Les sources reconnues de la foi chrétienne sont toujours les Écritures et la tradition, et, au commencement de cette période comme à la fin de la précédente, c’est aux Saintes-Écritures qu’appartient l’autorité souveraine. On les proclame suffisamment claires pour n’avoir besoin que d’elles-mêmes pour être interprétées.
Ainsi, Cyrille de Jérusalem tient, au ive siècle, le même langage qu’Irénée au iie. Il engage ses auditeurs à ne croire aucune parole sortie de sa bouche, si elle n’est confirmée par les Saintes-Écritures (Catec. IV). Athanase dit que les Écritures sont pleinement suffisantes (αὐτάρκεις) pour faire connaître la voie du salut (Adv. gentes, init.) A ces témoignages on pourrait ajouter ceux de Basile de Césarée, d’Ambroise, d’Augustin, et d’autres encore.
Seulement, comme les hérétiques, ariens et autres, invoquaient aussi les Écritures et tiraient habilement parti de certains textes qui paraissaient favorables à leurs thèses, on fut peu à peu conduit à n’accepter comme vraies que les interprétations données par la tradition orthodoxe. Cette règle, appliquée d’abord aux seuls textes débattus, devint bientôt une règle générale et s’appliqua à la Bible entière. L’autorité de la tradition finit ainsi par supplanter celle de la Bible.
Cette transformation fut encore favorisée par la tendance toujours plus marquée des théologiens à préciser outre mesure le dogme, à lui donner des formules dont les minutieux détails dépassaient de beaucoup la simplicité et la sobriété des données bibliques. Sur ce terrain, où la subtilité théologique se donnait libre carrière, la Bible cessait d’être un guide suffisant ; car elle est muette sur la plupart des questions posées et débattues par les docteurs. Force était donc d’invoquer, à défaut de l’autorité de la Bible, l’autorité des docteurs ; c’est ainsi que se forma une tradition théologique et ecclésiastique.
Cette tradition s’incarna dans les conciles, surtout dans les conciles œcuméniques, qui représentaient l’Église universelle, et auxquels on appliqua les promesses faites à l’Église et aux apôtres : « l’Église est la colonne et l’appui de la vérité ; — l’Esprit vous conduira dans toute la vérité, etc. » On ne tarda pas à considérer les conciles comme les organes infaillibles du Saint-Esprit et les arbitres souverains de la foi de l’Église.
Enfin la théorie de la tradition, règle de la foi, fut formulée vers le milieu du ve siècle par Vincent de Lérins, dans son Commonitorium pro catholicæ fidei antiquitate et universitate adversus profanas omnium hæreticorum novitates. Ce titre est significatif et renferme en lui-même une définition : l’antiquité et l’universalité y sont données comme des signes d’orthodoxie. Vincent de Lérins pose, il est vrai, en principe que les Écritures sont la source suffisante et la norme souveraine de la foi. Mais il ajoute aussitôt que les Écritures étant l’objet d’interprétations fort diverses, surtout de la part des hérétiques, qui en tordent le sens, il faut, pour en avoir la vraie signification, recourir à l’interprétation constante et universelle de l’Église. Et il définit ainsi la foi orthodoxe : « Quod semper, ubique et ab omnibus creditum est. » Ainsi l’universalité et la perpétuité, voilà le double caractère et le double critère de la vraie foi.
Ce principe est exact, en un sens : la foi constante et universelle, dans ses traits essentiels, est bien la foi véritable. Il est certaines doctrines bibliques parfaitement claires, que les fidèles de tous les lieux et de tous les temps ont entendues dans le même sens.
Mais, dans la pratique, ce principe est à la fois insuffisant, chimérique et impraticable. Il est insuffisant, car il y a des choses importantes, nécessaires même, sur lesquelles n’existe pas cet accord : ainsi la doctrine de l’application du salut. Il est chimérique, car cet accord universel et perpétuel cesse d’exister, dès qu’on laisse de côté les grandes affirmations générales, pour en arriver, comme c’était alors le cas, aux détails et aux choses secondaires. Enfin, il est impraticable, car il est d’une application trop difficile ; il exige un travail délicat, que bien peu de personnes peuvent faire.
On le comprit bien, et l’on simplifia ce travail, en remplaçant ce témoignage de la tradition constante et universelle par la parole du pape, dont on fit l’incarnation de l’Église. — Combien la Bible est préférable, plus claire, plus populaire et plus sûre, comme règle de foi !
Du reste, la Bible est en honneur, jusqu’à la fin du vie siècle. On en recommande la lecture aux laïques. Chrysostôme insiste fortement sur ce point, et son exemple est suivi par beaucoup de Pères, jusques et y compris Grégoire le Grand, pape, mort en 590. Et ce qui prouve que l’usage de lire la Bible se maintint longtemps, c’est la rapidité avec laquelle s’en multipliaient les copies, et le soin qu’on prenait de la traduire pour les peuples à qui l’on portait pour la première fois l’Évangile. La Vulgate, la traduction de Wulfila, la version slave datent de cette période. — Cependant nous surprenons, dès le ive siècle, une tendance tout opposée. Basile le Grand et Grégoire de Nazianze commencent déjà à faire des réserves au sujet de la lecture de la Bible par les laïques ; ils demandent qu’on y mette de la circonspection, qu’on choisisse les lecteurs et les lectures.
A la fin de notre période, l’ignorance des Écritures est devenue générale, et la Bible cesse d’être lue. On ne sait plus guère lire ; d’ailleurs, le clergé a cessé de recommander la lecture de la Parole de Dieu. Le temps viendra où on l’interdira formellement.