoires. Elle décida que « le même prédicateur ne séjournerait pas en général plus d’une année, et exceptionnellement plus de deux, dans une localité. » Plus tard, ce terme fut étendu à trois ans. Les prédicateurs étaient de vrais modèles de renoncement. S’ils ne faisaient pas vœu de pauvreté en entrant dans le ministère itinérant, ils n’en pratiquaient pas moins le renoncement volontaire, tout autant que des disciples de saint François. L’une de leurs règles était celle-ci : « Ne recevez d’argent de personne. Si l’on vous donne à manger quand vous avez faim et des vêtements quand vous en manquez, cela va bien ; mais, ni argent ni or. Ne donnez à personne l’occasion de dire que nous nous enrichissons en prêchant l’Évangileh. » Nourris pas les sociétés, les premiers prédicateurs n’étaient défrayés que de leurs dépenses de voyage, qui étaient des plus modestes, la plupart d’entre eux faisant toutes leurs courses à pied. L’un deux, John Jane, traversa ainsi une fois une grande partie de l’Angleterre n’ayant en poche que trois shillings ; à son arrivée, il n’avait pas même épuisé cette petite somme, grâce à l’hospitalité qu’il avait rencontrée partout sur son chemin. A sa mort, ses hardes furent vendues pour payer ses funérailles, et le produit de la vente ne fut pas suffisant pour couvrir ces frais, bien qu’ils ne s’élevassent qu’à une quarantaine de francs. Wesley, qui mentionne ce fait, ajoute : « Il n’a laissé en mourant qu’une somme d’un shilling quatre pence, — et un prédicateur non marié ne devrait pas léguer plus que cela à ses exécuteurs testamentairesi. »
h – Voy. à l’Appendice les Règles d’un Auxiliaire.
i – Southey, Life of Wesley, t. I, p. 311.
Tous les prédicateurs n’étaient pas disposés, comme celui dont il vient d’être question, à demeurer célibataires toute leur vie, et ceux qui se mariaient s’exposaient à de grandes souffrances. Plusieurs furent même forcés de se retirer de l’œuvre active pour subvenir aux besoins de leurs familles. La conférence de 1752 sentit qu’il fallait porter remède à cet état de choses, et elle décida que les sociétés fourniraient désormais une somme annuelle de douze livres sterling à chaque prédicateur. Cette décision resta à l’état de lettre morte dans bien des cas, et treize ans plus tard, en 1765, la société d’York eut le courage d’envoyer à la conférence une députation pour demander de n’être plus astreinte à payer à son prédicateur un traitement aussi « exorbitant ».
Avec des sociétés aussi pauvres et, dans certains cas, aussi peu libérales, les prédicateurs auraient été exposés à mourir de faim, s’ils n’eussent quelquefois encore mené de front une industrie séculière et les travaux de l’évangélisation ; plusieurs étaient forcés de travailler de leurs mains dans la journée et consacraient à la prédication toutes leurs soirées. Un tel partage de leur activité n’avait rien d’avilissant pour ces serviteurs de Christ, puisque l’exemple de saint Paul l’autorise ; mais il devait nécessairement nuire à leur ministère, auquel ils ne pouvaient consacrer que peu de temps et des forces déjà épuisées. La conférence de 1768, rendue attentive à ce fait, décida que désormais les prédicateurs itinérants devraient se consacrer tout entiers à leur sainte œuvre et compter pour leur subsistance uniquement sur Dieu et sur l’Église. L’année suivante, il fut décidé que les veuves des prédicateurs seraient adoptées par les sociétés, et qu’une collecte se ferait annuellement pour leur allouer une modeste pension ; peu après, quarante-trois veuves étaient déjà à la charge des sociétés. Une décision analogue fut prise au sujet des enfants des prédicateurs, et leurs fils trouvèrent dans l’école de Kingswood un établissement où ils reçurent une éducation chrétienne dont les sociétés firent en partie les frais. Wesley travaillait ainsi à débarrasser ses auxiliaires de ces soucis matériels qui ne pouvaient qu’entraver leur action.
L’utilité de ces modestes agents avait grandi pendant la période dont nous résumons les résultats, et le méthodisme leur était redevable de l’extension merveilleuse qu’il avait prise. Les bornes dans lesquelles se renferme notre récit nous ont interdit de donner un aperçu, même rapide, de leurs travaux si remarquables. Qu’il nous suffise de constater que des hommes tels que Nelson, Walsh, Hopper, Haime, Staniforth, Taylor, Wright rendirent des services incalculables à l’œuvre du Réveilj. Ils avaient reçu une consécration qui remplaçait très suffisamment celle que les évêques leur refusaient ; l’approbation de Dieu qui reposait d’une manière si visible sur leurs travaux, était la meilleure attestation devant l’Église, et c’était la meilleure réponse aux mépris du monde.
j – On peut consulter sur ces hommes dévoués the Early Methodist Preachers, publié par Thomas Jackson, 1865 (6 vol.).
