La controverse a la fâcheuse puissance du Jupiter d’Homère ; elle assemble des nuages sous lesquels disparaît la lumière qu’elle cherche.
L’Ancien et le Nouveau Testament, l’histoire du peuple juif avant Jésus-Christ et l’histoire de Jésus-Christ sont sous nos yeux. Les deux monuments ne font-ils qu’un seul et même édifice ? La seconde histoire est-elle contenue et comme écrite d’avance dans la première ? Depuis dix-huit siècles cette question occupe et divise les savants. Les uns affirment que Jésus-Christ a été prévu et prédit, chez les Juifs, depuis Moïse jusqu’à sa venue ; les autres étalent les lacunes, les incohérences, les contradictions qu’ils découvrent à ce sujet entre le Nouveau et l’Ancien Testament ; et ils en concluent que les paroles de l’Ancien ne contiennent point les faits du Nouveau, et que la miraculeuse histoire de Jésus-Christ n’a point été miraculeusement prévue et prédite au sein d’Israël.
Comment deux assertions si contradictoires ont-elles été, peuvent-elles être encore également adoptées et soutenues par des hommes, la plupart aussi sincères que doctes ?
Ils ont tous commis la faute de s’enfoncer dans le menu détail des faits et des textes, cherchant partout, les uns et les autres, la complète démonstration de leur thèse particulière, et perdant de vue le grand fait, le témoignage général et dominant qui doit et peut seul résoudre la question. Ils sont descendus dans le labyrinthe des sentiers de la plaine, au lieu de saisir, du sommet de la montagne, la vue d’ensemble et le grand chemin qui mène au but. Les croyants ont voulu retrouver, trait pour trait, dans les prophéties bibliques, toute la mission et toute la vie de Jésus. Les incrédules ont minutieusement relevé toutes les dissidences, toutes les difficultés que présentait le rapprochement des textes de l’Ancien Testament et des récits du Nouveau ; ils ont opposé le Messie glorieux et puissant roi d’Israël, si souvent annoncé par les prophètes, à l’humble vie, à la mort cruelle de Jésus et à la ruine de Jérusalem. A mon sens, ils ont, les uns et les autres, méconnu l’intime et essentiel caractère de cette sublime histoire : l’action de Dieu s’y déploie, mais sans supprimer l’action des hommes ; le miracle y prend place au milieu du cours naturel des faits ; les aspirations ambitieuses de la nation juive se mêlent aux perspectives religieuses que lui ouvrent les prophètes ; le divin et l’humain, l’inspiration venue d’en haut et les élans de l’imagination nationale apparaissent ensemble. Il faut dégager l’un de l’autre ces éléments divers, s’élever au-dessus de leur mélange, et fixer ses regards sur le rayon céleste qui brille à travers les vapeurs de l’atmosphère terrestre. Les embarras de la controverse s’évanouissent alors ; l’histoire livre son sens profond, et, malgré les complications des paroles des hommes, le dessein de Dieu se manifeste dans sa majestueuse simplicité.
J’écarte toute discussion, tout commentaire ; je recueille seulement, d’époque en époque, les principaux textes où apparaît le futur Messie. Je pourrais multiplier bien davantage ces citations ; je me borne à celles où l’allusion est évidente. C’est la Bible même et la Bible seule qui parle.
Le premier acte de désobéissance à Dieu, le péché originel, vient d’être commis. L’Éternel-Dieu dit au serpent qui a séduit Eve : « Parce que tu as fait cela, tu seras maudit entre tous les animaux et toutes les bêtes des champs… Et je mettrai de l’inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et la postérité de la femme ; cette postérité t’écrasera la tête, et tu la blesseras au talon (Genèse 3.14-15). »
Celui qui écrasera la tête du serpent appartiendra, dit la Genèse, à la race de Sem, à la descendance d’Abraham et de Jacob, au royaume de Juda : « Et toi, Bethléem vers Éphrath, quoique tu sois petite entre les milliers de Juda, c’est de toi que me sortira celui qui doit être dominateur en Israël (Michée 5.2). »
Israël est à son apogée ; David prophétise à la fois les souffrances et la gloire de ce sauveur du monde qui sera, non seulement le roi de Sion, mais « le fils et l’oint de l’Éternel ; » — « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? lui fait dire le roi-prophète ; tous ceux qui me voient se moquent de moi ; ils me font la moue ; ils hochent la tête… Ils m’ont donné du fiel dans mon repas, et, dans ma soif, ils m’ont abreuvé de vinaigre… Ils partagent entre eux mes vêtements et jettent le sort sur ma robe… Il se repose, disent-ils, sur l’Éternel ; qu’il le délivre et qu’il le sauve s’il a mis en lui son affection… Vous qui craignez l’Éternel, louez-le ; toute la race de Jacob, glorifiez-le, et toute la race d’Israël, redoutez-le… Tous les bouts de la terre s’en souviendront et se convertiront à l’Éternel, et toutes les familles des nations se prosterneront devant toi (Psaumes 2.2, 6-7 ; 22.2, 8, 9, 19, 24, 28 ; 69.22). »
