Vous savez, mes frères, qu’il est plus d’une fois question dans l’Ecriture d’un livre de vie, et que l’apôtre Paul apprend aux Philippiens (Philippiens 4.3), que le nom de son compagnon d’œuvre, Clément, y est inscrit avec plusieurs autres.
Ce livre se nomme le livre de vie ; on n’y lit aucune sentence de mort, il est rempli de promesses et de grâces. Ceux dont les noms y sont écrits ne meurent point, ils sont déjà passés de la mort à la vie, ce qu’on nomme leur mort est un doux sommeil, un ravissement, et une éternelle jeunesse les attend au-delà du tombeau. Tous les noms qui s’y trouvent sont constamment présents devant Dieu, et lui sont chers pour l’éternité. Ils y ont été écrits avec le sang de l’Agneau, qui les purifie de toute tache. Ce livre est ouvert dans les cieux ; le Fils de l’homme le lit avec une joie indicible, et les anges en parcourent aussi sans se lasser les feuillets, pleins d’admiration.
Et vous aussi, mes frères, vous désireriez y lire et vous assurer de vos yeux si vos noms s’y trouvent ; car s’ils n’y étaient pas, malheur, trois fois malheur ! et maudite serait l’heure de votre naissance. Eh bien, vous pouvez avoir la réponse à cette plus sérieuse de toutes les questions. Car quiconque est écrit dans le livre des cieux, est marqué de Dieu sur cette terre de certains signes que l’Ecriture nous fait connaître, et dont le plus important est un cœur contrit et altéré de justice et de grâce. Mais il y a deux espèces différentes de soif spirituelle ; toute contrition n’autorise pas à se croire sauvé, et l’on peut recourir avec alarmes à la grâce de Dieu sans l’obtenir. L’erreur est grave, il y va de votre salut, et la méditation d’aujourd’hui vous enseignera à distinguer la repentance d’une Madeleine d’avec celle d’un Achab.
22 « Voici, je mettrai ta maison dans le même état que j’ai mis la maison de Jéroboam, fils de Nebat, et la maison de Bahasça, fils d’Abija, à cause du péché par lequel tu m’as irrité et as fait pécher Israël. » 23 Et l’Eternel parla aussi contre Jésabel, disant : « Les chiens mangeront Jésabel près du rempart de Jesreel. 24 Celui qui appartient à Achab, qui mourra dans la ville, sera mangé par les chiens, et celui qui mourra aux champs, sera mangé par les oiseaux des cieux. »
25 En effet, il n’y avait point eu de roi semblable à Achab, qui se fut vendu pour faire ce qui est mauvais devant l’Eternel, selon que sa femme Jésabel l’induisait, 26 de sorte qu’il se rendit fort abominable, allant après les dieux infâmes, comme avaient fait les Amorrhéens que l’Eternel avait chassés de devant les enfants d’Israël. 27 Et il arriva qu’aussitôt qu’Achab eût entendu ces paroles, il déchira ses vêtements, et mit un sac sur sa chair et jeûna ; et il était couché, enveloppé d’un sac, et il se traînait en marchant. 28 Et la parole de l’Eternel vint à Élie, le Tishbite, disant : 29 « N’as-tu pas vu comme Achab s’humilie devant moi ? Parce qu’il s’humilie devant moi, je ne ferai pas venir ce mal de son vivant ; ce sera dans les jours de son fils que je ferai venir ce mal sur sa maison. »
Nous sommes dans la vigne de Naboth, et Élie annonce au roi les jugements dont Dieu va le frapper. Nous verrons aujourd’hui l’impression que fit sur Achab ce message, et nous passerons successivement en revue les causes de la repentance d’Achab, sa nature et ses suites.
Le message d’Élie qui remplit d’effroi l’âme d’Achab et le fit tomber, comme frappé de la foudre, aux pieds de l’Eternel, contenait trois chefs d’accusation contre le roi, en même temps qu’il lui faisait connaître sa sentence.
Ces trois accusations étaient qu’il avait irrité Dieu, qu’il avait fait pécher Israël et qu’il s’était vendu pour faire ce qui est mauvais devant l’Eternel.
