Notes d’un pasteur. — Quelqu’un qui cherche avec angoisse. — « Je ne sens pas ! » — Rechutes et relèvements. — Ce n’est pas le soulagement qu’il importe de chercher. — Christ seul sauve à plein. — Rayons de lumière. — Soleil de justice.
Le récit suivant, dont l’à-propos ne sera pas contesté, est tiré des notes d’un pasteur qui, en nous les communiquant et en nous permettant d’en extraire ce qu’on va lire, nous a dit avoir été témoin d’un si grand nombre de cas analogues, qu’il pensait les publier bientôt.
« Pendant le réveil, un nombre considérable d’adultes venaient me consulter dans mon cabinet sur le salut de leur âme. De ce nombre était une jeune personne nommée Sarah. Elle avait, sous la direction d’une excellente dame, rempli pendant plusieurs années le rôle de monitrice dans une école du dimanche, et connaissait par conséquent très bien l’Evangile de vie. Elle venait cependant se renseigner auprès de moi sur les vérités fondamentales de la foi chrétienne. Sa modestie était extrême ; elle osait à peine parler d’elle-même, et rougissait chaque fois qu’elle faisait allusion à son état. Ce n’était pas sans de rudes combats et de longues hésitations qu’elle s’était décidée à me dévoiler ses sentiments intimes sur la religion.
Je lui adressai la question que j’adresse toujours à ceux qui cherchent la vérité :
— Vous sentez-vous pécheresse ?
— Oui, Monsieur, mais moins profondément que je le devrais et que je le voudrais.
— Mais, Sarah ! vous n’avez pourtant pas été tellement pécheresse… n’est-ce pas ?
Elle leva sur moi ses yeux remplis d’étonnement et me dit :
— Ah ! Monsieur, jamais paroles ne pourront exprimer la grandeur de mes péchés.
— Et comment cela ? continuai-je. A en juger d’après votre conduite apparente, on n’oserait pas lever contre vous une accusation aussi odieuse que celle que vous paraissez vous adresser à vous-même. Vous avez été une enfant toujours obéissante ; vous avez fréquenté assidûment les services religieux. Où et quand pouvez-vous donc avoir péché d’une manière si grave ?
— Dieu regarde au cœur, répondit-elle. Il ne juge pas les choses à la manière des hommes, et là où l’homme ne voit que des sujets d’approbation, Lui, Il condamne ; et ma conscience me dit qu’il a raison. Il est tant d’actions qui passent pour bonnes aux yeux du monde, et qui, considérées à la clarté de la loi divine, ne sont que le fruit de l’égoïsme et de l’orgueil ! Je trouve que ma bonne conduite, dont je me glorifiais naguère, est dénuée de toute valeur et de toute vertu réelle, à cause de l’amour-propre et de la vanité qui l’ont toujours accompagnée. Je me vois tout autre, aujourd’hui que j’ai entrevu mes péchés ; et ce qui me tourmente surtout, au milieu de tout cela, c’est qu’en présence de péchés si grands, ma douleur et ma honte soient si faibles. Oh ! Monsieur, si je pouvais en ressentir une plus profonde douleur, c’est tout ce que je demanderais. Je ne sens pas assez.
— Hé bien ! repris-je, à supposer que vous sentiez davantage vos péchés, et que, selon vous, cette douleur eût acquis une intensité telle que vous la désirez, quel serait le résultat ? que feriez-vous ?
— Mais il me semble qu’alors je déplorerais plus sincèrement la grandeur de mes péchés, et qu’il me serait plus facile de m’approcher de Christ avec mon fardeau.
— C’est possible. Cependant, si Dieu ne jugeait pas bon d’augmenter le poids de votre fardeau, et s’il vous était impossible de sentir votre péché plus vivement que vous ne le sentez en ce moment, quel serait alors votre devoir ?
— Alors…, il me faudrait, je pense, aller à Christ telle que je suis.
— Hé bien ! oui, il le faudrait, sous peine de ne pas y aller du tout. Puis donc que vous n’êtes pas assurée de cette augmentation de tristesse pour vos péchés, ne vaudrait-il pas mieux aller à Lui tout de suite pour obtenir le salut ? En attendant, ainsi que vous le faites, vous risquez de perdre le peu de tristesse que vous éprouvez. Comprenez bien que le monde n’attendra pas, lui, pour vous présenter de nouveau toutes les tentations imaginables ; en sorte que, si vous n’êtes pas décidée et si vous ne vous hâtez pas, vous pourriez bien vous replonger dans cette indifférence qui vous a si longtemps retenue.
