Sa présence

QUATRIÈME PARTIE
PAR LA FOI

SENTIR OU CROIRE

« Le juste vivra par la foi. »

(Habakuk 2.4)

J’ai reçu deux lettres d’un ami, écrites à un mois d’intervalle. Dans la première, éclataient à chaque ligne sa joie et son enthousiasme exprimés avec force superlatifs. Ce frère planait en plein ciel. Il rentrait d’une convention chrétienne où il avait vécu une semaine inoubliable dans une atmosphère qu’il qualifiait « d’extraordinaire ».

— Ah ! m’écrivait-il, comme j’aurais voulu que tu participes à ces journées merveilleuses. L’ambiance y était « du tonnerre » et j’en suis revenu renouvelé et transformé.

La deuxième lettre était d’une autre teneur. O combien !

— Ah ! me disait-il, je m’ennuie dans ma paroisse. Tout me décourage et les membres de l’église sont désespérément amorphes. Je suis au plus bas.

Visiblement, cet ami, loin de voguer dans la félicité, paraissait plutôt se traîner dans les ténèbres d’un sous-sol. Non pas à cause d’un incident fâcheux qui l’aurait jeté dans la tristesse mais pour la raison simple qu’il ne baignait plus dans cette ambiance chaleureuse qui l’avait porté. Comme quoi, les plus belles retraites ne procurent pas nécessairement « la joie qui demeure ». En définitive, ce frère n’avait emporté de ces journées « sensationnelles » que… du vent ou, plus exactement, que de beaux souvenirs vite estompés et générateurs de regrets. Être porté, bouleversé, profondément touché n’est rien en soi ou peu de chose s’il n’y a pas rencontre ou communion renouvelée avec le Christ. Une jeune fille, invitée à un mariage, peut être en pleine euphorie parce qu’elle défile au bras d’un beau garçon particulièrement sympathique et séduisant. Mais que restera-t-il de ce bonheur si aucune promesse n’est échangée entre eux ? L’ambiance la plus merveilleuse peut laisser le goût amer d’une grande désillusion et conduire à une non moins grande déception.

En général, les chrétiens donnent trop de poids à ce qu’ils ressentent ou ne ressentent pas et commettent l’erreur de jauger leur vie spirituelle en fonction de ce qu’ils éprouvent. Les sentiments merveilleux les portent aux nues ; la moindre aridité — c’est-à-dire l’absence de tels sentiments — les jette dans le découragement et leur enlève tout désir de s’approcher du Seigneur. Instables et périodiquement abattus, ces croyants mènent une vie chrétienne en dents de scie. Inutile de préciser qu’ils sont plus souvent en bas qu’en haut car l’existence est plus prosaïque que merveilleuse. Alors Satan ricane. Il a gagné, lui qui susurre : « Si tu ne ressens pas la joie céleste, ne cherche pas plus loin : il y a un interdit dans ta vie… Il te serait vain de vouloir t’approcher de lui… »

Certes, les sentiments font partie de la vie et notre âme a besoin de chaleur, voire de couleur. En créant l’homme, Dieu n’a pas voulu qu’il soit un être insensible, coulant une existence monotone et sans saveur, ce que semblait ignorer tel pasteur délibérément allergique à toute exaltation (1). Il se croyait tenu de débiter son sermon comme s’il énonçait les articles du code pénal. Qu’il aimait peu son auditoire ! S’il avait seulement pris le temps de regarder ses ouailles somnolentes, il aurait changé d’opinion et se serait efforcé de mettre plus de vie dans ses exposés. N’imitons pas Mical qui méprisa un David bondissant de joie devant l’arche (2 Samuel 6.16), mais associons-nous plutôt au bonheur du boiteux guéri qui « entra dans le temple, marchant, sautant et louant Dieu » (Actes 3.8). Voyez le Christ des Évangiles : il est loin d’être insensible, lui qui a « tressailli de joie par le Saint-Esprit » (Luc 19.21) et « frémi en son esprit, étant tout ému » (Jean 11.33).