Et d’abord, Jehova se présente à nous comme un Dieu qui peut être excité à la colère par des offenses réitérées de la part des créatures, et dont la patience ressemble à un arc qu’on ne peut tendre au delà d’un certain degré sans le rompre. Ce sont là sans doute des expressions et des figures bien humaines ; mais la foi, loin de s’en scandaliser, s’en réjouit et les aime. Car elle a besoin d’un Dieu vivant et accessible, d’un Dieu qui sente et s’émeuve. Un Etre Suprême qui siégerait sur son trône à d’incommensurables distances de notre terre et dans les abîmes de l’éternité, et qui, dans sa glaciale indifférence, nous ferait savoir qu’il est inaccessible à nos pensées et infiniment élevé au dessus de nos injures, comme de nos louanges, un tel Dieu n’en serait point un pour nous ; il y aurait entre lui et nous un précipice sans fond, un infranchissable mur de séparation, tandis que la foi réclame proximité et communion. Elle préférera sans hésiter au Dieu impassible, le Dieu même qui s’irrite contre la créature qui refuse de donner gloire à son nom ; elle veut un Dieu qui ait un cœur.
Le roi est accusé, en second lieu, d’avoir fait pécher Israël par son exemple, et par ses loi maudites qui faisaient du culte de Bahal la religion de l’état, et livraient les enfants de Dieu à de sanglantes persécutions. Malheur à celui qui, non content de se perdre lui-même, cherche à entraîner ses frères dans la même perdition ! les malédictions le poursuivront dans l’éternité, et son unique consolation sera alors de s’être, par ses meurtres spirituels, rendu d’autant plus semblable à son dieu, à Satan.
La troisième accusation enfin est indiquée dans la réflexion de l’écrivain sacré, qui dit : « Personne ne s’était vendu comme Achab pour faire le mal devant l’Eternel ; c’était sa femme Jésabel qui l’y induisait. » "Vendu pour mal faire ! Quel affreux état ! Mais n’est-ce pas l’état naturel de tout homme ? « Je suis charnel, » dit saint Paul lui-même en parlant du vieil homme qu’il sentait en lui, « et vendu au péché, car je ne fais pas ce que je veux, mais je fais ce que je hais. » Essayez, un jour seulement, d’observer je ne dis pas toute la loi de Dieu, mais un seul de ses préceptes, et vous verrez si avant la nuit, vous n’êtes pas obligé de souscrire à la confession humiliante de saint Paul. Notre liberté est détruite, notre volonté est asservie à la chair, la mort est entrée en nous, et semblable à un violent incendie, le péché dévore nos plus saintes résolutions. Notre cœur naturel ressemble à un chariot qui porterait la corruption, la misère et la mort ; les chevaux seraient nos convoitises, qu’éperonne et fouette le cocher qui est le diable. La route, c’est la voie large qui conduit à la perdition, et le terme vers lequel se précipite l’équipage, c’est la géhenne. Rien ne l’arrêtera si ce n’est la grâce toute puissante de Dieu ; car elle peut opérer des miracles, et transformer notre cœur en un char céleste, où prennent place la justice, la paix et la joie, et auquel sont attelés trois nobles coursiers, la foi, l’espérance et l’amour. C’est le Consolateur qui prend soin d’eux, qui les nourrit et qui les guide ; et la route qu’il leur fait suivre, c’est le chemin étroit qui conduit en haut, et dont le but est Jérusalem.
« Tout homme, a-t-on dit, a son prix auquel il se vend. » Cela est affreux, mais cela est vrai de tout homme naturel. Pour un peu d’or, ou de gloire, ou de plaisirs, l’orgueilleux fils de la terre se vend comme une marchandise, et se prête à tout péché et à toute bassesse. — Le prix pour lequel Achab s’était vendu, c’était, comme nous le savons, la faveur d’une femme. Jésabel était son idole, qui n’avait qu’à faire un signe pour qu’il apportât sur son autel en sacrifice volontaire, non seulement sa volonté, son honneur, la paix de sa conscience, mais encore le salut de son âme, sa foi, si tant est qu’il en eût, et la faveur du ciel, s’il l’eût possédée. — Ah ! si Achab eût au moins été le seul à se vendre à l’enfer pour un si vil prix ! mais de tels marchés ne sont pas rares encore de nos jours. Demandez-vous, pécheurs inconvertis, pourquoi vous êtes incrédules, pourquoi vous méprisez le peuple de Dieu, servez le monde et le diable, résistez avec force à toute bonne impression ? Vous répondrez : « parce que je suis obligé de le faire ! » Et qu’est-ce qui vous y oblige ? L’exemple et l’influence des hommes, vos relations habituelles, la faveur de quelqu’un à gagner, et