A cette pensée, je la vis tressaillir.
— Oh ! à Dieu ne plaise ! dit-elle. Mais comment me présenter à Lui pendant que mon cœur est si dur ? Voudra-t-il d’une créature si coupable et en même temps si peu repentante ?
— Essayez. Une tentative ne coûte rien. Je ne sache pas que la Bible ait désigné le degré que nos sentiments doivent avoir atteint. Il n’y est pas dit : Quiconque sent profondément ira à Jésus et sera sauvé. — Si vous sentez donc simplement que vous avez besoin de Lui, allez à Lui, et demandez-lui de vous faire grâce. Il a dit : « Je ne mettrai dehors aucun de ceux qui viendront à moi », et Il l’a dit sans faire aucune allusion à leurs sentiments.
— C’est vrai ! Je vois mon erreur. Mais, je ne sais comment, il me semble qu’un obstacle insurmontable me barre le chemin du salut. J’ai beau tourner mes regards de tous côtés, je ne vois qu’obscurités ; je suis comme enveloppée d’un nuage ténébreux. Combien je voudrais savoir que faire ! Il me semble que, pour parvenir à posséder l’espérance, je serais capable de tout, même des plus grands sacrifices.
— Ah ! ma chère enfant, je crains bien néanmoins que vous ne soyez guère disposée à faire la seule chose réellement nécessaire dans votre position.
— Et quoi donc, je vous en prie ?
— Renoncer à tous vos propres efforts, et vous mettre simplement entre les mains de Jésus ; en d’autres termes : croire ! Il vous semble que vous devriez faire quelque chose, et, dans un sens, c’est vrai. Mais, reste à savoir quelle est cette œuvre requise de vous. Elle ne consiste point à faire ceci, ou à faire cela, dans le but d’apaiser la juste colère de Dieu ou de vous mettre en état de rencontrer votre Sauveur. C’est ici l’œuvre de Dieu, dit l’Ecriture, que vous croyiez en Celui qu’il a envoyé. Quand vous ferez cela, la lumière paraîtra.
— Vous avez raison ; je le sens bien. Je sais que j’ai besoin de croire en Christ, et que toute ma propre justice n’est qu’un linge souillé. Néanmoins, j’ai de la peine à m’en tenir à quelque chose d’aussi simple. Je connais assez mon cœur pour n’avoir aucune confiance dans l’efficacité de mes œuvres à assurer mon salut. Dieu le sait : je n’ai rien à Lui présenter qui puisse attirer sur moi ses miséricordes. Mais, quand je réfléchis à la langueur, à l’insensibilité de mon cœur, il me semble que je devrais commencer par lui demander d’abord la repentance et par l’obtenir, et qu’alors seulement je pourrais me présenter devant mon Sauveur et recevoir son pardon. Me trompé-je donc en pensant ainsi ?
— Oui, je le crois. C’est là un sentiment très naturel, et que je rencontre bien souvent chez les personnes convaincues de péché. Aller directement à Christ par la foi et le prendre tout uniment au mot, leur semble beaucoup trop facile ; ce serait un chemin trop court. Ils se figurent que le meilleur moyen doit être d’obtenir préalablement un certain degré de tristesse et de repentir, un sentiment d’angoisse suffisamment intense, pour qu’ils se trouvent entraînés vers Jésus comme malgré eux. Mais, prenez-y garde ! cette disposition du cœur recouvre un levain de propre justice. Dans leur pensée, ce vif sentiment qu’ils n’ont pas, et qu’ils cherchent à obtenir, n’a d’autre utilité que de les rendre dignes du pardon de Christ. Ils espèrent avec cela avoir plus de chances d’obtenir sa grâce, ou être, tout au moins, mieux disposés à se jeter dans ses bras. Mais Jésus reçoit toute espèce de pécheurs, et dans le nombre, les uns sentent plus vivement que les autres. Si vous vous sentez pécheresse, vous êtes invitée à aller. Si vous éprouvez le besoin d’un Sauveur, c’est là toute la préparation nécessaire. Et quoi d’étonnant si vous avez le cœur aussi dur que la roche et aussi froid que la glace ! En tout cas, n’attendez pas que la nature l’améliore ; ne cherchez pas davantage à l’améliorer vous-même ; mais allez à Jésus, qui peut seul le renouveler par la repentance. C’est en contemplant le Seigneur sur la croix que vous sentirez votre cœur de pierre se changer en un cœur de chair. Avez-vous bien compris ?
