Un double intérêt théologique se rattache à la distinction entre εἰκών et les deux mots qui l’accompagnent ici. D’abord l’intérêt qui se rapporte à la controverse arienne et qui roule sur la convenance ou l’inconvenance des mots que nous étudions pour exprimer les relations du Fils au Père ; et puis un autre intérêt qui paraissait à première vue éloigné de toute controverse, mais qui est pourtant parvenu à s’insinuer dans plus d’une dispute théologique, à savoir, s’il existe une distinction, et, dans ce cas, en quoi elle consiste, entre l’« image » (εἰκών) de Dieu, dans laquelle, et la « ressemblance » (ὁμοίωσις) de Dieu, d’après laquelle l’homme fut créé au commencement (Genèse 1.26) ?
Et d’abord, quant à la distinction qu’on établit entre ces mots dans le cours de la longue discussion arienne, disons qu’il est évident qu’εἰκών (de ἔοικα) et ὁμοίωμα pourraient être souvent traités comme des équivalents, et que, dans bien des cas, il serait indifférent d’employer l’un ou l’autre de ces termes. Ainsi Platon (Phædr. 250 b) se sert tour à tour de ὁμοιώματα et d’εἰκόνες pour désigner les modèles et les ressemblances terrestres des archétypes dans les cieux. Quand cependant l’Église jugea nécessaire d’élever la voix contre les équivoques et les erreurs d’Arius, elle tira une profonde ligne de démarcation entre ces deux mots, ligne qui n’était point arbitraire, mais qui devait signaler une différence essentielle. Εἰκών (imago, imitago) suppose toujours un prototype, auquel il ne ressemble pas simplement, mais d’où il est tiré. C’est l’allemand « Abbild », qui invariablement présuppose un « Vorbild » ; comme le dit Grégoire de Naziance (Orat. 36) : αὕτη γὰρ εἰκόνος φύσις μίμημα εἶναι τοῦ ἀρχετύπου (Petavius, De Trin. vi, 5, 6). Ainsi la tête d’un monarque qui figure sur une pièce de monnaie est une εἰκών (Matthieu 22.20) ; la réflexion du soleil dans l’eau est une εἰκών (Plat., Phæd., 99 d) ; la statue de pierre ou d’une autre matière dans Apocalypse 13.14) est une εἰκών ; l’enfant est l’ἔμψυχος εἰκών de ses parents. D’autre part, dans le ὁμοίωμα ou la ὁμοίωσις, s’il y a ressemblance, il ne s’ensuit nullement qu’on l’ait obtenue par voie de dérivation ; elle peut être accidentelle, comme un œuf peut ressembler à un autre œuf, comme il peut exister une ressemblance entre deux hommes en aucune manière alliés l’un à l’autre. Ainsi, comme le montre Augustin dans un passage instructif (Quæst. lxxxiii, 74), l’« imago » (εἰκών) implique la « similitudo », mais la « similitudo » (ὁμοίωσις) n’implique pas l’« imago ». On verra aussitôt pour quelle raison c’est εἰκών qui sert à désigner le Fils (2 Corinthiens 4.4 ; Colossiens 1.15 ; cf. Sagesse 7.26) ; tandis que, de tous les mots de la famille de ὅμοιος, non seulement l’Écriture sainte n’en emploie aucun dans ce sens, mais l’Église les a tous expressément prohibés et condamnés, dès qu’elle a eu quelque raison de soupçonner qu’on ne les employait pas de bonne foi. Aussi Hilaire, s’adressant à un Arien, dit : « Je puis m’en servir (de ὅμοιος) pour exclure l’erreur sabellienne ; mais je ne puis vous permettre de le faire, vous dont l’intention est toute différente » (Cont. Constant. Imp., 17-21).
Εἰκών, appliqué au Fils, comme χαρακτήρ et ἀπαύγασμα (Hébreux 1.3), avec lesquels en théologie il est étroitement lié, est, en effet, un terme inadéquat, mais en même temps, il est exact, aussi loin qu’il peut aller. Dans le langage humain, employé pour traduire des vérités qui dépassent la pensée humaine, nous devons nous contenter d’expressions approximatives, et chercher à compléter ce qui leur manque, ce qui doit suppléer à leur insuffisance, en puisant à d’autres sources. Chaque mot a son côté faible, qu’il faut renforcer par des secours empruntés ailleurs. Εἰκών est faible, car quelle image possède une valeur, une dignité égale au prototype qu’il représente ? Mais il a aussi son côté fort ; il rappelle une dérivation, tandis que ὁμοιότης, ὁμοίωσις, et autres mots de cette famille exprimant une simple similitude, tout en n’impliquant pas réellement une erreur, pourraient cependant la suggérer, et, s’ils la suggéraient, sembleraient la justifier, et cela, sans compensation. En se décidant pour εἰκών à l’exclusion de ὁμοίωσις, l’Église eut égard aux mêmes considérations qui la déterminèrent, dans cette controverse, à permettre l’emploi du verbe γεννᾶν et à interdire celui de κτίζειν.