un attachement dont la condition tacite est l’abandon de votre indépendance morale et le sacrifice de votre bonheur éternel. Oh les amitiés maudites ! Mille fois mieux la dispute et la guerre dans une maison qu’une telle concorde ! S’il en est parmi vous qui soient liés par de telles chaînes, qu’ils les rompent aujourd’hui plutôt que demain ! « Celui qui aime son père ou sa mère, sa femme ou ses enfants, plus que moi, n’est pas digne de moi, » dit le Seigneur. « Celui qui dit à son père et à sa mère : Je ne l’ai point vu, s’écrie Moïse dans ses bénédictions sur Lévi, et qui n’a point reconnu ses frères, ni même connu ses enfants, mais qui gardent tes paroles et observent ton alliance, ceux-là enseigneront tes ordonnances à Jacob et ta loi à Israël, ceux-là mettront le parfum à tes narines, et tout sacrifice sur ton autel. » « Vous avez été rachetés à grand prix, nous dit l’apôtre, ne soyez donc pas asservis au monde. »
Les accusations que le prophète vint au nom de Dieu adresser au roi dans la vigne de Naboth, devaient d’autant plus ébranler ce transgresseur, que elles étaient accompagnées de menaces terribles. « Voici, telle en était la première, à la place où les chiens ont léché le sang de Naboth, les chiens lécheront aussi ton propre sang. » Et elle reçut un accomplissement littéralement exact. Peu de temps après, Achab avait, par amour du pillage, contre l’ordre exprès du Seigneur et malgré l’avertissement du prophète Michée, déclaré la guerre aux Syriens, et comme ce prophète le lui avait annoncé, il ne revint pas. La main d’un Dieu irrité fut sur lui dès le premier combat ; un homme tendit son arc sans but précis, mais une main divine guida la flèche qui, pénétrant dans les jointures de la cuirasse, frappa ce cœur impie. « Viens, dit-il alors à son écuyer, détourne-toi et conduis-moi hors du camp, car je suis blessé. » L’écuyer obéit, et le soir le roi mourut ; son sang coula de la blessure dans le chariot, on conduisit son cadavre à Samarie et on l’y ensevelit. Et comme on lavait le chariot près de l’étang de Samarie, les chiens léchèrent son sang. Tels sont les jugements de Dieu ! O Seigneur Jésus, fais-nous grâce !
La seconde malédiction du Seigneur concernait la maison d’Achab. « Voici, je vais faire venir du mal sur toi, et je t’exterminerai entièrement, et je retrancherai ce qui appartient à Achab, jusqu’à un seul homme, tant ce qui est serré que ce qui est abandonné en Israël ; et je mettrai ta maison dans le même état que j’ai mis la maison de Jéroboam fils de Nébat, et la maison de Bahasça, fils d’Ahija, à cause du péché par lequel tu m’as irrité et as fait pécher Israël. Celui qui appartient à Achab qui mourra dans la ville, sera mangé par les chiens, et celui qui mourra aux champs, sera mangé par les oiseaux des cieux. » — Ah ! mes frères, quel Dieu vengeur que Celui qui punit l’iniquité des pères sur les enfants jusque dans la troisième et quatrième génération ! — Cette seconde menace s’accomplit comme la première, dans tous ses points, ainsi que nous pouvons le lire, 2 Rois 9.7-10. Le vaillant Jéhu fut l’homme auquel Dieu confia l’exécution de son jugement, après l’avoir fait oindre pour roi sur Israël. Il marcha sur Jesréel, où demeurait alors le roi Joram, fils d’Achab. Lorsque Joram apprit que l’armée s’avançait, il fit atteler son chariot, et s’avança au devant de Jéhu pour l’amener à des pensées de paix. Il le rencontra sur le champ de Naboth le Jesréelite. « Est-ce la paix ? » demanda Joram. Et Jéhu répondit : « Quelle paix, tandis que les prostitutions de Jésabel ta mère et ses enchantements s’augmentent toujours plus ? » Lorsque Joram entendit cela, il voulut s’enfuir. Mais Jéhu saisit son arc, le banda, et frappa Joram entre les épaules avec tant force que la flèche lui traversa le cœur, et il tomba dans son chariot. Alors Jéhu dit à son écuyer Bidkar : « Prends-le et jette-le en quelqu’endroit du champ de Naboth Jesréelite, selon la parole du Seigneur. » Il en fut ainsi. Le sang de d’Achab coula des veines de son fils sur ce même sol que le sang de Naboth avait rougi. Le tranchant de l’épée fit également périr le fils de Joram et toute la maison d’Achab, de telle sorte qu’il ne resta aucun rejeton de cette famille idolâtre. Le même sort atteignit les prêtres des idoles, et en un jour ils furent tous retranchés, les statues de Bahal ainsi que son temple à Samarie furent détruits et l’idolâtrie extirpée pour un temps du milieu d’Israël.