— Je crois que oui. Je veux suivre vos conseils. Priez pour moi, afin que je ne sente pas seulement le besoin que j’ai d’un Sauveur, mais que je le trouve.
Ainsi se termina l’entrevue. Connaissant le jugement et la pénétration de cette jeune personne pour tout ce qui concerne la partie pratique du christianisme, je ne doutais nullement qu’elle n’ouvrît bientôt son cœur à Dieu, et je m’attendais à ce que, dans une prochaine entrevue, il ne me restât plus qu’à la féliciter du changement opéré en elle. Mais, grande était mon erreur ! Les ténèbres s’épaissirent sur sa route ; on aurait dit que toutes les puissances de l’abîme s’étaient déchaînées contre cette malheureuse créature. Des doutes de toute espèce traversaient son esprit : au moment d’aller au pied de la croix, elle avait rencontré une barrière infranchissable dans sa propre incrédulité. Parvenue presque en vue de la terre promise, elle avait été, pour ainsi dire, rejetée au fond des solitudes du désert, et condamnée à y traîner sa douleur et son désespoir. Quand elle essayait de prier, une voix murmurait à son oreille : « La prière du méchant est en abomination à l’Eternel ». Elle essayait alors de suivre le conseil de son pasteur et d’aller droit à Christ pour être secourue ; mais, malgré son désir, la force lui manquait. En proie à une sorte de cauchemar, elle était comme poursuivie par un démon, et se consumait en efforts impuissants pour lui échapper, sans réussir à faire un seul pas. Abattue, brisée par ces luttes, elle revint demander les conseils et les prières de son pasteur.
Qui ne s’est senti ému de la plus vive sympathie en conversant avec des personnes ainsi battues par la tempête et souffletées par l’ange des ténèbres ? qui n’a senti surtout sa complète impuissance en présence de pareilles angoisses ? Rien n’est plus humiliant pour un pasteur, rien ne lui fait sentir davantage sa responsabilité, que la visite d’un pécheur plongé dans les ténèbres et dans le découragement, qui vient lui demander ses prières et ses conseils. Inutile, en pareil cas, de chercher d’abord à soulager : ce n’est pas ce qui presse le plus. L’âme est dans un état critique ; elle sera soulagée tout naturellement lorsqu’elle aura pu revenir aux dispositions exigées par l’Evangile. La sympathie, en pareil cas, fait faire d’étranges bévues. Il ne faut pas se hâter de prodiguer le baume avant d’avoir sondé la plaie et d’avoir dissipé les symptômes aigus.
Sarah parut donc devant son pasteur les yeux égarés, la terreur empreinte sur tous ses traits. Elle ne pouvait rien dire de ce qu’elle avait éprouvé ; son agonie dépassait toute parole humaine. Elle paraissait croire que son conseiller avait le pouvoir de la soulager.
— Je vois, Sarah, que vous n’avez pas trouvé la paix en croyant.
Elle secoua la tête.
— Et pourquoi ?
— Je ne sais… Je suis la plus malheureuse des créatures. Je ne crois plus à rien ; je suis tentée de nier tout, de nier Dieu même. Oui, j’en tremble ! je suis presque athée. J’essaie de prier, mais je ne puis pas ; je lis, mais tout est ténèbres. Je crois que Dieu m’a abandonnée. Je pense même, parfois, que j’ai peut-être commis quelque péché d’une gravité telle, qu’il serait coupable de prier pour moi. Il y a un péché de ce genre, n’est-ce pas, Monsieur ?
— Aux temps apostoliques, peut-être, on a pu le commettre, et je n’oserais dire qu’on ne puisse encore s’en rendre coupable. Mais je ne pense pas que ce soit là votre cas ; je puis même vous assurer le contraire. A mon sens, ces suggestions vous viennent du Malin, qui cherche à vous décourager et à vous détourner de Christ. Ce n’est même pas là la moindre de ses infernales astuces. Il tient plus qu’on ne croit à éloigner les âmes de la source du pardon et de la paix. Quelque grands que puissent être vos péchés, ils peuvent être pardonnés ; une seule goutte du précieux sang de Jésus peut les expier tous. Vous vous souvenez qu’il est dit : « Son sang purifie de toute iniquité ». Est-ce que vous ne croyez pas à cette parole ? est-ce qu’elle ne vous console pas ?
— En théorie, oui, je l’ai toujours crue ; mais quand je veux me l’appliquer, il me semble que je fais exception et qu’elle ne me concerne pas.