Wesley avait vu dans l’établissement de ce clergé populaire l’action de la Providence ; sa croissance rapide et ses succès l’affermirent dans cette conviction. Il s’appliqua à lui donner des bases inébranlables. En même temps qu’il travaillait à élever son niveau intellectuel et à le pénétrer de l’esprit de sa mission, il se demandait ce qu’il y aurait à faire pour perpétuer son action dans l’avenir. Le grand prédicateur était parvenu à la vieillesse, et il pouvait d’une année à l’autre être enlevé à l’affection de ses sociétés. Jusqu’à sa mort, il devait demeurer le lien vivant de cet organisme déjà considérable ; mais il était prudent de prendre des mesures pour le moment où ce lien se briserait. La conférence de 1769 fut saisie de cette grave question et la mit à l’étude. Wesley proposait qu’à sa mort les prédicateurs nommassent une sorte de conseil suprême composé de trois, cinq ou sept prédicateurs, dont chacun, à tour de rôle, serait modérateur des sociétés et, à ce titre, revêtu des mêmes droits et des mêmes responsabilités que lui-même. Ce plan, assez défectueux, fut par la suite considérablement modifié ; nous parlerons plus loin de celui qui fut adopté d’une manière définitive.
Si le corps enseignant du méthodisme avait rapidement grandi, les sociétés avaient aussi progressé. En 1770, elles comptaient vingt-neuf mille quatre cent soixante-six membres, dispersés sur tous les points de la Grande-Bretagne, et possédant déjà un grand nombre de chapelles.
Leur organisation s’était peu à peu complétée, tout en conservant les traits distinctifs de ses débuts. La classe continuait à être le pivot central de la société. A partir de 1765 se généralisa la coutume de remettre à chaque membre un billet trimestriel. Dès 1746, et peut-être plus tôt, l’œuvre méthodiste fut divisée en circonscriptions ou circuits, comprenant chacun le champ de travail d’un ou plusieurs prédicateurs ; d’année en année, à mesure que le Réveil s’étendit et que le nombre des agents s’accrut, les circuits grandirent en nombre et diminuèrent en superficie. La conférence de 1749 ordonna que dans les circuits se tiendraient des assemblées trimestrielles destinées à s’occuper des intérêts de l’œuvre locale. Les diverses réunions qui composaient le culte des sociétés s’établirent aussi peu à peu. En 1749, les longues-veilles et les agapes sont instituées mensuellement ; en 1755, Wesley introduit des services spéciaux connus sous le nom de renouvellement de l’Alliance, dont le but est de lier le peuple à Dieu par des engagements solennels. Les jours consacrés au jeûne et à la prière se multiplient également au sein des sociétés, sans cesse aiguillonnées par un ensemble remarquable d’institutions destinées à l’édification.
Grâce à son puissant esprit organisateur, Wesley avait réussi à faire de ses troupeaux un ensemble parfaitement homogène. C’était là une garantie de stabilité et de durée pour cette œuvre. Bien des questions demeuraient encore en suspens néanmoins, et devaient occuper les dernières années du grand missionnaire. Malgré la vaillante énergie de son âme, il se sentait presque accablé à certains moments par le poids de sa responsabilité. « Le pouvoir que j’exerce, écrivait-il en 1766, je ne l’ai pas cherché ; il m’a été imposé, et j’ai dû en user de mon mieux et d’après les lumières de mon jugement. Je ne l’ai jamais aimé ; je l’ai toujours porté et je le porte encore comme un fardeau, le fardeau que Dieu a placé sur mes épaules, et que je n’ai pas le droit de rejeter. Mais trouvez-moi quelqu’un qui puisse et veuille s’en charger, et je serai reconnaissant et à lui et à vousk. »
k – Tyerman, t. II, p. 578.
« Prêcher deux ou trois fois chaque jour, ajoute-t-il, ne m’est en aucune façon un fardeau ; mais ce qui en est un bien lourd, c’est le souci que j’ai et des prédicateurs et des sociétés. »
Nous terminons, à la conférence de 1770, la période moyenne du ministère de Wesley. Cette conférence occupe une place importante en effet dans la vie de cet homme de Dieu. Elle ouvre la période des missions étrangères du méthodisme, puisque cette année, pour la première fois, l’Amérique figure sur la liste des circuits. C’est cette assemblée qui donne aussi le signal de la grande et dernière controverse calviniste. Cette même année d’ailleurs tombe sur le champ de bataille Whitefield, le grand coadjuteur de Wesley, et le seul homme du siècle qui l’égale. Wesley reste seul, encore vaillant, dans sa belle vieillesse, que nous avons à contempler maintenant.