Le troisième jugement qu’Élie venait annoncer au roi Achab, concernait Jésabel. « Les chiens, dit-il, mangeront Jésabel vers les murs de Jesréel. » Ce terrible oracle s’accomplit de la manière suivante : Jéhu entrait à Jesréel, et la reine qui, à cette nouvelle, s’était hâtée de farder son visage et de se parer, regardait à la fenêtre. Mais le cœur du rude guerrier demeura insensible à ses séductions. Il regarda en haut et dit à ces gens qui étaient près de lui : « Jetez-la en bas. » Ils la jetèrent aussitôt ; son sang rejaillit contre la muraille et contre les chevaux, et elle fut foulée aux pieds dans la rue. Et lorsque Jéhu, après avoir mangé et bu, eut dit : » Allez voir maintenant cette maudite, et ensevelissez-la, car elle est fille de roi, » ils allèrent, mais ils ne trouvèrent plus que le crâne, les pieds et les paumes des mains. Les chiens avaient mangé le reste. Ils retournèrent donc à Jéhu qui dit : « C’est la parole que l’Eternel avait prononcée par son serviteur Élie Tishbite, disant : Dans le champ de Jesréel les chiens mangeront la chair de Jésabel. Et le cadavre de Jésabel sera comme du fumier sur le champ, dans le champ de Jesréel, de sorte qu’on ne pourra pas dire : C’est ici Jésabel. »
Voyez, mes frères, comment le Seigneur accomplit ses paroles ! Grand Dieu ! quelle angoisse doit ici saisir les pécheurs impénitents ! car Celui qui les menace de l’enfer et de la mort éternelle, c’est ce même Dieu, ce Dieu dont le nom est : le fidèle et le véritable ; et il est plus aisé que le ciel et la terre passent, qu’il ne l’est qu’aucune de ses paroles passe sans s’accomplir.
Les paroles du prophète portaient coup. Achab connaissait Élie, et savait que sa coutume n’était point de prononcer de vains discours. Il est là comme anéanti, ses genoux chancellent, son âme est déchirée par une indicible angoisse. Sa condamnation est juste, il ne peut se le nier ; son péché pèse sur lui de tout son poids, et ses crimes se dressent devant lui comme une armée. Il lui semble voir l’âme du malheureux Naboth toute souillée de sang, et des tombeaux des saints égorgés, il croit entendre s’élever vers le ciel un cri de vengeance mille fois répété ; les foudres de Dieu éclatent sur sa tête, et déjà retentissent derrière lui les hurlements des chiens qui viennent pour lécher son sang. Les sentiments qui l’avaient oppressé sur le Carmel, se réveillent au dedans de lui avec une effrayante vivacité. Il n’est que trop sûr que l’Eternel est Dieu et qu’Élie est son envoyé. Il oublie sa couronne et sa pourpre, toutes les convenances et le soin de sa dignité. Il n’est plus à ses yeux qu’un pauvre pécheur, et n’a pas honte de se présenter comme tel devant Dieu et devant l’homme. Il descend de son trône jusque dans la poussière. Il déchire ses vêtements pour témoigner publiquement combien son cœur est déchiré. Les ornements royaux font place à un grossier vêtement de pénitence. Il se prosterne devant le Dieu d’Élie, il ordonne un jeûne sans songer si Jésabel l’approuve ; les nuits même se passent dans des actes de repentir, il ne se juge pas digne de monter sur sa couche royale, et dort sur un rude cilice ; il se traîne ainsi quelque temps au milieu des soupirs et des pleurs, offrant l’image d’une douleur sans égale. Le palais est converti tout entier en une maison de deuil.
Ce deuil du roi de Samarie n’avait rien d’affecté. L’appareil de tristesse dont il s’enveloppait, n’était que la fidèle expression des sentiments qui remplissaient son cœur. Il s’en fallait cependant de beaucoup que cette repentance fût celle qui conduit à la vie ; ce n’était pas une tristesse semblable à la tristesse de Magdeleine, du brigand ou du péager. La repentance d’Achab manquait d’amour ; or, c’est l’amour qui seul donne à nos œuvres leur divine consécration.
A cette occasion, nous vous exposerons brièvement quelle est la nature de la vraie repentance. L’apôtre Paul nous la décrit, Galates 2.19, quand il dit : « Je suis mort à la loi par la loi, afin que je vive à Dieu. » Il comprend ici, par la loi à laquelle il est mort, l’ensemble des commandements de Dieu et des malédictions qui s’y rattachent. Il ne s’est pas, dit-il, soustrait arbitrairement comme d’autres à la discipline de ce pédagogue, il n’a pas abandonné la loi en déserteur ; mais il est mort à la loi, et par cette mort il a été émancipé complètement et régulièrement ; de même qu’une femme est libre de contracter un nouveau mariage, lorsque le premier a été dissous par la mort.