(1) Un chrétien, connu pour son austérité, se permit un jour de juger sévèrement une famille de croyants qui, selon ses dires, avait extériorisé un peu trop bruyamment sa joie à la suite d’une expérience bénie avec le Seigneur.
— Mon ami, lui dit le pasteur avec gentillesse, lorsqu’un bébé vient au monde dans un foyer, toute la maison est surexcitée. Faut-il s’en étonner ? En faire grief aux heureux parents ? Mais rassurez-vous. Au bout de quelques jours l’exaltation tombe mais… le bébé reste. Et c’est bien là l’essentiel.

Ceci dit, ne nous trompons pas de « cible ». Courons, les regards sur Jésus et non sur ce que nous éprouvons. En déclarant : « Il y a d’abondantes joies devant ta face » (Psaumes 16.11), le psalmiste nous invite à rechercher plutôt Sa face et non la joie abondante qu’elle procure. Qui s’approche du Dieu lumière trouvera « la joie parfaite » (1 Jean 1.4-5). Qui poursuit la joie la verra « s’enfuir » parce qu’il ne donne pas la priorité à celui qui en est la source. Je dois savoir :

1) Que les états d’âme merveilleux ne sont pas nécessairement d’origine divine. Certains adeptes de religions orientales s’imposent des privations et des exercices de piété pour atteindre au nirvana, une sorte de paradis qu’ils appellent de tous leurs vœux et qui vient tout droit des ténèbres. C’est pourquoi, même si j’ai l’impression de traverser un tunnel, je m’approcherai « avec assurance du trône de la grâce » (Hébreux 4.16).

2) Que le Dieu de sagesse juge bon parfois de m’ôter ces joies indicibles auxquelles je me suis trop attaché, pour que je cesse enfin de regarder à la joie ou à la paix mais fixe résolument les regards sur celui qui est ma joie et ma paix, c’est-à-dire Jésus.

3) Que les joies que nous ressentons fluctuent sans cesse et il en faut si peu pour qu’elles se résorbent et fassent place à une certaine aridité. Un nuage qui passe devant le soleil, une mauvaise nouvelle à la radio, le rappel d’une maladresse, la photo d’un cher disparu, la feuille d’impôt reçue peu avant, des impressions mal définies peuvent assombrir de longues heures destinées à la louange. Que penseriez-vous d’un mari qui confierait à son épouse : « Certainement, je ne dois plus t’aimer et ne suis qu’un affreux hypocrite en disant que je t’aime car je n’éprouve pas, du moins avec la même intensité, les émotions qui m’ont bouleversé le jour de notre première rencontre. » ? Ce serait stupide. Or, d’innombrables chrétiens tiennent, sans le savoir, un langage analogue.

Si nous ne voulons pas céder au découragement ou nous accuser sans raison, laissons-nous inspirer par le psalmiste qui refusa de se laisser abattre sans motif, en prenant par trois fois son âme à partie : « Pourquoi t’abats-tu mon âme ? » En nous interrogeant de la sorte nous découvrirons à coup sûr et avec quel soulagement que notre vague à l’âme ne repose sur rien et qu’il vaut mieux se tourner vers celui qui apaise et rassure : « Espère en Dieu car je le louerai encore » (Psaumes 42.6-12 et Psaumes 43.5).

N’avez-vous jamais entendu des phrases de ce genre :

Je n’éprouve aucune joie à prier et me sens coupable. Sans doute y a-t-il quelque infidélité dans ma vie qui attriste l’Esprit de Dieu ?

Après ma conversion je nageais dans le bonheur et sautais de joie. Une grande paix inondait mon être. Depuis quelques semaines, je ne sens plus rien et je suis désemparé. J’en viens à douter du pardon de Dieu, de mon salut, de ma vocation. N’aurais-je pas péché contre le Saint-Esprit ?

— Lorsque je m’approche de Dieu le matin, m’avouait une jeune fille, j’ai l’impression qu’un mur se dresse entre lui et moi. Y aurait-il un interdit que j’ignore ? Il faut que je cherche.

— Surtout pas, lui répondis-je. L’introspection vous égarerait. Restez ouverte au Saint-Esprit mais ne prétendez pas vous substituer à lui. Et d’abord, pourriez-vous me décrire ce mur ? Comment le voyez-vous ?