Le royaume de David et de Salomon est entré dans sa décadence ; Juda et Israël se sont séparés ; les deux royaumes ont leurs prophètes qui tantôt luttent contre les crimes et les maux du présent, tantôt entr’ouvrent les perspectives de l’avenir : « Écoutez maintenant, ô maison de David, dit Ésaïe, le Seigneur lui-même vous donnera un signe. Voici, une vierge sera enceinte, et elle enfantera un fils, et on appellera son nom Emmanuel… Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière, et la lumière a relui sur ceux qui habitaient dans le pays de l’ombre de la mort. Car l’enfant nous est né, le fils nous a été donné, et l’empire a été posé sur son épaule, et on appellera son nom l’admirable, le conseiller, le Dieu fort, le puissant, le Père de l’éternité, le prince de la paix… Il sortira un rejeton du tronc d’Isaï, et un surgeon croîtra de ses racines. Et l’Esprit de l’Éternel reposera sur lui, l’Esprit de sagesse et d’intelligence, l’Esprit de conseil et de force, l’Esprit de science et de crainte de l’Éternel… Il ne jugera point par ce qui frappe les yeux et il ne condamnera pas sur un ouï-dire ; mais il jugera avec justice les petits, et condamnera avec droiture, pour maintenir les débonnaires de la terre… Iles, écoutez-moi, et vous, peuples éloignés, soyez attentifs. L’Éternel m’a appelé dès ma naissance ; il a fait mention de mon nom dès les entrailles de ma mère… Et il m’a dit : Tu es mon serviteur ; Israël est celui en qui je me glorifierai par toi. Et moi j’ai dit : J’ai travaillé en vain ; j’ai consumé ma force inutilement et sans fruit ; toutefois mon droit est auprès de l’Éternel et mon œuvre est auprès de mon Dieu. Maintenant donc l’Éternel, qui m’a formé dès ma naissance pour être son serviteur, m’a dit que je ramène Jacob à lui ; mais Israël ne se rassemble point ; toutefois je serai glorifié aux yeux de l’Éternel, et mon Dieu sera ma force. Et il m’a dit : C’est peu de chose que tu sois mon serviteur pour rétablir les tribus de Jacob et pour ramener les restes d’Israël ; mais je t’ai donné pour être la lumière des nations, et pour être mon salut jusqu’au bout de la terre. — Réjouis-toi extrêmement, fille de Sion ; jette des cris de réjouissance, fille de Jérusalem ; voici, ton roi viendra à toi, juste et sauveur, et monté sur un âne, sur le poulain d’une ânesse. — Il est monté comme un rejeton devant lui, et comme une racine qui sort d’une terre sèche. Il n’y a en lui ni forme, ni éclat, quand nous le regardons ; il n’y a rien en lui, à le voir, qui nous le fasse désirer. Il est le méprisé et le dernier des hommes, un homme de douleur et qui sait ce que c’est que la langueur ; et nous avons comme caché notre face de lui ; il était méprisé et nous n’en avons fait aucun cas. Il s’est chargé véritablement de nos langueurs, et il a porté nos douleurs, et pour nous, nous avons cru qu’il était frappé, battu de Dieu et affligé. Mais il a été navré pour nos forfaits et frappé pour nos iniquités ; le châtiment qui nous apporte la paix est tombé sur lui ; et nous avons la guérison par sa meurtrissure. Nous avons tous été errants comme des brebis ; nous nous sommes détournés pour suivre chacun son propre chemin, et l’Éternel a fait venir sur lui l’iniquité de nous tous. On le presse et on l’accable, et il n’a point ouvert la bouche ; il a été mené à la tuerie comme un agneau, et comme une brebis muette devant celui qui la tond, il n’a point même ouvert la bouche. Il a été enlevé par la force de l’angoisse et de la condamnation ; mais qui racontera sa durée ? … Après qu’il aura mis son âme en oblation pour le péché, il se verra de la postérité, il prolongera ses jours, et la volonté de l’Éternel prospérera dans sa main. Il jouira du travail de son âme, et il en sera rassasié ; et mon serviteur juste en justifiera plusieurs par. la connaissance qu’ils auront de lui, et lui-même portera leurs iniquités. C’est pourquoi je lui donnerai son partage parmi les grands, parce qu’il aura livré son âme à la mort, qu’il aura été mis au rang des méchants, et qu’il aura porté les péchés de plusieurs, et intercédé pour les pécheursa. »
a – Ésaïe 7.14 ; 9.1, 5 ; 11.1-4 ; 49.1-6 ; 53.1-12 ; Zacharie 9.9.
Quelles que soient les controverses engagées au sujet de ces textes et de tant d’autres que j’y pourrais ajouter, un fait subsiste et s’élève au-dessus de toutes les questions et de toutes les controverses. Dix-sept siècles se sont écoulés entre le jour où Moïse a reçu sur le mont Sinaï le Décalogue et celui où s’approche le Messie annoncé par les prophètes ; et au bout de ces dix-sept siècles, le Dieu de qui Moïse a reçu le Décalogue, celui qui s’est défini lui-même : « Je suis celui qui suis, » Jehovah est toujours le Dieu, le seul Dieu d’Israël. Israël a traversé tous les régimes, subi toutes les vicissitudes, encouru tous les égarements que peut connaître un peuple ; il a eu des prêtres, des juges et des rois ; il a été conquérant et conquis, maître et esclave ; il a eu ses jours de puissance et ses jours d’humiliation, ses tentations d’idolâtrie et ses accès d’impiété ; il est toujours revenu au Dieu unique, au vrai Dieu ; sa foi a survécu à toutes ses fautes, à tous ses malheurs ; et après dix-sept siècles, Israël attend de Jehovah un Messie qui sera, disent ses plus grands prophètes, le libérateur et le sauveur, non seulement d’Israël, mais de toutes les nations. Contre ce fait sans pareil, les hommes épuiseront en vain leur science et leur doute ; il y a là plus que de l’homme ; ce n’est pas là un fait humain. Que sera-ce et que faudra-t-il croire quand le fait aura reçu sa consommation et les prophéties leur accomplissement, quand Jehovah aura donné au monde Jésus-Christ ?