Il existe entre toute âme d’homme et la loi, une relation nécessaire, la relation d’un sujet à son souverain, d’un serviteur à son maître. Que l’homme en ait le sentiment ou non, il doit obéir à la loi. S’il le fait, elle le récompense ; s’il ne le fait pas, elle le maudit. Mais ce n’est que lorsque la loi commence à faire valoir son autorité souveraine dans la conscience, que le rapport entre le maître et le serviteur acquiert toute sa force et devient vivant. L’homme se sent dès lors obligé envers la loi, et il éprouve un besoin sérieux de vivre en bonne intelligence avec cette loi qui se montre à lui sévère et toute armée de menaces. Jusques là tous les deux sont en vie, la loi, et l’homme qui lui est assujetti ; le contrat que Dieu a signé lui-même a toute sa valeur, et rien n’affaiblit ni ne tempère la terrible « malédiction prononcée contre celui qui ne persévère pas dans toutes les choses écrites au livre de la loi pour les faire. » Quel parti prendrait l’homme, si ce n’est celui de satisfaire à la loi en lui obéissant avec fidélité, en accomplissant les œuvres qu’elle commande ; car il vit, et se croit les forces nécessaires pour venir à bout de son entreprise. Il se met au travail et se place ainsi sous la loi, c’est-à-dire qu’il s’avance sur un chemin dont on n’est jamais revenu que le corps épuisé de fatigue, le cœur brisé, et la conscience angoissée. Le malheureux ! il enfonce de jour en jour davantage dans la boue du péché dont il cherche à retirer ses pieds, et au lieu d’avancer, il recule d’heure en heure. Ses meilleurs projets échouent contre son impuissance ; et la douloureuse conviction qu’il est mille fois plus corrompu qu’il ne l’avait jamais pensé, le sentiment déchirant d’une affreuse malédiction qui pèse sur son âme, ce cortège effrayant de mécontentement intérieur, de chagrin et d’angoisse, que la loi fait entrer dans tout cœur d’homme qui cherche à l’accomplir par ses propres forces : voilà l’unique fruit de ses travaux. — Que fera-t-il donc ? Il renonce à l’obéissance parfaite, et cherche à s’affranchir de la loi d’une autre manière : il pense lui échapper ; il déserte. « Pourquoi, se dit-il, présomptueux et découragé, pourquoi me tourmenter plus longtemps à suivre un chemin où, malgré tous mes efforts, je ne je ne puis avancer d’un pas ; » et le voilà qui retourne à sa première vie, qui lâche la bride à ses penchants et fait de nouveau ce que son cœur désire. Mais s’il laisse la loi, la loi ne le laisse pas pour cela. Elle lui court après, le poursuit, s’attache à ses pas, et le surprend en tous lieux avec ses foudres ; car elle est dans son cœur, et la fuite est chose impossible. — Quel parti prendra maintenant le pécheur ? Un chemin lui est encore ouvert. Il capitulera avec la loi et cherchera à s’arranger avec elle à l’amiable. « J’observerai tes commandements, lui dit-il, aussi bien que possible, et je vivrai conformément à tes ordonnances autant qu’il est en mon pouvoir ; mais alors aussi, cesse de me maudire comme tu le fais, et permets-moi de m’en remettre pour le reste à la miséricorde de Dieu. » Cette convention, tout équitable qu’elle paraisse au pécheur, n’est pas acceptée par la loi, qui ne se contente point d’une obéissance partielle ; elle en veut une complète, et quoique puisse faire le pécheur, elle n’ôte rien aux terreurs des malédictions et ne lance pas un trait de moins dans sa conscience alarmée. Ainsi poursuivi par la loi et forcé par elle dans ses derniers retranchements, le pauvre enfant d’Adam sent qu’il ne lui reste plus qu’à se reconnaître coupable devant le tribunal céleste, qu’à confesser que la loi est juste avec ses malédictions, qu’à se déclarer en état de faillite morale, et qu’à s’écrier avec l’apôtre : « Misérable que je suis ! qui me délivrera du corps de cette mort ? » Sans doute, la nature se roidit contre un tel aveu, c’est pour elle chose affreuse que de se condamner elle-même, elle recule avec effroi devant la mort qui la menace. Mais en vain ! La lumière apparaît victorieuse au milieu des ténèbres. Percé de mille flèches, le pauvre malheureux tombe au pied du trône de l’Eternel, et dans une indicible angoisse, il s’écrie : C’est fait de moi ! perdu ! perdu !
