L’inspiration ne pouvait commencer que par une brusque irruption de l’Esprit de Dieu dans l’esprit de l’homme. Au jour de la Pentecôte, les apôtres étaient rassemblés ; tout à coup ils furent remplis du Saint Esprit et se prirent à parler en langues diversese. Que de discussions n’a-t-on pas entassées sur ce don des langues ! D’après l’explication de l’apôtre saint Paul, il faudrait l’admettre comme un état d’extase et de ravissement dans lequel la conscience, perdant complètement le sentiment d’elle-même, se sent tout entière envahie par des forces spirituelles nouvelles, qui la pénètrent dans ses plus intimes profondeurs, lui communiquant une vie toute spirituelle sans analogie avec la vie ordinaire et naturellef. Le don des langues exprime donc l’inspiration à son premier éveil, débordant sans mesure et sans frein, ne laissant d’autre impression aux apôtres que celle de l’Esprit de Dieu, les possédant et les illuminant dans tout leur être, ainsi que ferait un éclair tombé du ciel. On peut mesurer au reste la grandeur de l’impression reçue aux railleries qu’elle provoque de la part des impies : « Ils sont pleins de vin doux ». Les autres spectateurs les entendant parler des grandes choses de Dieu, chacun en sa propre langue, restent saisis d’une sainte émotion. Le fait important à retenir dans le don et l’intelligence des langues, c’est l’homme intérieur comprenant, dans son idiome à lui et au travers de cet idiome, la parole des apôtres comme lui étant directement adressée, lui révélant sa propre âme, et l’affranchissant des étroitesses et des dépendances subies jusqu’alors par le fait de la naissance matérielleg. Mais cet état de ravissement n’explique pas à lui seul l’inspiration ; il ne décrit que le moment de la naissance spirituelle, l’esprit brisant l’enveloppe naturelle, et il ne nous dit pas encore la conscience reprenant possession d’elle-même. Mais ces impressions s’apaisant, la réflexion reprenant son empire, l’âme put prendre nettement conscience de la lumière nouvelle qui l’éclairait. Les forces religieuses naturelles s’harmonisant avec le développement historique et miraculeux, la glossolalie devint prophétie, lorsque Pierre, apparaissant au nom des apôtres, fit entendre la parole de cette grande journée, expliquant, dans un discours intelligible et suivi, l’événement accompli comme la réalisation des promesses de la prophétie, annonçant qu’elle était désormais ouverte, accessible pour tous, l’alliance fondée par le Seigneur Jésus, et pressant la foule de se convertir et de recevoir le baptême. En entendant ces paroles, environ trois mille furent baptisés. Le miracle de la Pentecôte trouve donc sa consécration dans le premier discours et le premier baptême de la mission chrétienne dans le monde. A partir de ce moment la mission s’organise historiquement et ecclésiastiquement. Nous pouvons considérer le discours de saint Pierre comme nous révélant, sous une forme typique, la manière dont les apôtres reçurent et exercèrent le don de l’inspiration. La nouvelle langue apostolique, qui depuis lors fut parlée sur la terre, expliquant les mystères du royaume de Dieu aux sages, aux ignorants, est certainement une langue de feu ; cependant, et c’est là son caractère, elle ne fait entendre qu’un langage intelligible et toujours de sens rassis.
e – Actes 2.3.
f – 1 Corinthiens 14.2-4.
g – Voir Steffens, Philosophie de la religion.
Remarque. — Si ce don des langues fût resté un fait isolé, un miracle exceptionnel, et ne nous eût pas donné la parole prophétique, on aurait pu considérer les apôtres comme des illuminés. Déjà saint Paul doit avertir les Églises qu’il ne faut pas rechercher ni trop considérer le premier moment de l’inspiration, et il s’efforce de leur faire entendre que la prophétie, la révélation intelligible à tous, est bien plus importante que le don des langues. L’histoire ecclésiastique, au reste, nous apprend surabondamment que lorsqu’un réveil religieux, si puissamment caractérisé soit-il par l’effusion de l’Esprit de Dieu, ne se constitue pas sous une forme historique, il ne peut que se perdre et se déconsidérer dans le fanatisme et l’anarchieh.