— Ah ! chère enfant, ceci, c’est de l’incrédulité ; c’est déshonorer Dieu en le faisant menteur, et c’est nier les mérites et la puissance de Jésus. Si son précieux sang ne pouvait laver vos péchés, si sa vertu était impuissante à effacer votre culpabilité, alors l’expiation ne serait plus rien, et Dieu serait menteur. Vous mettez le pied sur un terrain très dangereux en vous engageant dans une pareille voie, car c’est vous placer vous-même en dehors du salut, sous prétexte que vos péchés vous y placent, ce dont vous n’avez d’abord aucune preuve révélée, et ce qui est directement contraire, d’ailleurs, à la Parole de Dieu.
Cet argument la frappa. Après un instant de réflexion, elle avoua qu’en laissant prendre des allures aussi sceptiques à sa pensée, elle avait bien senti qu’elle faisait très mal.
— Je comprends, dit-elle, qu’il ne puisse y avoir rien de plus horrible que de mettre en doute la puissance de Jésus pour sauver. Croyez-vous que ce soit une tentation de Satan ? croyez-vous que Dieu puisse encore me pardonner ce péché ?
— Oui, je le crois. Et maintenant, considérez, je vous en prie, la plénitude de Christ, et fixez votre attention sur les passages qui présentent Jésus aux pécheurs comme ayant le pouvoir de sauver parfaitement. Vous regardez trop à vous-même et à ce qui vous manque. Vous ne voyez presque exclusivement que les exigences de la loi, et vous ne levez pas les yeux sur Celui qui est la fin de la loi en justice à tout croyant. Le commandement est venu et vous a donné la mort ; mais la vie est en Christ. C’est Lui qui prend le pécheur mort, mort par l’aiguillon de la loi, et qui souffle en lui une vie nouvelle. Jésus se place entre vous et la loi violée, et Il vous dit : « Sois sauvée ». Il a payé au double pour chaque infraction faite à cette loi. Du moment où vous l’acceptez à titre de « Seigneur, votre justice », la loi n’a plus de pouvoir sur vous, ni pour vous condamner ni pour vous punir. Elle a reçu satisfaction par le sang de Christ, et le pécheur est libéré. Comprenez-vous cela ?
— Je crois que oui ; du moins, je crois voir comme un faible rayon de lumière. Mais j’ai peur que d’ici à ce que j’aie regagné ma demeure, les ténèbres et l’incrédulité ne me saisissent de nouveau.
Et, en effet, elle retomba. La lutte recommença, et durant des semaines, les ténèbres furent totales dans cette âme ; toute espérance lui demeura fermée pendant longtemps. Qu’en résulta-t-il ? consentit-elle, dans son désespoir, à y renoncer ? Non. Elle n’était pas femme à s’abandonner au mal ; elle était décidée, au contraire, à ne pas abandonner le combat, à lutter et à prier jusqu’à son dernier souffle. Si la mort venait la saisir, elle voulait être trouvée, à sa dernière heure, les yeux fixés sur la Croix.
Dans cette résolution inébranlable, elle continua à combattre et à prier avec agonie et avec larmes, tout en traversant à l’avance la sombre vallée de l’ombre de la mort. Enfin, elle aperçut de nouveau le même rayon de lumière. Il paraissait émaner de la Croix, et, cette fois, semblable au crépuscule qui se change en aurore, il devint de plus en plus brillant. Une sérénité pleine de paix se fit jour enfin dans son âme ; elle y reconnut le gage de son pardon en même temps que la preuve qu’elle était passée de la mort à la vie.
N’osant trop se fier d’abord à ces sensations nouvelles, ni croire à la transformation mystérieuse qui s’était accomplie, elle tint ces choses cachées et se contenta de les peser dans son cœur. Mais le moment vint où elle jugea plus prudent de les révéler à son pasteur et à ses amis chrétiens. Déjà, la paix qui rayonnait sur son visage les avait avertis de « l’heureux changement ». Elle fit alors comme la femme de l’Evangile, qui, après avoir balayé toute sa maison et cherché pendant longtemps sa drachme, rassemble ses amies pour se réjouir avec elles de ce qu’elle l’a retrouvée. Après s’être emparée avec avidité de la perle de grand prix, Sarah assembla, à son tour, ceux qui avaient sympathisé avec ses douleurs, qui avaient prié pour son salut, et elle leur fit part de sa joie. Unissant alors tous ensemble leurs voix à celles des anges, ils louèrent le Seigneur avec reconnaissance de ce qu’une pécheresse s’était repentie, et de ce qu’une âme qui était perdue avait été retrouvée. »