Voilà donc le pécheur qui se condamne lui-même sincèrement devant le tribunal de Moïse ; mais son état spirituel est-il déjà celui que saint Paul désigne par les mots : être mort à la loi ? Nullement ; car s’il en était ainsi, Caïn et Judas auraient pu dire avec l’apôtre qu’ils étaient morts à la loi. Il est vrai que le pécheur a déjà subi une mort ; toute sa prétendue justice, sa force et ses mérites n’existent plus, et saint Paul donne à cette banqueroute morale le nom de mort, dans son Epître aux Romains, chap. 7 : « Quand la loi est venue, le péché est devenu vivant en moi, et moi je suis mort, et ainsi il s’est trouvé que le commandement m’a fait mourir. » Mais mourir sous la loi et par la loi, ce n’est pas encore mourir à la loi. Le pécheur qui se condamne n’est point encore libéré de la loi ; le contrat qui le lie à elle, n’est pas encore dissous. Jamais, au contraire, son maître dur et sévère ne l’a déchiré de pareils coups, il le poursuit de ses malédictions jusques à le précipiter dans le désespoir. Le malheureux hait la loi ; tout en lui murmure contre elle ; il en maudit l’existence, car elle lui enlève sa paix et bride d’un mors de fer ses convoitises. Ainsi, dans son cœur subsiste, toute puissante, son inimitié contre la loi, et il ne peut être l’ennemi de la loi, sans l’être de Dieu qui a donné la loi. Sa repentance n’est donc point encore la repentance selon Dieu, la nouvelle naissance n’est pas là, le pécheur n’est pas mort à la loi.
Comment s’opère donc cette bienheureuse mort ? Par une loi, nous dit saint Paul, mais par une autre que celle de Sinaï. « Je suis mort à la loi par la loi. » La loi par laquelle il est mort à celle de Sinaï est sans contredit la loi de l’esprit, dont il parle, Rom. ch. 8, en disant : « la loi de l’esprit m’a affranchi de la loi de la mort. » La loi de l’esprit, c’est l’Evangile, et c’est par l’Evangile seul que peut être produite la vraie et salutaire repentance. — Revenons au pécheur saisi d’effroi que nous avons laissé prosterné dans la poussière au pied du trône du Tout-Puissant. Son âme est pleine encore d’inimitié contre la loi, et l’angoisse de sa conscience ne lui permets pas d’élever ses yeux vers le Seigneur ; mais voici, le soleil de la nouvelle alliance envoie ses premiers rayons dans les ténèbres qui l’entourent, la croix lui apparaît à travers les sombres nuages de l’angoisse qui s’entrouvrent, les sons harmonieux de l’Evangile frappent ses oreilles, et voyez maintenant quel admirable changement va se manifester dans tout son être. Il apprend qu’il y a pour lui secours et délivrance, que le Père a envoyé dans le monde son Fils unique pour sauver le monde ; que ce Saint des saints a pris sur lui tous nos péchés ; qu’il les a expiés, en supportant à notre place tout le poids de la colère divine, et qu’il est entré dans les Cieux pour nous préparer une place éternelle dans le sein du Père. Le pécheur l’entend, il s’en étonne ; dans sa joie il ose à peine y croire, il contemple son divin Garant, il voit ses blessures, sa tête couronnée d’épines, ses traits où se peignent un amour infini, et son cœur miséricordieux qui est percé à cause de nous. Il ne sait ce qui se passe en son âme, et d’où lui viennent tous ces sentiments nouveaux qui surgissent de toutes parts en lui aux rayons du soleil de la grâce. Il se jette en pleurant aux pieds de son divin Sauveur pour les arroser de ses larmes, qui sont des larmes non plus de désespoir, mais d’amour et de joie. A la crainte servile succède une tristesse toute filiale, et aux terreurs de la loi une bienheureuse confusion. L’inimitié contre la loi a disparu de son cœur ; comment la haïrait-il encore, maintenant qu’elle ne peut plus lui faire de mal et qu’elle ne le maudit plus ? Il apprend au contraire à l’aimer, à voir en elle l’expression de la volonté du Dieu, dont la miséricorde seule l’a sauvé de la condamnation. Il y prend plaisir, il redoute par dessus toutes choses de la transgresser, et il le redoute non parce qu’un devoir extérieur l’y contraint, mais parce que intérieurement il se sent pressé de le faire, par amour pour ce Sauveur auquel il voudrait se consacrer tout entier. Telle est la vraie repentance, la repentance selon Dieu : sous le soleil de l’Evangile elle jaillit de l’amour comme de sa source, elle a la foi pour compagne. Oh ! quelle merveilleuse mort ! — L’alliance entre la loi et le pécheur est légitimement dissoute. La loi le laisse en repos et ne le condamne plus, car il est, en Christ, « devenu justice de Dieu. » Elle ne lui impose plus même ses commandements, qui ne sont pour lui que le fruit qu’un bon arbre produit naturellement et de lui-même.