— Euh ! Je ne sais pas. c’est difficile de vous répondre. J’ai… l’impression…

— J’attendais ce mot : l’impression. Si je comprends bien, vous vous laissez abattre par de vagues impressions. Mais c’est du flou, du confus, du rien du tout. Or Dieu n’est pas le Dieu du flou mais le Dieu lumière. Ces impressions, c’est tout simplement le souffle empoisonné du diable, résolu à vous barrer la route du sanctuaire. Sachez que la communion à laquelle vous soupirez est la chose qu’il redoute le plus. Cessez donc une fois pour toutes de donner du poids à vos impressions, refusez énergiquement de vous laisser arrêter par de vagues sentiments et croyez de tout votre cœur à « sa miséricorde qui dure à toujours » (Psaumes 136). « Le chemin du ciel est et reste ouvert grâce au sang de Jésus » (Hébreux 10.19). Persuadez-vous que par son sacrifice, le Fils a « renversé le mur de séparation » qui vous tenait éloigné du Père (comme celui qui séparait juifs et païens, Éphésiens 2.13-14)…

Quiconque s’attarde sur ce qu’il ressent ou donne trop d’importance à ses impressions sera bientôt troublé et arrêté dans sa marche ; il s’accusera et perdra la liberté de s’approcher de Dieu. C’est pourquoi ne nous laissons pas piéger par des impressions.

Il y a près de 150 ans, un commentateur tenait un langage identique en parlant de l’espérance : « Nous voudrions espérer en l’Éternel en nous fondant non seulement sur ses promesses mais plus encore sur nos sentiments, sur ce que nous avons de joie, sur ce que nous sentons de force et de bonnes résolutions. De là vient que notre espérance, étant mélangée, n’est plus pour nous un appui solide. »

Mais alors pourquoi sommes-nous si friands de sentiments merveilleux ? Simplement parce qu’ils sont agréables, rassurants et nous gonflent d’orgueil. Il est si facile de se croire un chrétien exceptionnel lorsque Dieu nous accorde les joies de sa présence. On ne peut s’attacher à de tels sentiments ni les poursuivre sans se rechercher soi-même, sans céder à un désir charnel de jouissance. Les sentiments sont à l’âme ce que les fauteuils sont au corps. Il est agréable et légitime de s’y plonger un instant lorsqu’on nous en offre un, mais un homme bien portant les délaisse rapidement s’il veut accomplir toute sa tâche. « Le juste vit par sa foi » (Habakuk 2.4) et non par la joie (ou pour la joie). Retenons cette parole d’Habacuc le prophète, reprise plusieurs fois dans le N.T. et faisons-la nôtre en particulier lorsque nous traversons une période de sécheresse.

Conclusion : en vous approchant de Dieu par la prière, refusez de céder aux sentiments et cessez de considérer vos états d’âme pour évaluer la valeur de vos relations avec le Seigneur. Demandez à Dieu de vous rendre absolument insensible à toute impression confuse, résolu que vous êtes à le bénir pour le ciel ouvert « par le sang de la Croix », pour « sa miséricorde qui dure à toujours », pour son oreille toujours tendue vers vous chaque fois que vous l’invoquez avec sincérité. Refusant de vous laisser mener par des impressions, vous vous approchez du Dieu de lumière avec confiance, heureux d’être son enfant pour toujours. Et s’il advenait que le Saint-Esprit soit attristé à cause d’une infidélité que vous ignorez – ce qui pourrait expliquer en vous l’absence de joie et de paix –, il ne manquerait certainement pas de vous en avertir.

Questions :

  1. Êtes-vous porté à vous attarder sur ce que vous éprouvez, à considérer vos sentiments pour juger de votre état spirituel ? Cela n’expliquerait-il pas, si tel est votre cas, ces longues périodes de découragement et de doute que vous traversez trop souvent ?
  2. Avez-vous compris que les sentiments fluctuent et que vous ne devez pas donner trop de poids à ce que vous ressentez ? L’important pour vous n’est-ce pas de placer votre confiance en Dieu, en dépit de ce que vous éprouvez ou non ?
  3. Êtes-vous décidé à vous confier dans le Seigneur, lui demandant de vous affermir pour savoir dépasser tout ce qui pourrait vous abattre et vous culpabiliser sans raison ?

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