Le second point intéressant qui se présente dans la discussion de ces mots, se trouve dans la question, souvent débattue, de savoir si, dans le grand fiat qui proclama la constitution originelle de l’homme : « Faisons l’homme à notre image (εἰκών, selon les LXX, עֶלֶם en hébreu, d’après notre ressemblance » (ὁμοίωσις, LXX, רמוּת), une différence quelconque existait dans la pensée divine entre le second terme et le premier, ou si le second doit être tout simplement considéré comme la conséquence de l’autre : « à notre image », et, par suite, « d’après notre ressemblance » ? Le N. T. réclame à la fois pour l’homme la εἰκών et la ὁμοίωσις ; celle-là, 1 Corinthiens 11.7 ; celle-ci, Jacques 3.9. Un grand nombre des premiers Pères, ainsi que des scolastiques, affirment qu’il existe une distinction réelle entre ces termes. Ainsi les Pères alexandrins enseignaient que la εἰκών était quelque chose en quoi les hommes étaient créés, commun à tous et qui continue dans l’homme, en dépit de la chute (Genèse 9.6), tandis que la ὁμοίωσις était quelque chose en vue de quoi l’homme était créé, et qu’ainsi il devait s’efforcer de l’atteindre. Origène (De Prin. 3.6) : « Imaginis dignitatem in prima conditione percepit, similitudinis vero perfectio in consummatione servata est » ; cf. in Ioan. tom. xx, 20, et Irénée, v, 4 6, 2. Sans doute que les études et les tendances platoniciennes des illustres théologiens d’Alexandrie les influencèrent quelque peu dans la distinction qu’ils tirèrent. Il est bien connu que Platon présenta le ὁμοιοῦσθαι τῷ Θεῷ κατὰ τὸ δυνατόν (Theæt. 176 a) comme le but le plus élevé de la vie de l’homme ; et, en effet, Clément (Strom. 2.22) fait porter le fameux passage de Platon sur cette discussion elle-même. Les scolastiques, de la même manière, établirent une distinction quoique différente de celle-ci, entre « ces deux cachets divins apposés sur l’homme ». Ainsi Lombard, Sent, ii, dist. 16 ; Hugues de St. Victor, De Anima, 2.25 ; De Sac. i, 6, 2 : « Imago secundum cognitionem veritatis, similitudo secundum amorem virtutis » : l’imago proclamant la prééminence intellectuelle, la similitude », la prééminence morale dans laquelle l’homme fut créé.
Cependant plus d’un théologien a refusé de reconnaître ces distinctions, et même toute distinction, entre les deux formules ; ainsi Baxter, dans son intéressante réponse aux questions du missionnaire indien Elliott, sur notre sujet, rejette toutes ces distinctions comme n’étant que des opinions sans fondement, quoique lui-même, en général, abonde en divisions et en sous-divisions (Life by Silvester, vol. ii, p. 296). Mais c’est à peine si tous ces théologiens sont fondés dans leur refus de voir aucune différence entre nos vocables. Les Alexandrins, je pense, étaient bien près de la vérité, s’ils ne la saisirent pas tout à fait. Il y a telles parties remarquables dans l’Ecriture, à l’égard desquelles les paroles de Jérôme, appliquées originairement à l’Apocalypse, « quot verba tot sacramenta », sont à peine exagérées. Telle est l’histoire de la création de l’homme et de sa chute, rapportées dans les trois premiers chapitres de la Genèse. Nous devons nous attendre à trouver, dans un tel sujet, des mystères, des déclarations prophétiques de vérités dont le développement pourra réclamer des siècles : aussi, sans essayer de tirer une ligne très précise entre εἰκών et ὁμοίωσις, ou entre leurs correspondants hébreux, disons cependant hardiment que toute l’histoire de l’homme, non seulement dans sa création, mais encore dans sa restauration par le Fils, embrasse d’une manière significative cette double expression : double par cette raison, que l’Esprit divin ne s’est point arrêté à la contemplation de sa première création, mais qu’il a considéré l’homme comme « renouvelé dans la connaissance d’après l’image de Celui qui l’a créé » (Colossiens 3.10). Cet Esprit savait que ce n’est qu’autant que l’homme participerait à ce double bienfait qu’il atteindrait le vrai but pour lequel il a été crééd.
d – Εἰκών est l’image adéquate à l’objet ; telle notre image dans un miroir ou telle l’empreinte d’un cachet. Le Verbe est dans ce sens l’image unique de Dieu, ne différant absolument en rien de Lui, si ce n’est qu’il est non l’original mais la copie, et qu’il est par conséquent subordonné au Père. Adam a été créé dans l’image de Dieu, ce qui indique qu’il n’est pas son image, et cette distinction est accentuée par les mots qui suivent : d’après la ressemblance de Dieu. Il n’y a pas égalité, parité, mais simple similitude : toutefois le premier Adam créé à l’image de Dieu, typifie et prophétise le dernier Adam qui est l’Image éternelle, incarnée. F. de R.