Telle n’était point la repentance d’Achab. L’inimitié contre la loi n’avait point fait place dans son âme à l’amour de Dieu. C’était le châtiment qui le faisait trembler, et non pas le péché ; et si nulle malédiction n’eût été attachée au commandement qu’il avait transgressé, cette transgression lui aurait causé peu de douleur. Aussi, le châtiment ayant tardé, il retourna bientôt dans le chemin de la corruption, et il fournit ainsi l’irrécusable preuve que son affliction ne provenait que d’égoïsme, et que l’empire et l’amour du péché n’étaient point détruits dans son cœur.
Ce n’était donc point dans de vrais sentiments de repentance, qu’Achab se prosterna aux pieds du Très-Haut, et cependant le Seigneur jeta sur lui un regard de miséricorde. Il envoya sa parole à Élie le Tishbite et lui dit : « As-tu vu comme Achab s’est humilié devant moi ? Parce qu’il s’est humilié devant moi, je ne ferai pas venir le mal de son temps, mais c’est au temps de son fils que j’amènerai le mal sur sa maison. » Le châtiment est donc différé, mais non révoqué ; il reste suspendu sur Achab et sa maison. Mais ce simple délai accordé à une repentance de si peu de valeur, n’en était pas moins une grande grâce ; c’était épargner au roi la douleur de voir éclater sur lui et de son vivant les orages amassés sur sa tête. Peut-être direz-vous : Pourquoi une telle grâce à un tel repentir ? Dieu en agit ainsi pour imprimer profondément et par un vivant exemple, aussi bien dans le cœur du roi que chez ceux qui l’entouraient et qui voyaient ses angoisses, la conviction que l’unique moyen d’échapper à ses jugements et d’obtenir sa grâce, c’est de se juger soi-même et de s’humilier devant son trône ; car le roi avait fait un premier pas sur la voie du salut. C’est ainsi que nous disons à un jeune apprenti à la vue de ses premiers essais et malgré leurs nombreux défauts : « c’est bien, continue, tu es en bon chemin. » Mais que l’exemple d’Achab nous apprenne aussi à ne pas regarder, comme une preuve infaillible que nous sommes en état de grâce, les signes miséricordieux par lesquels le Seigneur peut répondre à notre contrition, l’exaucement extraordinaire de quelque fervente prière, une délivrance d’un danger imminent accordée à nos cris d’angoisse et de contrition. Tout cela pourrait bien n’être que la parole d’encouragement adressée au novice, et ne point prouver que nos prières et notre repentir soient réellement selon Dieu et que Dieu nous ait reçus dans sa grâce.– Il n’est encore jamais arrivé — l’histoire le témoigne — qu’un prince ou un peuple ait donné gloire au Roi des rois et à sa Parole, ne fût-ce même qu’extérieurement, sans que cette confession n’ait été couronnée de bénédictions ; mais ce serait aller beaucoup trop loin que d’en conclure que ces peuples et ces princes fussent véritablement reçus en grâce dans le sens restreint et biblique de ce mot. Il est de même, parmi nous, des hommes que nous ne pouvons compter au nombre des vrais enfants de Dieu, et qui se déclarent cependant pour la cause de l’Evangile ; ils ont une vie religieuse, ils prient, ils s’humilient devant Dieu, une certaine crainte du Tout-Puissant dirige leurs pas, et à voir leur zèle et leur activité pour les intérêts de son règne, on ne peut que les ranger au nombre des vrais chrétiens. Dieu bénit leur maison ; ils jouissent de l’amour et de l’estime de tous, et leurs entreprises ont une heureuse issue. Mais que Dieu les garde d’en conclure qu’ils sont véritablement incorporés au petit troupeau des justes ! Ah ! combien grande serait leur erreur ! Non, Dieu les bénit, bien qu’ils n’aient guère plus que l’apparence de la vie divine, pour témoigner hautement par eux qu’il honore ceux qui l’honorent et que les voies de la piété sont aussi celles de la prospérité. Il les protège du mal, afin que d’autres qui les croient vraiment pieux n’aient pas lieu de penser que Dieu emporte les justes avec les méchants. Il les garde pour les employer comme des instruments à la propagation de son règne, mais non point pour sceller par ses bénédictions un état de grâce qui n’est pas le leur. — O mes frères, que personne ne s’y trompe ! Si vous n’êtes nés de nouveau, il sera dit de vous comme d’Achab : « As-tu vu comme Achab s’est humilié devant moi ? C’est pourquoi, parce qu’il s’est humilié devant moi, je n’amènerai point le mal de son vivant. Mais le jour viendra qui le surprendra comme un larron, et où cette voix effrayante retentira à ses oreilles : « Je ne vous connais point, et je ne sais point d’où vous êtes ! »