h – 1 Timothée 1.13 ; Tite 2.2
La Pentecôte peut être envisagée comme le type d’une période dont l’inspiration reste continue. Le livre des Actes des apôtres nous en représente les principaux traits. L’inspiration n’est pas limitée aux seuls apôtres : non seulement les hommes qui les assistent, un Etienne, un Marc, un Luc, sont inspirés, mais nous voyons également la grande effusion de la Pentecôte se renouveler en certaines circonstances et pour certains individus. Lors de leur entrée dans l’Église, on les voit parler en langues étrangèresi. Mais puisque la période de l’inspiration de l’Église coïncide avec celle de sa formation, nous ne pouvons pas ne pas remarquer l’inspiration revêtant des degrés différents, suivant la différence des moments. Nous devons donc réserver la plénitude de l’inspiration pour ceux qui dès le premier jour ont eu le privilège de vivre dans l’intimité du Sauveur, et ont été choisis à ce titre pour être les piliers et les colonnes de l’Église. Le Saint Esprit étant l’esprit de l’histoire sainte, ceux-là surtout pouvaient être ses organes qui, dès les commencements, vivant dans la communion du Sauveur, le connaissant plus intimement, restent les détenteurs et les garants de la tradition la plus vraie et la plus sûre. En outre, le Saint Esprit n’ayant pas seulement à rappeler l’histoire du Christ, il a aussi pour mission de le glorifier et de le faire revivre. Nuls n’étaient donc mieux qualifiés pour l’inspiration la plus complète que ceux qui dès leur début s’étaient séparés du monde pour se laisser sanctifier et purifier dans l’intimité de la communion du Sauveur.
Remarque. — Lorsque, après le départ de Judas, qui s’en est allé en son lieu, les apôtres, désireux de maintenir l’intégrité du collège apostolique, s’enquièrent d’un successeur à élire à sa place, ils cherchent d’abord deux hommes, Joses et Mathias, qui dès le début aient toujours vécu dans la compagnie du Sauveur, considérant cette circonstance comme seule capable de qualifier un apôtre. Ces deux hommes, les apôtres les acceptent à ce titre comme également qualifiés pour la succession apostolique, laissant au sort le soin de décider quel est celui que le Seigneur honorera de son électionj (ἀνάδειξιον ὅν ἐξελέξω). Quant à l’apôtre saint Paul, il n’appartenait pas à ce groupe primitif. Ce n’est que plus tard qu’il a été enté sur ce tronc sacré, comme un rameau sauvage. Son apostolat relève d’une vocation extraordinaire. Il est choisi par le Seigneur lui-même, sur le chemin de Damas, dans cette éclatante manifestation à laquelle il en appelle sans cesse pour confirmer son élection. Quoiqu’il n’ait jamais connu le Seigneur selon la chair, et qu’en ce sens il ne puisse pas être considéré, au même titre que les autres apôtres, comme l’un des détenteurs de la tradition historique, il faut cependant admettre que, toujours reçu par ceux que l’on considère comme les colonnes de l’Église sur le pied de la plus complète égalité, il faut admettre son enseignement sur la personne du Christ comme émanant directement du Sauveur lui-même.
j – Voir Schleiermacher, Dogmatique chrétienne II, 364.
En présence de l’Esprit fondateur de l’Église, les apôtres, tout en se sentant ses organes, n’en conservent pas moins, dans un vif sentiment de profonde dépendance envers lui, la conscience de leur liberté. « Ce ne sera plus vous qui parlerez, mais l’Esprit de mon Père qui parlera pour vousk. » La vérité qui est en eux les élève au-dessus de l’erreur du particularisme humain. Mais les apôtres, organes du Saint Esprit, abdiquent si peu le sentiment de leur personnalité, que l’on peut les citer à bon droit comme la preuve irrécusable de la puissance du Saint Esprit pour créer des personnalités fortement accentuées. Toujours, sans craindre le démenti, l’on appellera le siècle des apôtres l’âge héroïque, car il a vu le Sauveur conversant avec les hommes. Les rapports que soutiennent les apôtres avec le Saint Esprit se caractérisent non point par une dépendance absolue, mais par une entière liberté réalisée dans un développement ininterrompu. Nous pouvons par conséquent définir l’inspiration : une communication de l’Esprit se manifestant par l’intermédiaire d’une personnalité toujours plus personnelle et toujours plus libre. Mais les révélations de l’Esprit ne se faisant jamais qu’en vue de l’utilitél du moment, doivent donc se subordonner pour les apôtres aux circonstances historiques et aux besoins que provoque le développement de l’Église. Le Saint Esprit ne leur est donné qu’en vue de la mission qu’ils ont à remplir. Ce n’est donc que lorsque surgissent les difficultés dans l’ordre disciplinairem ou dans l’ordre dogmatique, que le Saint Esprit leur révèle la solution voulue. Cette révélation, ils l’énoncent avec la conscience qu’elle vient d’en haut et qu’elle répond néanmoins à leurs sentiments les plus intimes. « Il a plu au Saint Esprit et à nous, » telle fut la formule dont se servit le concile de Jérusalem pour affirmer l’indépendance de la conscience apostolique dans sa soumission à l’Esprit Saint.