Mes frères, tous ceux d’entre vous qui sont encore du dehors, se trouvent dans une position semblable à celle d’Achab dans la vigne de Naboth. Malédiction a été prononcée sur vous, l’orage gronde déjà sur vos têtes ; encore quelques jours, et il ne sera plus temps. Malheureux ! une seule issue vous est ouverte : celle de la confession de votre indignité, celle de la repentance véritable. Non que cette repentance vous acquière par elle-même la délivrance ; mais elle renferme en elle la faim et la soif de la justice, et la justice de Christ rassasiera votre âme. Du moment où, vraiment humiliés, nous étendons la main de la foi vers ce pain de vie, les tonnerres de la vengeance divine se retirent, les malédictions se taisent, un appel de la grâce immuable de Dieu se fait entendre à nos oreilles, et dans le ciel de notre vie apparaît, comme un signe de paix, la croix. C’est là que je regarderai, dit le Seigneur, pour ne point maudire ces pécheurs.
Nous prenons aujourd’hui congé du roi Achab. Puisse-t-il être pour nous un exemple sérieux, qui nous rappelle comment après avoir été miraculeusement visité de Dieu, après avoir entendu les plus puissants appels de sa miséricorde et ressenti les émotions les plus vives, et même après avoir passé jusques à un certain point par le rude combat de la repentance, et avoir vu ses prières exaucées d’une manière extraordinaire, on peut néanmoins être damné. Puisse notre repentance être meilleure que celle d’Achab ! Car, mes frères, je puis bien dire qu’il n’est personne d’entre vous qui ne se repentira un jour. Quand l’heure est venue, où tout l’art du médecin ne peut plus vous sauver, où le retour à ce monde se ferme derrière vous, où seuls avec le souvenir de tous vos péchés vous voyez s’ouvrir devant vous les portes de l’éternité — à cette heure, mes frères, on se repent. Mais il est une repentance à la mort, et elle n’est pas rare. Hélas ! tel d’entre vous, peut-être, qui fait aujourd’hui le brave et qui oppose à la vérité un front d’airain, nous le verrons saisi d’une frayeur inconnue, s’agiter étrangement sur son lit de mort ; nous l’entendrons murmurer : Mon âme, ma pauvre âme ! et s’écrier comme de l’abîme infernal : Je suis perdu ! Et qui sait si nous pourrons, si nous oserons le consoler. Peut-être un sentiment intérieur et distinct nous dira-t-il que ce n’est point là la repentance selon Dieu, que ses péchés ne sont point ce qui l’effraye, qu’il n’y a chez lui aucune soif de la justice, aucun soupir après l’amour et la communion de Dieu ; que ce n’est que la vue des châtiments qui le fait trembler, que son angoisse n’est que celle des démons qui tremblent devant le vainqueur du serpent, et qui lui disaient à Gadara : « ne nous fais pas aller dans l’abîme. » Que Dieu nous fasse grâce ! mes frères, et nous donne cette repentance à salut dont on ne se repent jamais ! Que notre repentance soit celle de l’enfant qui aime son père, et qui n’a pas de repos qu’il n’ait vu l’œil de sa mère offensée le regarder de nouveau avec amour ! Que notre repentance soit vivifiée par l’amour, qu’elle ait la foi pour compagne, qu’elle rompe entièrement avec les ténèbres, et qu’elle manifeste sa vérité par un abandon complet au Seigneur ! Qu’il en soit ainsi, et nos larmes seront comptées, il y aura de la joie sur nous dans le ciel ; le Tout-Puissant lui-même nous tendra les bras, et essuiera nos yeux, et la sainte douleur de notre âme nous sera le premier gage et le sceau de notre adoption. Amen.