k – Matthieu 10.20.
l – 2 Corinthiens 12.7.
m – Actes 15.10.
Remarque. — Dans la parole du Seigneur à Pierre : « Tu es Pierre, et sur cette pierre j’édifierai mon Églisen, » l’on ne pourra jamais découvrir tout ce que prétend y voir l’Église romaine ; l’on ne peut méconnaître cependant qu’elle affirme hautement la grande personnalité de l’apôtre. On aura toujours le droit de dire que la pierre sur laquelle le Seigneur veut édifier son Église n’est pas la personne de Pierre, mais la foi de Pierre, et par conséquent la personne du Sauveur. Mais l’on aurait tort d’oublier que l’Église ne peut pas s’édifier sur une foi abstraite, et prospérer alors qu’elle ne serait servie que par des organes impersonnels, ne relevant que d’un esprit inconscient, instinctif. Ce serait inévitablement le cas si l’Église était abandonnée à elle-même, pour ne vivre en quelque sorte qu’une existence anonyme et collective. L’Église ne pouvait donc être fondée que par des individualités énergiques, retenant l’Esprit Saint, la loi de l’Église, dans la conviction personnelle la plus indépendante et la plus sûre d’elle-même. Pierre, le croyant et le confesseur, se trouve en ce moment devant son Maître ; pour lui il représente le collège apostolique tout entier ; le Seigneur l’appelle le rocher de la foi, proclamant ainsi l’importance de la personnalité apostolique pour la fondation de l’Église. Cette importance peut se constater à toutes les époques de l’histoire de l’Église. Il lui serait impossible de se développer, de franchir les crises suprêmes, si à ces heures solennelles l’Esprit de l’Église ne savait pas s’affirmer en des individualités qui deviennent les sources vivantes où tous peuvent venir puiser l’esprit de force, d’affermissement. La puissance spirituelle d’une grande individualité concentre alors la conscience de l’Église, et le divin Maître qui la regarde peut l’appeler le rocher sur lequel il édifie son Église. A toutes les époques, à la Réformation par exemple, l’on voit que les grandes personnalités religieuses, ne parlant pas et n’agissant pas d’elles-mêmes, mais d’après l’esprit de l’Église, sont les héros de la liberté et du courage personnel. C’est auprès d’elles que les faibles et les inconscients trouvent leur appui. Mais ce qui est vrai d’une époque particulière de l’Église, l’est surtout des époques créatrices, et spécialement du moment qui l’a vue naître.
n – Matthieu 16.16.
Les apôtres, ces organes inspirés de l’Esprit qui a fondé l’Église, restent unis avec lui et entre eux par la plus libre de toutes les unions. Quoique dans cette union il y ait des dons divers, il n’y a cependant qu’un seul et même Esprit. L’enseignement apostolique présentera donc des formes diverses, retenant dans l’ensemble de ces diversités la même vérité fondamentale. Mais l’Esprit ne se manifeste dans la diversité des moments apostoliques que pour attester sa plénitude et sa richesse. Ce n’est donc pas la conscience individuelle d’un apôtre, mais la conscience générale de tous les apôtres qui pourra nous donner la révélation complète de l’Esprit fondateur de l’Église ; ce n’est également que cette conscience apostolique générale qui pourra nous dire comment l’Église conçoit ses rapports avec le Seigneur et avec l’Esprit, avec le monde et avec ses propres membres. Représentants de l’Église mère de toutes les Églises, les apôtres expriment dans leur propre conscience ecclésiastique celle de l’Église de tous les temps et de tous les lieux.